etude de deux romans beurs
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UMP, faculté de lettres Master : Littérature Générale et Comparée Deux contre-rendus concernant Deux romans beurs Le thé au harem d’Archi Ahmed De Mehdi CHAREF ET Méfiez-vous des parachutistes De Fouad LAROUI Rédigé par : Tarik LABRAHMI Direction de : A. HAMMOUTI 2012-06-08 1 Etude du roman, Le thé au harem d’Archi Ahmed De Mehdi CHAREF, en comparaison Avec le film auquel il a donné naissance La sociologie dans le roman beur Présence de l’Autre Si la distinction français/arabe, dans le texte, prend une importance particulière, en mettant en exergue le racisme envahissant les banlieues ; dans le film, cette distinction est, apparemment, écartée. Prenons par exemple, la scène du vol, où le gros, dans le roman, accuse Madjid juste parce qu’il est un Arabe (« Mais ça y est : ils voient un Arabe, c’est un voleur. » p. 103), alors que dans le film, ce mot n’est pas prononcé. Ajoutons qu’il y a des extraits dans le texte où manifeste le plus claire ce racisme entre arabe/français, et qui sont supprimés dans le film, par exemple la bagarre entre les deux femmes arabe et française, dont voici ce que dit l’une à l’autre : « Va dans ton pays, si t’es pas contente ! » p. 152, ce que l’écrivain le complète du commentaire suivant : « Des disputes de ce genre, il y en avait journellement dans ce grand ensemble. C’est la règle dans tous. » p.

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Publié le 13 juillet 2012
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Langue Français

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UMP, faculté de lettres Master : Littérature Générale et Comparée
Deux contre-rendus concernant
Deux romans beurs
Le thé au harem d’Archi Ahmed
De Mehdi CHAREF
ET
Méfiez-vous des parachutistes
De Fouad LAROUI
Rédigé par : Tarik LABRAHMI
Direction de : A. HAMMOUTI 2012-06-08
1
Etude du roman, Le thé au harem d’Archi Ahmed
De Mehdi CHAREF, en comparaison
Avec le film auquel il a donné naissance
La sociologie dans le roman beur
Présence de l’Autre
Si la distinction français/arabe, dans le texte, prend une importance particulière, en mettant en exergue le racisme envahissant les banlieues ; dans le film, cette distinction est, apparemment, écartée. Prenons par exemple, la scène du vol, où le gros, dans le roman, accuse Madjid juste parce qu’il est un Arabe («Mais ça y est: ils voient un Arabe, c’est un voleur.» p. 103), alors que dans le film, ce mot n’est pas prononcé. Ajoutons qu’il y a des extraits dans le texte où manifestele plus claire ce racisme entre arabe/français, et qui sont supprimés dans le film, par exemple la bagarre entre les deux femmes arabe et française, dont voici ce que dit l’une à l’autre: « Va dans ton pays, si t’es pas contente!» p. 152, ce que l’écrivain le complète du commentaire suivant : « Des disputes de ce genre, il y en avait journellement dans ce grand ensemble. C’est la règle dans tous.» p. 152
Le problème identitaire
D’autre chose écartée dans le film, le commentaire identitaire qu’on trouvela page quatorze : à «Madjid se rallonge sur son lit, convaincu qu’il n’est ni arabe ni français depuis bien longtemps. Il est fils d’immigrés, paumé entre deux cultures, deux histoires, deux langues, deux couleurs de peau, ni blanc ni noir, à s’inventerses propres racines, ses attaches, se les fabriquer. » pp.14-15 Or, dans le film, on se contente du commentaire de la mère qui précède ce commentaire, et dont elle essaye de le rattacher à ses origines arabes. Une petite remarque à mentionner, c’est que le commentaire de la mère est dit en arabe dans le film, cependant, dans le texte, l’auteur se suffit de mentionner qu’elle parle « en arabe », mais il continue à écrire en français. Est-ce que cela signifie que le langage cinématographique est plus polymorphe, ce que le langage écrit n’admet pas, ou juste parce que l’auteur ne maîtrise pas bien la langue arabe, comme il l’avoue dans le film; en répondant à sa mère, il dit : « je ne comprends pas ce que tu dis ».
Or, on peut, à partir de faibles signes, sentir ces problèmes identitaires et racistes dans le film. Par exemple, cette phrase citée dernièrement, « je ne comprends pas ce que tu dis », est très significative. Je ne te comprends pas, ça veut dire en même temps tu es autre pour moi, donc je n’appartiens plus à vos origines. C’est une distance qu’il crée entre lui et la culture arabe. Pour le racisme, même s’il est écarté explicitement, il n’est pas absent implicitement. On peut le toucher par
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exemple dans la séquence où il va chercher du travail, quand l’employeur du bureau avait tout l’intérêt pour le chasser. Par contre, quand vient un autre candidat français, il l’accueille gentiment.
Première et seconde générations
Mais, il ne faut pas croire que le cinéma est fait seulement pour vulgariser le récit écrit ; au contraire il peut parfois le compléter, et même de lui donner une signification plus riche et plus précise que l’est l’écriture, grâce à l’image. Prenons pour exemple ce petit portrait qu’il fait du père, et la représentation qu’il en fait dans le film. Pour le texte, voici ce qu’il a écrit, «Le vieux malade est assis par terre jambes croisées sur le tapis, adossé au pied de la table. On ne sait pas s’il comprend le film, mais il regarde l’écran. Il ne le quitte pas des yeux, même si aucune expression ne se lit sur son visage. » p. 156 A partir de cette citation, on peut conclure que la première génération ne comprend pas le jeu des pouvoirs français dominants dont ils sont les victimes, même si elle vive au sein de ce système ; point final. Dans le film, on a une autre information ajoutée à celle-là, par un petit simple geste. C’est quand Madjid vient faire tourner la tête de son père vers la télé, parce que ce dernier, même s’il paraît regarder la télé, il ne la regarde pas en face. Ce quiajoute à l’idée que les parents ne comprennent pas, les enfants venaient leur montrer leurs droits et l’injustice dont ils sont la proie. Ils sont porteurs de parole de ceux qui s’étaient tus pendant longtemps.
L’atmosphère
Mais parfois, il est très difficile de traduire exactement ce qui est propre au langage écrit par le langage cinématographique; surtout quand il s’agit de l’émotion ou de l’atmosphère qu’essaie créer l’auteur par les mots et qui reflète son état d’âme. Ainsi, le thème du «qui tient uneBéton » importance très particulière dans le roman beur en général ; et qui exprime une certaine angoisse et mélancolie chez le personnage. Le béton est souvent le symbole de la mélancolie, l’angoisse, l’obscur, le dur, le froid, le sec, en un mot tout ce qui relève d’un malaise existentiel. Voici un petit extrait concernant le béton, «Dans le béton, qu’ils poussent, les enfants. Ils grandissent et lui ressemblent, à ce béton sec et froid. Ils sont secs et froids aussi, durs, apparemment indestructibles , mais il y a aussi des fissures dans le béton. Quand il pleut, on les distingue mieux, c’est comme des larmes qui coulent sur les joues pâles d’un petit à qui on a taxé ses billes et qu’a pas de grand frère pour le défendre ». p. 57 Les exemples se multiplient où l’atmosphère des banlieues reflètent l’intérieur de l’auteur; souvent décrite, cette atmosphère, comme noire. Dans le film, le cinéaste a beau essayé de respecté cette donnée, si essentielle dans le texte, c’est ce qu’on peut voir dans le choix des lieux souvent obscurs, rarement verts ; mais est-ce qu’il a pu réussir de la même façon que dans le texte. On ne sait pas. Dans cet ordre d’idée, on peut ajouter la dernière scène du film qui devrait normalement passe la nuit, ce qui est très significatif pour l’évolution du personnage qui se voit au bord de la chute. Mais pour des raisons techniques, dans le film, la scène s’est passée en plein jour.
Le tragique dans le roman beur
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Entre deux forces contradictoires
D’une part, il y a la mère qui ne cesse de l’alourdir de ses impératives: travail, religion, arabisation, etc. d’autre part, il y a le monde où il vive, où seuls comptent l’alcool, les femmes, les soirées de danses, etc. et plus encore une société qui ne veut point de lui. La mère dit souvent : «T’as pas honte de vivre aux crochets de ta vieille mère ? », ou plus encore quand elle le qualifie de con dans le film. Quand il a décidé d’obéir à ses demandes en allant chercher du travail, il se heurte à un monde qui privilégie ses propres d’abord. C’est la scène où l’employeur du bureau le chasse pour faire entrer le sien, un candidat français. Autrement dit, tu veux que je fasse quelque chose ; moi aussi je veux faire quelque chose, mais c’est hors ma puissance, je ne peux rien faire. Ainsi le tr agique naît d’abord, dans le roman beur, de cette faiblesse, due à une puissance supérieure, à laquelle se trouve confronté le personnage une fois décidé d’agir.
Le titre
Si le titre est le résumé de l’histoire, et si cette histoire, dans sa grande partie, est celle de la vie de l’auteur, et si ce titre est né d’une erreur, d’un malentendu (thé au harem d’Archi Ahmed pour Théorème d’Archimède), cela ne serait-il pas allusion à la vie de l’auteur comme erreur. Balou en traduisant théorème d’Archimède par thé au harem d’Archi Ahmed, il a confondu ce qui est français avec ce qui est arabe ; est-ce que ce n’est pas la même chose pour ceux qui qualifient les beurs d’arabes? Non plus. Parce que, dans un sens inverse, en traduisant le son? Est-il français donc français par un imaginaire arabe, cela le rapproche de nouveau à ses racines arabes. Mais loin de l’être, il n’est, comme il l’avoue luini arabe ni français -même, « », son identité reste floue. Est-ce qu’il n’y a pas là une autre source de tragique: être déchiré entre deux mondes si contradictoires, sans pouvoir choisir ni l’un ni l’autre. Une double négation.
Sans refuge
Condamné à vivre dans un monde monstrueux qui en veut pas, convaincu qu’il ne peut rien changer dans une machine qui le dépasse et l’écrase, il se lance lui-même vers sa chute (« Madjid ne répondit pas. Il laissa sa tête basculer derrière lui, et il ferma les yeux »), y a-t-il pas ici un vrai abandon ? Ainsi, la dernière scène du film est celle qui le met face à la mer, et derrière lui l’Etat français qui essaye de le capturer, sans aucune autre raison que celle annoncée par l’homme de la police, «Toi et tes copains, vous venez d’où?» p. 182 Il est coupable parce qu’on ne le connaît pas. Si Tarik Ben Ziyad a dit la mer est arrière vous,l’ennemi devant vous, pour faire sortir la barbarie qui dort au fond de ses soldats pour les inciter à combattre par toute leur force, chez les beurs, loin que cet état leur donne de l’énergie ou de l’espoir, il est une pure source d’impuissance, de captive, de faiblesse, et à plus forte raison de tragique. Ainsi, si les classiques puisent leurs sujets tragiques dans la mythologie grecque, les beurs font de l’histoire arabe leur propre mythologie. N’y a-t-il pas ici une image de l’arabe vaincu?
Rédigé par : Tarik LABRAHMI
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Méfiez-vous des parachutistes
Fouad Laroui
(Ed. Julliard, 1999)
Machin, le personnage principal, revenud’Europe, ayant un esprit individualiste, décide de vivre seul. Mais un jour, pendantqu’il marche dans la rue, un parachutiste est tombé sur lui. Il l’a invité à sa maison, le parachutiste s’y est éternisé, ne voulant jamais quitter l’homme, malgré toutes les tentatives de ce dernier pour le chasser. Un autre jour son oncle venait lui demander de trouver un travail à son fils dans lasociété où il travail. Victime d’un stratagème, il s’est trouvé marié avec la femme de son voisin. Elle vient donc, elle et sa mère, vivre chez lui. Ainsi, malgré lui, l’individu s’est trouvé entouré de plusieurs personnes qu’il n’aime pas. Seule une bonne, dont il est tombée amoureux, qui lui plait, mais on la lui a vite arrachée. Désespéré, il annonce une révolte contre la société et ses normes.
Voilà les événements qui nous permettent de classer l’œuvre de LAROUI parmi le genre romanesque. Mais loin de se réduire à un tel synopsis simpliste, ce livre est plus un pamphlet philosophique. Mettant en question toute une vision du monde, qu’il juge primitive, au profit d’une autre qui met l’individu au centre de sa réflexion.
Ce qui justifie la primauté du commentaire réflexif sur la narration et la description, si je ne crains que cette dernière ait été totalement exclue, deux caractères primordiaux du roman traditionnel. Prenant pour arrière-plan la philosophie individualiste, l’auteur se lance violement contre tout ce qui tend à opprimer l’individu: société, traditions, religion, en un mot tout système totalitaire. Pourtant, l’individualisme prend, chez lui, une conception plus ou moins humaniste.
Contre tout système totalitaire
Le premier système face auquel il se trouve condamné à se soumettre est celui de la société où il travaille. La tyrannie qu’exerce cette dernière sur les individus se manifeste le plus clair quand Cigare, le nom du chef de la société, lui demande de prendre l’avion vers Paris, puisvers Abou Dabi, et enfin à New Delhi, sans la moindre explication. Le voyage dont le protagoniste dit ceci : « je me rendis soudains compte que je n’avais pas la moindre idée de ce que j’allais faire à Paris» La phrase qu’il a répété systématiquement dans chaque étape de son voyage mystique. Enfin, il va comprendre que son voyage s’agit d’une affaire d’achat de tissu de l’Inde. Mais quand il va acheter ces tissus et revenir pour regagner son travail, il trouvera que le chef qu’il l’avait envoyé est mort, et fut remplacé par un autre, lequel refuse de payer ces tissus par les frais de la société, et donc c’est le pauvre Machin qui va les payer de son salaire. Toute cette anecdote pour montrer la faiblesse de l’individu face à un système corrompu, où chacun, ayant un certains pouvoir, peut manipuler les lois à ses propres intérêts. Et ce sont les individus qui payent en fin de compte.
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La société, cet autre ennemi de l’individu
Samir, son cousin, représente la jeunesse rêveuse privée de toute chose que de ses rêves utopiques. Mais qui ne cesse de plaindre son avenir arraché à la société. A ce propos, Samir dit : «j’aurais pu être un grand joueur de tennis. Maudits parents. Ils ne nous ont rien appris. »
Yto, la bonne dont il est tombé amoureux avant qu’elle soit lui arrachée par la société, pour devenir quoi ? Une putain! Là il critique à la société tout le fondement sur lequel elle est fondée qu’est la loi. Cette loi qui interdit une relation amoureuse entre un homme et une fille de quatorze ans, mais qui permet en même temps que cette petite fille aille faire de la prostitution.
Des normes anti-individualistes
Ce qu’il reproche au peuple est cette absence totale de rationalité. Son raisonnement est fondé sur des absurdités. Bouazza, le parachutiste tombé du ciel, est sans doute le représentant le plus parfait de cet esprit de troupeau ; et dont il fait le portrait suivant : « Bouazza est de ce type installé des préjugés, et une fois ces préjugés aient pénétré l’esprit, pas de critique ni d’explication logique. Son seul argument, en cas de raisonnement est la religion. » Parmi ces absurdités, il y a aussi comment le pouvoir et la noblesse se transmettent avec le sang : « vous voyez ce petit chéri est un petit chérif (prétendent les géniteurs), descendant en ligne directe du prophète, et lui est due l’infinie considération de ceux qui ne sont rien, agrégés, artistes peuvent être ou bienfaiteurs de l’Humanité, mais rien de tout même parce que simples individus, chérifs nullement.» p. 42 C’est-à-dire au lieu de juger l’homme et de l’évaluer à partir de ce qu’il est et de ce qu’il a fait et ce qu’il fait; dans ce pays, on l’évalue uniquement à partir de son nom. Il est le fils de qui? La noblesse et la dégradation s’héritent. Il conteste dans le même sens le respect qui n’a pour base que l’âge. Respecter un homme parce qu’il est vieux, même s’il n’a rien fait durant toute sa vie, ou même s’il n’a fait que du pire dans sa vie; une fois vieux, tout le monde doit s’incliner devant lui. Selon quelle logique? La logique des cons.
Sans langue maternelle
Le déchirement identitaire chez Machin nait surtout du manque d’une langue maternelle. Pour lui, le fait de ne pas avoir une langue maternelle est égal au fait de ne pas avoir une identité ; « Aurais-tu compris, Bouazza, que je n’ai pas de langue maternelle, que c’est une blessure béante et que c’est peut être que cela qui m’empêche de me fondre dans la chaude unanimité bouazzique, dans le rassemblement des corps d’où rien n’émerge.» p. 87
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Ainsi, il se voit étranger par rapport à ce qu’il dit et écrit lui-même. Car cette langue ne lui appartient pas; donc tout ce qu’il dit ne lui appartient non plus, «Et même là, je cite. Aragon…Quoi de commun avec le poète de la diane française? Mais c’est ainsi. Je regardais, je ne pouvais rien exprimer. Penser à ne savoir que dire… Oui, là encore, toujours, citer, citer, citer…Impossible d’être authentique, lorsqu’on n’a pas de langue maternelle.» p. 90 Au point que cette langue qui ne lui appartient pas, cette langue de l’autre, loin de lui servir à s’exprimer, elle l’éloigne de lui-même. Elle devient un obstacle devant la connaissance de soi. Voici ce qu’il en dit: « En connaissant plus la langue française, il croit qu’elle est sa langue maternelle. Mais voilà que je découvre de plus en plus de cette littérature du terroir. Et je m’y reconnais de moins en moins.» p. 91
Là, il fait la distinction entre l’être et l’esprit. La langue maternelle relève de l’être; celle de l’autre, même si on la maîtrise très bien, elle reste au niveau de l’esprit. Elle ne peut jamais traduire l’être, ni faire sentir cette émotion qui accompagne le mot quand on s’exprime en sa langue maternelle. A ce propos, il écrit, « La littérature de terroir sans terroir, voilà ce qui nous reste. Surfer dans ces espaces infinis sans jamais trouver la galaxie où les mots suscitent le souvenir, où de quelques syllabes surgit l’odeur du thé (atay) brûlant qui me réchauffait le cœur en rentrant à la maison (addar) après des semaines d’internat.» p. 95
Le pire c’est quand la langue devient la condition indispensable pour l’attachement à une culture dans le sens large du terme. «La religion de ma mère [l’islam], tiens, ce n’est pour moi qu’une des trois grandes (…) Les mots glissent quand ils ne s’accrochent à aucune émotion. » La langue devient en effet un pur instrument froid de la connaissance, sinon un objet de connaissance ; on dirait neutre.
Une identité ambivalente
Dès son arrivée au Maroc, il fut arrêté par les douaniers parce qu’il portait avec lui un livre et une photo de Vladimir Nabokov. Pourquoi le choix de cet écrivain particulièrement? N’est-ce pas pour son identité ambivalente ? Il est de nationalité américaine, mais d’origine russe. Une identité réunissant deux cultures ennemies. N’est-il pas l’image même de Laroui, entre la culture marocaine arabe et la culture européenne ?
Cette crise identitaire qu’il sent paraît surtout quand Cigare lui a demandé «? » Qui vous êtes La question à laquelle n’a pas pu répondre malgré la très longue réflexion qu’il a élaborée sur cette question, en l’avouant lui: «-même, il dit La question de l’identité est liée à ce privilège terrible: l’homme (l’individu) pense et sait qu’il pense.» p. 37 La première réponse qui lui vint à l’esprit est « Je ne suis rien », mais telle réponse peut lui coûter son salaire. Donc il lui fallait penser à une autre, il pense à «Je suis l’Etre», mais attend, dire que je suis l’Etre, c’est lavérité elle-même, laquelle seul Dieu peut l’avoir pour qualité. Heureusement, il y avait là Laraki qui s’est intervenu pour sauver la situation, en le présentant en sept mots : «27 ans, Ecole des mines, parle l’anglais, célibataire.» La présentation quia poussé Machin à se demander sur ce qui est l’homme en ces quelques mots: « Sept mots pour me définir : on est peu de chose finalement. » Ainsi, il remet en question, non seulement son identité, mais le concept de l’identité lui-même. Qu’entend-on par identité ?
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Individualisme mais humaniste
Quand on l’avait arrêté au port de Tanger, en croyant qu’il fait de la propagande politique, un chef de police le livra en leur disant que «ce n’est qu’un individu», donc il ne peut rien faire. Mais lui, il cite, en exergue, cette sentence de Stefan Zweig : «Seul l’individu introduit l’indépendance dans le monde, et toujours pour lui seul. » Cela veut dire quoi? Cela veut dire tout simplement, c’est quand on est individualiste, on peut servir l’humanité plus que quand on ne l’est pas. Car l’homme ne peut réfléchir que s’il se donne quelques moments de solitudes, «Toute cette réflexion, je me la fais en intime conclave, là, sur le palier. Et je comprends soudain pourquoi l’individu gagne à être tout seul ou seul avec Yto, ce qui revient au même. »
Son individualisme est en quelque sorte existentialiste. Etre individualiste c’est s’interroger sur sa place et son rôle dans le monde, « Ton crime, Bouazza? Tu es là, tu ne te pose pas la question d’un monde sans toi. Tout homme qui n’arrive pas à concevoir qu’il est peut être de trop est une brute, Bouazza. Mais une telle pensée ne t’a jamais effleuré. Je doute même que tu puisses la comprendre.» p. 73 Dit autrement, être individualiste c’est passer d’une existence arbitraire à une existence nécessaire. Il est en d’autres mots une conscience de soi, «Tu crois en Dieu ? Mais Dieu croit-il en toi ? Peut-il croire en quelqu’un qui va à la mosquée parce que les ornières sont déjà creusées et qu’il suffit de se lasser rouler comme un tonneau.» En d’autres termes, Laroui ne critique pas ici la foi en tant que religion, mais la source de cette foi chez l’homme individu. Est-ce qu’il croit en Dieu parce qu’il est convaincu de cette foi, par une certaine foi intérieure, ou juste parce qu’il voit les autres font ça, et il fait la même chose qu’eux. De là, être individualiste, c’est agir consciemment, faire ce que dont vous croyez personnellement. Avant de faire quoique ce soit, posez-vous la question pourquoi je fais ça ; et faites tout ce que vous voulez à condition que vous soyez persuadés de ce que vous faites.
Un homme qui ne se pense pas d’abord en tant qu’individu ne pourra jamais être soi.
«Ce que j’aurais voulu dire au parachutiste: -L’individu, vocable noble et altier. Mais tu vois, ce mot n’existe pas dans ton vocabulaire. Les bons dictionnaires, compilés à Bayreuth, ou à Paris, ont beau prétendre qu’on traduit en arabe le mot individu par mar’, ce mot tu ne le connais pas, tu en ignore le sens, tu ne l’as jamais utilisé. Tu es comme l’homme des foules qui court dans les rues à la recherche d’attroupements, d’émeutes, de bousculades où l’on s’écrase pour acheter un billet pour un spectacle ou une décollation. Le rassemblement des corps, empêchement majeur à l’émergencedu mar’…» p. 72
La fonction ou la face humaniste de son individualisme se manifeste le plus clairement quand il dit à propos de son cousin Samir : « Samir, par exemple : intérêt théorique pour le jeune homme sans avenir, certes, mais jamais la moindre bouffée de « viens ici je te serre dans mes bras, enfant perdu». Et là soudain, réceptif, perceptif, sensible, je vis l’humanité souffrante sous milles visages particuliers. » Cette citation résume, à ma vue, toute la pensée de Laroui : ces personnages abstraits
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ne sont que des outils permettant la progression de la réflexion philosophique qui tient le premier rang dans le livre, apparemment roman. Et être individualiste, c’est prendre une distance, condition nécessaire pour la réflexion, de la foule afin de la penser, de lui servir, de la libérer de ses propres idées stérilisantes ; « Dieu a crée les hommes, moi je les ai rendus égaux. » p. 168
Et pour bien justifier que son individualisme n’est pas un égoïsme, je cite ses derniers mots: « Et soudain je sais ce qu’il me reste à faire. Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt? C’est la seule solution. Elle crève les yeux. « Il faut aimer Bouazza ».» p. 190 Là, il met à nu son individualisme qu’il défend dès l’exergue, ce n’est pas un individualisme au sens narcissique du terme, mais un individualisme humaniste qui ne se dissocie du bien commun du peuple, mais sans se laisser écraser par ce même peuple.
Rédigé par : Tarik LABRAHMI
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