Trappe à chômage ou trappe à pauvreté: quel est le sort des allocataires du RMI ? Danièle Guillemot1, Patrick Pétour2, Hélène Zajdela3Novembre 2001. Révisé mars 2002 RESUME A partir des résultats de lenquête sur le devenir des allocataires du RMI, nous cherchons à évaluer la pertinence empirique des analyses en termes de trappe à chômage, selon lesquelles les allocataires du RMI pourraient être, pour des raisons financières désincités à accepter un emploi . La trappe à chômage fonctionne peu dans le cas des allocataires du RMI. Tout dabord, les chômeurs au RMI sont très actifs dans leur recherche demploi et refusent rarement un emploi et encore plus rarement pour des raisons financières. Ils sont plus encore que les autres chômeurs confrontés à une insuffisance de la demande de travail. Ensuite, environ un tiers des allocataires, ayant (re)pris un emploi, ny trouvent aucun gain financier significatif.Bien quils acceptent des emplois sans gain financier (ce sont pour le plupart des emplois à temps partiel, rémunérés au SMIC horaire), ils en retirent pour la plupart un mieux être, lié à un sentiment dautonomisation et dutilité sociale. Pour partie, ils espèrent aussi pouvoir de cette manière accéder à de meilleurs emplois, ce qui reste difficile. Le danger, pour les allocataires du RMI, est donc moins la trappe à chômage que la trappe à pauvreté, parce quils occupent pour la plupart de « mauvais emplois » et restent très souvent confinés dans un secteur secondaire, sans transition ou presque vers un secteur primaire composé des « bons emplois ». Mots clés : RMI- Trappe à chômage- Trappe à pauvreté . ABSRACT On the basis of the results of the INSEE survey about beneficiaries of the RMI, we seek to evaluate the empirical relevance of the analysis in terms of unemployment traps, according to which the beneficiaries of the RMI couldnt have financial incentives to accept to work. Unemployment traps dont work very much for the beneficiaries of the RMI. Firstly, the unemployed beneficiaries are very active in their job search and rarely refuse a job and even more rarely for financial reasons. They are more confronted with an insufficiency of labour demand than the other unemployed people. Secondly, nearly a third of the beneficiaries, have accepted a job without any financial profit. But, for most of them, employment provides a well-being ; they feel more self-reliant and socially integrated. Maybe, they also hope to reach later a better job, which in fact remains difficult. The risk for the RMI beneficiaries is thus more a poverty trap than an unemployment trap. Indeed, they most often have bad jobs and remain confined in a secondary sector, with a very low probability of migration towards a primary sector composed of good jobs. Key words :RMI- Unemployment traps - poverty traps Codes JEL / JEL Codes: J22, I381 Administrateur de l'INSEE, daniele.guillemot@insee.fr 2Bureau lutte contre lexclusion, DREES, patrick.petour@sante.gouv.fr3Université dEvry et MATISSE-Université de Paris1, zajdela@eco.univ-evry.fr
Trappe à chômage ou trappe à pauvreté: quel est le sort des allocataires du RMI ? Danièle Guillemot1, Patrick Pétour2, Hélène Zajdela3Novembre 2001. Révisé mars 2002
t n4 Introduc io Létude qui suit cherche à évaluer la pertinence empirique des analyses en termes de trappe à chômage selon lesquelles les allocataires du RMI pourraient être pour des raisons financières désincités à accepter un emploi. Pour cela, nous nous appuierons sur des résultats déjà établis, à partir de lenquête sur le devenir des allocataires du RMI (encadré 1). Pour autant, notre travail ne se réduit pas à une simple synthèse détudes déjà publiées. Partant de la problématique à lorigine du raisonnement en termes de trappes, dont nous expliquons comment elle est avérée en théorie, nous cherchons, à partir des données et résultats statistiques provenant de lenquête, à valider ou invalider un certain nombre dhypothèses ou de conjectures issus de cette démarche théorique. En fait, notre étude adopte la troisième attitude décrite par Desrosières (2000) quand il explique que différentes positions épistémologiques sont possibles lorsquon interroge les données statistiques : sur le modèle des sciences physiques, suppose a priori que des Lune, principes généraux de maximisation et doptimisation orientent les comportements individuels, et en déduit une représentation déterministe (au moins en théorie) de la vie économique . Lautre [] voit dans les régularités et les corrélations observées les seules lois ou causes dont le savant peut parler valablement. Dans le premier cas, on peut au mieux mesurer les paramètres dun modèle théorique supposé vrai a priori. Dans le second, les lois ne peuvent émerger que du foisonnement des données.Une troisième attitude est encore possible, celle de lépreuve dune théorie, soumise à la critique, et confirmée ou rejetée au vu des observations (p.371, soulignépar nous). Dans cette optique, notre démarche se déroule en trois temps. Un préalable nécessaire pour délimiter lobjet de notre étude consiste à préciser comment et pourquoi la trappe à chômage fonctionne en théorie et à identifier la population des allocataires potentiellement concernés (section 1). Une fois ce cadre posé, nous cherchons selon la méthode décrite plus haut, à évaluer la pertinence de lanalyse en termes de trappe à chômage, en tentant dévaluer la part des 1Administrateur de lINSEE, daniele.guillemot@insee.fr 2 Bureau lutte contre lexclusion, DREES, patrick.petour@sante.gouv.fr 3Université dEvry et MATISSE-Université de Paris1, zajdela@eco.univ-evry.fr 4 remercions C.Afsa, L.Caillot, G.Cornilleau, M.Elbaum, M.Glaude, M.Gurgand, P.Morin, P.Ralle et B.Seys Nous pour leurs remarques sur des versions précédentes de ce travail. Nous restons évidemment seuls responsables des éventuelles erreurs et omissions subsistantes. 1
allocataires effectivement désincités financièrement à offrir leur travail (section 2). Nous étudions ensuite les contraintes de demande que subissent les allocataires du RMI, quils aient un emploi ou soient encore au chômage (section 3). Enfin, à partir dune analyse des opinions des allocataires ayant repris un emploi, nous tenterons de comprendre les raisons de leur retour à lemploi, en particulier dans un cadre intertemporel (section 4). En conclusion nous nous interrogeons sur le risque de trappe à pauvreté auquel les personnes enquêtées ayant repris ayant en emploi pourraient être confrontés, compte tenu des caractéristiques des emplois quelles occupent. Notre étude sinscrit donc dans le débat de politique économique en soulignant le danger de créer des trappes à pauvreté que pourraient provoquer des mesures visant à lutter contre la trappe à chômage, qui de toute façon fonctionne peu pour les allocataires du RMI.1. Les trappes existent en théorie mais ne concernent pas lensemble des allocataires du RMI Le risque de trappe auxquels seraient confrontés les bénéficiaires de minima sociaux renvoie à une idée générale assez simplea priori: le revenu dont ces individus disposent sans travailler risquerait de les désinciter à accepter un emploi. Cependant, plusieurs approches coexistent, faisant intervenir des notions différentes, qui de plus ne conduisent pas toutes à prendre en compte la même population. II est donc nécessaire dexpliciter les fondements théoriques des analyses en termes de trappe afin de bien les cerner (1.1). et de délimiter, au sein des allocataires du RMI , la population potentiellement concernée par ce risque (1.2).1.1. Les trappes et la théorie de loffre de travail De manière très générale, le terme de trappe est utilisé pour qualifier un chômage volontaire lié à un problème de désincitation au travail. Il repose sur la théorie économique habituelle de l'offre de travail, selon laquelle les individus arbitrent de manière rationnelle entre travail et loisir, en comparant les satisfactions qu'ils retirent de chacun de ces états. Comme, selon cette approche, le travail ne procure aucune satisfaction directe, c'est essentiellement le revenu qu'il permet d'acquérir, et donc la satisfaction associée à la consommation rendue ainsi possible, qui justifie l'offre de travail. Dans ce cadre, tout revenu que l'individu peut obtenir sans travailler, biaise son choix en faveur du loisir, en augmentant son salaire de réserve, c'est à dire celui qui le rend juste indifférent entre travailler et ne pas travailler. Lindividu qui bénéficie dun revenu alternatif trop important comparé au salaire auquel il peut accéder risque de tomber dans une trappe en ce sens qu'il n'a aucun intérêt à offrir son travail5. Tant que l'on se situe dans le cadre idéal de concurrence parfaite dans lequel la théorie de l'offre de travail a initialement été élaborée, il n'y a pas de chômage : le salaire réel équilibre l'offre et la demande de travail et en ce sens, on aboutit à un plein emploi , ce qui n'empêche pas une partie de la population d'être inactive. Décider d'être inactif constitue un choix rationnel, celui de décider de ne pas travailler au niveau de salaire déquilibre. Néanmoins, si l'on sort du modèle de base, et que des rigidités engendrent du chômage 5élaborée de loffre de travail. Les individus sont modèles de recherche demploi adoptent une vision plus Les confrontés à un problème de manque dinformation sur le niveau de salaire auquel ils peuvent prétendre. La prospection du marché devient une activité rationnelle qui permet dacquérir de linformation. On exhibe ainsi un chômage dattente et le salaire de réserve dépend de considérations intertemporelles. Mais la décision de participation relève toujours dun arbitrage travail/loisir, bien quil soit plus complexe. 2