Khatibi et la psychanalyse
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1 KHATIBI ET LA PSYCHANALYSE Dans son dernier ouvrage Le scribe et son ombre, ouvrage qui nous a été livré comme un testament, Abdelkébir Khatibi écrit : « Il est heureux que la psychanalyse dialogue avec la littérature, depuis son invention. Dialogue très 2fécond entre la connaissance, le langage et l’art » . Khatibi fait partie des écrivains qui ont marqué plusieurs générations et dont les recherches ont concerné plusieurs disciplines. « Inter » est un mot qu’il affectionne particulièrement et qu’il revendique dans son parcours. « Etranger professionnel », comme il se définit lui-même, il aime traverser les frontières entre les langues, les civilisations, les disciplines. J’aborderai ici quelques questions ayant trait à son rapport à la psychanalyse. Deux dates majeures ont marqué ma rencontre avec Khatibi à Rabat : novembre 1981 et mai 1985. La première fut celle du colloque sur le 3 bilinguisme , la seconde celle de la rencontre sur le thème 4« Dissymétrie/éthique » . Le colloque sur le bilinguisme, initié et coordonné par Khatibi fut un moment majeur marqué par la participation d’écrivains et chercheurs éminents comme François Cheng, Tzvetan Todorov, Jacques Hassoun, Abdelwahab Meddeb, Abdelfettah Kilito… Les journées qui se sont tenues sur le thème « Dissymétrie/éthique » 5 6 furent organisées entre « Le Texte Freudien » et « Le Cercle Freudien » à l’initiative de Khatibi.

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Publié le 02 août 2014
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Langue Français

Extrait

1
KHATIBI ET LA PSYCHANALYSE

Dans son dernier ouvrage Le scribe et son ombre, ouvrage qui nous a été
livré comme un testament, Abdelkébir Khatibi écrit : « Il est heureux que la
psychanalyse dialogue avec la littérature, depuis son invention. Dialogue très
2fécond entre la connaissance, le langage et l’art » .
Khatibi fait partie des écrivains qui ont marqué plusieurs générations et
dont les recherches ont concerné plusieurs disciplines. « Inter » est un mot qu’il
affectionne particulièrement et qu’il revendique dans son parcours. « Etranger
professionnel », comme il se définit lui-même, il aime traverser les frontières
entre les langues, les civilisations, les disciplines. J’aborderai ici quelques
questions ayant trait à son rapport à la psychanalyse.
Deux dates majeures ont marqué ma rencontre avec Khatibi à Rabat :
novembre 1981 et mai 1985. La première fut celle du colloque sur le
3
bilinguisme , la seconde celle de la rencontre sur le thème
4« Dissymétrie/éthique » .
Le colloque sur le bilinguisme, initié et coordonné par Khatibi fut un
moment majeur marqué par la participation d’écrivains et chercheurs éminents
comme François Cheng, Tzvetan Todorov, Jacques Hassoun, Abdelwahab
Meddeb, Abdelfettah Kilito…
Les journées qui se sont tenues sur le thème « Dissymétrie/éthique »
5 6
furent organisées entre « Le Texte Freudien » et « Le Cercle Freudien » à
l’initiative de Khatibi. « Le Texte Freudien » organisait sa première rencontre,
durant un mois de Ramadan.
La rencontre avec la psychanalyse
Revenons au tout début de la rencontre de Khatibi avec la psychanalyse.
Comme il l’affirme lui-même, « la première étape » de ce qu’il a appelé sa
« psychanalyse ponctuelle » fut sa contribution, en avril 1981, à un dossier
7consacré au thème « Corps-Langue-Tradition » . Il s’était alors penché sur les

1Texteparudansl'Ouvrage2010:Lejourd'après,DédicacesàAbdelkébirKhatibi(dir.
MustaphaBencheikh),EditionsAfrique-Orient.
2AbdelkébirKhatibi,Lescribeetsonombre,Editionsdeladifférence,Paris,2008,p.71.
3 Le colloque s’est déroulé du 26 au 28 novembre 1981 à Rabat. Les différentes
interventionsontétépubliéesdansl’ouvrageDubilinguisme,éditionsDenoël,1985.
4Colloque«Dissymétrie/éthique»,Rabat,25-26mai1985.
5J’avaisfondéen1986àRabat«LetexteFreudien»avecFouadBenchekroun,Michèle
FayeetMartineMedejel.
6 Association fondée en 1981 à Paris par Michèle Abbaye, Olivier Grignon, Jacques
Hassoun,PascaleHassounetClaudeRabant.
7«Corps-Langue-Tradition»,revue“Transitions”,n°6(numérodirigéparJalilBennani
etJean-FrançoisReverzy),Paris,1981.
1« Histoires généalogiques du divan ». S’en est suivi le colloque sur le
bilinguisme au cours de la même année puis son analyse personnelle qui s’est
déroulée entre septembre 1982 et juillet 1983.
Je m’arrêterai d’abord sur ces trois temps.
Histoires généalogiques du divan
Khatibi rappelle que le mot diwân est d’origine persane : « Les historiens
affirment qu’en adoptant le système bureaucratique persan, le Khalife Omar, dès
le début de l’Islam, en a adopté aussi une partie de son lexique, dont le mot
diwân. Il rappelle que le dictionnaire encyclopédique Lisan al-arab signale
l’existence d’un hadith du prophète Muhammad : « Ils ne sont unis par aucun
diwân de récitant », c’est-à-dire, souligne Khatibi « par aucun code, aucun
registre transmis oralement ». Il retient les significations : dawwana (verbe) :
composer un registre, enregistrer son nom ; diwân : recueil de poèmes ; il
rappelle qu’Ibn Khaldûn utilise le mot diwân dans ses différents sens connus :
registre, bureau, ministère, cadastre, chancellerie, secrétariat, recueil de poèmes,
mémoire des sciences et de l’histoire…
« Ce qu’entend, ce que dit un analysant persan, turc, arabe, dans ce
discours de l’inconscient, passe aussi par ce lieu et par ces transferts de langue à
langue…. », souligne Khatibi. Il pose enfin la question : « Que dit la parole (et
le silence) de l’analysant, dans sa langue maternelle, lorsqu’elle est muette et
aphone ? ». Il aura à cœur de développer les réflexions liées au bilinguisme, à la
bilangue, au passage d’une langue à une autre, au plurilinguisme.
Du bilinguisme
Dans une note préliminaire au colloque « Du bilinguisme », il écrit : « De
la langue "naturelle" ou "maternelle" ? Du bilinguisme ou du plurilinguisme - en
effet ? Autant d’interrogations dont l’urgence, depuis toujours à l’œuvre, depuis
toujours retardée, détournée, produit aujourd’hui d’immenses effets, et dont on
commence à peine à mesurer l’ébranlement théorique. » Il poursuit sur cette
question « incontournable », « historique », située au carrefour de plusieurs
disciplines, mais aussi à « l’intérieur » et « aux marges de toutes les langues, de
tous les continents ».
Khatibi invitait alors les participants à une interrogation sur les
« nodosités » entre différentes recherches et expériences. « S’il n’y a pas
(comme nous le disons après et avec d’autres) la langue, s’il n’y a pas de
monolinguisme absolu, reste à cerner ce qu’est une langue maternelle dans sa
division active, et ce qui se greffe entre cette langue et celle dite étrangère. Qui
s’y greffe et s’y perd, ne revenant ni à l’une ni à l’autre : l’incommunicable »,
écrit-il. Travaillant sur la langue et à partir d’elle, le psychanalyste est très
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fréquemment interpellé par ces questions. Pour Khatibi, à ce moment là, la
psychanalyse représentait davantage un instrument au service de l’écriture
qu’une méthode d’investigation de l’inconscient.
Cette rencontre sur le bilinguisme fut celle de « l’intersection » de
plusieurs discours, de situations personnelles, allant « jusqu’au vertige de la
9dissymétrie » . Elle a constitué une recherche entre langues, cultures et
littératures. Trois thèmes majeurs y furent abordés : bilinguisme et dissymétrie,
bilinguisme et écriture, bilinguisme et culture.
La « psychanalyse ponctuelle »
En septembre 1982, Khatibi commence une analyse personnelle à Paris. Il
importe de préciser le lieu pour deux raisons essentielles. La première est que
cette analyse se déroule en français, dans la langue qui n’est pas sa langue
maternelle donc. La seconde réside dans le fait que la distance géographique
avec son pays de résidence, le Maroc, impose une temporalité irrégulière,
interrompue par des périodes de silence. Une analyse non orthodoxe et brève.
C’est ce dernier point qui constituera sans doute l’aspect qu’il nomme
« ponctuel ».
« J’étais entré en analyse ponctuelle pendant que je vivais un désarroi
sentimental. Une forte tendance à me séparer vite des femmes aimées et
aimantes. Pourquoi, m’étais-je demandé, devrais-je répéter le même cycle de
rencontres et de séparations ? Etais-je privé de toute liaison relativement
10
continue et stable dans le temps à venir ? », se demande-t-il. Il
reconnaît toutefois que cette démarche n’excluait pas une « curiosité d’intérêt
intellectuel » bien qu’il essayait d’identifier sa « blessure affective à l’amour »
et sa relation à sa « passion de scribe ». « Passion-limite que frôle une vérité
dangereuse », reconnaît-il.
Plus tard, en 2008, toujours dans son dernier ouvrage, Le scribe et son
ombre, c’est à une auto-biographie que l’écrivain se livre en affirmant son lien à
la psychanalyse : « Etant bilingue, je continue à composer cette auto-biographie
intellectuelle dans mon idiome. Ma mémoire se rétrécit en mots, et quand je
monologue comme n’importe qui, je le fais dans une troisième langue, une
interlangue marquée par des trous de mémoire, des associations imp

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