La pan-créolité
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Rodolf ETIENNE
La pan-créolité Une identité à conquérir…
Peut-on comprendre une autre culture ? Sous-entendu, dans notre cas, une autre culture créole. Communautés linguistiques et communautés culturelles : quelles parallèles ? Les paradoxes de l’inter-culturalité dans un monde globalisé. La pan-créolité, qui est aussi une créolisation, trouve à travers toutes ces questions un prolongement logique.

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Publié le 08 mars 2014
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Langue Français

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Rodolf ETIENNE La pancréolité Une identité à conquérir…
A Hamad et Amétys
Pour avoir effectué quelques recherches sur la notion de l’interculturalité, je sais que dans les Mascareignes, à la Réunion, l’île Maurice et les Seychelles cette notion, très impliqués dans le développement culturel et identitaire des populations, a également fait l’objet de nombreuses analyses. Ces analyses, ici, ont permis de mieuxenvisager un phénomène qui, aujourd’hui, touchant au monde dans son ensemble, le bouleverse et le transforme. Edouard Glissant, développant le concept du ToutMonde, nomme ce phénomène RelationouCréolisation. Peuton comprendre une autre culture? Sousentendu, dans notre cas, une autre culturecréole: quelles parallèles?. Communautés linguistiques et communautés culturelles Les paradoxes de l’interculturalité dans un monde globalisé. La pancréolité, qui est aussi une créolisation, trouve à travers toutes ces questions un prolongement logique. Ce rapprochement effectué entre ces différentes notions: inter culturalité, créolisation ou pancréolité, nous semble pertinent parce qu’il situe notre rencontre en pleine actualité des problématiques culturelles et identitaires du monde moderne et plus particulièrement encore au cœur des questionnements des communautés créoles du monde. Dès lors, la pancréolité, s’inspirant des réflexions liées à l’interculturalité et / ou à la créolisation, se définit commeune dynamique invariante des peuples créoles mis en relation. Dans un mondesujetde la relation, de plus en plus familier delapoétique du Divers, la dynamique pancréole se révèle, pour les peuples qui la soutiennent, comme accessible enfin, née des explosions incontrôlables des identités du monde. Ce qui pourtant nous apparaît plus essentielle, c’est que cette dynamique pancréole réclame aujourd’hui des communautés créoles la prise de conscience de sa nécessité et, surtout, de son urgence. La pancréolité : une identité à conquérir ? Assurément : de sorte que, unis et forts de toutes nos contradictions exprimées, nous fassions sens face aux grands bouleversements du monde et à ces enjeux troubles quiau loin nous sollicitent… Enfévrier 2006 et février 2007, sous le titre «Kréofolies »,deux téléconférences regroupant Haïtiens et Mauriciens de Montréal et de NewYork, Mauriciens d’Australie, Réunionnais, SainteLuciens, Martiniquais étaient organisée par l'Université York de Toronto, en collaboration avec l'Organisation Internationale des Peuples Créoles avec pour thème : « Lerapprochement des peuples créoles : option ou nécessité ?». Parmi les questions abordées : Unir les créoles du monde entier, estce utopique ? Quels préjugés font obstacle à cette unification ? Quels procédés mettre en place pour un tel rassemblement ? A l’issue de cette rencontre, plusieurs pistes de travail ont été élaborées et des objectifs précis ont été fixés pour permettre le rapprochement des communautés créoles du monde. Parmi ces pistes :l'organisation multilatérale de colloques et de festivals à court et moyen terme, la formation d'équipes de recherche et de travail pour l'élaboration de ressources, des actions ponctuelles dans chaque zone concernée par la créolité et des échanges universitaires plus soutenus autour de réflexions créoles. En soi, l’affirmation d’une dynamique pancréole n’a rien de nouveau. Dans les années 1960 déjà, pour parler exclusivement de la Martinique, Gilbert Gratiant, militant politique et créoliste affirmait sa volonté (son utopie !) de voirun jour tous les créoles du monde réunis. Plus tard, dans saNote liminaire concernant la lecture ducréole, qui préfaçait l’édition de 1970 deFab’ Compè Zicaque, son ouvrage de référence, il écrivait:En attendant qu’un congrès pancréole que je réclame depuis plusieurs décenniesfixe les règles de la graphie, entre autre choses, il convient de lire le créole comme on déchiffre la musique. En révélant ce
1 souhait,l’auteur martiniquais faisait là œuvre relative devisionnaire de notre authenticité, il fixait le cadre pour des échanges qui sont aujourd’hui à l’œuvre. Il défrichait, offrantune piste nouvelle à la langue et, incidemment, à la culture créoles, celle du contact et de la rencontre entre les créoles du monde. Gilbert Gratiant toujours écrivait, en préambule deLe langage créole et ceux qui le parlent, qui préfaçait l’édition de 1976deFab’ Compè Zicaque:Tout ce qui est écrit ici de la Martinique, à peu de choses près vaut pour la Guadeloupe, la Guyane, la Réunion. Il poursuivait: «Haïti aussi se reconnaîtrait parfaitement à côtés de ses sœurs antillaises et d’autres îles du bassin Caraïbe, d’autres, d’autres îles aussi de l’Océan Indien». Et ma joieest grande aujourd’hui de ressentir cette fraternité décrite là. Pourtant, à l’époque où Gilbert Gratiant écrivait ses mots, l’engagement pour une revalorisation de la culture créole au plan local ou national en était seulement à ses prémices, ses balbutiements. En littérature, par exemple, peu nombreux étaient les auteurs qui, comme l’auteur deFab’ Compè Zicaque, faisaient le choix de la langue créole. Tout au moins l’histoire atelle gardé peu de traces de ces écrits, s’ils ont existé.Dans les années1970, grâce à l’engagement des premiers créolistes,la pancréolité et les réflexions qu’elle soutient ont mobilisé de nombreux chercheurs et créolistes investis de manière militante dans des études avisées sur la langue et la culture créoles. Là encore, Gilbert Gratiant servait de modèle, ou de chef de file. DansLe langage créole et ceux qui le parlentPour élaborer de saines règles de transcription et aussi pourencore : «peut lire on s’occuper de vingt autres questions touchant le créole, il faudrait uncongrès des créolisants dont je réclame depuis trente ou quarante ans qu’il se tienneà Paris, ou ailleurs ». Au milieu des années 1970, la pancréolité représentait alors l'acmé des interrogations créoles et suscitait un intérêt croissant auprès de certains créolistes. On peut citer Lambert Félix Prudent, autre créoliste martiniquais, aujourd’hui installé à la Réunion et que vous avez reçu l’année dernière dans le cadre de ce festival, comme l'un des pionniers de ce courant de la créolité. DansDes baragouins à la langue antillaise, parue en 1980 aux Editions Caribéennes, si on peut lui reprocher, malgré quelques sujets d’analyses des créoles des Mascareignes, d’avoir placé les créoles des Antilles françaises au centre de ses réflexions, cependant, en 1984, il publiait aux Editions Caribéennes uneAnthologie de la nouvelle poésie créole, qui en proposait un large panorama : de la Caraïbe à l'Océan Indien. Cet ouvrage annonçait une nouvelle approche de la créolité, non plus dans sa seule dimension locale ourégionale, mais tout autant dans son envergure internationale. S’intéressant là encore particulièrement aux langues créoles, Lambert FélixPrudent écrivait dansDes baragouins à la langue antillaise: «L’idée d’une origine commune à toutes les langues créoles surgit dès que les chercheurs s’attachent à comparer structurellement ces systèmes». Nous sommes tous aujourd’hui convaincu de cette unité des langues et audelà des cultures qu’elles soutiennent. Quelques années plus tard, l’Anthologie de la nouvelle poésie créole allait rendre plus claire cette dynamique et cette volonté de réunion. A la suite de Lambert Félix Prudent, beaucoup d'autres créolistes poursuivront ces recherches. Dès lors, grâce à ce renouveau de l’identité créole, la recherche d’unité, la volonté de rapprochement, voire d’unification n’apparaît plus comme une chimère, mais fixe plutôt des marges d’actions concrètes, soutenues par des volontés nouvelles, chaque fois plus nombreuses. Au rang des éminences pancréoles, on peut citer, toujours pour la Martinique : Jean Bernabé ou Raphaël Confiant comme autres pionniers de cette démarche. DansEloge de la Créolité, parue en 1989, véritable manifeste dont on connaît le succès, les auteurs: Raphaël Confiant, Jean Bernabé et Patrick Chamoiseausignalaient dès l’incipit: «Ni Européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous proclamons Créoles. Cela sera pour nous une attitude intérieure, ou mieux encore, une sorte d’enveloppe mentale au mitan de laquelle se bâtira notre monde en
1 InEloge de la créolité, p.16. Ed. Gallimard 1993.
pleine conscience du monde». Peu importe qu’aujourd’hui, un mouvement parallèle se profile avec pour volontéaffirmée d’abattre ce principe jugé trop sectaire. Néanmoins, il demeure pour beaucoup comme un cri du cœur et de l’âme lancé à la face du monde, dans une volonté d’affirmation de notre réalité identitaire. Que dire alors de cette autre citation, tirée encore de Eloge de la Créolité: «Nous souhaitons mettre en branle l’expression de ce que nous sommes». A l’orée des années 1990, après le méticuleux travail réalisé par des groupes de créolistes issus de différentes régions du monde (Océan Atlantique, Océan Indien et diaporas), comme par exemple au sein de Bannzil Kréyol, depuis plus récemment, notamment suite aux diverses commémorations du cent cinquantenairede l’esclavage, pour parler dede l’abolition nos régions Caraïbes, on assiste à un regain des activités liées au développement de l’identité créole internationale, la pancréolité. Estce un nouveau réveil pour toutes ces communautés ? Il est certainement trop tôt pour le dire ou le prétendre. Mais, ce qui est sûr, c’est que fort de ce mouvement, que l’on observe de manière de plus en plus pressant au sein des différentes communautés créoles du monde, l’identité pancréole est devenue une réalité constante. Tout au moins, occupetelle une place de choix dans chaque rendezvous culturel créole: salons littéraires, festivals de musique, séminaires de recherches, rencontres diverses. En effet, aujourd’hui, rares sont les festivals ou les colloques qui ne s’envisagent pas dans la pleine expression de la diversité créole. Indéniablement les communautés créoles du monde échangent, se rencontrent, partageant leurs questionnements, leurs espoirs, leurs rêves, voire. Et il est clair que cette mouvance inclut également les diasporas créoles, qui sont autant de relais international de cette volonté. Gilbert Gratiant, le créoliste martiniquais acteur de la pancréolité de la première heure, serait particulièrement heureux de voir aujourd’hui à l’oeuvre sagrande utopie. La pancréolité: aujourd’hui, une réalité…Nous avons aujourd’hui, et certainement plus qu’hier, cette capacité d’envisager pleinement la créolité. J’entends, dans sa diversité la plus absolue et nous pouvons également imaginer plus simplement réunirtoutes les cultures créoles du monde autour d’une idée commune, celle du rapprochement et de la rencontre, celle du partage. C’est seulement ainsi que nous envisageons notre identité pancréole. Sans l’échange, elle ne serait qu’une notion creuse, une lubie intellectuelle. Il nous faut développer cette conception d’une identité créole unie en dehors de ces clivages politiques, géographiques, sociaux et culturels. Pour compléter la définition de la pancréolité, à mon sens, il s'agirait de réaliser, d’envisager une matrice singulière dans laquelle viendrait se fondre et se mêler les différentes cultures créoles : celles de la mer Caraïbe (Grandes et Petites Antilles : Haïti, Guadeloupe, Dominique, Martinique, SainteLucie), des Amériques (Guyane; EtatsUnis: Miami, NewYork, Boston; Canada: Toronto, Montréal), de l'Océan Indien (Madagascar, Ile Maurice, Réunion, Rodrigues, Seychelles) et Australie (Sydney). Les diasporas, nous l’avons dit, ayant elles aussi un rôle prédominant à jouer. Cette matrice devrait donc avoir un rayonnement international non seulement sur les communautés qui la portent, à savoir les communautés créoles du monde, mais de manière plus générale sur le monde et ses multiples identités. Nous pensons que la pancréolité ou l’identité créole internationale est une façon nouvelle de se concevoir en tant que créole. Le terme étant accepté en dehors de toutes les contradictions qu’il soustend, de manièrestrictu sensu, il s’agirait de seprojeterune dans relation globalisante, multilatérale qui tiendrait compte de nos différentes composantes identitaires créoles pour en former l’unité : là serait notre matrice nouvelle.
De sorte qu’en tant que créole, nous soyons capable de nous projeter haïtien, guadeloupéen, mauricien, seychellois, dominicais, saintelucien, martiniquais. Les peuples créoles ont le devoir de s’ouvrir à cette identité multiple qui est profondément leur et qui les réunit, audelà des frontières géographiques, des limites politiques, des barrières sociales ou des différences culturelles, quand elles existent. Ainsi, l’identité pancréole est perçue comme une somme, une totalité, qui renforce l’individu et la collectivité créole, en amalgamant les différences et en découvrant deszones nouvelles d’identification, de sorte que se réaffirment des liens ténus et historiques qui nous enchaînent les uns vers les autres. Nous avons dit que la genèse formelle des identités créoles est sensiblement
identique: la colonisation, l’esclavage, les luttes de libération, les apports culturels européens, africains, indiens, les luttes d’indépendance, etc. En considérant deux temps historiques, nous noterons qu’il y a eu d’abord à l’œuvre la force de l’arrachement, de l’éclatement, de l’explosion deces différentes cultures qui nous composent. Mais, force est de constater que depuis une cinquantaine d’années on assiste à l’effet inverse: le rapprochement de ces cultures, jadis diffractées. La pancréolité rendainsi compte d’une force inéluctable, d’une trajectoire centripète qui voudrait à nouveau réunir des hommes et des cultures éclatées. Et de cette manière, la pancréolité interpelle chaque individu créole.
Nous voulons insister: le rapprochement des peuples créoles du monde est de l’ordrede l’enjeu historique, de la marche en avant, du destin des peuples créoles. Plus concrètement, cette dynamique de la rencontre est de plus en plus présente au sein des communautés créoles. Cette volonté de la rencontre est de plus en plus affirmée et cette communauté créole unifiée est en train de devenir une réalité. Aujourd’hui, les moyens modernes de communications et de transports facilitent évidemment les échanges, les rencontres, les approches multi culturelles. Il faut aussi reconnaître que chaque communauté créole a, durant ces trente dernières années fait progresser sa créolité de telle sorte que de nos jours les rapprochements sont plus aisés à concevoir. Le temps de l’enfermement, de la recherche sur soi est visiblement révolu. Sur tous les points du globe : dans la Caraïbe (Music Kréyol Festival de la Dominique, Festival Créole de MarieGalante, etc) aussi bien que dans l’Océan Indien (FestivalKréyol de Maurice) ou au sein de la diaspora (Montréal, Sydney, Londres, etc), la communauté créole se rencontre de plus en plus.
Cependant, on doit reconnaître que les choses ne sont pas homogènes.Certaines communautés sont plus engagées que d’autres dans la dynamique pancréole. Certaines communautés créoles, ont encore beaucoup à faire au niveau régional, avant de s’inscrire dans des rapports élargis au sein de la communauté créole. Il y a évidemment des difficultés d’ordre technique à prendre en compte pour beaucoup. Certaines créolités sont plus accessibles, plus ouvertes au monde que d’autres. Haïti, par exemple, avec 7 millions de créolophones à elle seule, n’est pourtant pas à la proue de l’engagement pancréole, notamment compte tenu des problèmes politiques et économiques qu’on lui connaît. Il faut aussi considérer le rayonnement de certains théoriciens ou techniciens de la culture créole qui rejaillit sur leurs communautés propres ou éclatées. Raphaël Confiant, par exemple, en littérature, rayonne sur tout le monde créole, offrant par lamême à la culture créole de la Martinique et plus généralement de la région Caraïbe, une zone d’influence indéniable. Sur un plan purement politique, certaines régions créoles ont réussi ce que d’autres n’ont pas réussi. L’émancipation par rapport à la Métropole par exemple. Il y a des régions créoles indépendantes, d’autres pas. Ce fait modifie conséquemment le rapport à la culture créole et le rapport entre les cultures créoles. Chez certains, la culture créole, la créolité a acquis une prédominance qui lui permet de rayonner plus largement, parfois sur toute une zone
géographique. Aux Seychelles, par exemple, en inscrivant le créole comme langue nationale, le gouvernement postindépendantiste lui a offert une ouverture certaine, une légitimité qu’elle réclame par ailleurs. Il faut également considérer l’impact des diasporas, malgré leur hétérogénéité :les Haïtiens au Canada ou aux EtatsUnis, les Mauriciens, Réunionnais et Seychellois en Australie, les Martiniquais, Guadeloupéens, Réunionnais, Mauriciens en France. L’identité pancréole est un fondement invariant qui nous ouvre les portes d’un autre monde, en fait une porte sur nous mêmes. Nous sommes le peuple de la rencontre, du métissage, de l’allervenir et cette identité pancréole en est selon moi le symbole le plus fort. En tant que créoles, nous sommes unpeuple jeune, dont l’identité est en pleine formation et nous pensons que nous ne pouvons nous permettre de négliger aucun aspect de notre identité, à plus forte raison si elle nous lie à l’universel du monde, à l’international du monde. Créoles, nous lesommes internationalement. C’est une évidence et c’est là une force pour chacun de nous. En tant que créole, je suis Haïtien, Rodriguais, SainteLucien, Dominicais, Seychellois, Mauricien. C’est extraordinaire, n’estce pas ? Édouard Glissant a écrit: “la créolisation est ce mouvement, ce conflit, cette attirance, ces expériences vécues entre les cultures du monde...”Vue ainsi, la créolisation semble être une force inéluctable. Laissonsla donc s’épanouir en nous pour qu’ainsi nous soyons autant de ponts ouverts sur nousmêmes et sur le monde. En février 2006 et février 2007, sous le titre « Kréofolie 2006 » et « Kréofolies 2007 », deux téléconférences regroupant Montréalais, SainteLuciens, Martiniquais et Australiens étaient organisée par l'Université York de Toronto, en collaboration avecl'Organisation Internationale des Peuples Créoles (OIPC) avecpour thème : "Le rapprochement des peuples créoles : option ou nécessité ?". Ces rencontres, rendues possible grâce aux moyens technologiques modernes de communication, permettaient à plusieurs communautés créoles issues de divers espaces du monde de se mettre en relation. Des réunions qui se sont avérées très fructueuses et qui permettent d'envisager l'avenir avec sérénité. Universitaires, responsables d'associations créoles, artistes, écrivains, étudiants, plus d'une trentaine de personnes participaient à ce rendezvous relayé par ailleurs sur Internet (cfwww.yorku.ca/cdumont/blogs/fr3080b/exchange/?feed=rss2&p=29 ). Parmi les questions abordées : "Unir les créoles du monde entier, estce utopique ? Quels préjugés font obstacle à cette unification ?", "Quels procédés mettre en place pour un tel rassemblement ?", Des objectifs précis étant également visés : l'organisation multilatérale de colloques et de festivals à court et moyen terme, la formation d'équipes de recherche et de travail pour l'élaboration de ressources, des actions ponctuelles et la circulation des savoirs, des échanges universitaires…L'exposé qui va suivre est une humble contribution à cette action globale. Il s'attachera à démontrer le rôle des grandes capitales dans la pleine valorisation de l'identité pancréole, qui visiblement anime de plus en plus les sphères créoles, toutes en quête d'unité. Ce travail rentre plus généralement dans la poursuite d'une démarche personnelle, dont l'ébauche a été présentée dans la préface deLes Indes / Lézenn, traduction créole deLes Indesd'Edouard Glissant, publié en version bilingue français / créole, aux Editions « Le Serpent à Plumes » en septembre 2005 (cf http://www.pyepimanla.com/pye2/recits/lezenn_040306_031.html ). Dans notre analyse, nous nous attacherons, dans un premier temps, à définir la notion de pancréolité, ou, plus simplement énoncée, la volonté dynamique d'une langue créole internationale. Il faut tout de suite préciser, qu'après plusieurs interventions sur ce thème à la Martinique, en dehors de
quelques téméraires ou hormis chez quelques initiés, cette idée ne suscite pas l'engouement qu'on peut ailleurs lui reconnaître, notamment dans l'Océan Indien ou au Canada, par exemple. Fort de ce constat, nous considérerons plus singulièrement, dans un deuxième temps, le rôle fédérateur des grandes capitales : Paris, Londres, New York, Montréal…Un peu d’histoireEn soi, l’affirmation d’une dynamique pancréole n’a rien de nouveau. En 1950 déjà, pourparler exclusivement de la Martinique, le créoliste Gilbert Gratiant affirmait sa volonté (son rêve !) de voir « un jour tous les créoles dumonde réunis ». L’auteur martiniquais avait là uneapproche relativement visionnaire de l’identité créole, surtout lorsque l’on considère que lesvisées pancréole de Gilbert Gratiant ne faisaient pas l’unanimité. A cette époque, au milieuduXXème siècle, l’engagement pour une revalorisation de la culture créole en était seulementà ses prémices. Et, en littérature par exemple, peu nombreux étaient les auteurs qui faisaient le choix de la langue créole. Tout au moins l’histoire atelle gardé peu de traces de ces écrits, s’ils ont existé. Plus tard, la pancréolité et les réflexions qu'elle soutient ont mobilisé de nombreux créolistes  de la deuxième génération  engagés véritablement et de manière décidément militante dans des études avisées sur la langue et la culture créoles. L'affirmation d'une identité pancréole et les réflexions qu'elles soutiennent ont, au fil des décennies, mobilisé les réflexions de nombreux chercheurs. Et même si, dans les années 1970, la pancréolité a représenté l'acmé des interrogations créoles, un rêve d’unité à conquérir,cette notion n’a cependant plus été considérée, dès lors, comme une « simple utopied’intellectuels ».On peut citer Lambert Félix Prudent comme l'un des principaux créolistes ayant défini cette notion. DansDes baragouins à langue française, parue en 1980 aux Editions Caribéennes, on peut lui reprocher de ne s'intéresser qu'aux créoles des Antilles françaises. Cependant, en 1984, il publiait aux Editions Caribéennes uneAnthologie de la nouvelle poésie créole, qui en proposait un large panorama : de la Caraïbe à l'Océan Indien. Cet ouvrage annonçait une nouvelle approche de la créolité, dans une acception internationale, et non plus régionaliste de cette identité. A la suite de Lambert Félix Prudent, beaucoup d'autres créolistes poursuivront ces recherches, jusqu’à l’affirmation de l’identité pancréole comme un véritable statut des cultures créoles du monde. L’unité n’apparaît plus alors comme irréalisable, mais fixe plutôtdes marges d’actionsconcrètes, soutenus par des volontés nouvelles, sans cesse plus nombreuses. Au rang des éminences créoles, on peut citer, toujours pour la Martinique, Jean Bernabé ou Raphaël Confiant, de l'Université des Antilles Guyane, comme autres pionniers de cette démarche. A l’orée des années 1990, avec le méticuleux travail réalisé par des groupes de créolistesengagés, comme au sein de Bannzil Kréyol, mais aussi plus récemmentaprès les diverses commémorations de l’abolition de l’esclavage de 1848 –on assiste àl’émergence d’unevéritable dynamique, qui serait de l’ordre du « réveil identitaire ». Grâce à ce mouvement quel’on a pu observer alors et que l’on observe encore de manière très active au sein desdifférentes communautés créoles du monde, l’identité pancréole est devenue une réalité constante. Tout au moins, occupetelle une place de choix dans chaque rendezvous culturel créole : salons littéraires, festivals de musique, séminaires de recherches, rencontres diverses. En effet, aujourd’hui, rares sont les festivals ou les colloques qui ne s’envisagent pas dans lapleine expression de la diversité créole. Indéniablement plus qu’hier, les communautéscréoles du monde échangent, se rencontrent, partageant leurs questionnements, leurs espoirs, leursrêves. L’auteur deFab Compè Zicaq’, le pionnier, le visionnaire, Gilbert Gratiant serait particulièrement heureux de voir sa grande utopie à l’oeuvre parmi les peuples créoles.
Qu'estce que le pancréole ou créole international ? Au risque de paraître redondant, il me semble qu'il faille préciser à nouveau que les grandes capitales du monde, notamment Paris, Londres, Montréal, NewYork ou Sydney, pour citer celles qui aujourd'hui apparaissent comme les plus créolisés, représentent des lieux dynamiques pour l'élaboration et la pleine expression d'une volonté, d'une démarche ou d'un mouvement de rapprochement des peuples ou communautés créoles. Certains définissent ce rapprochement par le terme pancréole, synonyme d'un vaste projet d'unification de ces cultures et des traits spécifiques qui les caractérisent. La langue étant, ici, le modèle qui nous intéresse plus directement, il semble que les grandes capitales peuvent soutenir ce vaste projet ! Quand on parle de pancréole, il faut bien comprendre qu'il s'agit d'une démarche globale, tendant à intégrer les différentes identités créoles dans une dynamique de relation et de rapprochement. Envisager toutes les cultures créoles du monde, réunies autour d'une identité unique ramifiée, avec un but commun, une volonté affirmée, c'est définir explicitement la notion de pancréolité. Idéalement, il s'agirait de réaliser, d’envisager une matrice singulièredans laquelle viendrait se fondre et se mêler les différentes cultures créoles : celles de la mer Caraïbe (Grandes et Petites Antilles : Haïti, Guadeloupe, Dominique, Martinique, Sainte Lucie), des Amériques (Guyane ; EtatsUnis : Miami, NewYork, Boston ; Canada : Toronto, Montréal), de l'Océan Indien (Madagascar, Maurice, Réunion, Rodrigues, Seychelles…) etAustralie. Le rôle des grandes capitales Il est incontestable que les grands centres urbains, les grandes capitales, permettent, grâce à un pouvoir d'attraction qu'il serait vain de leur dénier, la rencontre des diverses communautés créoles du monde. Alors peuton se demander si Londres est aussi dynamique que Paris, ou NewYork autant que Montréal ou Sydney ? Posant les interrogations en parallèle, quelles sont les communautés créoles spécifiques qui composent ces différentes capitales ? Dans cette démarche en perspective, de nombreuses autres questions s'imposent. Dans une dynamique qui se veut en mouvement, elles apparaissent à mesure que les enjeux se révèlent à leur tour. Une autre idée mérite d'être affirmée en préambule, surtout qu'elle servira de base à la réflexion : il nous semble évident que chaque "grande capitale créole"  osons une telle identification  entretient desrelations spécifiquesavec la ou les langues créoles qui la composent, tenant compte lescultures spécifiquesqui les portent. Paris est un cas très intéressant ! La capitale française attire, à cause des liens qui unissent la Métropole à ses anciennes colonies, Départements ou Territoires d'Outre Mer, toutes les communautés créoles francophones, d'ailleurs, presque exclusivement ! En ce qui concerne Paris, il est difficile d'affirmer qu'une dynamique pancréole soit perceptible, sinon sous une forme larvée, voire embryonnaire. Plus ouvertement, on assisterait à la démarche inverse : chaque communauté créole s'enfermant dans son créole pour le structurer, le développer, le valoriser. D'autre part, ces communautés sont souvent inscrites, de manière très personnelle et intime, dans un processus d'affirmation identitaire, qui prend appui certes sur des composantes culturelles créoles, mais qui les engagent de manière très précise visàvis de leur propre culture. Les échanges formels donc sont véritablement anecdotiques. Il était donc intéressant de voir réunis au mois de janvier 2006, quand il s'était agit de manifester leur opposition à la date du 10 mai annoncée comme journée de commémoration nationale de l'abolition de l'esclavage, toutes les communautés créoles d’origine francophone. Ni l’identitécréole, à proprement parler, encore moins la langue créole, n'avaient part au débat. On peut toutefois se réjouir de cette rencontre, en augurant qu’elle aura facilité des échanges.Si, à long terme, ce mouvement de valorisation identitaire propre à chaque communauté peut être favorable à toutes les identités créoles, leur évolution spécifique servant à l'ensemble, à
court terme, il tend à les segmenter, à les différencier, à les exclure les uns par rapport aux autres. Ce repli, cet enfermement doit être pleinement envisagé et analysé pour ne pas être un frein définitif au plein développement d'une volonté pancréole, qui ne saurait, à Paris ou ailleurs, s'envisager dans l'exclusion ! Ce n'est un secret pour personne, l’identité nationale française a toujours été engagé dans unerelation exagérément paternaliste à l'égard deses régions outre mer. Cette situation a continuellement joué en défaveur de cellesci, dès lors qu'il s'est agi d'affirmation identitaire. En outre, cette affirmation se fait  et l'histoire se répète avec quelle rigueurau détriment de l'idée d'ensemble, qui ne se définit qu'à travers la Francophonie, vite réductrice dès lors qu’ils’agit de traiter l’identité créole des communautés concernées. C'est maintenant choseéprouvée ! Si on se limite donc au modèle de Paris, on est forcé de constater que les différentes communautés créoles s'identifient de manière très stricte à leur culture respective. Dans ce cas, la langue, pour chaque communauté, est envisagée comme une marque distinctive d'appartenance culturelle, sociale, politique ou géographique. Ainsi, nos différences se stigmatisentelles à travers nos spécificités ! Il s'établit ainsi une hiérarchie subtile entre les différentes cultures créoles, qui s'articule d’à priori, ou de complexes plus ou moins révélés,véritables barrières d'une démarche efficace d'unité. Et si des emprunts temporaires sont alors possibles, dans des cas particuliers de contacts, il est plus difficile d'envisager des correspondances définitives entre les cultures, une démarche qui s'apparenterait véritablement à une dynamique pancréole. Paris n'apparaît pas, en la matière, comme l'exemple à suivre. Elle demeure plutôt le contreexemple qui nécessite, si nous voulons que cette volonté pancréole ne demeure pas une utopie, d'envisager des manifestations qui mettraient en contact de manière fréquente ou tout au moins périodique les différentes communautés créoles qui composent sa diaspora. Londres, un peu pour les mêmes raisons que Paris visàvis des communautés créoles francophones, attire les différents groupes créoles anglophones de la Caraïbe. Il semblerait que chez les anglophones l'attachement à la culture créole et, singulièrement, à la langue créole, ne soit pas aussi manifeste que chez les francophones. D'ailleurs, dans la zone caraïbe, les cas particuliers de SainteLucie et plus encore de la Dominique sont alarmants. Seules îles anglophones de la Caraïbe où la langue créole est encore pratiqué, celleci apparaît menacé dans bien des domaines, notamment celui de la littérature. Et ce, malgré les efforts de certains pour soutenir sa diffusion. La journée internationale du créole au mois d'octobre est d'ailleurs, souvent, le seul prétexte reconnu par les autorités pour traiter des questions liées au développement de l’identité créole. A SainteLucie et à la Dominique, la langue est aujourd'hui encore, figée dans l'oralité, ne se risquant que trop rarement à la littéralité. Cette situation alarmante pénalise conséquemment les créoles anglophones par rapport aux créoles francophones, qui, pourtant, cohabitent dans la même zone géographique. Un autre cas de rupture entre les langues créoles ! Il faudrait aussi rappeler la "force d'inertie" de l'anglais, avec son statut de langue internationale et de première langue commerciale du monde. Pour ces diverses raisons, le créole, plus encore que dans les îles francophones, est considéré dans les îles anglophones, comme une langue subalterne, véritablement en marge, frein à une réelle intégration. A Londres donc, les choses ne se passent pas mieux qu'à Paris ! Là, les perspectives sont d'ailleurs funestes ! Souvent, au sein de la capitale anglaise, le créolophone anglais renie purement et simplement son identité insulaire, tout au moins par un déni de la langue. Il faut certainement préciser le caractère minoritaire de la communauté créole issue des îles de SainteLucie et de la Dominique, à côtés de celles issus des pays non créolophones que sont la Jamaïque, les Iles Vierges Britanniques (les B.V.I), SaintKitts, Antigua et Barbuda,
Monserrat, SaintVincent et les Grenadines, Barbade, Grenade, Trinidad et Tobago. Paradoxalement, la langue créole est très dynamique au sein de la communauté créole francophone londonienne. Annabel Platon, jeune artiste Martiniquaise résidant à Londres, témoignant son engagement en faveur de la langue créole, assurait de l'intérêt des Londoniens pour cette langue. Dans les pubs londoniens, où elle chante parmi d'autres éléments de son répertoire anglais, des titres en créole, inspirés de l'oeuvre du flûtiste martiniquais Eugène Mona, elle fait chaque fois sensation, à tel point que de nombreux auditeurs viennent la retrouver après le concert pour l'interroger sur les paroles de ses chansons. Nous sommes très loin de la démarche pancréole, et, il semblerait même que dans ce contexte, tout soit à faire ! Un véritable et durable engagement, qui se traduirait à travers des individualités fortesle cas d'Annabel Platon est trop isolé pour essaimer  est essentiel dans la capitale anglaise pour dynamiser la diffusion de la langue créole dans la sphère anglophone. Un engagement pancréole n'est visiblement pas envisageable dans l'immédiat, ou alors dans des contextes très particuliers. Là, la bataillele mot estil trop fort ?  paraît difficile, mais son issue ne doit pas nous effrayer ! L’Organisation Internationale des Peuples Créoles a donc une tâche arduepour promouvoir l’identité créole à Londres et plus encore l’identité pancréole. Certainement estce la ville de Montréal qui offre le meilleur panorama en matière de développement des langues et identités créoles, dans le cadre des grandes capitales. D'abord, Montréal apparaît comme un véritable centre, sinon le centre des communautés créoles du monde. A michemin entre les îles de la Caraïbe et celles de l'Océan Indien, relayée par la capitale Australienne Sydney, Montréal accueille toutes les communautés créoles du monde, dans un mouvement incessant de rencontres favorables à l'émergence d'un courant de pensée pancréole. Sans nul doute, la présence d'une forte communauté haïtienne, très attachée à ses valeurs créoles, favorisetelle ce dynamisme, renforcé par la démarche d'ouverture intellectuelle des Québécois. Par son attitude d'ouverture, la capitale québécoise dynamise les échanges entre les communautés. Une situation que l'on ne retrouve ni à Paris, ou plus généralement, en France, ni à Londres ou en Angleterre. Les Parisiens sont réputés froids, les Londoniens hermétiques ! La ville de Montréal, avec des atouts certains, pourrait donc incarner cet idéal culturel susceptible de favoriser durablement l'affirmation pancréole de notre identité. En soutenant cet engagement, par l'organisation de rendezvous autour des identités créoles, réunissant toutes les communautés créoles issues des quatre coins du monde, ainsi mises en relation, Montréal manifeste son grand intérêt pour les problématiques créoles. Les montréalais prouvent ainsi leur grande générosité et leur zèle non moins généreux pour une cause qui pourrait s'avérer être la panacée des populations créoles. Audelà des intérêts évident d'une telle démarche, il s'agit pour nous peuples créoles d'envisager notre identité dans son expression la plus libre, affirmation d'une diversité multiple tendant à se construire pour s'affirmer au monde de manière fière et digne. Les deux téléconférences organisées grâce au soutien de l’Université York de Toronto, rendent compte de l’intérêt des Canadiens, créoles ou non, pour l’affirmation de l’identité pancréole. Le rôle de tremplin du Canada doit donc être envisagé pleinement pour une action plus dynamique encore et des échanges plus fructueux. Gageons que les communautés créoles du monde sauront saisir la perche qui leur est tendue !
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