Etude anthropo Samdarra
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Domitille Blanco Master 2 d’Anthropologie Université Lumière Lyon 2 Etude anthropologique Eléments de réflexion sur la parentalité chez les familles de demandeurs d’asile Septembre 2009 1 Sommaire Sommaire……………………………………………………………………………………. 2 Introduction…………………………………………………………………………………. 3 1°/ Contexte de l’étude……………………………………………………………………… 6 a – Stage au sein du réseau Samdarra 6 b - Lieux du stage et population étudiée 6 c – Méthodologie employée 8 2°/ Familles dispersées……………………………………………………………………… 9 a – S’exiler 9 b – Les présents et les absents : déstructuration familiale dans l’exil 10 c – Relation aux absents 10 3°/ Culture de la famille et culture dans la famille………………………………………. 11 a – La famille, une question de culture ? 11 b – Des exemples de famille étendue 13 c – Question de la reproduction culturelle dans l’exil 14 4°/ Bouleversements dans la vie familiale………………………………………………… 15 a – Vivre dans un nouvel environnement 15 b – S’adapter face à ce qui est nouveau 16 c – Maintenir les rituels ? 18 5°/ A propos des rôles dans la famille…………………………………………………….. 19 a – Qu’est-ce qu’être père ? Qu’est-ce qu’être mère ? 19 b – A propos de la « parentalisation » des enfants 20 c – Peut-on taper son enfant ? 21 Conclusion…………………………………………………………………………………. 24 Bibliographie………………………………………………………………………………. 27 Légende de la photographie : Réfugiés Tchétchènes en Ingouchie (BBC ...

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Domitille Blanco Master 2 d’Anthropologie Université Lumière Lyon 2                
 
Etude anthropologique  Eléments de réflexion sur la parentalité chez les familles de demandeurs d’asile
     Septembre 2009
 
 
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Sommaire  Sommaire……………………………………………………………………………………. 2  Introduction…………………………………………………………………………………. 3  1°/ Contexte de l’étude……………………………………………………………………… a – Stage au sein du réseau Samdarra 6 b - Lieux du stage et population étudiée 6 c – Méthodologie employée 8  2°/ Familles dispersées……………………………………………………………………… a – S’exiler 9 b – Les présents et les absents : déstructuration familiale dans l’exil 10 c – Relation aux absents 10  3°/ Culture de la famille et culture dans la famille………………………………………. 11 a – La famille, une question de culture ? 11 b – Des exemples de famille étendue 13 c – Question de la reproduction culturelle dans l’exil 14  4°/ Bouleversements dans la vie familiale………………………… ……………………… a – Vivre dans un nouvel environnement 15 b – S’adapter face à ce qui est nouveau 16 c – Maintenir les rituels ? 18  5°/ A propos des rôles dans la famille……… …………………………………………….. 19 a – Qu’est-ce qu’être père ? Qu’est-ce qu’être mère? 19 b – A propos de la « parentalisation » des enfants20 c – Peut-on taper son enfant ? 21  Conclusion…………………………………………………………………………………. 24  Bibliographie…………………………………………………………………… …………. 27     Légende de la photographie : Réfugiés Tchétchènes en Ingouchie (BBC News).
 
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Introduction En 2008, la France compte 135 095 réfugiés et 4117 bénéficiaires de la protection subsidiaire1 599 personnes demandent l’asile en France, pays. Cette même année, 42 signataire de la Convention de Genève de 1951 et du protocole de 1967, par laquelle elle accorde sa protection à «toute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut, ou en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »2 Elles viennent du Caucase, d’ex-Yougoslavie, d’Irak ou d’Afrique. Elles quittent leur pays, mais aussi leur maison, leurs amis, une situation professionnelle et un mode de vie. Et elles se séparent de leur famille, sans savoir si un jour ils pourront la retrouver. En arrivant, en France, les personnes qui viennent demander l’asile peuvent être hébergées, tout le temps de la procédure, dans un Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile (CADA). Elles y restent quelques mois ou quelques années, jusqu’à ce que l’Office Français de Protection pour les Réfugiés et les Apatrides (OFPRA)3, ou la Commission Nationale du Droit d’Asile (CNDA) s’il y a recours, donne sa décision. Dans cet hébergement, elles doivent réorganiser leur vie, la vie quotidienne. La vie familiale et personnelle va reprendre dans un nouvel environnement géographique, culturel et politique.   Aujourd’hui des professionnels du social et du soin s’interrogent sur comment « soutenir la parentalité » chez les demandeurs d’asile. La parentalité est une notion récente sur la scène publique. Elle est faite d’ingrédients multiples et est utilisée dans plusieurs champs, sans avoir encore pénétré celui des sciences sociales. Nous pouvons remarquer qu’elle advient à un moment même où les configurations familiales se multiplient, où l’on questionne l’homoparentalité, la monoparentalité, les nouvelles possibilités en terme de conception des enfants. «L’invention de la parentalité pourrait donc découler directement des mutations de la sphère et des structures familiales depuis une trentaine d’années. (…) Mais nous verrons que l’important réside peut-être moins dans le fait que la famille ait                                                  1 protection  La sûrs »,subsidiaire est un statut accordé aux personnes provenant de pays considérés comme « mais étant victimes de persécutions à titre personnel. 2Article 1er, A, 2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951. 3 France, c’est l’OFPRA, créé en 1952, qui instruit les demandes d’Asile et la CNDA, anciennement En Commission des recours des réfugiés (CRR), qui traite les recours pouvant être entrepris suite à une décision négative de celui-là.
changé que dans la difficulté d’en interpréter les causes et surtout les effets.»4. Selon Renald Brizais, sociopsychologue, la famille est devenue une telle abstraction, qu’il vaut mieux parler des parents. Une définition de la parentalité est : «qualité de parent, de père ou de mère (du point de vue juridique, moral ou socioculturel).»5 Un recentrement autour de la figure des parents s’est opéré avec le développement de théories psychologiques selon lesquelles l’enfant devait recevoir une attention particulière et une éducation élaborée pour bien se porter et se comporter une fois adulte. «Depuis une cinquantaine d’années, écrit Didier Houzel,de nombreuses recherches ont montré l’importance pour le développement psychique de l’enfant et pour sa santé mentale des soins affectifs et éducatifs qui lui étaient prodigués par son entourage»6comme le rappelle le sociologue Gérard Neyrand, «. De fait, on ne mesure plus forcément à quel point l’apport de Freud a été fondamental en introduisant simultanément l’idée de l’importance décisive de la petite enfance dans la constitution du psychisme humain»7. Petit à petit s’amorce une « psychologisation de la société »8et on se met à parler de la compétence de père ou de mère. Naissent alors de nouvelles professions orientées sur la relation et la famille, qui viennent déplacer les références et les normes en matière de rôles parentaux. S’établit alors un « savoir-être parent ». Plus tard, dans les années quatre-vingt-dix, à propos de la montée des incivilités des jeunes, c’est l’incompétence et/ou l’irresponsabilité des parents qui est pointée du doigt : cela permet à l’Etat de faire porter aux parents une responsabilité accrue quant à certains problèmes de société.    Nous allons nous intéresser à cet « être parent » chez les demandeurs d’asile, en dressant le cadre de leur exil et de leur nouvelle situation. Nous allons questionner ici la notion même de famille: si, en France, la norme qui prédomine est le modèle familial nucléaire, en-est-il de même pour les autres sociétés ? Y a-t-il d’autres normes et représentations de la famille ? Nous nous attacherons à voir aussi ce qui advient de ces normes et représentations dans l’exil : réorganisation de la vie familiale au CADA, adaptation des rôles des membres de la famille dans un nouveau contexte culturel et socio-économique différent, etc.                                                  4 Martin C., 2003, Rapport «La parentalité en questions. Perspectives sociologiques», Haut Conseil de la Population et de la Famille. 5Le Grand Robert de la Langue Française, 2001. 6Houzel D.,Les enjeux de la parentalité, Erès, p.13 7 Les G., 2001, « Neyrand métamorphoses du lien parental. Une approche socio-historique des savoirs sur la parentalité », in Actes du colloque international «Parentalités d’aujourd’hui, regards nouveaux… Pense r la parentalité aujourd’hui, accompagner les parents dans le contexte de transformation des liens familiaux.», Marseille, p.19 8L’expression est employée par Robert Castel.
 
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Ce document a été réalisé pour les professionnels du réseau Samdarra « Santé mentale, précarité, demandeurs d’asile et réfugiés en Rhône-Alpes ». Sa réalisation s’inscrit dans le cadre d’un Master 2 en Anthropologie pour lequel a été produit un mémoire universitaire intitulé « Reconfigurations dans l’exil des familles de demandeurs d’asile. Structures et relations familiales de demandeurs d’asile au sein d’un CADA de la région lyonnaise et à travers un espace transnational », dirigé par Jacques Barou. Nous tenterons ici d’apporter un éclairage sur le vécu de ces gens, à travers la question de la parentalité et plus largement de la famille, en exposant ici quelques-unes de leurs paroles que nous mettrons en lien avec des données théoriques, issues de champs multiples, à savoir de l’ethnologie, de la sociologie, de la psychologie, de la géopolitique, et de l’histoire. Par souci d’anonymat, aucun demandeur d’asile n’est cité sous son vrai nom.
 
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1°/ Contexte de l’étude a – Stage au sein du réseau Samdarra  C’est dans le cadre d’un Master professionnel en Anthropologie que j’ai intégré le groupe de travail sur la parentalité, mis en place par le réseau Samdarra. Les responsables du réseau étaient intéressées à l’idée d’une étude anthropologique : celle-ci pourra contribuer à nourrir la facette théorique d’un réseau s’étant jusque là principalement axé sur la mise en réseau des différents professionnels. Au sein du groupe de travail, sont réunies des personnes issues de professions, villes et établissements différents. Cette diversité induit le croisement de savoirs et de points de vue très différents. Le but de ce groupe est de partager les différentes pratiques et activités dispensées en Rhône-Alpes dans le domaine de l’asile, et sur les questions liées à la parentalité. Il se présente aussi comme un lieu de ressource où chacun peut évoquer des situations vécues sur son lieu de travail pour bénéficier du regard d’autres professionnels. Les sujets qui y sont abordés sont un reflet de la diversité des pratiques des personnes travaillant auprès des demandeurs d’asile : sur la forme d’abord, sont abordés les questions de la précarité des financements des actions et des postes, l’enchevêtrement des compétences dans le domaine de l’asile, du rôle de la psychiatrie publique, etc. Et sur le fond, des thèmes aussi divers que ceux de la place des pères, l’entrée des travailleurs sociaux dans l’éducation des enfants, l’évolution du droit d’asile, ou encore l’adaptation au système scolaire sont traités. C’est donc sur le sujet de la parentalité que devait porter l’étude.  b - Lieux du stage et population étudiée  L’étude a été réalisée sur le site de deux Centres d’Accueil des Demandeurs d’Asile de la région lyonnaise. Ceux-ci seront nommés CADA A et CADA B dans les pages suivantes, puisque nous pensons que les situations que nous y avons rencontrées ne sont par propres à ces deux centres et auraient pu se dérouler ailleurs. Ils peuvent accueillir 110 personnes et la superficie des chambres est respectivement de 10 m² et 6,8 m². Tous deux sont administrés par Forum Réfugiés. Les personnes que j’ai rencontrées sont toutes dans une démarche de demande d’asile, ou alors elles l’ont été, et sont désormais déboutées du droit d’asile ou sous la protection de l’OFPRA. Durant mes quatre mois sur place, j’ai rencontré une cinquantaine de personnes de
 
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familles différentes. Elles viennent du Caucase (Tchétchénie, Daghestan, Ingouchie, Arménie, Azerbaïdjan), d’Afrique (République Démocratique du Congo, Nigéria), d’ex-Yougoslavie (Serbie, Kosovo), d’Irak ou de Russie. La situation familiale des personnes rencontrées est la suivante :  
Nombre Situation au de Détail de la situation CADA personnes concernées 4 2 3 5 5 1 0 0 4 4 6 8 4 3 1 0 43
Célibataire et sans enfant Isolé(e) Avec femme et enfants (hors de France) Dont enfants hors CADA Avec 1 enfant Seul(e) avecAvec 2 enfants enfantsAvec 3 enfants  Avec 4 enfants Avec 5 enfants En couple sansSans enfant enfantsAvec des enfants (hors de France) Dont enfants hors CADA Avec 1 enfant En couple avecAvec 2 enfants enfantsAvec 3 enfants Avec 4 enfants Avec 5 enfants  Total 
 Nota Bene : La situation décrite correspond à la situation de la personne rencontrée telle qu’elle estau CADA. Et le tableau rend compte de la situation conjugale : il ne rend pas compte de la présence de frères, sœurs, petits-enfants ou grands-parents. Une personne dite « isolée » peut donc l’être du point de vue administratif (sans conjoint(e) présent), mais sera ici avec sa sœur et son frère.
 
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c – Méthodologie employée Grâce à l’équipe des CADA, j’ai été introduite auprès de quatre familles. Parallèlement je suis allée rencontrer un réfugié et ses deux enfants qui venaient de s’installer dans ma ville, à la périphérie de Lyon. Puis, pour avoir accès à d’autres personnes ayant des profils et parcours différents, je suis allée à la rencontre des uns et des autres, sans critère restrictif, partant du fait que tous sont membres d’une famille : une personne qui est ici toute seule est l’enfant de parents qui ne sont pas venus avec elle, peut-être aussi est-elle parent ou frère/soeur. L’obstacle majeur était la langue, ou plutôt l’absence de langue commune que j’imaginais alors. Pour les aborder, j’ai cherché un support, un levier psychologique dirait-on en psychologie, qui puisse établir le dialogue et permettre une base de travail pour aborder leur situation familiale. J’ai décidé de faire avec chacun ce que l’on pourrait appeler un « arbre généalogique et géographique ». Le principe est simple. Cela consiste à faire avec eux leur arbre généalogique : inscription du nom des personnes avec lesquelles ils ont un lien de parenté (sur trois générations), avec l’âge (ou l’inscription « décédé » si tel était le cas). Ensuite on ajoutait le nom de la ville ou du pays où chaque membre de la famille résidait au moment de l’entretien.  
Modèle-type de l’arbre généalogique et géographique
 
  De fait, mon travail a aussi reposé sur beaucoup d’observations : lors des entretiens, mais aussi lors de moments de vie du quotidien (repas, spectacles, balade, etc.) que j’ai pu partager avec eux. Et tout ceci s’est complété d’informations que m’ont fournies les membres de l’équipe des CADA, qui ont toujours été très disponibles quand j’avais des questions.  
 
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2°/ Familles dispersées a – S’exiler  Il n’est pas simple d’aborder la raison du départ. Avant tout, la parole n’est pas sans enjeu : parole qui a été soutirée sous la menace, parole qui fonde la demande d’asile, parole par laquelle on se compromet. Et puis c’est rare d’avoir un motif, unique, clair, explicite et compréhensible aux yeux des autres. Quelques-uns ont fui parce qu’on avait détruit leur maison, ou qu’on les avait torturés, emprisonnés ou kidnappés. Mais bien souvent, il y a une conjonction de faits, de ressentis et de réflexions. Rarement, on ne fuit que la guerre : on fuit la guerre quand elle nous menace personnellement, nous, notre maison ou notre famille. Les raisons objectives de la guerre ou de la persécution se mêlent souvent à des raisons individuelles liées à des peurs, des projets, des attachements affectifs singuliers. Parmi les raisons objectives, il y avait la guerre (Irak, ex-Yougoslavie ou Tchétchénie) et les persécutions pour raisons ethniques (les Kurdes, les Rroms et les couples Azéri-Arméniens), politiques ou religieuses. Il y a aussi ceux qui sont partis de leur pays pour les études, pour une expérience professionnelle, ou pour « découvrir la vie », mais qui n’ont pas pu rentrer dans leur pays parce que la situation de celui-ci avait changé ou que leur situation avait changé au point de ne pouvoir être accepté aux yeux de leurs compatriotes.  Ils n’ont pas tous voyagé de la même manière. Ceux qui sont venus de la RDC sont venus en avion (sauf un, dans la cale d’un bateau). Ceux qui viennent du Caucase (Caucase Nord, Azerbaïdjan et Arménie) sont pour beaucoup passés par la Russie. Ils y sont arrivés en camion, en voiture ou en avion. Une fois en Russie, la route se continue en camion. D’autres, venant d’Arménie ou d’Azerbaïdjan, ont transité par la Pologne ou l’Ukraine. Ils n’ont pas de difficulté à obtenir de visa pour les pays de l’ex-URSS. C’est après que cela se complique. Elie Goldschmidt fait remarquer que «souvent au cours du voyage que le migrant estc’est transformé en clandestin sans papiers»9. Plus rarement, le voyage a été fait via la Turquie, et continué en camion. La plupart sont restés six jours dans le camion, et parmi eux des bébés et des personnes âgées. Et en ce qui concerne ceux des Balkans, deux familles Rroms ont dit être venues en camion. Les autres n’ont pas évoqué la route, mais nous pouvons supposer qu’ils sont tous venus en camion, n’ayant pas eu le temps (pour ceux du Kosovo) ou l’argent et les papiers nécessaires (les Rroms) pour demander un visa.
                                                 9Goldschmidt E., Août-novembre 2002, « Migrants congolais en route vers l’Europe », in Les Temps Modernes, n°620-621. Dans cette citation, il fait référence aux migrants subsahariens. Mais la situation est analogue ici.
 
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Certains ont eu recours à des passeurs. «Parmi les immigrants ayant eu recours à des passeurs, rares sont ceux qui savaient exactement où on les emmenait. La non-maîtrise de la trajectoire migratoire est une source de difficultés psychosociales majeures. »10 Tous n’ont pas cherché à atteindre directement un pays européen. On pense d’abord à se mettre en sécurité, en partant dans un pays voisin. La décision semble moins irréversible et le coût est moins important. La France est parfois le deuxième ou troisième pays d’immigration. Et elle n’est pas toujours le dernier. Pour certains, la route continue.  b – Les présents et les absents : déstructuration familiale dans l’exil On retrouve les migrations familiales, au sens de migration de la famille nucléaire, chez les Rroms, chez les Irakiens et chez les habitants du Caucase (Arménie et Azerbaïdjan inclus). Chez les Africains Subsahariens, il est courant de faire partir un homme seul, et une fois qu’il sera arrivé, organiser le regroupement familiale. Plusieurs ont des membres de leur famille non seulement « au pays », pays d’origine ou dernier pays de migration, mais dans plusieurs pays. Nous l’avons particulièrement remarqué chez les Rroms (membres de la famille dans différents pays européens) et chez les Irakiens (membres de la famille dans le monde entier) et dans une moindre mesure chez les Kosovars. D’autre part, pour les Africains rencontrés, si les autres membres ne sont pas forcément hors du pays d’origine, ils peuvent être « à la capitale » ou « à l’intérieur », ce qui correspond parfois à des centaines de kilomètres d’éloignement. De plus, tous les membres de la famille ne quittent pas forcément le pays en même temps, comme on pourrait se l’imaginer. Six demandeurs d’asile, ayant aujourd’hui leur famille (nucléaire) réunie, ont témoigné de ces départs en décalé. Combien attendent encore un frère, un enfant ou leur conjoint(e), qui déjà est sur la route, ou projette de partir et tente de réunir l’argent suffisant ? Par ailleurs, certains ont déjà, en arrivant, de la famille en France, bien souvent à Lyon. Les autres sont à Metz, Paris ou Troie. Cela concerne quatorze personnes  c – Relation aux absents Comme nous l’avons vu, la famille des demandeurs d’asile ayant fui leur pays est rarement localisée dans un endroit unique. Là où les demandeurs d’asile ne pouvaient pas rester, les autres membres de la famille ne le peuvent pas non plus, sauf dans le cas de ceux qui sont partis car ils étaient persécutés pour leurs opinions politiques.                                                  10 Santé des primo-arrivants : synthèse du rapport commun inter Uni-Sol, 2005, Recherche-action « universitaire », Fonds Houtman et l’Office de la Naissance et de l’Enfance.
 
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Toutefois l’absence physique ne signifie pas une rupture du lien. Si on sait où les joindre et quand on a assez d’argent pour le faire, on peut appeler ceux qui sont loin. L’argent est souvent cité comme un frein à la communication avec les proches. D’autres utilisent internet (les jeunes ou ceux qui en avaient déjà usage avant) ou profitent du retour de compatriotes pour faire passer des objets ou autres présents. Mais même si le contact est possible, la relation est parfois entravée par les soucis du quotidien et de l’exil ou par la situation politique du pays où se trouvent les autres membres de la famille, qui rend l’accès aux moyens de communication plus difficile (lignes coupées, fuite du domicile, etc.). Ils parlent aussi de la souffrance, du poids de ne pas pouvoir parler librement aux êtres chers : parler peut inquiéter, et parfois mettre en danger ceux qui vivent encore au milieu des violences que l’on a fuies. Rousseau et Nadeau notent qu’«à la détresse de la séparation vient s’ajouter la préoccupation au sujet du sort de la famille demeurée dans le pays d’origine ou dans un camp» (Rousseau et Nadeau, 2003).   3°/ Culture de la famille et culture dans la famille a – La famille, une question de culture ? La famille nucléaire, qui est la norme dominante en France, peut se trouver sous d’autres formes ailleurs. Chaque société pense et organise la famille, qui ne relève pas d’un ordre naturel. Elle paraît naturelle. La famille est un «principe collectif de construction de la réalité collective» : c’est une catégorie qui « [engage] à la fois une description et une prescription qui ne s’apparaît pas comme telle parce qu’elle est (à peu près) universellement acceptée, et admise comme allant de soi : nous admettons tacitement que la réalité à laquelle nous accordons le nom de famille, et que nous rangeons dans la catégorie des vraies familles, est une famille réelle.»11Selon Bourdieu, « c’est une loi tacite (nomos) de la perception et de la pratique qui est au fondement du consensus sur le monde social (et du mot de famille en particulier), au fondement du sens commun. C’est dire que les prénotions du sens commun (…) peuvent, comme ici, être bien fondées parce qu’ elles contribuent à faire la réalité qu’elles évoquent »12 et participent ainsi à la reproduction sociale. La famille n’est donc pas une structure particulière, ni un mode d’habiter spécial, ni ne se fonde sur un mode relationnel donné.
                                                 11Bourdieu P., 1994, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Le Seuil, p.137 12Ibid p.138
 
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