Tribune : Refonder l enquête pénale, avec ou sans audace ?
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Tribune : Refonder l'enquête pénale, avec ou sans audace ?

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Description

La loi transposant la directive relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales vient d'entrer en vigueur. Force est de constater que les avocats ont échoué, pour l'heure, à faire passer leur revendication visant, « dès le début de la garde à vue, [à] consulter l'ensemble des pièces du dossier ». Adopté un temps, l'amendement du député Sergio Coronado n'a finalement pas été retenu. Mais, après tout, est-ce bien là l'essentiel ?
Cette tribune porte un regard critique sur l'avis prétendument audacieux rendu par la CNCDH (commission nationale consultative des droits de l'homme) ; il est aussi porteur d'une vision constructive, répondant des enjeux portés par la réforme (éternellement) annoncée de la procédure pénale, au premier rang desquels figure la prévention de l'erreur judiciaire.

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Publié le 03 juin 2014
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Langue Français

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Tribune :Refonder l'enquête pénale, avec ou sansaudace? par Michaël GABRIELE, agent de recherches privées diplômé de l'université de Nîmes.
Laloitransposant la directive relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales vient d'entrer en vigueur. Force est de constater que les avocats ont échoué, pour l'heure, à faire passer leur revendication visant, «dès le début de la garde à vue, [à] consulter l'ensemble des pièces du dossier ».smptenutépodA, l'amendement du député Sergio Coronado n'a finalement pas été retenu.Mais, après tout, est-ce bien là l'essentiel ? Au stade de l'enquête, la procédure pénale française hérite d'une tradition «inquisitoire »dans laquelle l'enquête et l'instruction sont menées à charge et à décharge par le parquet / le juge d'instruction et la police judiciaire. Or, c'est au cours de l'enquête que se joue l'essentiel car c'est à ce stade « préparatoire » de la procédure que sont recueillis les éléments susceptibles d'être retenus à l'encontre du justiciable mis en cause. Une nouvelle (et énième)mission visantà réformer la procédure pénale menée par le magistrat Jacques Beaume doit rendre ces prochains jours ses conclusions pour peut-être«introduire davantagededébatcontradictoiretoutaulongdesprocédures,surlemodèleanglo-saxon». Cet événement annoncé coïncide avec la récente publication par la CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme) d'un«avissur la refondationde l'enquête pénale»(JORF n°108, 10 mai 2014)passée relativement inaperçue.
Séparation entre fonctions d'enquête et fonctions juridictionnelles
Affichant uneuaadecassumée, cet avis évoque d'emblée ce à quoi l'on tend avec l'influence grandissante du droit de l'union européenne et la jurisprudence de la CEDH : vers une séparation des fonctions d'enquête et des fonctions juridictionnelles, le parquet d'un côté et le juge du fond de l'autre.
La CNCDH préconise de renforcer le statut de l'actuel juge des libertés et de la détention qui deviendrait le« juge»des libertés encharge dela régularité de la procédure« contrôler d'enquête ». Il n'aurait pas à se prononcer sur l'opportunité des mesures d'instruction : sa« mission [ne serait pas] de conduire et diriger les enquêtes comme un juge d'instruction ou le parquet au stade de l'enquête».Il se prononcerait seulement surcaractère proportionné« le»actes de des l'enquête,« dela même manière qu'un juge administratif contrôlant l'erreur manifeste d'appréciation ». En contrepartie, la CNCDH propose de« recentrerle ministère public sur les fonctions d'investigations»avec une réforme du parquet tendant soit à lui garantir davantage d'indépendance, soit à aménager son lien avec le pouvoir exécutif qui délivre les instructions générales en matière de politique pénale.
Où réside l'audace : la CNCDH propose de« rendre la police judiciaire à la justice »et se prononce en faveur d'une partition des fonctionnaires de police entre ceux, restant placés sous l'autorité administrative du ministère de l'Intérieur, et ceux qui seraient littéralement débauchés par l'autorité judiciaire pour servir sous les ordres des chambres de l’instruction et des procureurs généraux. A supposer qu'elle trouve grâce aux yeux des intéressés (les syndicats de police), cette mesure, si elle était mise en œuvre, affecterait immanquablement les capacités des gendarmeries et des commissariats en matière de prévention. La présence des forces de police sur la voie publique, déjà en souffrance, serait amoindrie, ce qui ne sera pas pour plaire à l'opinion publique... sauf à engager une campagne de recrutement, ce qui est hautement improbable dans le contexte actuel des finances publiques.
L'erreur judiciaire... aux abonnés absents ?
Pas un mot sur l'erreur judiciaire. A croire qu'il n'y a rien à redire de la procédure pénale sur ce point ou alors que l'on peut repenser l'enquête pénale sous l'angle droit-de-l'hommiste en s'exonérant de se pencher sur le sujet.
Certes, la procédure pénale offre de nombreuses voies de recours : appels, pourvois en cassation et autres recours en révision pour «rattraper les ratés» de la procédure. Les acteurs associatifs tels que«ectioAsticnJu»aussi là pour lancer l'alerte et agir. Oui, mais tout ça, à quel prix ? Au sont prix d'une procédure longue et coûteuse pour l’État, au prix d'une procédure longue et incertaine pour le justiciable qui se retrouve soudain pris dans la nasse, au prix du sacrifice d'une partie de sa dignité et de sa vie privée, sociale et familiale qui passera en perte et profit d'une machine infernale.
Les scandales judiciaires qui défrayent la chronique ne manquent pourtant pas et sont même allés crescendo, ces trente dernières années, tant pour les victimes d'erreurs judiciaires reconnues comme telles par la Cour de révision en matière criminelle (affaires Roland AGRET, Guy MAUVILLAIN, Rida DAALOUCHE, Patrick DILS, Loïc SECHER, Marc MACHIN, Abdelkader AZZIMANI/Abderrahim EL JABRI) que pour les autres affaires tout aussi emblématiques (les affaires Guillaume SEZNEC, Omar RADDAD, Dany LEPRINCE, les accusés d'OUTREAU, Jean-Michel LEBLANC/Eric CALERS ou, moins connue, l'affaire deslycéens de MACON). Sans compter les familles qui se portent parties civiles avec pertes et fracas, et sont toujours à l'heure actuelle sans réponse (Affaire du petit Grégory VILLEMIN).
Toutes ces affaires ont un point en commun : une enquête de police / une instruction préparatoire en errance :aveux extorqués, témoignages et scènes de reconstitution faussés ou expertises malmenées. L'erreur judiciaire se construit dès le début, au stade de l'enquête, quand les investigations piétinent et s'engagent sur de mauvaises pistes qui mènent bien souvent à mettre en cause celui «qui a la tête de l'emploi». C'est à ce stade que l'urgence impose de sauvegarder les preuves qui peuvent disparaître, tant les éléments à charge, que les éléments à décharge.
L'alternative : introduire une dose d'« accusatoire »
L'erreur judiciaire reste bien heureusement une exception. Toutefois, pour bien comprendre comment s'en prémunir, il faut admettre qu'il ne va pas nécessairement de soi que les enquêteurs aient à instruire à la fois à charge et à décharge. Le ministère public a pour prérogative de poursuivre les auteurs de faits troublant l'ordre public. Aussi, l'enquête de police qu'il dirige ou que dirige le juge d'instruction a pour but de rechercher les auteurs des faits, donc d'instruire avant tout à charge, pour ne pas laisser le crime impuni. Dans ce contexte, mettre hors de cause un innocent ne va pas forcément de soi, surtout quand le mis en cause, par peur et par maladresse, se conduit comme quelqu'un qui a quelque chose à se reprocher et quand une solide conviction (qui s'avérera être une erreur) se forge autour de l'hypothèse de sa culpabilité. De là, naît le risque.
Il existe pourtant un moyen de le maîtriser, si ce n'est de l'éviter. Il consiste à introduire une dose d' « accusatoire » au stade de l'enquête. Telest le cas dès lors que le «juge des libertés » imaginé par la CNCDH peut exercer son contrôle non-seulement en proportionnalité mais aussi en opportunité.
Un recours serait ouvert au justiciable ou à son avocat qui font état d'un doute raisonnable compte tenu des actes / pièces du dossier. Pour être efficace et éviter de faire le lit de demandes abusives, ce recours ne serait évidemment pas systématiquement accordé par le juge. Seule l'intime conviction du « doute raisonnable » justifierait la délivrance de l'ordonnance qui ouvrira ce recours à l'enquête privée, listant précisément les actes entrant dans le champs des investigations autorisées.
L'avocat, aidé d'un enquêteur privé, indépendant du parquet, nommé par ordonnance sur requête, aurait alors la possibilité d'organiser une contre-reconstitution, le recueil de contre-auditions des témoins entendus par la police et l'auditions de témoins qui n'ont pas été interrogés en dépit des demandes établies en ce sens. Il pourra également solliciter l'avis d'experts de notoriété publique au-devant d'un « doute raisonnable » sur un point de la méthodologie employée par l'expert désigné.
… Et judiciariser le recours à la contre-enquête
L'intérêt étant de mener des contre-investigations ciblées et utiles à la manifestation de la vérité dans le but de prévenir tout risque d'erreur judiciaire, il paraît de bon sens de judiciariser le recours à l'enquête privée et ce, pour trois bonnes raisons : 1- Pour éviter le conflit d'intérêt dans la recherche de la manifestation de la vérité On peut envisager qu'il soit délicat pour un officier de police judiciaire de passer derrière un collègue afin de procéder à une contre-audition. Le témoin, lui-même, peut ne pas comprendre la démarche et, pour de mauvaises raisons, s'en tenir à la version des faits initiale (erronée) dont fait état le procès-verbal. 2-Parce qu'il existe des enquêteurs indépendants du parquet Communément appelé détective ou enquêteur privé, l'agent de recherches privées exerce une profession strictement réglementée, répondant d'unCode de déontologie publié par décret. Ainsi que le définit le Code de la sécurité intérieur à l'article L.621-1, il s'agit d'une« profession libérale qui consiste, pour une personne, à recueillir (...) des informations ou renseignements, destinés à des tiers en vue de la défense de leurs intérêts ».Les dirigeants et salariés des agences de recherches privées justifient, parleur qualification, des connaissances et de savoir-faire relatifs« aux techniques d'enquête, d'investigation et d'audition. » 3- Parce que maîtriser le risque d'erreurs judiciaires c'est aussi faire des économies ! Actuellement, recourir à un enquêteur privé coûte entre 50 et 100 euros de l'heure, soit, en moyenne, entre 1 000 et 4 000 euros la prestation, en fonction des besoins de l'enquête.Ce n'est pas tout le monde qui peut se permettre de prendre en charge pareille dépense. Judiciariser le recours à l'enquête privée est un enjeu pour les droits de la défense et pour les parties civiles qui sont dans l'incapacité de subvenir à cette démarche car ce serait leur donner un accès effectif, par l'aide juridictionnelle, au moyen de se défendre et de faire avancer l'enquête. Pour l’État, le rapport coût / bénéfice est à rechercher en terme de « retours sur investissements » : le coût de la procédure se déplaçant en amont, on peut en attendre une diminution du volume de procédures en appel / en cassation / en recours en révision, d'où un gain net de « productivité ». En d'autres termes, une justice pénale gagnant en célérité, plus efficace... et surtout plus sûre.
Point de contradictoire sans égalité des armes !
Quelles seront les prochaines annonces pour une réelle refondation de l'enquête pénale? La procédure pénale sera-t-elle encline à davantage de contradictoire ? Les conclusions de la mission Beaume, attendues ces prochains jours, nous le diront. Espérons qu'elle soit plus inspirée si ce n'est plus audacieuse que la CNCDH et qu'elle soit sensible au sort des victimes d'erreurs judiciaires.
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