Ombres portées
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Poésies

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Publié le 13 avril 2012
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Langue Français

Extrait

Ombres portées
"Au fond, on a l'impression que les hommes ne savent pas très exactement ce qu'ils font. Ils bâtissent avec des pierres et ils ne voient pas que chacun de leurs gestes pour poser une pierre dans le mortier est accompagné d'une ombre de geste qui pose une ombre de pierre dans une ombre de mortier, et c'est la bâtisse d'ombre qui compte" Jean GionoQue ma joie demeure.
Gien, sur l’autre rive.
Tu dors. Je m’en vais. Dans le premier soleil L’ombre du pont de Gien Etire sur la Loire Des arches de lumières. Je m habille à pas de loup Dans cet enclos de nuit Où tient ta loyauté. Tu dors en plénitude, Embrouillée de draps Où des sillons d’ombre Tracent des sourates. Sur le comptoir de l’hôtel La lampe, restée allumée, Est cernée d’insectes morts. L’air cru, sur le quai, Est silencieux et frais Comme une gorgée d’eau. Tu dors : je m’en vais. Je m’en vais vers Gien, Sur l’autre rive. Le fleuve et le jour Se glissent entre nous, Et la duplicité Nous sépare à nouveau.
L'absente de 17 ans.
Toi ma fille, à peine née Et jumelle de la mort, Quelle femme serais-tu devenue Qu'un instant t'a valu une vie? Est-ce assez de savoir Quelle ombre originelle, Quelle justesse secrète, Ou quel calcul savant, T’a ainsi désignée pour verser Ces prémices de sang, Qu'à ce seuil ouvert à tous Tu sois, toi, interdite. Est-ce assez de savoir? Comme la trace du doigt Sur la vitre embuée C'est au long de ton souvenir Que coulent mes larmes.
Rue de Normandie.
Face l'hôtel de Sauroy, Sur le crépi crème Et les briques roses, Façade plein soleil, Un carreau de bronze Noirci et seul et oublié : Ici vivait Renée Lévy. Née à Paris le 21 septembre 1908. Agrégée de l’Université. Décapitée à la hache à Cologne le 31 août 1943. Crépi, soleil et briques, Paisibles, si paisibles, Ors et lumières d’août, Plages et cris d’ fants, en Et ce corps de femme Ce pavé de mort noire Six rue de Normandie!
Cosmologie.
Il paraît qu’il aura fallu La constante de Planck, L’entrechoc des étoiles, Six tous petits quarks, Et puis Monsieur Einstein Pour que tu soies ici, Unique et paisible, Pour cet instant mince Comme une peau d’oignon Sous l’ombre inachevée Des trois bouleaux. Hasard, calcul, ou loi Pourquoi est-ce que moi J’ai besoin de savoir?
Ressac d'univers.
Des Judées jusques aux Cambodges, Du Chili à l'Argentine Je compterais tes douleurs. Ma paume sera comme un banc de mouettes, Comme une Chine, comme un peuple entier Qui chante tes louanges. La tête vautrée dans tes équateurs, Plongée à pleine bouche, J'évoquerais des brassées de péninsules, Et mes doigts Hésiteront au fond de tes Malacca. Je roulerais ma peau à tes vingt Tasmanie Tant que roulent à tes hanches les houles de Nantucket. A dent précise je mordrais des jusants de peau Où les plages s'incurvent. Sans limites, à souffles éperdus J'épaulerais les Appalaches de tes seins. Je courrais tes reins comme de longues jachères, Guidé au vol de mon seul plaisir J'irais trouver dans tes aisselles ces steppes Où chassent les bêtes fauves, Et jusqu'au ventre de tes fonds trembler les continents. Poing serré sur tes Pacifiques J'y découvrirais des Ourals soyeux, Des Caucases de forêts, des mollesses d'alizés. Tu halèteras tous les Kalaharis. Birmanie après Indes, d'un pôle l'autre, De longitudes en parallèles J'arpenterais tes plaisirs A longues mains de coureur d'Univers. Mon genou, au hasard, bousculera ces caravanes patientes Qui remontent le rond de ton mollet Et ballotent leurs charges balancées Jusqu'aux embouchures de tes cuisses. De Cap Horn en Terre de feu, Des Scilly en Suez Je passerais tes tempêtes. Tu déferleras en longues semées d'atolls Et tes vents cingleront toutes les Zélandes. Ma bouche, une giboulée éventée de soleil, Mes doigts, tous, des fleurs de liberté Uniront tes fraternités, tes deltas, tous tes New-York, Jusqu'à cet instant où tu seras, enfin, Rien que planète, rien que planète, Rien que cet instant de ressac de l'Univers.
Retour de Charleville.
On déchire de grands draps dans le ciel, Je suis las de mourir et vivre sans cesse. Le train traverse en hâte De longs villages couchés Où boulent les marronniers. Et moi, asservi à ce train qui charge Avec la nécessité d’une brute obstinée, Et moi, je me hâte vers quoi? Tu n’es que la trace du vent Et la mémoire des papillons. Je laisse derrière moi L’éclatement sanglant Des coquelicots orgueilleux, Et les collines appesanties Comme ta poitrine renversée. On déchire de grands draps dans le ciel, Je suis déchiré d’acquiescements, Et de révoltes.
L’étale.
Carène de limons lourds, Coulée de sable, tu dors. Le drap court dans tes jambes Et partage ton ventre. La rue souffle doucement: Tu dors. Défroissée de mes mains, Toi, étrangère encalminée Aux étales de la nuit, Que gardes-tu de nos paix, De nos gestes, de nos mots? Et que reste t-il de moi En toi? Et cependant c’est à moi Que ta main laissée nouée Amarre les errances De tes dérives rêvées. C’est ta nudité ultime Tout cet abandon livré, Serein, Alourdi à mon flanc. Dans les rideaux soulevés La rue souffle doucement. En paix.
Ce pauvre con de Job.
Ce pauvre con de Job A pleurer sur son fumier Et à chanter louanges Pour avoir perdu fortune, Et femme. Il est content, Cet imbécile, d'être éprouvé, Roulé aux pieds, humilié. Ah! C'est sûr que Dieu L'a distingué sur sa merde Qui pue. C'est même lui Qui l'a désigné ce simplet Pour porter ses couleurs: Douze rounds contre le Malin Et la victoire d'un seul point. Entraîneur, parieur et tricheur Il va empocher le paquet: La puissance et la gloire Et son orgueil satisfait! Et Job, c'est torche-cul: S'en sert et puis jette… Mais qui lit encore la Bible?
Dimanche 3 février.
Parce qu’un dimanche de février, Dans la lumière mate de ce trois, Tu m’as fait les mains J’ai cru que tu saurais arrêter le dur labour De la vie irréparable. Ce fut la journée apaisée, La sieste communiée sur le divan gris. C’était avant, Avant qu’à la naissance même Remonte la sève amère, L’enchaînement de ta servitude, Acceptée et ré acceptée, Des mains bornées de corps vides. Avant que le soc te retourne, ventre à l’air, Comme la motte d’avant et celle d’après. Car l’irrémédiable, l’irréparable, C’était cela-- et toi avec.
Les filles de La Rochelle.
Nuit arpentée des arcades de La Rochelle. Lassitude des villes traversées Où je n’habiterais jamais, jamais! Usure de l’amour dérobé Des femmes infidèles et empruntées. Fatigue des livres qui encombrent De papier les nuits sans sommeil. Puis je suis allé me coucher: Trop de filles rient aux terrasses bruyantes, Et ces feux du port, qui clignent de l’œil Comme une bête obscène et lascive.
Le sel.
Jambe jetée comme une proue Dans un moissonnement de jupe, Lame claire de faux qui siffle, Saisie au saut de la rue: Je craquète et pétille dans le grain Indifférence affalée. Elle passe, fausse affairée, Frissonnante un instant De m’avoir, de ce long fléau blanc, Abattu sur l’aire des désirs.
Moralité.
Banalité du geste répété Que je n ai pas su éluder. Par politesse, sans vrai désir, Je fais la tache attendue A ma cadence mécanique. Elle ronronne à mi-voix Petite Manon à la renverse Jambes fléchies par-dessus. Chaque coup ses talons froids Heurtent mes fesses tièdes. Eclats glacés et saisissants En percussion à contre temps Qui lèvent un plaisir étonné! On est toujours récompensé A se montrer bien élevé.
Blanc et noir.
Dans l’allée de cyprès Elégante et fraîche Trois chatons ébouriffés, Noirauds et farouches, Les yeux trop grands et vifs, Guettaient notre avance A l’abri du banc de bois, Partagés entre la fuite Et leurs jeux emmêlés. Tu tentais de les attirer Avec des bouts de gâteau Et des appels roucoulés. Ces chatons orphelins Etaient déjà trop savants En cailloux et en coups. Ils savaient mieux que nous Les enfers en paradis, La perversité sourde Couleur d'innocence Et le silence des dieux Sous les cyprès taillés.
Apesanteur.
Sur mon ventre Pèse ta joue tiède Comme un chat familier. Tes lèvres et ta langue, Presque avec nonchalance, Remuent un plaisir lent. De la rue de l’Echaudé Montent des bruits de talons Et un rire qui dure. Je suis tout à la fois Et dedans et dehors, Tes cheveux ondulés Que mon souffle soulève, L’éclat alterné de ton corps A la cadence des néons, Et ton chuchotement muet. Avec désinvolture, Ou avec innocence, Tu dénoues pas à pas Tous mes savoirs vains. De quoi suis-je si sur? Il y a si longtemps Il y a si longtemps Que je ’ i rie n a n reçu.
De ta nuque à tes reins.
Laisses mes mains te fêter Nue comme une aile de palombe. Laisses mes mains ébouriffer Le duvet de tes voyages, Grise comme l’aube. Au bout de mes doigt ’évoquent s s Des ports exotiques, La pierre du chemin Qui a blessé ton genou. Vents, vallées et vagues Ont laissé leur poussière A ton corps où je trace mon chemin.
L’avenue de Versailles.
Solitude des temps de l’ ! essence L’indifférence métallique passe à côté de moi. Passager clandestin de la ville, Caché dans le halo des vies qui courent Je suis le voyageur immobile des rues. Et pas une silhouette n a ton balancement!
Ma Pentecôte.
Grenade, docile à mon souvenir. Dans l’immobile silence des temps annulés, L’éternité saisie là, au revers d’un cyprès Où seul clapote un mince ruisselet. Foudroyé de jouissance circulaire Dessus cette ville en dessous gîtée De chaque jardin clos. Lascive soie étalée d’ocres, Ourlée de khôl comme une paupière, Grenade, docile ventre de femelle Où l’instant, retourné comme un gant, Palpite d’éternité.
Jusant.
Le côté droit de l’avenue Fait le gros dos dans le soleil. Nous mangeons à la terrasse, Avec un regard il me dit : "Véronique est à Paris". Et j’ai su que Cinquante corps, Et cinq années, Anne-Marie, Et les autres… N’ont rien cicatrisé d’elle. on sec Ces années ne m’ t mis au Que des étiages du souvenir. Mortes saisons, Véronique! Je suis toujours à ton niveau Comme le trait blanc des coques, Noires, déhanchées sur l’estran, Reste à flot des mers parties. La mémoire n’a pas de temps.
La règle et le compas.
C’est un très simple patio Au bas du Généralife. Trop humble et si modeste, Que les visiteurs jacassant Le traversent sans voir Son carré de murs ocre Sous les auvents de tuiles, Les orangers aux angles Et la vasque circulaire D'où l’eau sourd, au centre. Epure tracée au compas Du schéma de ce monde, Ou méditation de soufi Sur l’unité et le nombre, Sans la superbe méprisante Du palais de Charles-Quint, Ni la sensualité élégante De la Cour des Lions, là-bas. Nous aimions nous asseoir Dans ce petit patio austère. L après-midi s'alentissait, L'alentour s’évanouissait, Les murs encerclaient l’univers. Il eut suffit de tendre la main Vers le milieu de la fontaine Pour sentir sa rotation huilée.
Blason.
Fronton de temple, Arc boutant lancé Au plein cintre du ventre, C’est promesse de nef Et coque renversée En attente de jusants Sous ma paume enconquée. Mèches d’éphèbe ou de korê, Au chapiteau des cuisses, Dépouille jetée à l’épaule des désirs, Pliée comme le drap de nos noces Et dont je défroisse de l’ongle La requête impatiente Balbutiée avec l’entêtement D’ tout petit qui tête. un
La traversée des cieux.
J'ai ardeur de tes reins, De ton dos déployé Les vertèbres en ornière Depuis la nuque creusée Aux fesses en tulipes Ecrasées dans mes aines. J'ai urgence de tes hanches Dans mes mains agrippées, Tirées à la secousse, Haletée, rauque de gorge. J'ai nécessité d'engainer Ces coups d’archet butés Au fond de tes fins fonds, Gémis, appelés, désirés, Dont le retrait te suspend, Et tu supplies le suivant Qui émouvra tes seins Enervés sur le drap. Soies cavale enfourchée, Et centaure ensauvagée Pour ce galop à corps Dans les plaines du ciel.
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