Revue internationale de droit comparé - Année 2005 - Volume 57 - Numéro 2 - Pages 441-470 As a singular institution being part and parcel of the Islamic Shariah, Habous is the legal act through which personal property or realty, either from individuals or from the State, is bequeathed to a charitable or public interest organisation. As such, in the Algerian Positive Law, the Habous property benefits from special and outstanding protection notably regarding the rule of inalienability. The special form of protection enjoyed by Habous properties bears a close resemblance to the famous legal system of the Public Domain. In both, there lie safeguards regarding the assignment of the property. A closer examination reveals an array of complex and subtle traits which shed light on the notable differences between the two institutions. As a creation of the Romano-German system, the Public Domain differs from Habous in many respects: the latter is the result of a different context and a different system -the Islamic Shariah •which endows Habous with specific features and a special identity. If one were to compare it, it is closer to the English notion of •Trust” or the German notion of •Stiftung”, which corresponds in French Law to the notion of •Fondation”, than to the Public Domain. Institution tout à fait originale de la chari’a islamique, le habous est l’acte juridique par lequel un bien mobilier ou immobilier est donné par des particuliers ou par l’État au profit d’une oeuvre charitable ou d'utilité publique. Le bien habous bénéficie donc, à ce titre, en droit positif algérien d’une protection spéciale exorbitante du droit commun et, notamment, par la règle d’inaliénabilité. Cette forme de protection particulière des biens habous n’est pas sans rappeler le régime juridique fort bien connu de la domanialité publique. L’élément commun avec la situation du domaine public tient surtout à la protection de l’affectation donnée au bien. Mais en poussant plus avant l’investigation, on s’aperçoit que les réalités sont plus nuancées, plus complexes et qu’elles révèlent des différences notables entre les deux institutions. Produit du système romano-germanique, le domaine public s’écarte sur plus d’un aspect du habous: celui-ci est l’oeuvre d’un autre contexte et d’un autre système -la chari’a islamique -qui lui confère une identité et une physionomie propres. Si l’on devait le comparer, on peut dire qu’il présente plus de similitudes avec la notion anglaise de «trust» ou de la notion allemande de «Stiftung», c'est-à-dire de la fondation en droit français, que du domaine public. 30 pages Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.
R.I.D.C. 2-2005 LEHABOUS, LE DOMAINE PUBLIC ET LETRUST1Tahar KHALFOUNE∗Institution tout à fait originale de lacharia islamique,lehabousest lacte juridique par lequel un bien mobilier ou immobilier est donné par des particuliers ou par lÉtat au profit dune uvre charitable ou d'utilité publique. Le bienhabousbénéficie donc, à ce titre, en droit positif algérien dune protection spéciale exorbitante du droit commun et, notamment, par la règle dinaliénabilité. Cette forme de protection particulière des biens habous nest pas sans rappeler le régime juridique fort bien connu de la domanialité publique. Lélément commun avec la situation du domaine public tient surtout à la protection de laffectation donnée au bien. Mais en poussant plus avant linvestigation, on saperçoit que les réalités sont plus nuancées, plus complexes et quelles révèlent des différences notables entre les deux institutions. Produit du système romano-germanique, le domaine public sécarte sur plus dun aspect duhabous: celui-ci est luvre dun autre contexte et dun autre système - la charia islamique -qui lui confère une identité et une physionomie propres. Si lon devait le comparer, on peut dire quil présente plus de similitudes avec la notion anglaise de «trust» ou de la notion allemande de «Stiftung», c'est-à-dire de la fondation en droit français, que du domaine public. As a singular institution being part and parcel of the IslamicShariah,Habousis the legal act through which personal property or realty, either from individuals or from the State, is bequeathed to a charitable or public interest organisation. As such, in the Algerian Positive Law, theHabous benefits from special and outstanding property protection notably regarding the rule of inalienability. The special form of protection enjoyed byHabous bears a close resemblance to the famous legal system of properties the Public Domain. In both, there lie safeguards regarding the assignment of the property.A closer examination reveals an array of complex and subtle traits which shed light ∗lInstitut Universitaire des Technologies de lUniversité Jean Moulin Lyon 3.Enseignant à 1 Cet article condense louvrage de lauteur,Le domaine public en droit algérien : réalité et fiction,coll. « Logiques juridiques », Paris, Éditions lHarmattan, 2004, 602 pages.
442 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 2-2005 on the notable differences between the two institutions. As a creation of the Romano-German system, the Public Domain differs fromHabous in many respects: the latter is the result of a different context and a different system - the IslamicShariah which endowsHabouswith specific features and a itspecial identity. If one were to compare it, is closer to the English notion of Trust or the German notion of Stiftung, which corresponds in French Law to the notion of Fondation, than to the Public Domain. INTRODUCTION « Toute notion juridique abstraite est un piège, car elle risque denglober des objets auxquels les auteurs de la définition navaient pas songé »2 . Les biens habous ou wakfsconstituent une institution tout à fait originale, inventée par le droit islamique3. Même si aujourdhui ces biens connaissent un net déclin, à cause surtout de leur détournement à des fins privées, de leur déprédation, de leur mauvaise gestion et dentretien et on sen préoccupe très peu, de nombreuses études4 sont consacrées soit leur directement, soit sous des aspects qui les recoupent. Mais ces écrits, dont léclairage est sans doute significatif, se bornent très souvent à exposer léconomie générale duhabouset les principes qui le sous-tendent, tels que prévus par lachari(droit) islamique,5sans sinterroger sur sa portée réelle a 2P. JESTAZ,Le droit, 2eéd., p. 82, cité par J-L. BERGEL,Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 1989, p. 196. 3 convient toutefois de nuancer cette affirmation, puisque certains auteurs, comme J. Il LUCCIONI, considèrent que lehabousest une institution coutumière « empruntée aux populations déjà soumises aux romains et que les jurisconsultes musulmans du 2e de lHégire ont siècle simplement constaté et régularisée », inLe habous ou wakf (rites malékite et hanéfite), Thèse, droit, Alger, 1942, p. 289, cité par A. EDDAHBI,Les biens publics en droit marocain, Éditions Afrique-Orient, Casablanca, 1992, p. 34. On peut citer aussi C. RAYMOND qui estime que lehabousétait inconnu en Arabie préislamique ; il serait, précise-t-il, « dinspiration byzantine, mais les juristes musulmans sefforcent de lui trouver des lettres de noblesses à laide de hadith», inLe droit musulman, « Que sais-je ? » n° 72, Paris, PUF, 1965, p. 81. 4Parmi les auteurs qui ont abordé directement ou indirectement lehabous, on peut citer, à titre dexemple, A. TEMIMI,Recherches et documents d'Histoire Magrébine, l'Algérie, la Tunisie et la Tripolitaine (1816-1871), 2eZaghouan, 1985, 256 pages ; A. RAHMANI,éd. (en arabe), Les biens publics en droit algérien, Éditions Internationales, Alger, 1996 ; H. VANDEVELDE,Cours de droit musulman et des institutions musulmanes, OPU, Alger, 1983 ; C. RAYMOND,Le droit musulman, « Que sais-je ? » n° 72, Paris, PUF, 1965 ; A. EDDAHBI, Les biens publics en droit marocain, Éditions Afrique Orient, Casablanca, 1992. 5« droit musulman », puisque leLexpression « droit islamique » est ici préférée sur celle de terme musulman renvoie aux personnes qui professent la religion du prophète Mohamed, alors que le terme islamique renvoie aux textes fondateurs de cette religion ; on parle de lois, détudes, de droit islamiques.
T. KHALFOUNE : LEHABOUS, LE DOMAINE PUBLIC ET LETRUST 443 et ses limites. Inutile donc dinsister outre mesure sur ces principes qui apparaissent, somme toute, largement traités. Le problème duhabousne se poserait donc pas en termes nouveauxsi le législateur algérien na pas eu la curieuse idée de lier, pour le meilleur et pour le pire, le sort des biens habous à celui du domaine public ; ce qui ouvre ainsi la voie à une conception de ce dernier tout à fait inédite. Cest bien pourquoi la question duhabous, avec pour toile de fond le domaine public, ne manque pas dintérêt et mérite de retenir lattention. Une lecture sommaire des textes relatifs aux biens publics, promulgués de lindépendance à nos jours, montre, en effet, que les bienshabous ont constamment été protégés par les attributs de la domanialité publique et, particulièrement, par la règle bien connue dinaliénabilité. Pourtant, bien que lehabousait toujours constitué une dépendance domaniale en droitpublic positif et que des ressemblances entre les deux institutions rapprochent, en effet, lune de lautre, elles ne sauraient se confondre tant que des différences de fond les distinguent. Une analyse plus rigoureuse naura, sans doute, pas beaucoup de peine à établir que lehabous sécarte sur nombre daspects du domaine public. Ce dernier, issu des systèmes romano-germaniques, séloigne duhabous est luvre dun tout autre système qui juridique quest le droit islamique.Lehabous suffisamment de présente traits propres qui laissent plutôt à penser quon est en présence dune institutionsui generis, plus proche de la notion anglaise de «trust» ou de la notion allemande de «Stiftung», c'est-à-dire de la fondation en droit français, que du domaine public. I. LEHABOUS: UNE INSTITUTION DOMANIALE De lexamen à la fois des dispositions statutaires relatives auhabous, de son régime juridique et de certains écrits qui lui sont consacrés, on saperçoit, en effet, que les arguments ne manquent pas à lappui de la thèse de la nature domaniale de cette institution. Mais avant daborder cet aspect peu exploré de la problématique duhabous, il importe d'abord d'évoquer brièvement la signification de ce concept. A. -La signification duhabousLinstitution juridique que lon qualifie de bienswakfs, principalement dans les législations du Moyen-Orient et de bienshabousdans les États du