Le lorgnon de Schopenhauer. Les symbolistes Belges et les impostures du réel - article ; n°1 ; vol.34, pg 119-135
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1982 - Volume 34 - Numéro 1 - Pages 119-135
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1982
Nombre de lectures 47
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Christian Berg
Le lorgnon de Schopenhauer. Les symbolistes Belges et les
impostures du réel
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1982, N°34. pp. 119-135.
Citer ce document / Cite this document :
Berg Christian. Le lorgnon de Schopenhauer. Les symbolistes Belges et les impostures du réel. In: Cahiers de l'Association
internationale des études francaises, 1982, N°34. pp. 119-135.
doi : 10.3406/caief.1982.2385
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1982_num_34_1_2385LE LORGNON DE SCHOPENHAUER.
LES SYMBOLISTES BELGES
ET LES IMPOSTURES DU REEL
Communication de M. Christian BERG
(Anvers)
au ХХХПГ Congrès de l'Association, le 22 juillet 1981.
L'exemple de stupidité le plus frappant et le plus intéressant
que j'ai jamais rencontré, raconte Schopenhauer dans le livre
premier du Monde comme volonté et représentation, est celui
d'un garçon de onze ans qui se trouvait dans une maison de
fous ; il était complètement idiot, sans toutefois être privé
d'intelligence, puisqu'il causait et comprenait ce qu'on lui disait,
mais il était pour l'entendement au-dessous de l'animalité. Toutes
les fois que je venais, il considérait attentivement un lorgnon
que j'avais au cou, et dans lequel se reflétaient les fenêtres de
la chambre, avec les arbres situés derrière ; cela lui causait
chaque fois le même étonnement joyeux et jamais il ne se
lassait de le regarder avec une nouvelle admiration ; c'est qu'il
était incapable de concevoir d'emblée la cause de cette réflexion
de la lumière (1).
Il y a, dans ce passage, quelque chose d'excessif, qui ne
peut que retenir l'attention du lecteur. L'emploi de certains
termes (« exemple de stupidité le plus frappant », « au-dessous
de l'animalité ») est sans commune mesure avec le fait
observé : un garçon qui ne fait qu'admettre la simplicité
de ce qu'il voit, sans arrière-pensée, sans rien derrière la tête.
Schopenhauer en conclut que le gosse n'a rien dans la tête,
(1) A. Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme repré
sentation (trad. A. Burdeau), Paris, P.U.F., 1978, p. 49. CHRISTIAN BERG 120
car, pour le philosophe, il est parfaitement inadmissible
d'envisager toute perception de phénomènes extérieurs sans
recours à la causalité. Inacceptable — et donc reléguée dans
l'univers de la folie — l'appréhension joyeuse (car Schopen
hauer note, sans vraiment le comprendre, Г « étonnement
joyeux », chaque fois renouvelé de l'enfant) de l'image, du
reflet, de l'illusion.
Est-ce dire que Schopenhauer fut insensible au spectacle
infiniment changeant du monde, à la diaprure et aux reflets
du réel ? Ce serait faire une grave injure à ce philosophe-
poète, même si sa manière de percevoir et d'expliquer ce qu'il
perçoit surprend parfois quelque peu. Ainsi, parlant de la
lumière, dont il note que c'est « la chose la plus réjouissante
qui existe » (2), il évoque la « beauté étrange > du reflet
des objets dans l'eau. C'est, dit-il, « la plus pure, la plus
parfaite d'entre nos perceptions » (3). Et voici pourquoi :
le reflet, provoqué par la réflexion des rayons lumineux, offre
à l'observateur le phénomène sous sa forme la plus claire,
la plus manifeste, la plus complète, puisqu'il montre à la fois
la cause et son effet, « d'une manière pour ainsi dire amp
lifiée » (4). La beauté étrange qui émane du reflet dans
l'eau serait donc à attribuer à l'amplification du principe de
causalité perçue par l'entendement du spectateur.
Cette explication est moins surprenante, évidemment, si on
sait qu'elle s'inscrit dans une réflexion partie d'une « exigence
radicale de nécessité » (5) pour aboutir à une déconvenue
tout aussi radicale, puisqu'elle fait apparaître que cet univers
soumis au déterminisme obéit à une force aveugle (le
« Wille », la volonté) qui ne relève d'aucune nécessité pensable
par l'homme. Cette découverte de la contingence ultime oblige
l'homme à appréhender le monde dans lequel il vit et dont
il peut éprouver à chaque pas, à chaque geste, l'entière
(2) Ibid., p. 257.
(3)p. 258.
(4) Ibid., p. 259.
(5) С Rosset, Schopenhauer philosophe de l'absurde, Paris, P.U.F.,
1967, p. 13. LE LORGNON DE SCHOPENHAUER 121
soumission à la toute-puissante causalité, comme un mirage,
comme un songe, comme une illusion, puisqu'il ne peut lui
assigner de cause première ou de fin dernière. « La vie de
l'homme, déclare Schopenhauer, tant que la volonté l'anime,
est un véritable songe > (6).
Cette constatation, une partie de la génération qui prend
la plume et la parole en 1880 en Belgique va la moduler
avec une insistance remarquable. Il serait d'ailleurs exagéré
d'en imputer la seule paternité au philosophe allemand,
puisque les Parnassiens français avaient légué aux Parnassiens
belges, regroupés autour du fanion de La Jeune Belgique,
non seulement une esthétique, mais aussi une éthique pessi
miste qui proclamait déjà que la vie était faite, pour citer
Leconte de Lisle, « du tourbillon sans fin des apparences
vaines » (7). A quoi s'ajouta l'influence de Baudelaire, de
Gautier, des Goncourt, de Huysmans, de Bourget qui trans
mirent aux Jeune Belgique une conscience « moderniste >
pour laquelle il devenait évident que le texte de la nature
avait fait l'objet d'une falsification que rien ne viendrait plus
sauver et restituer à une pureté devenue elle-même illusoire.
L'un des premiers recueils qui marquent le renouveau de 1880
en Belgique, les Rimes de joie de Théo Hannon (préfacé par
Huysmans) (8) révèle, d'entrée de jeu, toute l'ardeur d'un
falsificateur qui préfère l'artifice à la nature, le masque au
visage, le théâtre à la vie. Giraud, avec son Pierrot lunaire,
Waller avec ses sonnets fumistes de La Flûte à Siebel,
Rodenbach avec sa Mer Elégante ou son Hiver Mondain
mettent, au-delà de leur pessimisme désabusé de dandies, une
alacrité singulière à développer ce qu'ils appellent eux-mêmes
une « esthétique du mensonge >. Celle-ci, malgré le parfum
(6) A. Schopenhauer, Le Monde..., p. 515.
(7) Leconte de Lisle, Œuvres. Poèmes Tragiques, « Maya », Paris,
Les Belles Lettres, 1977, p. 147.
(8) La correspondance Huysmans-Hannon, accompagnée de la
réédition des Rimes de joie, doit paraître prochainement chez C.
Bourgois. 122 CHRISTIAN BERG
ďélitarisme qui s'en dégage et qui déplut tellement à Edmond
Picard, allait peut-être plus sûrement que les tenants de l'Art
Social droit à Г « attentat futur ». Car en étendant la facticité
du discours au monde, en voulant faire découvrir, comme l'a
dit Rodenbach, « l'erreur en toute vérité, la vérité en toute
erreur » (9), ils dénonçaient par là même l'état de fiction
d'une société-pouvoir qui avait réussi à imposer comme
naturels — et donc réels — les effets du mode de production
capitaliste et la structure sociale qui en était résultée. Le
recours à l'artifice dévoilait l'artificialité de ce qui voulait se
faire appréhender comme naturel.
L'artiste put donc prendre pleinement en charge son rôle
ď « architecte de [s] es féeries » (Baudelaire). Schopenhauer,
comme Га bien montré Robert Gilsoul, apporta aux Jeune
Belgique une assise philosophique à la théorie de l'Art pour
l'Art, un renforcement de leur pessimisme, une confirmation
que le monde n'était que le voile de la Maya, tissé par l'illusion
(10). Le terrain sur lequel allait s'implanter le symbolisme en
Belgique était ainsi bien préparé.
La fuite dans l'art des Jeune Belgique est bien sûr avant
tout une fuite du réel, s'accompagnant d'ailleurs d'un ressen
timent très marqué pour un monde qui, faute de certitudes,
s'offre comme un univers de l'imposture et de l'incertitude,
où, pour citer Rodenbach, « tout s'en va », où « rien ne
persiste », où « tout se déprend », «

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