Revue internationale de droit comparé - Année 2004 - Volume 56 - Numéro 4 - Pages 825-845 England & Wales celebrated in April the fifth anniversary of the reform of its civil justice system, reform conducted by Lord Woolf and implemented in 1999. Beyond a mere change of legal rules, the Woolf reform laid the emphasis on a change of culture: the adverserial culture had rendered its civil justice system too costly, too long and too complicated. Yet, has this change of judicial approach been followed by an effective change in mentalities? Was it in the litigants’ interest to sacrifice some of the quality of its justice for a wider access? This article explores the origins of the reform and attempts to assess whether, five years after its implementation, the English civil justice system has succeeded in becoming more accessible without compromising its legendary quality. L’Angleterre a fêté en avril les cinq années de la réforme de sa procédure civile, réforme menée par Lord Woolf et mise en place en 1999. Plus qu’un changement de règles juridiques, la réforme Woolf incite à un changement de culture: trop de procéduralisme sur le mode adverserial rendait la justice civile anglaise trop longue, trop chère et trop compliquée. Pour autant, ce changement de culture judiciaire a-t-il été suivi d’un changement réel et effectif des mentalités? Tous les justiciables et leurs conseils avaient-ils intérêt à sacrifier un peu de la qualité de leur justice, pour la rendre plus accessible? Cet article se propose de revenir sur la genèse de la réforme de la procédure civile anglaise et d’évaluer, cinq années après, sa mise en place, si le système judiciaire anglais a su rendre sa justice accessible sans en compromettre la légendaire qualité. 21 pages Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.
DIX ANNÉES DE RÉFORME DE LA PROCÉDURE CIVILE ANGLAISE : RÉVOLTE OU RÉVOLUTION ?
Michaël HARAVON * LAngleterre a fêté en avril les cinq années de la réforme de sa procédure civile, réforme menée par Lord Woolf et mise en place en 1999. Plus quun changement de règles juridiques, la réforme Woolf incite à un changement de culture : trop de procéduralisme sur le mode " adverserial " rendait la justice civile anglaise trop longue, trop chère et trop compliquée. Pour autant, ce changement de culture judiciaire a-t-il été suivi dun changement réel et effectif des mentalités ? Tous les justiciables et leurs conseils avaient-ils intérêt à sacrifier un peu de la qualité de leur justice, pour la rendre plus accessible ? Cet article se propose de revenir sur la genèse de la réforme de la procédure civile anglaise et dévaluer, cinq années après, sa mise en place, si le système judiciaire anglais a su rendre sa justice accessible sans en compromettre la légendaire qualité. England & Wales celebrated in April the fifth anniversary of the reform of its civil justice system, reform conducted by Lord Woolf and implemented in 1999. Beyond a mere change of legal rules, the Woolf reform laid the emphasis on a change of culture: the adverserial culture had rendered its civil justice system too costly, too long and too complicated. Yet, has this change of judicial approach been followed by an effective change in mentalities? Was it in the litigants interest to sacrifice some of the quality of its justice for a wider access? This article explores the origins of the reform and attempts to assess whether, five years after its implementation, the English civil justice system has succeeded in becoming more accessible without compromising its legendary quality. * Avocat à la Cour, Barrister of Grays Inn (England & Wales), Milbank, Tweed, Hadley & McCloy LLP, Los Angeles.
826 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 4-2004 INTRODUCTION« Nous ne pouvons certainement plus continuer ainsi 1 » . Cest au terme dun arrêt de trente-cinq pages dans lequel la Cour dappel dAngleterre et du Pays de Galles tente de reformuler la conduite judiciaire à adopter pour répondre aux tactiques procédurales des justiciables afin dépuiser leurs adversaires avant même tout procès, que Lord Justice Saville conclut sur ces mots à la fois durs et pudiques. Durs, parce quils sont le reflet dun essoufflement caractérisé de la justice civile anglaise qui, en 1997, lorsque Lord Justice Saville sexprime à la Cour, fait figure dune grande malade en Europe : ses praticiens saccordent à dire que son modèle -le modèle « accusatoire » ( adverserial model )- est celui qui permet au mieux de rendre de la justice ; pourtant, les justiciables, eux, ne semblent plus voir que ses trois plus grands dévoiements : sa lenteur, son coût et sa complexité, confortés dans leur malaise par des rapports accablants de commissions de consultation 2 qui, tour à tour, mettent en lumière linefficacité dun système à rendre sa justice civile accessible. Pudiques, car la réserve naturelle à laquelle est astreint Lord Justice Saville résonne comme limmense avertissement dun corps judiciaire tout entier, lassé davoir à essuyer les critiques sans lautorité ni le pouvoir de réguler un phénomène qui les dépasse -et qui le doit, au nom dune vision absolue et, peut-être, absolutiste du modèle accusatoire- où le juge nintervient pas mais se contente de juger. Continuer, cest assurément perdre de cette crédibilité et de ce respect que lon voue à un système ancestral. Changer, cest prendre le risque dun transfert, partiel à tout le moins, de responsabilités des justiciables aux juges, des avocats aux magistrats pour tenter denrayer un malaise quon appréhende encore si difficilement. Que sest-il donc passé ? Cest Lord Woolf qui sera chargé de conduire cette douloureuse enquête. Nommé par le Lord Chancellor dès 1994, on lui confie la tâche danalyser la justice civile anglaise afin : - den améliorer son accès et de réduire son coût ; - den réduire la complexité et den moderniser le langage ; - de lisser les distinctions entre la pratique et la procédure.
1 « We certainly cannot go on as we are », Lord Justice Saville dans laffaire Bannister v. Sgb Plc and others , Cour dappel, [1997] P.I.Q.R. 165, p. 198. 2 V. notamment le rapport du Civil Justice Review Body de 1988 et le rapport Civil Jutsice on Trial the case for change par le Independent Working Party of the Bar Council and the Law Society de 1993.