Entretien avec Pascal Le Brun-Cordier, Politis, été 2016
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La rue est à nous ! La reconquête de l’espace public P AF Y/ UA G ND RTRA BE SE CLOÎTRER CHEZ SOIquand l’extérieur est un champ de bataille. En frappant une nouvelle fois en pleine rue, l’attentat de Nice a touché le cœur même de nos modes de vie – se promener en famille, s’émerveiller devant la beauté d’un feu d’artifice. Et a abîmé cette liberté fondamentale dont jouissent les pays en paix : vaquer, l’esprit serein, dans l’espace public. Face à cette pulsion de mort, la société n’a pas (encore) cédé au « grand renfermement ». Au contraire, même, elle a sonné la reconquête. Après les attentats de 2015, une frénésie de marches, de manifestations et de sit-ins s’est emparée de la France. Des millions de citoyens ont crié haut et fort leur résistance à tout ce qui musèle : le terrorisme, l’état d’urgence, le néolibéralisme, l’autoritarisme d’un pouvoir à la dérive… ePauline Graulle DR Pascal Le Brun-Cordier Professeur à la Sorbonne. DOSSIER Investir l’espace public n’est jamais neutre. C’est même un baromètre de bonne santé démocratique. N’en déplaise à ceux qui réduisent les mobilisations anti-loi travail à une seule éruption de violence, et à ceux qui perçoivent dans le port des signes religieux sur la voie publique une violence à leur égard. Les tensions existent ? Tant mieux : elles sont le prix d’un véritable « vivre-ensemble » et non d’une simple « co-présence ».

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Publié le 06 septembre 2016
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Langue Français

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Larue estànous! La reconquête de l’espace public
P AF Y/ UA G ND RTRA BE
SE CLOÎTRER CHEZ SOIquand l’extérieur est un champ de bataille. En frappant une nouvelle fois en pleine rue, l’attentat de Nice a touché le cœur même de nos modes de vie –se promener en famille, s’émerveiller devant la beauté d’un feu d’artifice. Et a abîmé cette liberté fondamentale dont jouissent les pays en paix: vaquer, l’esprit serein, dans l’espace public. Face à cette pulsion de mort, la société n’a pas (encore) cédé au «grand renfermement». Au contraire, même, elle a sonné la reconquête. Après les attentats de 2015, une frénésie de marches, de manifestations et de sit-ins s’est emparée de la France. Des millions de citoyens ont crié haut et fort leur résistance à tout ce qui musèle: le terrorisme, l’état d’urgence, le néolibéralisme, l’autoritarisme d’un pouvoir à la dérive…
ePauline Graulle
DR Pascal LeBrun-Cordier Professeur àlaSorbonne.
DOSSIER
Investir l’espace public n’est jamais neutre. C’est même un baromètre de bonne santé démocratique. N’en déplaise à ceux qui réduisent les mobilisations anti-loi travail à une seule éruption de violence, et à ceux qui perçoivent dans le port des signes religieux sur la voie publique une violence à leur égard. Les tensions existent? Tant mieux: elles sont le prix d’un véritable «vivre-ensemble» et non d’une simple «co-présence». Au lendemain du 13 novembre a circulé cette émouvante vidéo où des personnes étrangères les unes aux autres se serraient dans les bras place de la République. Aumême endroit, fin mai, le «Chœur des esclaves» de Verdi retentissait sous les étoiles lors d’un «concert debout». Manières de dire que la fraternité a de l’avenir dans un monde où la barbarie guette.zPauline Graulle
«Créer des espaces pour le possible»
PourPASCAL LE BRUN-CORDIER, la reconquête des lieux publics est d’autant plusnécessaire après les attentats de 2015 et de 2016. Et les artistes doivent y participer. ascal Le Brun-Cordier,« présomption de confiance (1) ». Tout à coup,jusqu’au drame du 14 juillet, il y a eu un appétit directeur artistique dela bienveillance, la tranquillité, l’hospitalité desplus marqué pour des manifestations de frater-l’agence Vertigo In Vivo,espaces urbains dans lesquels nous évoluons,nité et de solidarité dans l’espace public. C’était conçoit et organise desplace à un état de fébrilité, d’inquié-ont laissé une manière de nous réassurer, mais aussi de projets artistiques dans tude, de méfiance. Ce qui nous a conduits,nous réarmer pour faire en sorte que ces valeurs ecnul2tu0r0el5sPàdaLnasSl’oersbpoancneep.ublic », qu’il a fondéd«ealttiemntaigfsineanisreembcleur»i,traiitroeudrannelslelefqounedlantroicuesrh«mealdebnêittt,referreaetnnessreenmmelblbleleem»elunents.ppEartocàjeeftapipuroeblliditcie,qupeaecticuqluteu--l’espace public. Il a créédans les jours qui ont suivi, à tenter d’identifierque nous avions incorporées au point de ne plus p u i s d i r i g é p e n d a n tautour de nous des indices de danger potentiel,les voir soient remises en lumière. On a observé cinq ans les Zones artistiques temporairesdes objets ou des comportements suspects, àune forme d’ostentation de notre capacité à (ZAT) à Montpellier. Il est également direc-éviter les positions les plus exposées dans les teur du master – unique en Europe – « Projetsrues ou les transports publics. L’injonction à êtrecette forme . Nuit debout en est une illustration évidente, baignonsdéjàdepuisplusieursannées,aviréqui m’apparaît d’abord comme une tentative Quels impacts ont eu les attentats dude réinventer un contrat social empreint de laà un terrifiant « tous paranos ». 13novembre 2015 à Paris et du 14juillet« nudité » de la relation sociale première : on 2016 à Nice, notamment, sur notre rapportQue s’est-il passé dans un second temps?était là, ensemble, à (s’)écouter, à faire preuve à l’espace public?Après les attaques de novembre à Paris, nousd’attentions les uns pour les autres. Pascal Le Brun-Cordier:Après les attaquesavons progressivement retrouvé des compor-Avec Nuit debout, nous sommes arrivés à du 13 novembre, on a observé un double effet.un « attentifs ensemble » positif, signifiant :tements plus insouciants dans l’espace public. À court terme, elles ont créé une rupture dans À ce moment-là, nous avons fait preuve d’une« Portons attention ensemble à ce que nous notre rapport à l’espace public. Ces événementscertaine résilience. Je formulerais même l’hypo-sommes. » J’ai observé ce phénomène égale-ont mis de la défiancea priorilà où notre rap-thèse d’un effet paradoxal de ces attaques. Ilment dans nombre de manifestations cultu-port à l’espace public, à l’autre, reposait sur unedepuis le début de l’anné 2016me semble que, relles depuis le printemps. Le festival d’arts
21/07/2016
Politis 1413-14-15 25
DOSSIER
de la rue Viva Cité à Sotteville-lès-Rouen, ou celui de Parade(s), à Nanterre, ont cette année encore rencontré un grand succès auprès d’un large public venu notamment éprouver ce plaisir précieux d’occuper les rues et les places de manière insouciante. Il me semble que la joie y était comme redoublée par la conscience aiguë de sa puissance et de sa fragilité mêlées – une joie ordinaire et pleinement politique, au sens où Spinoza ou Simone Weil en ont parlé. Bien sûr, tout cela s’est fracassé dans la nuit tragique du 14 juillet à Nice.
L’état d’urgence a néanmoins eu un impact sur certaines manifestations: Gay Pride ou manifs raccourcies, concerts annulés le week-end du 14novembre 2015… La société voulait réinvestir l’espace public, mais le pouvoir a parfois mis son veto… Oui, certaines manifestations ont été dépla-cées, redimensionnées, malmenées, voire annulées, et l’état d’urgence a pu être instru-mentalisé à des fins politiques. Mais je note aussi qu’en dépit de la volonté de contrôle et de la gestion autoritaire des pouvoirs publics, des projets adviennent ou persistent quand même. Fin mai, le duo d’artistes Boijeot-Renauld a ainsi organisé le « Grand Pari », un projet avec une centaine de personnes (dont j’étais) qui ont déambulé nuit et jour dans Paris avec des tables, des bancs, des chaises et des lits en bois pour habiter la ville autrement 21/07/2016 et converger des périphéries vers le centre de la capitale. Nous avons fait tout ça sans autori-sation et dans la bienveillance générale.
Un espace public apaisé est-il souhaitable? Les pouvoirs publics semblent parfois rêver Politids1u4n1e3s-p14a-c1e5public totalement pacifié. Ça 26
Un projet à coucher dehors… La performance « Grand Pari » du duo Boijeot-Renauld s’est tenue à Tokyo avant d’arriver àParis.
(1)Lire l’article de Carole Gayet-Viaud sur le site www. metropolitiques.eu.
existe : c’est le cimetière ! Mais l’espace public est l’espace de la démocratie, de la pluralité, de la diversité des discours et des usages… C’est donc un espace qui « doit » être conflictuel parce que la multitude l’est par essence. Le dissensus est un indice de vitalité démocra-tique. La question est ensuite de savoir com-ment articuler ces désaccords pour éviter et la guérilla permanente et le cimetière.
Peut-on inventer autre chose qu’un espace public voué à la consommation? Ce qui me semble important, dans l’espace urbain, c’est de créer des espaces libres, dis-ponibles pour le possible. À Paris, la rénova-tion de la place de la République en 2013 est une réussite, car elle en a fait un vaste plateau ouvert qui permet qu’advienne de l’inédit, de l’indéterminé, de l’improbable. Anne Hidalgo a eu raison de se reprendre après s’être offus-quée de ce que les Nuit-deboutistes auraient « privatisé » la place. La privatisation, c’est quand un opérateur privé, défendant des inté-rêts privés, paie pour utiliser l’espace. D’ail-leurs, un marqueur très précis pour apprécier la politique urbaine et citoyenne d’une ville, c’est sa capacité de résistance à la demande de privatisation de l’espace public, au toujours plus de pubs, de grandes surfaces, d’événe-ments sponsorisés. Il y a quelques années, à Vienne, en Autriche, un superbe projet-canular avait été organisé par un collectif d’« artivistes » qui avaient installé sur la Karlsplatz un stand où l’on expliquait aux passants que la place allait être rebaptisée « Nike Platz »à la suite d’un partenariat avec cette marque sportive. Les habitants étaient épouvantés ! Pourtant, à Paris, en octobre 2015, le Palais omnisports de Paris-Bercy a
été rebaptisé AccorHotels Arena sans que cela fasse de vagues. Nous devrions résister à ces politiques denamingde grands équipe-ments sportifs ou culturels, fréquentes dans les pays anglo-saxons, parce qu’elles polluent nos imaginaires, notre langue même, en nous obligeant à utiliser le nom de marques privées pour désigner des établissements publics. Alors qu’il faudrait agrandir notre monde commun, ces politiques funestes le réduisent.
Certaines collectivités ont le désir de mettre en place une démocratie plus participative. Est-ce de la poudre aux yeux? Il y a des choses intéressantes : à Paris, par exemple, où un budget participatif a été mis en place – même s’il représente une part modeste du budget global. De nouvelles manières de penser et de mettre en œuvre les politiques publiques se développent. Dans le domaine de l’urbanisme et de la production de l’espace public en particulier. La capitale a ainsi lancé un programme de « réinvention » de sept places publiques avec une volonté de co-conception URA/AFP Met de coproduction avec des acteurs rarement TA I Kinvités dans la fabrique de l’urbain. On voit apparaître un « urbanisme de pro-FUMI I SHcessus » donnant plus de place aux usages et TO aux expériences, en rupture avec les grands projets d’aménagement autoritaires. Les artistes et les acteurs culturels y ont leur place, qui n’est plus celle de la cerise sur le gâteau (un objet posé sur l’espace public à la fin du projet), mais celle du partenaire que l’on écoute et que l’on désire associer en amont. Je pense par exemple à l’Agence nationale de psychanalyse urbaine (ANPU) de l’artiste Laurent Petit, qui mène actuellement une opération dans le bas-Belleville. Nous sommes quelques-uns à porter ces approches obliques, décalées, surprenantes. Elles se répandent en France, et c’est une bonne nouvelle.
Elles permettent une réappropriation par tous? Oui, car le véritable enjeu est bien de favoriser la transformation de l’espace public en espace commun, habitable et habité. De faire que tous types de personnes puissent se retrou-ver dans une co-présence attentive et créative où s’éprouve la force de « l’être ensemble » sans l’effacement des différences. Pour cela, les artistes ont des stratégies permettant des expériences exaltantes, y compris avec des propositions suscitant du dissensus. Les collectifs d’architecture active comme Coloco, ETC, Yes We Camp ou YA+K (réunis début juillet à Bobigny dans le cadre de « Superville ») sont portés par la conviction qu’ils sont en train de constituer la culture d’un monde nouveau. Leur travail consiste souvent à « activer » l’espace public pour en faire un lieu habité où la question « qu’est-ce qu’on fabrique ensemble » se pose et se résout en même temps dans l’action. Ce que l’on y fabrique ensemble ? Un monde plus habitable, de la solidarité, du mieux-être, de la fête, de la discussion démocratique et puis de la mémoire collective. De la culture, en somme. a
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