La qualité des enseignements au Sénégal : vue par un instituteur
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Publié le 13 mars 2013
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 Laqualité : vue par un instituteur
« Ilne dépend que de nous d’apporter les ruptures nécessaires et de repenser l’école. Repenser l’école, c’est recadrer ses objectifs, réformer ses contenus pédagogiques, rationaliser ses moyens, assurer une meilleure cohérence dans son pilotage et sa gouvernance » s’exprimait le Premier MinistreAbdoul Mbaye lorsde sa déclaration de politique générale. Ce cri du cœur souligne tout le malaise que traverse notre système éducatif actuellement et pose la question de la qualité de nos enseignements. Certes beaucoup d’explications et d’indicateurs sont avancés par les experts et le législateur sénégalais et nous ne doutons pas de leur véracité-et c’est à la limite exacte- mais en tant qu’acteur proche du système, nous avons un regard simple basé sur l’observation et la constatation. Vous conviendrez avec moi qu’une telle approche dénudée d’illustrations ou de statistiques fiables peut être considérée comme erronée maistentons le risque et osons donner notre point de vue.
Quest-cequelaqualité? La qualité peut être définie comme le rendement d’un produit plus ou moins appréciable pour les utilisateurs. En terme plus simple c’est l’ensemble des caractéristiques essentielles attendues de ce produit. Il va de soi que cette définition est vague et a besoin de comparaison pour exister. En ce qui nous concerne, nous allons emprunter la définition dePigozzi (Unesco)beaucoup plus pratique qui dit que : « L’éducationde qualité recouvre la lecture, l’écriture et le calcul plus les compétences nécessaires pour la vie courante». Se confrontant avec les élèves tous les jours, les problèmes de lecture et de calcul sont réels dans nos classes. Si on y ajoute le problème de la formation des maîtres et de la gestion du système éducatif, on peut dire donc que le problème de la qualité est une réalité. Mais quelles en sont les causes profondes ? Qu’est-ce qui caractérise la qualité? Se limite-t-elle à l’énumération de quelques indicateurs ? N’est-elle pas plus globale ?
Les Enseignants Les enseignants craie en main sont un maillon essentiel du système éducatif car au-delà des programmes et orientations, ce sont eux qui déroulent les enseignements. Donc aussi excellents que soient les programmes, si l’enseignant n’est pas bon, la qualité aussi va en souffrir comme nous le rappelleVespooren ses termes : « sil’enseignant est incompétent, le programme n’a aucune chance d’être mis en œuvre». D’ailleurs, une étude réalisée en 2009, sur les indicateurs de prestation de service par la Banque Mondiale avec la participation du CRES au Sénégal, a montré le faible niveau de maîtrise par les enseignants du primaire des contenus qu’ils enseignent. Il est impossible dans ces conditions d’améliorer la qualité de l’enseignement-apprentissage et les performances des élèves. Mais ces considérations peuvent se révéler être l’arbre qui cache la forêt. On pourrait évoquer laconiquement la question de la formation et du niveau académique mais cela ne suffit pas comme nous prévientPierre Gréco : « Il n'est pas raisonnable, par exemple, de poser le problème de la formation des maîtres en termes de connaissances, de capacités didactiques et de personnalité en ignorant ou en laissant à d'autres instances le soin de définir le statut du maître dans la communauté scolaire, universitaire et sociale; pour parler plus crûment, les questions concernant la rémunération des enseignants, leurs conditions de travail ne sont pas des questions corporatives ou syndicales seulement : ce sont des questions pédagogiques à part entière, et non des à-côtés ou des en deçà». Tout ce qui
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gravite autour de l’enseignant, son niveau de vie, ses conditions de travail, son milieu concourent à la qualité. Un enseignant sans beaucoup de problèmes dispense mieux ses enseignements qu’un enseignant qui pense à une ordonnance qu’il ne peut pas payer, à la dépense quotidienne ou à son loyer. Nous voyons tous les jourscertains de nos collègues faire de la présence inutile dans les classes à cause de problèmes extrascolaires. Cela doit mériter donc une attention particulière. En plus, à force de voir tout le monde le dire et le faire, les efforts se terminent dès l’obtention du diplôme professionnel. Alors s’installent la routine et la monotonie qui ne sont le gage de la qualité. Aussi, beaucoup d’enseignants croient-ils à tort ou à raison que l’expérience suffità faire de bons enseignements. Ce qui n’est pas toujours vrai comme le révèlent des études deChubb et Moe en1990. Il est primordial de se départir de certains préjugés et de reconsidérer notre façon d’enseignersi nous voulons accéder à la qualité etOlivier Maulinide l’université de Genève le résume en quatre principes : -L’enseignant doit savoir qu’il est aussi un éducateur -Il ne suffit pas d’enseigner pour que les autres apprennent -Le maître est unique, mais les élèves sont tous différents -Les difficultés d’apprentissage sont toujours (aussi) des difficultés d’enseignement
Le corps de contrôle Commençons par les Directeurs. Jusqu’à présent pour être Directeur d’école dans notre pays, il suffit d’enseigner plusieurs années, accumuler des points d’ancienneté et faire une compétition au mouvementnational. Ce procédé n’est pas mauvais en soit parce que cela a permis d’avoir par le passé de bons directeurs mais il comporte des risques dans la mesure où les expériences accumulées (nous l’avons dit tantôt) ne permettent pas d’assurer un bon encadrement et un bon management. Notre idée peut être confortée par l’état des savoirs actuels qui sont sans cesse changeants dans un monde de forte mutation mais aussi par la façon de diriger pour un meilleur rendement.Michel Crozier et Erhard Friedberg nes‘y trompent pas en affirmant dans leur livreL’acteur et le système: «Le pouvoir est défini comme une relation structurante caractérisée par le déséquilibre d’'une relation qui est réciproque, et par la possibilité de certains individus ou groupes d’agir sur d’autres individus ou groupes. Dans ces relations de pouvoir les contraintes cohabitent avec une part de liberté qui est à défendre, à gagner, à élargir au moyen de la négociation. La négociation comme stratégie de construction avec ce qu'elle contient de frustrations et de satisfactions. (p. 113) Il va de soi que tout le monde ne peut pas diriger, ne peut pas être directeur. D’ailleurs la qualité des enseignements dans beaucoup d’écoles dépend de la dynamique des directeurs. C’est lui le premier encadreur et le premier contrôleur non pas dans le sens péjoratif mais dans le sens de catalyseur de l’innovation et de la bonne dynamique de travail. Après les directeurs d’école viennent les Inspecteurs de l’Education. Dans le cahier des charges des inspecteurs, on peut noter que l’Inspecteur de l’Education a les missions essentielles suivantes : -Une mission d’inspection et encadrement: L’inspecteur feratrente (30) bulletins d’inspection par an dont cinq sont réservés aux directeurs d’école et exploiter les rapports de visite de classe et direction -Une mission de planification: Il planifie les visites annuelles des maîtres, suivi et évaluation des projets d’école, formation pour les directeurs d’école et les maîtres et suivi-évaluation des activités innovantes.
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-Une mission de formation, d’animation et de recherche : Il organise des séminaires, des rencontres pédagogiques et visiter au moins trois cellules d’animation pédagogiques et culturelles par trimestre. Il fait un recyclage à tout maître ayant obtenu une note inférieure ou égale à9 /20, il aide aussiles nouveaux enseignants. Mais force est de reconnaître que sur le terrain, nos inspecteurs ont du mal à respecter ces cahiers des charges et versent même parfois dans la facilité. De la même manière pour les enseignants qui rejettent la faute de l’échec à leurs élèves, les inspecteurs aussi usent de ce même procédé pour les maîtres qui éprouvent des difficultés. Qu’est-ce qu’ils ont fait pour les aider ? La formation continue ne doit pas se limiter à quelques jours de séminaire, elle doit continuer partout, tout le temps. Certes dans les attributs de l’inspecteur, il y a le contrôle, la formation et autres tâches administratives, mais le contrôle ne doit pas l’emporter sur le reste beaucoup plus essentiel. Cet état de fait est hérité de la colonisation où l’inspecteur sous formé cherchait plus à réprimer pour asseoir sa domination que pour accompagner les enseignants. Malheureusement, sans le vouloir, cela demeure et continue sur le terrain. Je n’ai jamais vu un inspecteur faire un suivi satisfaisant après avoir constaté des carences dans une prestation d’enseignant. En plus, un intellectuel est vraiment celui qui participe à l’élaboration du savoir. Produisez, concevez, réfléchissez donc sur les problèmes de l’éducation suivant les zones et aidez lesenseignants à conceptualiser certainscontenus des programmes. C’est là où on vous attend et qui est en même de booster la qualité : en tant que gestionnaires du système, insufflez la dynamique !
Les élèves et parents d’élèves Je considère les élèves comme des victimes qui apprennent dans une langue étrangère où ils doivent déployer beaucoup plus d’efforts poursuivre. Mais, pour l’instant, le vin est tiré il faut le boire. Plus d’une décennie de pratique de classe nous ont montré que l’élève dans la plupart du temps suit si le maître d’abord et les parents ensuite l’encouragent et s’intéressent à ce qu’il fait. Les maîtres sont à la première loge. Les élèves ont tendance à imiter ; il suffit donc que le maître travaille sérieusement pour que les élèves suivent. C’estau maître d’appuyer sur l’accélérateur etde tirer le maximum de ses élèves. Une étude deRosenthaldans une école élémentaire du nom de Oak schooll’a conduit à affirmer que : « Dans une classe donnée, les enfants dont le maître attend davantage feront effectivement des progrès plus grands ». Je ne pense pas comme on le dit dans la révolution copernicienne qu’une des conditions essentielles soit le vouloir du sujet apprenant. Qu’est-ce que vouloir pour un enfant ? Affirmons que dans l’état actuel des choses au Sénégal, la réussite et la qualité des apprentissages relèvent plutôt de la chance : chance de se trouver dans une bonne école avec des intrants au complet, chance d’avoir des parents qui vous soutiennent et chance d’avoir des enseignants compétents. Le rôle des parents est relégué au second plan et eux-mêmes négligent ou ne savent pas quelle place ils devraient occuper dans l’éducation de leurs enfants. Beaucoup de parents ne savent pas ce qu’on enseigne à leurs enfants. On ne les consulte pas et on ne leur explique pas les tenants et les aboutissants des contenus d’apprentissage. Du coup, ils n’y connaissent rien et ne peuvent pas aider leurs enfants à la maison. Et quand on sait le rôle que devrait jouer les parents dans le processus de la qualité, on aurait tout à gagner à les associer davantage non pas dans la gestion des écoles seulement mais aussi à partager avec eux les programmes. Comme le soulignaitC.Freinet, l’affectivité joue un rôle primordial dans les apprentissages.
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Un parent qui connaît ce que son enfant fait, s’y intéresse mieux et peut ainsi l’aider à dépasser beaucoup d’obstacles.
Les Approches Jusqu’à présent, la manière de dispenser nos enseignements dans nos écoles dépend dans une large mesure des approches occidentales. De l’approche par les contenus, on est passé à la Pédagogie Par Objectifs avec l’expérience des classes pilotes et aujourd’hui, nous en sommes à l’Approche Par les Compétences et à la Pédagogie de l’Intégration. Pour passer d’une étape à une autre, on se borne à faire une critique d’ensemble héritée des experts occidentaux sans pour autant se donner la peine de faire une évaluation objective, une évaluation sénégalaise qui est la seule façon fiable de s’appuyer sur les erreurs pour mieux avancer. Les occidentaux fondent leurs théories et leurs études sur leurs enfants et non pas sur les nôtres. Nous n’avons pas les moyens qu’ils ont et en plus ils apprennent dans leurs langues propres. Pourquoi donc les imiter dans tout ce qu’ils théorisent. « Nous ne sommes pas des fanatiques d’une méthode, disaitFreinet(…) Nous sommes avant tout des praticiens qui travaillons sans idée préconçue contre telle technique, telle ou telle méthode ». En plus, s’est on donné la peine d’étudier l’enfant sénégalais qui vit dans une société où la culture orale est fortement ancrée? A-t-on pensé auxintrants qui accompagnent les innovations (ici nous parlons de matériels effectifs et disponibles dans les écoles)? Ce qu’il faut dire est que dans un pays où les classes, les manuels et les enseignants manquent, peut-on se permettre de singer des modèles aussi coûteux et ne seront pas en même de nous garantir la qualité ? Pourquoi ne pas réfléchir à un système beaucoup plus efficace et efficiente pour nos maigres moyens ? On pourra tout me dire surtout actuellement mais «nos daras traditionnels» donnaient des résultats sans beaucoup de moyens. C’est vrai que tout n’est pas parfait avec ce système mais le bon sens voudrait qu’on commence par ce qui est à nous et ainsi essayer de l’améliorer. C’est de cette manière que les Européens ont bâti leur système éducatif à travers les siècles.
Au terme de cette petite réflexion pour ne pas dire bavardage, il faut que nos états sachent que quand on gagne en surface, on perd en profondeur. Il est temps qu’on cesse de contenter quelques bailleurs ou de suivre la mode. En réalité nous savons là où le bât blesse pour atteindre la qualité comme en témoignent les neuf indicateurs retenus par le Sénégalqui sont les suivants : -Les curricula: les programmes sont-ils conformes aux besoins des élèves et des parents ? -Les manuels : Est-ce que les enfants ont suffisamment de manuels ? -Les cantines scolaires: Les enfants disposent-ils de cantines dans les zones défavorisées ? -Les projets d’écoles -Le temps d’apprentissage des élèves -L’absentéisme des enseignants -Les progressions harmonisées et les évaluations -La formation initiale et continue des enseignants -La connaissance de base des enseignants En plus de cela, revenons avec le Premier Ministre, toujours dans sa déclaration de Politique Générale, pour dire que :« Notreécole doit rester un lieu de socialisation, un lieu de citoyenneté, un lieu d’excellence. Ce défi est à notre portée. Il ne tient qu’à notre détermination de le relever ». Relevons-le et récoltons les fruits ensemble car notre pays compte davantage sur ses ressources humaines que sur autres choses et nous les voulons de qualité. Mais ne perdons jamais de vue que pour faire une
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bonne récolte, il faut semer de bonnes graines, pour dire que les choix sont aussi importants. Mbaye KANE, enseignant en service à l’école Ndiawar Ndiaye, Méckhé,Iden de Tivaouane.SNEmail: kandiallo@yahoo.frTel:776494718 / 703384012
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