Cahiers d'études hispaniques médiévales - Année 2010 - Volume 33 - Numéro 1 - Pages 79-96Este trabajo se centra en la problemática del retraso con el que surge en Castilla la literatura de fi cción, concretamente artúrica. La hipótesis desarrollada se orienta hacia un posible rechazo por parte de Alfonso X de traducir unos romans franceses de aventuras caballerescas considerados tan solo como «vains et plaisants» (Bodel). En tiempos de Sancho IV, Castilla se abre a nuevas traducciones de textos relacionados con la materia de Francia, aceptables merced a su importante carga espiritual. Ahora bien dichas traducciones van a crear un horizonte nuevo de expectativas en lo tocante a la fi cción literaria, convirtiéndose así en uno de los eslabones fundamentales de la cadena textual que conduce a las traducciones castellanas de la Post-vulgata realizadas en tiempos de Alfonso XI. Ce travail aborde la problématique du retard avec lequel surgit en Castille la littérature de fiction, notamment arthurienne. L’hypothèse développée s’oriente vers un possible refus alphonsin de traduire les romans français d’aventures chevaleresques, considérés seulement comme « vains et plaisants » (Bodel). Sous Sanche IV, la Castille s’ouvre à de nouvelles traductions de textes en rapport avec la « matière de France », acceptables cependant en raison de leur puissant ancrage spirituel. Or ces traductions vont créer un horizon d’attente nouveau pour la fiction littéraire et deviennent ainsi l’un des maillons fondamentaux de la chaîne textuelle qui mène jusqu’aux traductions castillanes de la Post-vulgate qui se développeront sous Alphonse XI. 18 pages Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.
Traductions et pouvoir dAlphonse X à Alphonse XI : lexemple de la Þ ction littéraire
Carlos H EUSCH École normale supérieure de Lyon CIHAM (UMR 5648, CNRS) AILP (GDRE 671, CNRS)
R ÉSUMÉ Ce travail aborde la problématique du retard avec lequel surgit en Castille la littérature de Þ ction, notamment arthurienne. Lhypothèse développée soriente vers un possible refus alphonsin de traduire les romans français daventures chevaleresques, considérés seulement comme « vains et plaisants » (Bodel). Sous Sanche IV, la Castille souvre à de nouvelles traductions de textes en rapport avec la « matière de France », acceptables cependant en raison de leur puissant ancrage spirituel. Or ces traductions vont créer un horizon dattente nouveau pour la Þ ction littéraire et deviennent ainsi lun des maillons fondamentaux de la chaîne textuelle qui mène jusquaux traductions castillanes de la Post-vulgate qui se développeront sous Alphonse XI.
R ESUMEN Este trabajo se centra en la problemática del retraso con el que surge en Castilla la literatura de Þ cción, concretamente artúrica. La hipótesis desarrollada se orienta hacia un posible rechazo por parte de Alfonso X de traducir unos romans franceses de aventuras caballerescas considerados tan solo como « vains et plaisants » (Bodel). En tiempos de Sancho IV, Castilla se abre a nuevas traducciones de textos relacionados con la materia de Francia, aceptables merced a su importante carga espiritual. Ahora bien dichas traducciones van a crear un horizonte nuevo de expectativas en lo tocante a la Þ cción literaria, convirtiéndose así en uno de los eslabones fundamentales de la cadena textual que conduce a las traducciones castellanas de la Post-vulgata realizadas en tiempos de Alfonso XI. La traduction au Moyen Âge est un acte qui nest ni isolé ni anodin. À la différence du traducteur moderne, le traducteur médiéval nagit pas selon ses envies personnelles mais, très souvent, tente de satisfaire une demande, voire une commande, ponctuelle. Derrière une traduction médiévale il y a, CAHIERS DÉTUDES HISPANIQUES MÉDIÉVALES , n o 33, 2010, p. 79-96
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dans la plupart des cas, un instigateur occupant dans la société une place prépondérante, un décideur , comme on dirait aujourdhui. Cest pourquoi la traduction se confond presque systématiquement avec laf Þ rmation dun pouvoir, quil soit politique, social ou culturel ; quil émane du roi, dun grand seigneur ou de lÉglise. Cela signi Þ e également que derrière un programme de traduction (jentends par là une série de traductions de textes concomitants commandée par les mêmes personnes à peu près au même moment) se cachent des intentions quil convient dinterroger. Dans quel but traduit-on tel ou tel texte ? Linverse de cette question nest pas moins signi Þ catif :dans quel but ou, plutôt, pour quelles raisons, décide-t-on de ne pas traduire tel ou tel texte ayant connu, pourtant, un succès international ?On ne manquerait pas, par exemple, détudier le cas de Þ gure, certes purement hypothétique, dune nation qui, de nos jours, choi-sirait délibérément dinterdire les traductions dans sa langue de la série de J. K. Rowling, Harry Potter ! Or, lhistoire des littératures médiévales nous livre quelques exemples de cas similaires. Je me propose den étudier un ici. Celui de lévolution des traductions en Castille de la littérature daven-tures chevaleresques et, plus particulièrement arthuriennes, véritable best-seller européen qui a cependant mis bien plus longtemps à percer en Castille quailleurs. Lidée est que lexistence ou non de ces traductions est intime-ment liée aux représentations quavait de cette littérature le pouvoir poli-tique et aussi aux fonctions que ce même pouvoir entendait assigner aux textes traduits. DAlphonse X à Alphonse XI, cest à un changement si radical dattitude que lon assiste, quil doit être étudié dans le détail.
Au XIII e siècle, on réalise en Castille de nombreuses traductions qui contri-buent, comme on sait, à Þ xer la langue vernaculaire. Or si les traductions de textes arabes et latins à caractère scienti Þ que et didactique sont légion et il suf Þ t de citer des uvres telles que le Calila e Dimna , le Sendebar , l Escala de Mahoma ou tout le travail, sous Alphonse X, de vulgarisation de la science arabe , force est de constater que la littérature étrangère que nous appellerions aujourdhui « de Þ ction » a les plus grandes peines à pénétrer en Castille. Sous Ferdinand III et immédiatement après les recommandations du concile de Latran, on voit encore surgir quelques tentatives de traduction, dans la mouvance intellectuelle de luniversité de Palencia, qui aboutissent à cette grande rénovation poétique quest le métier de clergie. Le Libro de Alexandre et le Libro de Apolonio peuvent ainsi être assimilés à des traductions littéraires, mais, les frontières entre une littérature historiographique et une littérature de pure Þ ction sont ici assez ß oues. Les deux uvres se présentent en effet comme des « buenas gestas » ( Alexandre 3c) de personnages supposément historiques. Elles restent cependant proches de la Þ ction en raison du plaisir quelles sont censées procurer au public,
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TRADUCTIONS ET POUVOIR DALPHONSE X À ALPHONSE XI 81 un plaisir qui est celui du cuento , de la fable : « Avrá de mí solaz, en cabo grant plazer » ( Alexandre 3b), sempresse de dire à son public, en conteur averti, la voix poétique du Libro de Alexandre . Le Þ lon ouvert par ces deux premières uvres sera, cependant, surtout récupéré par la littérature religieuse dun Berceo ou nationalisé dans un poème comme le Fernán González . La porte de la traduction des grands romans français, seulement entrouverte à lorée du métier de clergie, se referme vite, contrairement à ce qui sest passé dans les autres royaumes péninsulaires. En effet, la situation était très différente ailleurs, où une certaine forme de matière arthurienne a laissé à lévidence plus de traces. Doù, par exemple, les allusions assez explicites du catalan Giraut de Cabreira dans son ensen-hament de circa 1170, parmi dautres évocations de troubadours catalans postérieurs, empreints dune culture occitane tout à fait rompue à cette matière, comme le prouvera, au XIII e siècle, le roman Jaufré . Il en va de même pour la Navarre, pour ne pas séloigner des royaumes pyrénéens. Lexemple de lanonyme Libro de las generaciones ( c. 1265) 1 est assez signi-Þ catif de la « culture arthurienne » de son auteur. Dans cette refonte du Liber regum , également navarrais, lauteur du Libro de las generaciones choisit dajouter une série de généalogies absentes de sa source qui concernent, justement, la matière de Troie et la matière de Bretagne 2 . Daprès Diego Catalán, lauteur suit le Roman de Brut (1155) du poète normand Wace, mais certains détails semblent venir, comme lindique Casas Rigall, de souve-nirs dautres lectures 3 . Cette uvre connut une large diffusion en Navarre, ce qui expliquerait lexistence dautres références à la matière bretonne venant de cette aire géographique. Il a laissé également des traces dans la Versión gallego-portuguesa de la Crónica de Castilla , dans le Livro das linhagens , la Chronique de 1344 et celle de 1404. Au Portugal, la présence dune littérature arthurienne précoce est quelque chose dassez avéré. Harvey Sharrer 4 na aucun doute, après les travaux de Carolina Michaëlis de Vasconcelos et Ivo Castro, sur la présence de
1. Diego Catalán a édité ce texte, en tant que lune des sources de la Crónica de 1344 , en annexe de son édition, avec les passages correspondants du Livro das linhagens et de la Crónica de 1404 . Voir Diego C ATALÁN (éd.), Crónica de 1344 , Madrid : Gredos, 1971. 2. Voir Juan C ASAS R IGALL , « La materia de Troya en el Libro de las generaciones (h. 1265), in : Xosé Luis C OUCEIRO et al. (éd.), Homenaxe ó profesor Camilo Flores , 2 volumes, Saint-Jacques-de-Compostelle : Universidade de Santiago de Compostela, 1999, 1, p. 174-194 et p. 176 particulièrement. 3. Voir J. C ASAS R IGALL , art. cité, p. 177 : « Así las cosas podría haberse dado el caso de que el autor hispano, más que seguir un texto concreto, hubiese recurrido a sus conocimientos globales sobre la materia, fruto de lecturas y recuerdos acaso lejanos, con la natural fusión de modelos. » Comme le précise Casas Rigall, cette af Þ rmation se véri Þ e davantage en ce qui concerne la matière de Troie que celle de Bretagne où lauteur semble suivre plus précisément le Roman de Brut . 4. Harvey L. S HARRER , « Spain and Portugal », in : Norris J. L ACY (éd.), Medieval arthu-rian literature: a guide to recent research , New York : Garland, 1996, p. 401-450.
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82 CARLOS HEUSCH romans courtois français à la cour dAlphonse III. Celui-ci, puîné du roi Alphonse II, sétait installé en France pendant une vingtaine dannées, séjournant à la cour de Blanche de Castille et devenant même comte de Boulogne après son mariage avec Mathilde de Dammartin. De retour au Portugal pour remplacer son frère sur le trône, à la demande du pape Innocent IV, Alphonse Þ t sans doute connaître les récentes uvres à succès quil avait découvertes et appréciées en France : les trois branches de la Post-Vulgate. Cest donc dans le contexte de la cour dAlphonse III que durent se faire les traductions de João Bivas et des autres uvres de cette même branche. Vers le milieu du XIII e siècle, il y avait au Portugal, tou-jours selon Sharrer, un intérêt réel pour cette littérature qui expliquerait le caractère précoce de traductions sans doute suscitées par le souverain lui-même, dans le but de favoriser au sein de son entourage une courtoisie toute française, axée sur des modèles empruntés aux romans arthuriens 5 . Pour dautres chercheurs, en revanche, lintérêt portugais pour la littérature arthurienne ne serait pas si précoce et trouverait son bouillon de culture non pas dans lentourage intellectuel dAlphonse III assez proche de celui de son homonyme castillan mais dans des cercles aristocratiques. Il est possible que lun de ces premiers cercles arthuriens ait même été animé par Béatrice de Castille, épouse dAlphonse III et Þ lle naturelle dAlphonse X avec Mayor Guillén de Guzmán, ce qui nous renvoie au moins aux années 1260-1270 6 . Le Lancelot en prose était également connu au Portugal, dans sa ver-sion originale ou dans une traduction aujourdhui perdue, puisquil y est fait explicitement référence par le poète Martin Soares dans une cantiga descarnho qui parodie lépisode de la libération de Gauvain, prisonnier de Caradoc, par Lancelot 7 . Dautres poètes d escarnho , comme Fernando Esquio, ou ceux qui nous ont laissé les Lais da Bretanha font souvent réfé-rence à des personnages ou à des épisodes de la Post-Vulgate. Il est encore dif Þ cile et périlleux de chercher à expliquer les raisons de cette quasi-absence de pénétration en Castille de la matière littéraire la plus en vogue dans la plupart des régions dEurope, à savoir le roman
5. « The mid-thirteenth-century Portuguese court of Afonso III was keenly interested in recently compiled or reworked Arthurian prose romances and encouraged their early translation into Portuguese » (H. S HARRER , art. cité, p. 409). Sur louverture de la cour dAlphonse III à la culture littéraire française, voir aussi Vicente B ELTRÁN , « Afonso III de Portugal », in : Giulia L ANCIANI et Giuseppe T AVANI (éd.), Diccionário da literatura medieval galega e portuguesa , Lisbonne : Caminho, 1993, p. 14-15. 6. Voir José Carlos Ribeiro M IRANDA , A Demanda do Santo Graal e o Ciclo arturiano da Vulgata , Porto : Granito Editores e Livreiros, 1998. Voir aussi Leonor Curado N EVES (éd.), Matéria de Bretanha em Portugal , Lisbonne : Colibri, 2002. José Carlos Miranda anime au sein du SMELPS (université de Porto) un groupe de travail sur la littérature arthurienne au Portugal. Il faut éga-lement évoquer, dans ce cadre, les travaux dAna So Þ a Figueiras Henriques Laranjinha. 7. Voir H. S HARRER , art. cité, p. 409.
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TRADUCTIONS ET POUVOIR DALPHONSE X À ALPHONSE XI 83 daventures chevaleresques et plus spécialement arthuriennes. Alors que Chrétien est traduit ou adapté un peu partout, la Castille du XIII e siècle se montre, au regard des textes conservés, pour ainsi dire, insensible au succès international de cette littérature narrative courtoise. À défaut de textes, peut-on supposer une connaissance réelle de cette matière littéraire dans la Castille du XIII e siècle ? Outre la possibilité, toute théorique, quil sagisse encore dun des nombreux versants de la « littérature perdue » de la Castille médiévale 8 , on peut également faire lhypothèse, souvent défendue, dune existence et dune transmission orales de cet univers lit-téraire rapporté de lautre côté des Pyrénées par jongleurs et pèlerins, qui tendrait à expliquer les vagues témoignages épars de cette littérature que certains sévertuent à chercher dans lonomastique 9 ou dans des réalisa-tions artistiques, essentiellement dans lextrême nord-ouest péninsulaire 10 . Si on sen tient à une démarche purement positiviste, il faut cependant postuler pour la Castille alphonsine une activité quasiment nulle de tra-duction de ces romans français. Par ailleurs, je dois préciser que quand jévoque la matière arthurienne je men tiens justement à une matière poétique spéci Þ que, celle de la « matière de Bretagne » déployée dans des « Þ ctions » poétiques. Cette précision est de mise car on peut nettement moins douter, en revanche, de la pénétration en Castille, depuis au moins le règne dAlphonse VIII ou, plus exactement, depuis son mariage avec Aliénor dAngleterre, dune uvre comme la Historia regum britanniae de Geoffroy de Monmouth 11 , qui devait être perçue non pas comme un poematium fabulosum 12 mais comme
8. Jemprunte cette expression au regretté Alan D EYERMOND . Voir son ouvrage La literatura perdida de la Edad Media castellana. Catálogo y estudio , Salamanque : Universidad de Salamanca, 1995. 9. On peut saluer, en ce sens, les efforts de David Hook pour trouver des pratiques onoma-siologiques « arthuriennes », signal fort, pour ce chercheur, de lexistence dune tradition popu-laire puissamment ancrée puisque des noms tels que Artus , Galvan ou Merlin sont totalement étrangers à lonomasiologie hispanique. Voir David H OOK , « Esbozo de un catálogo de los nombres artúricos peninsulares anteriores a 1300 », Atalaya , 7, 1996, p. 135-152. 10. Est souvent évoquée à ce sujet la sculpture de la Portada de las Platerías de la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle qui daterait du premier quart du XII e siècle et qui représente un personnage couché dans un bateau avec une épée que lon a associé à Tristan. Voir Serafín M ORALEJO , « Artes Þ gurativas y artes literarias en la España medieval: Románico, Romance y Roman », Boletín de la Asociación europea de profesores de español , 17, 1985, p. 61-70 et David H OOK , The Earliest arthurian names in Spain and Portugal , St Albans : David Hook, 1991. 11. Voir William E NTWISTLE , « Geoffrey of Monmouth and Spanish Literature », The modern language review , 17, 1922, p. 381-391 et id. , The arthurian legend in the literatures of the spanish peninsula , Londres - New York : J. M. Dent-E. P. Dutton, 1925. Voir aussi les références bibliographiques de Sylvia R OUBAUD , « La prophétie merlinienne en Espagne : des rois de Grande-Bretagne aux rois de Castille », in : Augustin R EDONDO (éd.), La prophétie comme arme de guerre des pouvoirs ( XV e -XVII e s.) , Paris : Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2000, p. 159-173. 12. Jemprunte cette expression à Conrad de Hirschau ( XII e siècle) de la main de Georges M ARTIN , « Lhiatus référentiel », in : id ., Histoires de lEspagne médiévale , Paris : Klincksieck (Annexes des Cahiers de linguistique hispanique médiévale , 11), 1997, p. 43-56.
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une source historiographique, dans la lignée des livres de généalogies royales dont se servaient forcément les historiens royaux. Cest ainsi que lon peut expliquer les allusions au combat entre le roi « Citus » (« Artus », mal lu par le copiste) et Mordret à « Camlenc »danslesAnales toledanos primeros (1219) qui, comme lavait fait remarquer William Entwistle, donnent pour cet épisode la même date que Monmouth 13 . Cest aussi en tant que source historiographique que lon peut percevoir, plus tard, des traces de l Historia de Monmouth dans la General Estoria dAlphonse X 14 . Meritxell Simó insiste, après Lloyd Kasten, sur limportance de lutilisation de cette source par les ateliers alphonsins dans la General Estoria pour retracer lhistoire des règnes bretons jusquà César, comme le fait également l Histoire ancienne jusquà César : La General Estoria incorpora absolutament tot el que té cabuda dins de larc cronològic contemplat 15 . Or cela ne fait pas même le tiers de luvre du Gallois 16 . Pourquoi la General Estoria ne cite-t-elle pas le nom de Monmouth et pourquoi ne sattache-t-elle pas, dune façon ou dune autre, fût-ce de manière allusive, aux rois postérieurs à lépoque de César ? On peut penser, avec Meritxell Simó, que les collaborateurs dAlphonse ne suivaient peut-être pas, dans ces chapitres de la General Estoria , luvre de Monmouth mais un manuscrit de l Histoire ancienne jusquà César qui incluait la paraphrase de l Historia regum britanniae 17 . Cela expliquerait donc labsence de « matière bretonne » postérieure à Casibellan qui est le dernier roi breton dont parle Alphonse faute de matériau historiographique. Cette hypothèse ne me paraît guère satisfaisante, cependant, eu égard à une remarque qui clôt le chapitre sur Casibellan :
13. W. E NTWISTLE , « Geoffrey of Monmouth », p. 383 : « Lidio el rey Citus con Mordret en Camlenc. Era MLXXX »,cest-à-dire,àlasuitedetouteunesériedecorrectionspaléographiques,« anno ab incarnatione dominica quigentessimo quadragesimo secundo » (Monmouth). 14. Outre les travaux déjà cités de W. Entwistle, voir aussi Laura K EELER , « The Historia regum Britanniae and four mediaeval chroniclers », Speculum , 21 (1), 1946, p. 24-37 ; Lloyd A. K ASTEN , « The Utilization of the Historia Regum Britanniae by Alfonso X , Hispanic review , 38, » 1970 [ Studies in memory of Ramón Menéndez Pidal ], p. 97-114 et Meritxell S IMÓ , « Les primeres traduccions romàniques en prosa de la Historia regum britanniae », Estudis romànics , 30, 2008, p. 39-53. Je remercie Irene Salvo García pour cette dernière référence. 15. M. S IMÓ , art. cité, p. 46. 16. « Els materials de la HRB traduïts per Alfons X no representen ni un terç de lobra del clerc gal·lès » ( id. ). 17. « Sense negar el fonament de la hipòtesi també hom es podria preguntar si la inclusió de la HRB en el projecte alfonsí no podria haver-la inspirada el coneixement duna versió de la HA que, com la del ms. fr. 17177, incorporés una història de Bretanya. Aquesta possibilitat, duna banda, explicaria lestrany desconeixement per part del Rei de lautoria de Geoffrey de Monmouth, atès que, contravenint el rigor característic de lequip de tra-ductors, hom no cita mai lautor de lEstoria de las Bretannas » ( id. ).
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Agora dexamos aquj la rrazon de las bretannas & de los sus rreyes que rreynaron despues de casibelano commo dexjmos, ca adelante diremos dellos en sus logares & en sus tienpos ( General Estoria V , ms Esc. r-I-10, fol. 179r o ) 18 . Il était donc prévu de passer en revue les rois bretons postérieurs, ce qui pourrait être compris comme le signe de la présence du matériau histo-riographique nécessaire, à savoir l Historia regum britanniae , dans les ate-liers alphonsins. Cest sans doute dans le cadre du « VI e temps » ( General Estoria VI ) que les compilateurs avaient peut-être prévu de se servir des deux tiers restants de luvre de Monmouth. Mais cela ne put aucune-ment se faire du vivant du roi savant. Comme on sait, ce qui nous reste du projet General Estoria VI nest que très fragmentaire, désordonné et pas tout à fait cohérent avec lorganisation des livres précédents, réalisés, eux, avec la supervision du souverain. Alphonse X avait-il prévu dincorporer dans General Estoria VI toute la matière bretonne de Monmouth en y incluant des personnages comme Merlin ou le roi Arthur ? On ne le saura probablement jamais, mais on peut tout de même en douter. Si, en effet, le roi savant avait tenu pour historio-graphiquement vraisemblable cette matière, on peut supposer quil en aurait encouragé la diffusion auprès des chevaliers castillans, comme le faisaient les cercles chevaleresques portugais par le biais de la traduction de romans français qui sinspiraient, de près ou de loin, de Monmouth. Il est très dif Þ cile de présumer une ignorance par le jeune Alphonse X, en partie élevé en Galice et si rompu à la culture de lOuest péninsulaire, de ces traductions portugaises, ne serait-ce quen raison des relations existant entre le roi savant et Alphonse III qui était, en plus, son gendre. Il nest pas moins dif Þ cile dimaginer Alphonse X dans son âge mûr, parcourant lEurope à la recherche dappuis pour ses fechos del Imperio , en ignorant une réalité littéraire omniprésente dans les différentes cours quil visitait. Il semble plus logique, par conséquent, de supposer que, pour lui, cette matière était aussi « vaine » que « plaisante », comme le dit la Chanson des Saisnes 19 , et que, par conséquent, elle navait pas une très grande perti-nence historique. Cétait, en somme, une matière éminemment poétique qui navait donc pas sa place dans la prose mais, éventuellement et de façon indirecte , dans la lyrique. Cest donc uniquement dans les Can-tigas que de vagues références au monde arthurien peuvent sortir de la bouche (ou de la plume) dAlphonse 20 . Dans les Cantigas sacrées, il en est
18. Nous citons à partir de Lloyd K ASTEN et al. (éd.), Prose Works of Alfonso X, El Sabio , Madison : HSMS, 1997. 19. « Li conte de Bretaigne sont si vain et plaisan », Jean B ODEL , La Chanson des Saisnes , v. 9. 20. Voir Amélia P. H UTCHINSON , « Readingbetween the lines: a vision of the arthurian world re ß ected in galician-portuguese poetry », in : Bonnie W HEELER , Arthurian studies in honour of P. J. C. Field , Cambridge : D.S. Brewer, 2004, p. 117-131, et p. 125-126 particulièrement.
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86 CARLOS HEUSCH une qui évoque le souvenir par ouï-dire chez le souverain de la Þ gure de Merlin 21 alors que dautres compositions évoquent des référents spatiaux bretons 22 . Les cantigas de amor développent, en revanche, la comparaison, devenue topique, du poète amoureux avec lun des grands exemples de chevaliers amoureux, Tristan : [] ca ia Paris Damor non foy tam coitado, Nen Tristam ; Nunca soffreron tal affam 23 . Contexte lyrique donc, poétique, amoureux et, surtout, bien plus por-tugais que castillan, exprimé dans cette langue réservée, selon Alphonse, à la pure expression littéraire. On est donc très loin des fonctions que le roi savant assignait à la prose comme instrument privilégié de transmission du savoir et très loin de la langue qui était censée véhiculer cette prose-là, le castillan. Même si la production lyrique dAlphonse suggère une cer-taine familiarité avec la matière arthurienne, cela semble donc tout à fait cloisonné dans une fonction et dans un univers de réception littéraire bien particuliers, la cour poétique dexpression exclusivement galégo-portugaise qui pouvait très bien aller chercher son matériau dans dautres manifes-tations poétiques , au sens large, comme les romans arthuriens, en français ou dans leurs traductions portugaises. Dès lors, on peut supposer quAlphonse voulait peut-être bien dune Þ ction arthurienne en version originale française ou dans une traduc-tion portugaise, mais pas dans ce castillan qui était pour lui la langue du savoir. Et la raison pouvait fort bien en être que, justement, pour lui il y avait, certes, du divertissement courtisan dans une telle littérature mais, assurément, ni savoir ni utilité. La matière de Bretagne restait sans doute pour lui, comme pour Jean Bodel, seulement « vaine » et « plaisante » et elle navait sa place ni dans lencyclopédie alphonsine ni dans les lectures quil préconisait pour les chevaliers. Luvre encyclopédique et juridique dAlphonse entend créer un « espace de certitude » 24 dif Þ cilement com-
21. « E daquest oÿ contar / que avëo a Merlin Como disseron a mi(n) » ( Cantigas de Santa Maria , 2, 30, édition de Walter M ETTMANN , Madrid : Castalia, 1988). Il est à noter que, par deux fois, Alphonse évoque une connaissance de seconde main et orale de son exemple. 22. « Bretanna, a que pobrou o rei Brutus » (édition citée, 1, 146) ; « Dovra, a que pobrou rey Artur » ; « achar non podedes quanto Breton Artur »(éditioncitée,3,344).VoirA.H UTCHINSON , art. cité, p. 125. Sont-ce des souvenirs de la lecture alphonsine de l Historia regum britanniae ? 23. Cancioneiro da Biblioteca Nacional , II, 322. Cest la 411 dans lédition dElza P AXECO et José Pedro M ACHADO (éd.), Cancioneiro da Biblioteca Nacional, antigo Colocci-Brancuti , Lisbonne : Revista de Portugal, 1949, et la 25 dans celle de José Joaquim N UNES (éd.), Cantigas de amor dos trovadores galego-portugueses , Lisbonne : Centro do livro brasileiro, 1972, t. 4. 24. Jemprunte cette expression à Jesús R ODRÍGUEZ V ELASCO , « Espacio de certidumbre. Palabra legal, narración y literatura en Las siete partidas (y otros misterios del taller alfonsí) »,
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TRADUCTIONS ET POUVOIR DALPHONSE X À ALPHONSE XI 87 patible avec lespace poétique ou de « fabulation », de « vana fabliella » ou « fabliella mintrosa » de la littérature arthurienne. Cest pour cela que la nouvelle chevalerie quimagine Alphonse pour cette espèce de royaume idéal que décrit la deuxième Partida ne doit aucunement soccuper de ce genre dhistoires vaines. Elle ne doit sintéresser quaux histoires « vraies » des chevaliers qui lont précédée. La loi XX du titre XXI de la deuxième Partida le dit très explicitement : [] acostunbravan los cavalleros quando comían, que les leyesen las estorias de los grandes fechos de armas que los otros Þ zieran, e los fechos e los esfuerços que ovieron para saberlos vençer e acabar lo que querían. E, allí do no avían tales escripturas, fazíanlo retraer a los cavalleros buenos e ançianos que se en ello açertavan. E, sin todo esto, aun fazían más, que no consentían que los juglares dixiesen ante ellos otros cantares sino de gesta 25 o que fablasen en fecho de armas. E, eso mismo, fazían que quando no podían dormir cada uno en su posada, se fazía leer e retraer estas cosas sobredichas. E esto es porque, oyéndolas, les cresçían las voluntades e los coraçones e esforçávanse faziendo bien e queriendo llegar a lo que los otros Þ zieran o pasaran por ellos 26 . Selon Alphonse, les lectures des chevaliers doivent être tout à fait utili-taires, en rapport avec la fonction guerrière que ceux-ci occupent dans la société. Or les seules vraiment utiles pour la réalisation de cette fonction sont « les histoires des grands faits darmes ». Il sagit donc des rei gestae telles quelles sont recueillies dans les chroniques, conçues comme une mémoire écrite des exploits guerriers. Lidée de mémoire est con Þ rmée par le fait quen labsence de tels livres, Alphonse propose que lon se serve de la mémoire vivante des chevaliers anciens qui, du coup, devaient « raconter »aux plus jeunes ce quils avaient vécu et entendu. Alphonse noublie pas non plus la diffusion orale de la littérature et sempresse de préciser que, devant des chevaliers, les jongleurs ne doivent chanter que des poèmes épiques, écartant, de ce fait, toute autre thématique où lon aurait pu trouver, justement, les légendes arthuriennes. On ne saurait être plus catégorique. Or, il suf Þ t de se demander quelle est la part de la littéra-ture dans la production culturelle dAlphonse X pour comprendre les effets dun tel point de vue : « A Alfonso le gustaría oír los romances provenientes de las materias épicas », af Þ rme Fernando Gómez Redondo 27 . En effet, le genre
Cahiers détudes hispaniques médiévales , 29, 2006, p. 423-451. Dans cet article, Rodríguez Velasco oppose aussi lespace juridique fondé sur la certitude et un espace courtisan avec dautres règles, comme celle du « retraer » où une certaine forme de « Þ ction » peut avoir un espace propre. 25. Lédition de Gregorio López (1555) présente une leçon différente : « otros cantares sinon de guerra » (fol. 75r o ). 26. Partidas II , XXI, XX . Nous citons à partir de : Carlos H EUSCH (avec la collaboration de Jesús R ODRÍGUEZ V ELASCO ), La caballería castellana en la baja Edad Media , Montpellier : Etilal, université Paul-Valéry, 2000, p. 69. 27. Fernando G ÓMEZ R EDONDO , Historia de la prosa medieval castellana , Madrid : Cátedra, 1998, t. 1, p. 797.
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88 CARLOS HEUSCH épique, tant vanté dans cette loi des Partidas , se retrouve dans les mises en prose de chansons pour l Historia de España , de même que les histoires des héros de lAntiquité, véritables modèles épiques, vont se retrouver aussi bien dans la General Estoria 28 et il convient, sur ce point, dinsister sur la passionnante adaptation de la matière thébaine incluse dans la chronique alphonsine 29 que dans une des traductions qui ont probablement vu le jour au sein des ateliers alphonsins, la Historia troyana polimétrica (1270), tra-duction du Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure. Cela signi Þ e que la « matière de Rome », elle, pouvait bien être traduite du français, comme le prouvent ces derniers exemples ou le plus que probable usage alphonsin dune uvre comme l Histoire ancienne jusquà César . On est donc tenté daf Þ rmer que les raisons qui ont poussé Alphonse X à écarter la Þ ction arthurienne sont bien moins littéraires le style de Sainte-Maure nétant pas radicalement différent ou idéologiques les positions monarchistes ou nobiliaires des textes de Þ ction arthurienne méri-tant une analyse ponctuelle de chaque uvre quépistémologiques. Pour Alphonse, le discours historiographique fait partie de la science politique et, à ce titre, les histoires anciennes renferment du savoir et il convient non seulement de les connaître mais de les faire connaître. Face à ce discours, la matière poétique en général et, plus tard, arthurienne, ne sera quune forme daltération de ce discours historique, quune forme de simulacre stérile et pernicieux. En ce sens, Alphonse ne fait que suivre un avis assez partagé par certaine cléricature castillane du XIII e siècle, radicalement hos-tile à toutes les formes de « Þ ction » discursive. Cest cette même cléricature qui sest exprimée dans la littérature sapientiale de lépoque alphonsine, prodigue en remarques contre les dangers de la Þ ction, comme le dit très clairement Fernando Gómez Redondo : Hay un temor político y religioso al orden conceptual que encierra la Þ cción, a la facilidad con que los oyentes pueden ser atrapados por las «razones fermosas» y ser convencidos de una verdad que sólo existe porque es contada. Este miedo a la Þ cción, esta prevención hacia sus posibilidades de conocer otros ámbitos de conocimiento atraviesa la literatura sapiencial que
28. General Estoria que Fernando Gómez Redondo nhésite pas à quali Þ er de « prodigioso tapiz de relatos gentilicios », lassociant directement aux goûts personnels dAlphonse (« demuestra al completo el ámbito narrativo que gozaría de la estima del rey »),trèséloignés,seloncecritique,delamatière arthurienne (« No a la materia artúrica, de acusado carácter antirregalista y, en exceso, controlada por el poder eclesiastico »). Voir F. G ÓMEZ R EDONDO , loc. cit. 29. La General Estoria précise bien que les chapitres interpolés dérivent de la version française de lhistoire de Thèbes : « Et lo que fasta aqui es ende dicho contamos lo nos segunt que lo fallamos en la estoria del lenguage françes e en otras » (ms 10237 BNM, fol. 291v o ). Vid. L. K ASTEN et. al. (éd.), Prose works of Alfonso X , op. cit . Cette « estoria » est, de fait, l Histoire ancienne jusquà César . Voir Paloma G RACIA , « Singularidady extrañeza en algunos lugares de la Estoria de Tebas... », Bulletin hispanique , 105, 2003, p. 7-17 ; id. , « Actividad artística y creadora en la General Estoria ... », Bulletin hispa-nique , 81, 2004, p. 303-315. Voir aussi Florence B ALDELLON , La légende de Thèbes dans la General Estoria, Lyon : ENS de Lyon, 2010 (mémoire de Master 2).
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TRADUCTIONS ET POUVOIR DALPHONSE X À ALPHONSE XI 89
surge como producto de la «clerecía cortesana» que impulsa Alfonso. En esos libros de castigos hay constantes referencias al peligro que representa la Þ cción 30 . Doù une vision très critique de la fantasía , de l imaginación et Fernando Gómez Redondo de rappeler la célèbre dé Þ nition quen donne le Setenario : « Fantasía es creençia, mas sin recabdo assí como enfermedat. »LalittératuredeÞ c-tion relève donc dune forme de discours « malade » qui provoque, à son tour, une sorte de maladie chez le lecteur, une maladie que connaîtra bien, beaucoup plus tard, le plus célèbre des hidalgos. Les histoires « vraies » du passé sont là pour rendre les chevaliers courageux au combat ; les histoires mensongères des chevaliers de la Table ronde pourraient, quant à elles, les rendre téméraires à lexcès, si, par exemple, ils se croyaient invincibles, tels Lancelot ou Tristan. Et, en bon lecteur de l Éthique à Nicomaque , Alphonse sait à quel point lexcès de courage, à savoir la témérité, est un vice bien plus pernicieux que le manque de courage. Selon cette vision de la Þ ction, la lecture des romans arthuriens pourrait vite décimer une armée. Je crois quil nen faut pas plus pour comprendre que le modèle épistémologique dAlphonse était incompatible avec le développement de la Þ ction arthu-rienne dans lespace courtisan imaginé par le roi savant. Il est donc tout à fait vraisemblable quAlphonse X non seulement na pas encouragé la moindre traduction en castillan de romans arthuriens mais il a dû même en décourager la lecture, au moins parmi les cheva-liers de sa cour. Donc, sil faut se servir de lexemple de Fray Juan Lorenzo Segura de Astorga, supposé copiste du manuscrit dOsuna du Libro de Alexandre , de la Þ n du XIII e siècle, cest sans doute dans un tout autre sens que celui des « archéologues » de la matière bretonne en Espagne. Le fait que Fray Lorenzo nait pas pu déchiffrer le mot « Artus »surlemanuscritquil copie et quil lait transcrit par « artes » 31 est pour moi davantage le signe que le nom du personnage le plus célèbre de la matière de Bretagne pouvait être inconnu dun letrado ayant vécu à lépoque dAlphonse X. Or, une telle éventuelle 32 méconnaissance se révèle quasiment impossible un demi-siècle plus tard. La production culturelle du règne de Sanche IV est marquée par un recen-trage sur la spiritualité, prônant, par conséquent, une conception quelque peu plus restrictive du savoir. Celui-ci nest pas une Þ n en soi mais doit être
30. Fernando G ÓMEZ R EDONDO , Historia de la prosa medieval castellana , Madrid : Cátedra, 1999, t. 2, p. 1319. 31. Voir Libro de Alexandre , v. 1798a, dans la version du ms O : « Cuemos se preçian mucho por artes los bretonnes » (couramment édité selon les autres leçons : « Commo se preçian mucho por Artús los bretonnes »,voirGautierdeChâtillon,Alexandreis , VII, v. 412). 32. Précautionneusement, je préfère dire « éventuellement » car rien ne nous dit que lerreur ne se trouvait pas déjà dans la version utilisée par Fray Lorenzo.