De Roustang à Roudinesco : Jacques Lacan
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“Si nous avons suivi Lacan, écrit François Roustang, c’est qu’il a été un prestidigitateur de génie" (Roustang, p. 12) Ainsi toute la théorie de Lacan n’est-elle qu’une fumisterie, et puisqu’elle a prétendu à la Vérité, une véritable tromperie
Jacques Lacan, passé présent est un dialogue entre un philosophe, Alain Badiou, et une historienne de la psychanalyse, Élisabeth Roudinesco, à propos de l'actualité du psychanalyste Jacques Lacan. Un ouvrage petit par sa taille (100 pages, petit format, gros caractères), mais grand par son intérêt ?
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Jacques Lacan, Cecile Eluard, Pierre Reverdy, Louis Leiris, Pablo Picasso, Fanie de Campan, Valentine Hugo, Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Michel Leiris, Jean Baier (photo:Gilberte Brassai)
1.
“Si nous avons suivi Lacan, écrit François Roustang
D'après une lecture de : François Roustang, Lacan, de l’équivoque à l’impasse, Paris, Les Editions de Minuit, 1986
“Si nous avons suivi Lacan, écrit François Roustang, c’est qu’il a été un prestidigitateur de génie" (Roustang, p. 12) Ainsi toute la théorie de Lacan n’est-elle qu’une fumisterie, et puisqu’elle a prétendu à la Vérité, une véritable tromperie. L’auteur nous explique qu’au départ, Lacan avait réussi à ouvrir sur son dehors, sur les autres disciplines savantes et sur le tout de la culture ; puis de cette phase d’ouverture nous sommes passés à une phase où la théorie analytique se serait refermée sur l’ensemble des connaissances, prétendant les dominer. Un des aspects de cette “méchanceté” de Lacan, affectant cette fois ses proches et son Ecole, tient à ce que “Lacan a voulu demeurer celui qui était supposé savoir" (p. 14).Rappelons que la “supposition du savoir” est l’autre nom du transfert opéré par l’analysant sur l’analyste à qui s’adresse sa demande, ce qui bien sûr a pour effet immédiat d’interdire toute communication d’égal ou égal। Lacan aurait donc fait perdurer ce lien propre à l’analyse entre sa personne et les membres de son Ecole, à seule fin d’assurer sa maîtrise. Si l’on admet cet argument (un peu simpliste, reconnaissons-le), il n’est pas difficile de relever une contradiction absolue entre la volonté de maîtrise et ce qui devrait être le désir de l’analyste, à savoir justement ne jamais être vraiment là où l’analysant le suppose. Toute la chicane repose sur le fait que les places respectives de l’enseignant et du psychanalyste sont inconciliables, alors que Lacan aurait justement tenté de les confondre. Pire il aurait tenté de valider son savoir par sa position d’analyste, ne recevant aucune critique, n’acceptant aucun dialogue. Dans le principe, l’argument de cette critique est fondé. Cependant il paraît fragile car reposant sur des faits qui restent à eux-mêmes à critiquer et à interpréter. On nous demande d’admettre, de fait, que Lacan occupait intentionnellement et sans vergogne ces deux places pour un certain public. Mais n’était-il pas contingent (et aussi bien inévitable) qu’une bonne partie de ce public fût en même temps analysé par Lacan ? Concernant la “tromperie” supposée, de deux choses l’une : ou bien Lacan savait ce qu’il disait (cela semble acquis !) mais savait aussi, pour diverses raisons, tenir à distance son public (son style élliptique, énigmatique, son côté maître zen) ; ou bien il “bluffait” ou tout au moins se complaisait à entretenir la confusion et l’équivoque, laissant croire qu’il savait. Mais on ne peut pas se contenter de supposer la feinte ; le seul moyen de savoir est d’y aller voir et d’étudier ce que dit Lacan.
Quoi qu’il en soit, Roustang (avec d’autres) omet de faire une distinction capitale, qui est la véritable solution de ce problème en quelque sorte “politique” : il faut séparer d’un côté l’Ecole de Lacan, et de l’autre son séminaire। Ce qui se passe lors du séminaire peut bien connaître les impasses spécifiques de la maîtrise, de l’illusion du discours, etc। ; ce qui se produit dans l’Ecole connaît les inconvénients majeurs mais classiques de toute institution et de toute administration, essentiellement le centralisme. On ne peut pas confondre ces deux problèmes en un seul qui aurait comme cause ou même comme nom principal: Lacan. Par ailleurs on ne peut pas demander à la psychanalyse de s’enseigner et de s’administrer comme n’importe quel savoir, c’est-à-dire dans un cadre institutionnel classique et “républicain”, puisqu’elle n’est pas un savoir rajouté à la somme des savoirs, ni une nouvelle matière, mais une théorie (et une pratique) nouvelle. Une théorie qui est bien obligée de militer pour sa cause, elle-même étant d’ailleurs sa propre cause. On ne peut guère lui demander l’“objectivité” ! Il est bien normal qu’un psychanalyste adhère aux thèses principales de la psychanalyse, plus précisément aux thèses lacaniennes dans le contexte que nous décrivons. Mais Roustang pense que “les analystes exigent de tout critique qu’il ait fait une psychanalyse. Ainsi espèrent-ils que le cercle restera vicieux" (p. 16). Il y a bien un “principe d’analyse suffisante” qui sous-entend que personne, en réalité, ne peut échapper à
la psychanalyse et qui conditionne effectivement la validité des positions théoriques à l’expérience préalable de la cure ; mais nous savons aussi que ce principe existe beaucoup plus puissamment encore et sous des formes bien plus aliénantes dans le “sens commun” et dans la philosophie en tant que sens commun “supérieur”.
Mais selon certains Lacan aurait aggravé encore la suffisance habituelle de la psychanalyse en n’acceptant pas la réplique, pire en ayant créé les conditions de son impossibilité. Mais une nouvelle fois, de quoi parle t-on ? De ce lieu d’enseignement qu’on appelle “séminaire” ? Mais quel enseignant ne pose-t-il pas a priori son discours comme vrai? Disons clairement qu’un séminaire, du moins dans la tradition philosophique que reprend ici Lacan, n’est pas un lieu de recherche collective et d’“échanges fructueux” car il n’a pas pour vocation la recherche, justement, mais l’enseignement. Parle t-on de l’Ecole ? C’est alors un lieu de recherche, et c’est bien ainsi que Lacan l’a conçue et en a prévu le fonctionnement. Ce n’est pas un simple lieu de transmission du savoir, mais un lieu de production : production de travail et de savoir. On dira pourtant que dans l’Ecole de Lacan, il faut adhérer aux thèses du maître! Certes, l’école de Lacan est l’école de Lacan, ce n’est pas l’école de la République : nul n’est obligé d’y entrer. Dès 1964 Lacan a produit un véritable concept de l’“Ecole” pour répondre à deux questions essentielles. “Pour traiter de la première question, “qu’est-ce que la psychanalyse ?”, Lacan a inventé le cartel, pour la seconde, “qu’est-ce qu’un psychanalyste ?” il a inventé le dispositif de la passe." (J.-C. Razavet, in La lettre mensuelle de l’E.C.F., Juin 95). L’Ecole rassemble un certain nombre de sujets décidés à travailler ces questions “ensemble”, en conjurant à la fois les méfaits de l’isolement et de la maîtrise: telle est précisément la fonction du cartel avec le principe du “plus-un” (cinquième membre assurant une sorte de maîtrise “faible”, ni censeur ni organisateur, tout au plus coordinateur du travail…). “La notion de concept d’école est née à mon sens de la transformation d’une crise imaginaire groupale en crise de travail" (id.). La “passe”, quant à elle, est une invention de Lacan : à la fois une idée, un mécanisme et aussi matériellement un cartel spécial destiné à régler et promouvoir à l’infini la production d’analystes. Mais F। Roustang critique globalement la notion de “transfert de travail” qui prévaut dans l’Ecole de Lacan, à la manière du cartel ou de la passe. Cela correspondrait à une généralisation abusive et dangereuse du transfert comme pratique/théorie, allant de pair avec la notion de “psychanalyse pure” (c’est-à-dire-didactique) défendue par Lacan en 64, au-delà et surtout au détriment de la visée initialement thérapeutique de la psychanalyse. Pour beaucoup encore, le but de la psychanalyse devrait être de soigner des malades et non de contaminer tendanciellement tout le tissu social en engageant chaque analysant à devenir analyste... En effet la psychanalyse pure n’est rien que passage du psychanalysant au psychanalyste. Le transfert est premier, auto-suffisant, et Lacan dénigre la thérapie comme telle : “Observai-je en effet qu’il n’y a aucune définition possible de la thérapie, si ce n’est la restitution d’un état antérieur ? Définition justement impossible à fixer dans la psychanalyse" (J. Lacan, “Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’Ecole”). Le critique se demande alors si généraliser et perpétuer le transfert, faisant “travailler” ainsi à perte de vue le transfert, ne revient pas à placer éternellement les signifiants lacaniens en position de grand Autre. Il souligne l’ambiguïté frappant ceux que Lacan distingue en 1964 comme “Analystes de l’Ecole” (par oppositions aux “simples” membres praticiens), car cela conduit dans la foulée à distinguer les “vrais” passants, ceux qui ont décidé de “suivre” Lacan. Or, “Pas moyen de me suivre sans passer par mes signifiants" prévient Lacan. D’où l’ambiguïté et finalement l’échec, selon certains, de ce procédé de la passe où l’analysant
(parfois déjà analyste) est invité initialement à témoigner de son “passage au désir d’être analyste”. Car le désir d’être analyste ne se distingue plus vraiment de l’envie d’être analyste de l’Ecole ; et le passage ne peut plus guère témoigner, au mieux que de l’assimilation d’un enseignement, au pire du ralliement à une croyance. “Devenir ‘Analyste de l’Ecole’, c’est pouvoir témoigner que son analyse a été la mise en acte de la doctrine de Lacan” écrit assez durement Anne Levallois. L’idéal de la passe est repris avec le mathème qui garantit l’unité de la transmission. Mais la véritable unité de la doctrine comme de sa transmission est assurée par le nom même de Lacan. Lequel l’avoue lui-même : “Le seul nom propre dans tout ça, c’est le mien. L’extension de Lacan au symbolique, à l’imaginaire et au réel, c’est ce qui permet à ces trois termes de consister" (J. Lacan, Le Séminaire, Livre XXIV, L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre, séance du 16 novembre 1976). Ainsi le nom de Lacan et sa “nomination “en doctrine (RSI) se prêtent-ils aux “fidèles” pour un transfert où la névrose des uns est intégrée et dépassée dans la névrose de l’Autre : à savoir cette communauté culturelle (au fond toujours névrosée) qu’est la psychanalyse. Au bout du compte, on peut craindre que la “question de l’origine” propre à chaque analysant se déplace avec la psychanalyse pure sur le terrain d’une question plus théorique : celle du rapport originel entre chaque analysant/analyste et “La” psychanalyse. Rapport qui risque de demeurer inanalysé tellement il confine au sacré.
Cependant il convient de relativiser ces critiques qui font cercle, beaucoup plus qu’il n’y paraît, avec leur cible। Si l’on s’en tient au dernier point, la soit-disant confusion du champ analytique avec le signifiant “Lacan”, il est bien difficile de l’attribuer à Lacan lui-même, à son idéal de “pureté” ou à son théoricisme. A côté du “grand” Autre il y a les “petits” autres, non moins idéalistes ! Il est bien vrai du reste que le problème du signifiant “Lacan” est l’indice d’un problème majeur se posant à la psychanalyse tout entière : celui de la théorie comme enjeu analytique, et/ou de la psychanalyse comme enjeu théorique. Si cette question met mal à l’aise les tenants d’une pratique plus thérapeutique (plus originelle?), ne peut-on retourner leur argument contre eux et les soupçonner de chercher une pureté, une simplicité de l’expérience analytique n’existant nulle part ? A la fois surestimation de l’expérience et sous-estimation du discours analytique, dont l’impact social n’est ni à craindre ni à désirer car déjà bien réel et de toute façon inévitable. L’on ne s’en rendra compte que si l’on met sur un pied d’égalité le discours analytique et le discours philosophique, et si l’on s’aperçoit de la concurrence radicale à laquelle ils sont entrain de se livrer. On s’étonnerait moins alors de l’aspect proliférant, appropriant, contaminant d’un tel discours analytique prétendant faire lien social ; surtout l’on remarquerait que ses prétentions “hégémoniques” ne sont pas pires que celles de son concurrent philosophique (dont le discours de la science) qui règne sans partage — n’était son symptôme : justement l’analyse — sur le monde moderne. Cela ne veut pas dire que le discours analytique ne fasse pas partie finalement de la pensée philosophique, une entité plus puissante que lui et à laquelle il collabore. Mais — pour terminer ce point — Roustang voit dans le discours analytique et sa surexploitation lacanienne une contradiction simple, horriblement éloignée de la pratique thérapeutique ; bref une aberration. Le succès même de Lacan est imputable à ses excès de discours — mais l’échec de sa pratique est patent. Pour Roustang, Lacan érige la pratique des équivoques et des provocations discursives en un véritable “principe d’incohérence”. Passons sur le fond de la position théorique de Roustang qui, en vérité, n’admet pas l’inconscient freudien et ne peut pas plus adhérer au credo lacanien : “l’inconscient est structuré comme un langage”. Pour lui il y a là un sophisme qui voudrait imposer une définition de l’inconscient à partir de son mode de dévoilement, en l’occurrence le langage.
Mais l’argument de cette critique est insuffisant, voire philosophiquement périmé : effectivement, il n’y a pas de vérité en dehors du dévoilement de la vérité, et l’inconscient freudien est une hypothèse forgée à partir de ses multiples dévoilements. Lacan chercherait l’incohérence pour l’incohérence, en surréaliste, et penserait ainsi être fidèle à la découverte freudienne de l’inconscient. Formellement, ce principe d’incohérence comprendrait deux aspects logiques : celui de l’équivoque et celui de l’unilatéralité. “A l’escamotage généralisé de l’équivoque se conjoint l’affirmation tranchée et suffisante de l’unilatéralité" (p. 115). La première permet d’abolir les frontières entre les domaines les plus hétérogènes, puisqu’elle thématise toutes les frontières; la seconde permet à la psychanalyse de se retrancher, de s’excepter du “semblant” généralisé et de “traiter” celui-ci sans que la moindre réciproque soit envisageable. Finalement tout ceci rappelle bien la psychose. Le lacanisme est présenté comme un “délire scientifique”, plus délirant d'ailleurs que scientifique...
Jacques Lacan, passé présent est un dialogue entre un philosophe, Alain Badiou, et une historienne de la psychanalyse, Élisabeth Roudinesco, à propos de l'actualité du psychanalyste Jacques Lacan. Un ouvrage petit par sa taille (100 pages, petit format, gros caractères), mais grand par son intérêt ?
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1 « Alain Badiou, Élisabeth Roudinesco : Choisis ton Lacan ! »,Philosophie Magazine, n° 52, septemb(...)
2La première partie du livre intitulée « Un maître, deux rencontres » est une version revue et augmentée de leur entretien pour Philosophie Magazine1. Les deux penseurs reviennent sur leur rapport à J. Lacan, inscrit dans leur propre trajectoire.
3Chaque auteur revient chacun sur les circonstances de sa rencontre avec Lacan : Pour É. Roudinesco, J. Lacan était un collègue de sa mère, elle le connaissait donc personnellement depuis longtemps, mais c'est seulement lorsqu'elle a entrepris des études de linguistique à l'université qu'elle s'est intéressée à la pensée structuraliste. Quant à A. Badiou, d'abord sartrien, puis althusserien, le rapport au psychanalyste s'est fait par le biais de ses écrits. Ainsi, contrairement à É. Roudinesco, A. Badiou n'est jamais entré en analyse.
4Le philosophe s'interroge à l'apport de J. Lacan à sa discipline. Avec les autres penseurs qu'on range sous la catégorie ''structuraliste'' (Althusser, Foucault...), il a critiqué la vision ''humaniste'' de Sartre notamment, qui confond sujet et conscience et qui se centre sur le moi réflexif. Lorsque J. Lacan écrit que « l'inconscient est structuré comme un langage », il dit d'une part, qu'il faut prendre le concept d'inconscient au sérieux, et d'autre part, il caractérise cet inconscient comme dépendant totalement du langage. Ainsi « La science de l'inconscient se substitue donc à la philosophie de la conscience » (p. 22).
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2 Sur la polémique concernant la continuité ou non de Lacan avec Freud, voir l'ouvrage de Carlos Maf(...)
5Pour ce qui concerne le champ de la psychanalyse, É. Roudinesco avance que l'intérêt de J. Lacan, face aux ''freudiens orthodoxes'' de l'époque, c'est son ouverture à la philosophie, aux questions spéculatives, et à la linguistique. Alors que ses collègues étaient de ''froids matérialistes'', conjuguant des conceptions biologisantes et scientistes, et faisant de Freud
un dogme. C'est cette différence qui a permis à J. Lacan d'être aussi original, tout en restant dans la lignée de Freud2. L'historienne de la psychanalyse note qu'on retrouve le même problème aujourd'hui : certains lacaniens font des écrits de leur maître un dogme (amour de la logique formelle...), ce qui peut avoir pour conséquence de manquer la « souffrance du patient » (p. 32).
6Le journaliste interroge ensuite les deux auteurs sur le caractère révolutionnaire, au sens politique, de J. Lacan. Selon eux, le psychanalyste n'était pas du tout un révolutionnaire, au mieux un « conservateur éclairé » (p. 46), par contre il a donné les clefs à ses disciples pour réussir à articuler révolution politique et révolution subjective. Ainsi pour A. Badiou : « L'oppression se définit toujours par une stérilisation des capacités individuelles et collectives. De ce point de vue, la cure lacanienne, bien qu'elle soit totalement apolitique dans son exercice propre, propose à la pensée une sorte de matrice politique. J'établis une continuité entre la pensée de Lacan, et une démarche révolutionnaire, qui ré-ouvre une disponibilité collective enfoncée dans la répétition ou barrée par la répression étatique. » (p. 37-38). Pour É. Roudinesco, la posture politique de J. Lacan a permis à ses élèves de ne pas « sombrer dans l'extrémisme », comme en Italie ou en Allemagne (p. 42).
7Cette première partie se conclut sur ce que peut nous apporter J. Lacan pour comprendre le monde d'aujourd'hui. Il avait pressenti les dérives du XXIe siècle : l'hédonisme aveugle, le repli identitaire, les politiques sécuritaires, le comportementalisme, le cognitivisme, la médicalisation à outrance. On trouve dans sa pensée de quoi analyser et combattre ces éléments.
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3 Pour l'écouter : http://www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/anx_conferences_2011/a.c_111004_roudi n(...)
8La deuxième partie du livre s'intitule « Penser le désordre ». Elle est issue d'un débat, organisé par France Culture et Philosophie Magazine, qui s'est déroulé à la Bibliothèque Nationale de France, le 4 octobre 2011, sur le thème « Jacques Lacan, 30 ans après »3.
9Il y est question des différences avec S. Freud concernant son utilisation des pièces de Sophocle, et son rapport à l'écriture, le lien de J. Lacan à la philosophie (A. Babiou : « il a rétroactivement lacanisé beaucoup de philosophes » p. 72), aux écrivains (Duras, Joyce). Un commentaire est fait sur le séminaire «… ou pire » (1971-1972) qui venait de paraître au moment du débat (septembre 2011). Pour Badiou, la dernière période de J. Lacan est très stimulante alors que pour E. Roudinesco, cette période déshumanise la cure.
10Pour É. Roudinesco « Lacan est une arme de subversion contre le système capitaliste actuel : ce capitalisme de la finance, déshumanisé, sans peuple ni sujet, en proie à une
dérive incontrôlable. S'inspirer de Lacan contre cette folie, ce pourrait être semer le désordre dans l'ordre. » (p. 95).
11Cette partie insiste également sur les mauvaises interprétations de J. Lacan qui en feraient un défenseur de la Loi (le « Nom-du-Père »), donc du patriarcat, alors qu'il s'agit d'une catégorie pour analyser la place de la Loi, qui peut être incarnée par n'importe qui. Il ne peut donc pas servir à condamner les couples homosexuels, par exemple.
12Le livre se conclut par un plaidoyer en défense de la psychanalyse : aujourd'hui comme hier, ses théories subissent de violentes attaques, et il serait l'affaire de chacun de se sentir concerné par ce débat. Les apports de la psychanalyse, qui pense l'homme dans sa complexité, s'ils étaient discrédités, seraient une grande perte car on ramenait chacun à son animalité, qu'on ne soignerait qu'avec des médicaments.
13D'un abord aisé, Jacques Lacan, passé présent permet d'obtenir quelques repères sur la pensée du psychanalyste. Il permet également d'en savoir davantage sur le travail d'Alain Badiou et sur celui d'Élisabeth Roudinesco.
NOTES
1 « Alain Badiou, Élisabeth Roudinesco : Choisis ton Lacan ! », Philosophie Magazine, n° 52, septembre 2011
2 Sur la polémique concernant la continuité ou non de Lacan avec Freud, voir l'ouvrage de Carlos Maffi, Le Souvenir-écran de la psychanalyse. Freud, Klein, Lacan. Ruptures et filiationshttp://lectures.revues.org/8196
3 Pour l'écouter :http://www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/anx_conferences_2011/a.c_111004_ro udinesco_badiou.html
Lacan, passé présent », d’Alain Badiou et Elisabeth Roudinesco
Posté parThierry Savatierle 24/8/2012 17:10:00 (34 lectures)Articles du même auteur
Il y a des dialogues inattendus ; celui de l’historienne de la psychanalyse Elisabeth Roudinesco et du philosophe Alain Badiou n’est pas le moins singulier. Entre ces deux intellectuels au parcours fort différent, il fallait trouver plus qu’un terrain d’entente ou de conflit : un centre d’intérêt commun. Dès lors, la figure tutélaire de Jacques Lacan ne pouvait que s’imposer.
Il y a des dialogues inattendus ; celui de l’historienne de la psychanalyse Elisabeth Roudinesco et du philosophe Alain Badiou n’est pas le moins singulier. Entre ces deux intellectuels au parcours fort différent, il fallait trouver plus qu’un terrain d’entente ou de conflit : un centre d’intérêt commun. Dès lors, la figure tutélaire de Jacques Lacan ne ouvait que s’imposer.
Fruit de deux conversations (un entretien publié dans Philosophie Magazine, puis un débat organisé à la BnF), Jacques Lacan, passé présent (Le Seuil, 104 pages, 14,70 €) nous offre donc une confrontation dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’a rien de stérile.
En toute logique, la première partie de ce dialogue est consacrée aux rencontres des deux auteurs avec Lacan. Rencontre personnelle d’abord, puisque l’un et l’autre eurent l’occasion de le côtoyer, puis rencontre avec ses idées, ses positions politiques, son rapport à la philosophie, le magister qu’il exerça sur le monde intellectuel des années 1960 et 1970.
Le regard porté reflète naturellement les sensibilités politiques de personnalités appartenant à des gauches très contrastées, l’une ayant un moment adhéré au PCF, puis s’en étant éloignée, l’autre étant connu pour son engagement maoïste pas vraiment repenti et un penchant pour les thèses de Pol Pot qu’il semble n’avoir regretté que tardivement. Tous deux se rejoignent pourtant pour dénoncer certains travers contemporains de notre société parmi les plus pervers : « Aujourd’hui, la catastrophe, c’est l’hygiénisme et la norme : le contraire du bonheur. Nous n’aimons ni le fanatisme religieux, ni le scientisme, ni l’argent fou, ni l’évaluation débridée, symptôme de l’abandon des idéaux de la raison. En bref, nous avons en commun la conviction que l’engagement politique doit aller de pair avec le travail, la rigueur et l’érudition. »
Dans la seconde partie du livre, intitulée « Penser le désordre », les auteurs s’attachent davantage à dialoguer sur l’œuvre de Lacan : ce qu’elle fut, ce qu’il en reste (ou plutôt ce qu’il reste d’une psychanalyse qui, depuis Lacan, n’a plus
théorisé, s’est parfois livrée à des choix douteux tout en s’enlisant dans des querelles de clocher qui frisent le sectarisme) et surtout ce que cette œuvre peut nous proposer pour l’avenir en nous aidant à affronter l’angoisse générée par la crise, à lutter contre les tentations obscurantistes et scientistes, l’argent-roi, etc.
Plusieurs thèmes abordés retiennent en priorité l’attention du lecteur, comme l’analyse très pertinente du langage de Jacques Lacan, de sa conception du tragique (en opposition à Freud, à travers l’exemple d’Œdipe). D’autres sujets sont également débattus, comme le terrorisme des années 1970, la folie prise en tant que « surgissement en soi d’une altérité radicale » (comment ne pas penser à Artaud ?), le but de la cure psychanalytique. Et certaines phrases prennent une importance d’autant plus particulière qu’elles rompent avec la doxa, comme l’illustre cet extrait relatif à Lacan et Mai 68 :
Elisabeth Roudinesco : « Pour lui, Mai 68 était un mouvement en trompe l’œil, qui exprimait, non pas une volonté de libération généralisée, mais au contraire le désir inconscient, chez les insurgés, de servitudes encore plus féroces. »
Alain Badiou : « "Ce à quoi vous aspirez en tant que révolutionnaires, c’est à un maître." Quand il a prononcé à Vincennes cette phrase fameuse, la pilule était dure à avaler. Mais après tout, Hegel n’aurait pas non plus pensé grand bien du révolutionnarisme prolétarien de son disciple Marx ! »
Le maître en question – et c’est peut-être pourquoi Alain Badiou ne semble pas très à l’aise dans sa réponse – s’appela un temps Mao, même si l’on peut encore aujourd’hui s’interroger sur l’engouement dont certains intellectuels firent preuve pour ce florilège de niaiseries qu’est Le Petit livre rouge… Un nouveau maître, plus inattendu, se substitua progressivement à la figure du « grand timonier », l’argent, comme le prouvent ces anciens maoïstes reconvertis dans la finance, les média, s’épanouissant sous les lambris ministériels ou recherchant les faveurs des princes…
Quels que soient leurs points de désaccord, les deux auteurs s’entendent finalement sur deux aspects fondamentaux : l’importance du rôle que la pensée lacanienne peut jouer aujourd’hui et – ce qui explique en partie la contemporanéité de cette pensée – les qualités de visionnaire du psychanalyste : « A la fin de sa vie, note Elisabeth Roudinesco, il a
d’ailleurs explicitement annoncé la monté des fléaux actuels : le racisme, les communautarismes qui en sont une variante, l’individualisme forcené et surtout la bêtise qui caractérise la démagogie de masse, le règne de l’opinion publique. »
Illustrations : Fulchran-Jean Harriet, Œdipe à Colonne, 1798, Cleveland, Museum of Art -Qiu Jie, Portrait of Mao, 2007, © Qiu Jie.
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Thierry
Lacan in Public: Psychoanalysis and the Science of Rhetoric (Albma Rhetoric Cult & Soc Crit)
Lacan in Publicargues that rhetoric is one of the central concerns of Jacques Lacan’s psychoanalysis. Christian Lundberg argues that Lacan’s contributions to a theory of rhetoric are not only substantial, but that the psychoanalyst’s work has potentially revolutionary implications for our understanding of public discourse.
Despite Lacan’s sustained attention to the character of rhetoric, scholars in rhetorical studies have rarely engaged Lacan as a rhetorical theorist. Though he explicitly contends with some of the pivotal thinkers in the field of rhetoric (Aristotle, Cicero, and Quintilian) and familiar topoi (the oratorical tradition, the power of trope, stasis theory, and questions of contingency and context), rhetorical studies has been reticent to embrace the French thinker not only because his writing is difficult and because his conception of rhetoric runs counter to our received wisdom regarding rhetorical discourse. Lacan’s conception of rhetoric, argues Lundberg, upsets and extends the received wisdom of American rhetorical studies–claiming that rhetoric is a science, rather than an art; that rhetoric is predicated not on the reciprocal exchange of meanings, but rather on the impossibility of such an exchange; and that rhetoric never achieves a correspondence with the world of referents that it attempts to describe.
Lundberg proceeds from an analysis of Lacan’s most recognizable maxim–”the unconscious is structured like a language”–arguing that this maxim can only be understood in the light of Lacan’s proclamations that “the universe is a flower of rhetoric” and that “the psychoanalyst is a rhetor.” From these starting points, Lundberg advances a rhetorical theory drawn from Lacanian psychoanalysis that provides a systematic account of rhetoric while simultaneously contributing to contemporary scholarship on Lacan.
As Lundberg shows, Lacan’s work speaks directly to conversations at the center of current scholarship in rhetoric and the humanities more broadly, including debates regarding the nature of the public and public discourses, the materiality of discourse, agency, and the contours of a theory of persuasion.
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