Éric Denécé Directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R)
«S intéresser au renseignement relève d’une pathologie particulière» me déclarat ’ Constantn Melnk lors d’une de nos premères rencontres. «En France, vous le savez, quasiment tout le monde s’en fout. Il faut donc être un peu masochiste pour nourrir une passion pour cette cause presque perdue.» En dépt de cette constataton désabusée, l’homme pour-sut nlassablement son œuvre d’essayste, de romancer et de pédagogue sur ce qu’l appelle « le grand jeu », en référence à Rudyard Kplng. Il tent en très haute estme ce « méter de segneur » s décré dans l’Heagone : «Notre art – on peut parler d’art – consiste à capter le fait révélateur qui, caché par l’adversaire qui nous menace, permet d’appréhender le puzzle fascinant de l’Histoire1. » Il est essentel de rappeler, pour les plus jeunes lecteurs – et pour ceu qu lront cet ouvrage longtemps après sa publcaton – quel personnage hors du commun est Constantn Melnk, acteur et témon prvlégé de l’évoluton du rensegnement et de la poltque nternatonale depus le mleu du xxesècle.
Un singulier parcours Constantn Melnk naît à Nce à la fi n des années 1920. D’ascendance ukra-nenne, l est le pett-fi ls de Ievguen Botkne, médecn personnel du tsar Ncolas II, qu fut eécuté avec la famlle mpérale en jullet 1918. Son père, offi cer des tralleurs sbérens, préféra émgrer que de vvre dans la Russe rouge, dont l combattt l’avène-ment. Après de brllantes études secondares – l obtent le Grand Pr du lycée de Nce en 1934 – le jeune Constantn entre à Scences-Po Pars. Il sort premer de sa promoton à vngt et un ans, mas décde de tourner le dos à l’ENA. Il entre alors au Sénat en tant que secrétare du plus mportant groupe poltque de l’époque, celu de la Gauche démocratque, regroupant les radcau, le centre-gauche et certans gaullstes. Il devent également le dscple et l’am de Raymond Aron. Brllant analyste de l’Unon sovétque et du communsme nternatonal, Constantn Melnk fat profiter de son epertse, durant la guerre frode, le Vatcan, Charles Brune – mnstre de l’Intéreur de la IVeRépublque – (1951-52) et le 2eBureau
1 Constantn Melnk,Lettres à une jeune espionne, Plon, 1997, pp. 13-14.
de l’état-major général de la Défense natonale du maréchal Jun (1952-53), avant de devenr conseller stratégque de Mchel Debré, le premer Premer mnstre du géné-ral de Gaulle, avec lequel l entretent des relatons d’amté. Parallèlement, en 1954, l devent le premer conseller étranger de la Rand Corporaton, pour laquelle l travalle régulèrement. En 1959, alors qu’l s’apprête à partr rejondre lethink tankamércan en Cal-forne, Mchel Debré lu propose le poste de coordnateur de l’ensemble des servces de polce et de rensegnement cvls, en plene guerre d’Algére. Constantn Melnk accepte ; l est alors âgé de trente-deu ans. Il assumera cette foncton pendant les tros dernères années de la guerre d’Algére (1959-1962), qu verront l’apogée du terrorsme FLN, pus de l’OAS. En rason du désntérêt de Mchel Debré pour la guerre secrète – et de la confiance qu’l accorde à Constantn Melnk – le conseller technque du Premer mns-tre pour les questons de sécurté et de rensegnement devent,de facto, un vértable vce-Premer mnstre en charge des servces. Il est amené à lre tous leur rapports et assure leur coordnaton et leur bon fonctonnement : Sûreté natonale, DST, Rensegnements générau, polce judcare, SDECE et, dans une mondre mesure, de la préfecture de polce de Pars, tenue alors par Maurce Papon. Il est également, à Matgnon, l’nterlocu-teur de Allen Dulles, le drecteur de la CIA, et du général Renhardt Gehlen, le créateur du BND, le servce de rensegnement ouest-allemand. A trente-deu ans, Constantn Melnk occupe une foncton centrale pour la sécurté de notre pays et tout à fat unque dans l’hstore natonale. Un jour, un hstoren russe lu déclarera : «Il n’y a eu dans l’histoire de la France que deux hommes ayant eu un tel pouvoir : Fouché et vous.» Perre Vansson-Ponté écrra également dansLe Monde, en 1961 : «aux lumières de son plus intime collaborateur,Le premier des ministres fera appel avant tout M. Constantin Melnik. Derrière ce patronyme slave et ce prénom impérial se trouve l’une des plus influentes personnalités de la VeMelnik se soucie peu d’être inconnu duRépublique. M. grand public (...), les initiés savent qu’il partage tous les secrets, connaît toutes les clefs, possède toute la confiance.» Le secret et les pouvors occultes qu’on lu prête dérangent toujours dans la socété françase, peu au fat des questons de rensegnement. Constantn Melnk, alors totalement nconnu, fut ans projeté au cœur d’une pette tempête médatque et polt-que. Son rôle eceptonnel, sa dscréton, son amour du secret lu valurent alors quelques surnoms mémorables. Le Qua d’Orsay le dénomma le « SDECE tartare ». La presse françase qu se déchaînat contre lu en fi t « le Serbo-Croate de servce » (Le Canard enchaîné). Cela ra jusqu’à des nventons pures et smples, savamment orchestrées par Moscou, très nquet qu’un analyste de cette qualté pusse lre dans son jeu avec tant d’asance en rason de ses orgnes russes. Elles furent toutes relayées par une presse heagonale crédule et avde de sensatonnel, qu contnue hélas à se nourrr de fantas-mes qu’elle contrbue à entretenr. Au cours des tros années passées à coordonner l’acton des servces, Constantn Melnk ne rencontra jamas Charles de Gaulle, en dehors de quelques pognées de man échangées dans les réunons offi celles. Le général ne le convoqua à aucune réunon de traval et ne lu donna, pendant toute la durée de la guerre, aucune nstructon quant à ses buts et objectfs. Dès la fi n du conflt algéren, l fut brutalement écarté des affares, sans aucune reconnassance du chef de l’État.