Le Sphinx du Pacifique
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Le Sphinx du Pacifique Copyright © 2007 Emmanuelle Boudaliez.

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Publié le 06 octobre 2011
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Langue Français

Extrait

Le Sphinx du Pacifique Copyright© 2007 Emmanuelle Boudaliez, Cette cr´eation est mise `a disposition selon le Contrat Paternit´e-NonCommercial-NoDerivs 2.0 France dis- ponibleenlignehttp://creativecommons.org/licenses/ by-nc-nd/2.0/fr/ ou par courrier postal a` Creative Commons, 559 Nathan Ab- bott Way, Stanford, California 94305, USA. ´Edition du 31 d´ecembre 2007 (www.shantighar.org) On doit avoir beaucoup souffert avant qu’il soit question de commencer `a aimer le prochain. S. Kierkegaard Nul ne pourra m’obliger a` donner un sens `a ma souffrance. On ne pourra m’enseigner qu’elle a un sens. Mais cette signification, je puis, moi, au fond de moi-mˆeme, tenter de la reconnaˆıtre et de la cr´eer. Gabriel Marcel Un homme, mˆeme diff´erent, mˆeme avili, reste un homme a` qui nous devons permettre de poursuivre une vie d’homme. Emmanuel Mounier Il n’y a qu’un moyen d’ˆetre libre, c’est d’ˆetre toujours dispos´e `a mourir. Diog`ene Un homme couvert de crimes est toujours int´eressant. C’est une cible pour la mis´ericorde. L´eon Bloy Aimer quelqu’un, c’est esp´erer en lui pour toujours. Gabriel Marcel Chapitre 1 La nuit ´etait noire. L’eau, la terre et le ciel se confondaient dans les mˆemes t´en`ebres. De l’Oc´ean montait la respiration vaste et cadenc´ee du ressac. L’air, ti`ede, s’agitait d’une brise de sud-est. Dans cette obscurit´e quasi-totale, les trois silhouettes tapies contre de gros blocs de rochers se distinguaient `a peine `a moins d’ˆetre pr`es a` les toucher. Leurs regards convergeaient tous dans la mˆeme direction, vers l’immensit´e in- visible du large. Chacune ´etait arm´ee. Le fusil ´epaul´e trahissait l’imminence d’un r´eel danger. Et pourtant, aucun mouvement suspect ne venait des flots, aucun navire n’´etait en vue, aucun bruit suspect autre que celui des vagues venant s’´ecraser `a quelques pas ne se faisait entendre. Un grognement sourd r´ev´ela la pr´esence d’un chien au cotˆ ´e des inconnus. Puis il se d´etacha de la masse sombre et courut jusqu’au rivage ou` les lames mouraient dans une frange argent´ee. Au mˆeme instant, ce qui ressemblait `a une tˆete parut `a la surface de l’eau. Il se fit un certain mouvement du cˆot´e des silhouettes. – C’est Raynes! souffla l’une d’elle. – Non. Regardez. Ils sont deux! Le chien, qui avait bien reconnu son maˆıtre, sauta dans l’eau et pataugea joyeusement pour l’accueillir, peu soucieux, lui, de savoir s’il ´etait discret ou pas. Sa queue battait l’eau avec vigueur. –Doucement,Almeda!Doucement!fitlenouveauvenuen´emergeantcomp- l`etement de l’eau. Monsieur Wilde... – Je suis l`a, r´epondit aussitˆot l’un des membres du petit groupe. Y-a-t-il du danger? – Il n’y a plus de danger! – Vous en ˆetes suˆr? Est-ce vous qui?... – Plus tard, plus tard, venez donc m’aider! – Qu’est-ce... que c’est? demanda Wilde qui s’´etait approch´e de Raynes et d´ecouvrait avec stupeur qu’il traˆınait derri`ere lui le corps d’un homme. – Je vous raconterai... – Mais, intervint une autre voix, ou` sont ces forbans? Vous ˆetes certain qu’il n’y a pas de survivants? – Quasiment, monsieur Lawrence. Aucun n’aurait pu r´echapper de cette effroyable d´eflagration. – Sauf cet homme, semble-t-il... – Il a saut´e avant... – Et vous osez souiller notre ˆıle? interrompit Lawrence d’une voix toni- truante qui ne craignait pas d’ˆetre entendue `a la ronde. Je vous... 3 4 Le Sphinx du Pacifique – L’interdis? acheva Raynes d’un ton moqueur. De quel droit? – Mes amis, soyons calmes. On pourrait nous entendre! – Non, monsieur Wilde, je vous le r´ep`ete. Le bˆatiment a explos´e. Il ´etait trop loin pour que... – Vous avez dit que celui-ci avait saut´e avant. D’autres ont pu faire de mˆeme... – Vous ˆetes bien sceptique, monsieur Wilde. J’´etais l`a. Je sais bien ce que j’ai vu. Mais venez! Je ne serais pas fˆach´e de me s´echer ni de boire un th´e bien chaud. Et puis, ce pirate ici pr´esent n´ecessite des soins! – C¸a,` jamais! rugit l’homme qui parlait si fort. Aid´e par Wilde, Raynes transporta le corps inanim´e jusque dans une habi- tation distante d’une cinquantaine de m`etres. Apr`es s’ˆetre assur´e une derni`ere foisqu’ilsnerisquaientplusrien,lequatri`emehommequin’avaitjusquel`arien dit, alluma une lampe et ranima le feu dans la chemin´ee. Il fut ainsi possible de voir et le spectacle qui s’offrait aux yeux des quatre hommes rassembl´es n’avait rien de r´econfortant. Ils demeur`erent un moment muetsd’horreuretd’incr´edulit´e,sedemandants’ilsnefaisaientpasunhorrible cauchemar. Apr`es l’´epreuve d’une interminable attente angoiss´ee dans la nuit, leur esprit surexcit´e se prˆetait a` toutes les interpr´etations, y compris les plus folles. C’´etait plus que des soins que n´ecessitait le pirate ramen´e par Raynes. C’´etait probablement un cercueil. Car la vie semblait destin´ee `a s’enfuir de cette carcasse qui ne m´eritait mˆeme plus le nom d’humaine. Qu’en restait-il sinon une gigantesque plaie? Aucun centim`etre carr´e de la face visible de son corps n’avait ´echapp´e `a l’expression la plus odieuse de la barbarie. Ainsi que l’avait dit Raynes, le pirate n’avait pas ´et´e victime de la d´eflagration. C’´etait l’homme, son semblable, qui en avait fait cette loque, ce tissu de souffrance et de sang. De la nuque jusqu’aux chevilles on voyait l’empreinte suintante des coups qui s’´etaient abattus sur lui. En maints endroits des cloques entre les chairs `a vif trahissaient des bruluˆ res r´ecentes. Quel avait donc ´et´e le crime de ce malheureux pour subir un chˆatiment aussi impitoyable? Allait-il survivre? –C’estignoble!s’´ecriaWilde,leplusagˆ ´edesquatre,unˆetresec,approchant de la soixantaine, dont la physionomie aust`ere se teintait d’une ´emotion qu’il ne cherchait pas a` dissimuler. Malgr´esonageˆ ,c’´etaitlapremi`erefoisqu’il´etaitconfront´ea`tantd’horreur et de violence. – Christopher! poursuivit-il d’une voix pressante. Fais quelque chose, de grˆace. Ne laisse pas ce malheureux agoniser sous nos yeux! Celui auquel ´etait adress´e cette supplique ´etait un personnage tout en ron- deur, au visage jovial, agr´ement´e d’une superbe moustache aux extr´emit´es re- courb´ees dans le style du dix-septi`eme si`ecle. – Et pourquoi non? Nul doute que cette crapule a l`a le juste chˆatiment d’une sale existence d’´ecumeur des mers! Raynes et ses deux compagnons, suffoqu´es par cette virulence, le consid´e- r`erent d’un air courrouc´e et incr´edule. – Vous ne pensez pas ce que vous dites, monsieur Lawrence! r´eagit Raynes d’un ton vif. Pirate ou pas, criminel ou pas, cet homme souffre! – Eh bien, tant mieux! Cela lui permettra d’expier! Blˆeme de rage, Raynes anticipa les remontrances de Wilde, aussi ´ecœur´e que lui par tant de haine. Chapitre 1 5 – C’est honteux! Vous n’avez pas le droit! – Oh, vous et votre droit, Raynes! rugit Lawrence de sa voix ´eclatante. Ne faites pas la femme sensible. Soyez r´ealiste : plus vite ce forban mourra, plus vite nous serons tous tranquilles. Et s’il ne se d´ecide pas assez vite `a nous tirer sa r´ev´erence, je ne me ferai aucun scrupule a` lui loger une balle dans la tˆete... – Christopher! s’exclama Wilde, effar´e. Comment peux-tu?... – Vous aussi, Julian, vous vous y mettez? Mais vous ˆetes devenus fous ou quoi? Alan va bientˆot vous rejoindre aussi... Avant que l’int´eress´e ait pu donner son avis lui-mˆeme, le corps martyris´e se tordit soudain de douleur, puis retomba sur le dos avec un rˆale d’agonie. Le visage du bless´e ´etait d´esormais visible. Il ´etait sans age,ˆ d´efigur´e, con- vuls´e, tum´efi´e, ensanglant´e. Un œil grand ouvert (l’autre´etait boursoufl´e), lui- sant de fi`evre, hurlait le supplice que les l`evres et les dents serr´ees se refusaient a` avouer plus clairement. –Audiablecequetupenses,Christopher!s’´ecriaJulianWildeaussifurieux que boulevers´e. Moi, je le sauverai! Raynes, Alan, aidez-moi! Quelques minutes plus tard, le pirate, inanim´e, ´etait ´etendu sur un lit dans une des pi`eces voisines. Le transport, le lavement pourtant superficiel de ses trop nombreuses plaies, avaient eu raison de sa r´esistance. C’´etait d’ailleurs pr´ef´erable. L’´evanouissement ´eloignait provisoirement les vagues de souffrance qui s’irradiaient en lui a` chaque inspiration p´enible. Il gisait sur le drap blanc, exsangue, presque comme un cadavre. N’eutˆ ´et´e sa maigre poitrine stri´ee, irr´eguli`erement soulev´ee par un souffle fragile, on l’aurait cru mort. D’ailleurs, ´etait-il si loin de la fin de sa mis´erable existence? S’en remettrait-il? Pourrait- il dire un jour ce qui lui avait valu ce traitement odieux? Qui ´etait-il? D’ou` venait-il, cetˆetre si proche de la bˆete, couvert de crasse, de vermine, fam´elique, descendu au dernier degr´e de la d´egradation morale et physique? Seul Raynes pouvait peut-ˆetre r´epondre a` certaines de ces questions, lui qui, au p´eril de sa vie, avait approch´e le navire de malheur qui avait mouill´e au large de leur ˆıle. Que savait-il? Allait-il parler? Car l’homme´etait taciturne, peu enclin aux confidences. D’ordinaire, ses compagnons respectaient sa volont´e de silence. Mais cette nuit l`a, l’affaire les concernait tous. Ils ne se contenteraient pas de la certitude que le batimeˆ nt avait explos´e providentiellement, les d´elivrant du d´ebarquement imminent de hors-la-loi qui les auraient massacr´es sans h´esita- tion. – Nous ne pouvons rien pour lui, maintenant! murmura Julian Wilde en l’arrachant `a sa douloureuse m´editation. Venez vous r´echauffer. Alan nous a pr´epar´e du th´e. Vous nous raconterez ce qui s’est pass´e. Raynesposaunlongregardtristesursoninterlocuteurquicrutunmoment qu’il allait refuser de quitter son malade. Mais non. Il se contenta de passer dans sa propre chambre pour enfiler des vˆetements plus confortables avant de rejoindre ses trois compagnons dans la pi`ece principale et devant un bon feu revigorant. Quatre tasses d´ebordantes attendaient sur la table. Raynes englou- tit la sienne d’une traite, s’en resservit une deuxi`eme avant de s’asseoir aupr`es du feu. Almeda, sa chienne, vint coller sa fine tˆete sur se
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