Langue populaire - article ; n°1 ; vol.9, pg 238-249
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1957 - Volume 9 - Numéro 1 - Pages 238-249
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1957
Nombre de lectures 20
Langue Français

Extrait

Professeur Charles Bruneau
Langue populaire
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1957, N°9. pp. 238-249.
Citer ce document / Cite this document :
Bruneau Charles. Langue populaire. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1957, N°9. pp. 238-249.
doi : 10.3406/caief.1957.2111
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1957_num_9_1_2111LANGUE POPULAIRE
Communication de Charles BRUNEAU
au VIIIe Congrès de l'Association, le 5 septembre 1956
Le linguiste distingue, à côté d'une élite de gens cultivés,
qui se servent d'une langue élaborée, ou tout au moins « surveil
lée», la masse du peuple, dont le parler présente, pour le voca
bulaire, les formes et la syntaxe, des particularités plus ou moins
notables.
L'adjectif populaire peut caractériser, soit la langue parlée par
le peuple, soit une langue qui soit appropriée à sa mentalité et
à ses goûts, quand il s'agit d'oeuvres littéraires qui lui sont des
tinées.
Des régions éloignées de Paris, où subsistent des parlers
locaux, peuvent encore aujourd'hui fournir de bons exemples de
langues populaires. J'ai connu jadis, à Givet (Ardennes), un
ouvrier qui composait, sur des airs connus, des chansons qu'il
vendait — deux sous — à ses camarades; elles étaient écrites
dans un français commun, relevé d'un certain nombre de termes
dialectaux ou patois. — Des contes plaisants, souvent de carac
tère scatologique, ou satirique, sont composés traditionnellement
en parler wallon de Namur. Je résume en quelques mots un conte
récent, celui des Escargots {caracoles). Dit avec une lenteur exa
gérée et des intonations caractéristiques, coupé de silences mar-
qués, ce conte a la prétention d'évoquer plaisamment la « lenteur »
du parler de Namur, et aussi, subsidiairement, le manque de viva
cité d'esprit des habitants du pays. Antoine et Auguste se ren
contrent le matin, sur le pont de Namur, munis chacun d'un
énorme sac; ils vont à la chasse aux escargots; l'un sur la rive
droite, l'autre sur la rive gauche. Ils se retrouvent, le soir, au CHARLES BRUNEAU 239
milieu du pont. « Eh bien ? » dit Antoine. — « J'en ai deux »,
dit Auguste. « J'ai bien cru en avoir un troisième, mais il courait
trop vite ; je n'ai jamais pu le rattraper. » — II s'agit là d'un
type littéraire connu depuis le moyen âge : le récit se termine
par un « trait » d'autant plus amusant qu'il est absurde, donc
inattendu.
Notons, en passant, qu'il serait imprudent, sur la foi de
Jules Renard (Ragotte, p. 272, cité par J. Marouzeau, Notre
Langue, p. 267), de généraliser un type de paysan qui «ne pos
sède qu'un ton de voix pour parler des choses tristes et des
choses gaies » et qui « parle le moins possible ». Le paysan wallon
aime à parler et à raconter des histoires (des flôwes). Habitué
à entendre les patois assez différents de nombreux villages, il
possède une oreille remarquablement exercée, et fournit au dia-
lectologue des indications précieuses sur les nuances des voyelles
et des consonnes. — II est, en Wallonie, des paysans qui parlent
la langue du village; il en est qui créent leur langue; tout le
monde reconnaît leur «génie»; ils en sont parfaitement con
scients eux-mêmes, et ils prennent plaisir à raconter les anecdotes
qu'ils connaissent.
La langue populaire, au sens propre de l'adjectif, est donc
infiniment variée, comme les milieux populaires eux-mêmes, et
elle ne présente pas toujours, même au village, la stabilité qu'on
lui prête quelquefois.
L'adjectif « populaire » s'applique aussi à des « productions »
d'un caractère tout différent. Dès le moyen âge, dans certaines
œuvres littéraires, l'auteur introduit des personnages dont le parler
est tout à fait différent de celui de l'auteur : qu'il me suffise de
citer les œuvres théâtrales d'Adam de la Halle, le ]eu de la
Veuillée et le Jeu de Robin et Marion. — En particulier, les
œuvres de Plaute, étudiées dans les universités, offraient des
modèles bien caractéristiques.
Au début du XVIe siècle, la « Stylistique » de Strobaeus,
Remensis (ce nom est sans doute formé d'après celui du village
d'Estrebay, Ardennes, Rocroi, qui serait le village natal de l'au
teur), classe les mots avec un luxe de précision que ne connaîtra
plus le xviie siècle, réduit aux trois catégories bien connues :
style bas, style médiocre, style sublime (Vaugelas, Remarques, 240 CHARLES BRUNEAU
p. 510); nous y ajoutons aujourd'hui, dans les tragédies, le style
noble (entre le médiocre et le sublime). Dès lors, des écrivains,
dont la langue est celle de la société cultivée, s'adressant à un
public également cultivé, utiliseront une langue de caractère popul
aire ou « popularisée ». L'effet cherché, qui est presque toujours
de caractère plaisant, est un « effet de choc ». Pour donner une
idée de l'impression que des traits « populaires » pouvaient faire
sur le « bourgeois » ou le « noble » du xvr et du xvne siècle,
il est préférable, à notre époque, de considérer, dans une de ces
scènes « populaires » auxquelles le roman nous a accoutumés,
l'effet produit par un mot « savant ». Queneau, au milieu d'un
repas de petits commerçants parisiens où la conversation, de carac
tère peu relevé, roule sur les huîtres, s'amuse à jeter négligem
ment, sous couleur d'éviter une répétition fastidieuse du mot
huître, le terme inattendu de « lamellibranche ». Ce vocable pédant
est d'une drôlerie incomparable.
J'appellerai donc « populaire » la langue artificielle que des
écrivains cultivés, s'adressant à des lecteurs cultivés, emploient
en diverses occasions, dans le dessein de présenter les faits ou
les idées sous une forme à la fois plus expressive et plus amus
ante. Nous pouvons supposer que les rhétoriciens (le mot a dési
gné dans les collèges les professeurs, puis les élèves des classes
de rhétorique) étaient au courant des ressources que pouvait leur
offrir le style populaire.
Quels étaient les principaux caractères de ce « style », auquel
je préfère donner le nom plus général de « langue » ?
La « langue populaire » est surtout caractérisée par son voca
bulaire. Ce vocabulaire est très varié. Molière, qui fit ses études
au collège de Clermont, se montre, quand il s'agit de mots « popul
aires », très réservé. Il s'est bien gardé d'employer le mot de
«mazille»; Richelet (1680) marque le mot d'une croix (de mauv
ais augure) et précise : « Ce mot signifie de l'argent, mais il
est bas et ne s'écrit guère, même dans le style le plus comique ».
Richelet nous offre, au début de la lettre B, babouin : « petit
sot », avec l'expression : « baiser le babouin », « faire des sou
missions à quelqu'un avec lequel on était brouillé », et babouine :
« sotte impertinente et qui manque de conduite » (les deux mots
sont marqués d'une croix). Babouin, que nous lisons dans La CHARLES BRUNEAU 241
Fontaine {Fables, I, 19), n'est pas non plus dans Molière (Livet,
dont le Lexique est si précieux, n'eût pas manqué de le relever).
Molière ignore aussi bagarre, qui signifie bruit (le mot est mas
culin : « On a fait bien du bagarre ») . — Ces quelques exemples,
que je pourrais multiplier, montrent la richesse qu'offrait le voca
bulaire « populaire » aux écrivains du xvrie siècle.
Il existait aussi de nombreuses locutions que la langue des
gens bien nés ignorait ou avait abandonnées. Parfois l'effet cher
ché par l'écrivain du xvne siècle échappe au lecteur moderne.
La Fontaine nous présente, dans les Animaux malades de la Peste,
un courtisan « achevé ». Le Renard s'exprime avec une désinvolture
et une élégance parfaites :
Eh bien ! manger moutons, canaille, sotte espèce,
A son tour, l'âne prend la parole :
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes, seigneur

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