Marcelle Tinayre LA MAISON DU PÉCHÉ 1902 Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits » Table des matières I ................................................................................................. 5 II .............................. 10 III ............................ 22 IV ............................................................................................. 31 V .............................. 37 VI 46 VII ........................................................................................... 58 VIII .......................... 73 IX .............................98 X ................................................................ 115 XI ............................1 21 XII ......................... 140 XIII ........................................................................................ 152 XIV 155 XV .......................... 169 XVI ........................................................................................ 182 XVII ....................... 187 XVIII ......................1 91 XIX ........................................................................................ 199 XX .......................... 207 XXI ........................................................................................ 214 XXII ...................... 220 XXIII .................... 230 XXIV ...................................................................................... 247 XXV 260 XXVI ................... ...
Marcelle Tinayre
LA MAISON DU PÉCHÉ
1902
Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits » Table des matières
I ................................................................................................. 5
II .............................. 10
III ............................ 22
IV ............................................................................................. 31
V .............................. 37
VI 46
VII ........................................................................................... 58
VIII .......................... 73
IX .............................98
X ................................................................ 115
XI ............................1 21
XII ......................... 140
XIII ........................................................................................ 152
XIV 155
XV .......................... 169
XVI ........................................................................................ 182
XVII ....................... 187
XVIII ......................1 91
XIX ........................................................................................ 199
XX .......................... 207 XXI ........................................................................................ 214
XXII ...................... 220
XXIII .................... 230
XXIV ...................................................................................... 247
XXV 260
XXVI ..................... 268
XXVII .................................................................................... 278
XXVIII .................. 286
XXIX .................... 302
XXX ....................................................................................... 313
XXXI ..................... 324
XXXII .................... 327
XXXIII .................................................................................. 340
À propos de cette édition électronique ................................. 357
– 3 – À mon Amie Marceline Hennequin
– 4 – I
« Qu’en tout temps tes vêtements
soient blancs et que l’huile parfumée coule
sur ta tête. Jouis de la vie avec la femme que
tu aimes, durant les jours rapides que Dieu
t’a donnés sous le soleil, – car il n’y a ni
œuvre, ni pensée, ni science, ni sagesse
dans le séjour des morts où tu vas en
hâte… »
(ECCLÉSIASTE, IX.)
Des rideaux blancs, suspendus sur la profonde embrasure
de la fenêtre, tamisaient un jour laiteux, déjà pâlissant. Ils en-
fermaient, comme dans une claire chapelle, l’enfant qui lisait et
rêvait.
Le salon provincial, orné de boiseries et de solives, meublé
d’acajou ancien, plus vaste et plus froid, à cette heure crépuscu-
laire. Les cadres symétriques des portraits, accrochant un reflet
de jour, montraient çà et là le profil d’un rinceau brillant et la
nervure d’une acanthe. Mais l’ombre, déjà épaisse aux angles
des murs, gagnait insensiblement. La lumière défaillante recu-
lait, reculait encore, et retenue par les mousselines de la fenêtre,
languissait un instant dans leur trame avant de s’évanouir.
De l’enfant penché vers son livre, on ne distinguait que le
vêtement noir, éclairé par la ligne pâle du col, et, sur les cheveux
d’un blond de cendre, un peu d’or frissonnant qui s’éteignait.
Près de la cheminée, une forme de femme assise remua
confusément, dans les demi-ténèbres. Une voix murmura :
– 5 –
« J’entends la trompe du courrier. L’omnibus traverse la
place. Écoutez, Augustin… »
Une vibration sourde, venue de loin, mourait contre les
vitres.
« Oui, dit l’enfant, M. Forgerus arrive à Hautfort.
– Je regrette qu’il n’ait pu venir, ce matin, à la messe de
première communion, mais il était fatigué par ce grand voyage.
C’est un homme de faible santé. »
Augustin ne répondit pas. Il feuilletait le vieux volume in-
quarto, lourd à ses mains frêles. C’était un Martyrologe de
1638, illustré de gravures au burin. On y voyait des brasiers
flambants, des colonnades, des proconsuls à casque et à cui-
rasse, des martyrs boursouflés, des lions à perruque et de
grands anges porteurs de palmes, projetés la tête en bas, dans
leurs draperies volantes.
« Fermez votre livre. La nuit vient. Jacquine apportera la
lampe tout à l’heure, reprit la voix. Vous pouvez rejoindre mon-
sieur et mademoiselle Courdimanche sur la terrasse, si cela vous
fait plaisir.
– Non, maman. Je suis très bien ici, avec vous.
– Soit ! Un jour de première communion, il faut éviter
même les plaisirs innocents. Reposez-vous en pensant à Dieu,
mon fils.
– Oh ! cette fois, j’entends la voiture ! » s’écria Augustin.
Le front appuyé aux vitres fraîches, il guettait l’apparition
du nouvel hôte dans le chemin roide qui grimpait entre deux
– 6 – haies, vers la maison. Ce logis patrimonial des Chanteprie, bâti
sur l’extrême bord d’un plateau, domine la pente rapide où
s’étage Hautfort-le-Vieux. À droite, le donjon couronne de ses
tours ruinées la masse verdoyante du jardin municipal. La porte
Bordier, autre fragment de la forteresse, enjambe la rue qui des-
cend à pic vers la place de l’Église et l’hôpital du comte Gode-
froy. Ce cintre de pierre moussue découpe un morceau de pay-
sage – toits enchevêtrés, pavés disjoints, fonds bleuâtres, – pré-
cis comme un dessin d’Albert Durer. À mi-côte, Saint-Jean-de-
Hautfort élève un portail Renaissance, un vaisseau soutenu par
edes arcs-boutants gothiques, un clocher restauré au XVII
siècle. Entre les arcades de brique d’un petit cloître, les cha-
pelles et les cyprès du cimetière apparaissent à vol d’oiseau. Çà
et là, parmi les groupes de maisons, on devine les coudes, les
lacets des rues, les petites places plantées de tilleuls en char-
milles. La cendre du soir éteint dans une harmonie grise le
sombre violet des ardoises, le vermillon des tuiles neuves, le
brun rougeâtre des vieux toits. Des fumées montent. Sous la
pâleur irisée du vaste ciel, à droite et à gauche, des ondulations
boisées s’allongent, en demi-cercle, et, vers le Nord,
s’échancrent largement pour découvrir un horizon de plaine,
infini et bleuissant comme la mer.
Pas un bruit, pas un roulement de chariot, pas un siffle-
ment de machine : le silence des villes mortes où la vie semble
figée dans l’attente et le souvenir.
Augustin de Chanteprie aimait la petite cité féodale sans
industrie, sans commerce, et, toute proche de Paris, tombée à la
torpeur de la province, mais qui retenait dans ses ruines l’âme
héroïque et pieuse du passé. Ce paysage aux molles vallées, aux
plaines nuancées d’azur, aux bois de châtaigniers et de chênes,
c’était bien la « douce France » des trouvères. Et la maison
même, sauvée des embellissements ridicules et des sacrilèges
restaurations, n’avait point changé depuis 1636, – depuis que
Jean de Chanteprie, maître des requêtes, était venu s’y établir.
– 7 –
Les noms et les visages des MM. de Chanteprie étaient fa-
miliers à l’enfant, conservés dans sa mémoire comme dans un
musée. C’étaient Jean de Chanteprie, le grand ancêtre, le pre-
mier ami de Port-Royal, le magistrat qui, pendant la Fronde,
avait conduit, en robe de palais, avec MM. de Tillemont et de
Bernières, la procession des religieuses jansénistes jusqu’à
Saint-André-des-Arcs. C’étaient ses trois fils et ses trois filles,
ses neveux, ses descendants : Thérèse-Angélique, morte reli-
gieuse, à Port-Royal ; Gaston, réfugié en Hollande près
d’Antoine Arnauld et du Père Quesnel ; Agnès, la convulsion-
naire, guérie d’une paralysie des jambes sur le tombeau du
diacre Pâris, – et tant d’autres : Adhémar, le « renégat », l’ami
des encyclopédistes ; Jacques, député à la Constituante, et ces
Chanteprie de Hollande réunis à la branche française par le ma-
riage de deux cousins, Jean et Thérèse-Angélique, dont Augus-
tin était l’unique enfant.
Seul, maintenant, avec sa mère, il représentait cette race
des Chanteprie, race obstinée et violente qui s’enferma dans sa
foi comme dans une prison, et, raide d’orgueil sous le cilice, sut
disputer, combattre et souffrir.
Et lui, que serait-il, que ferait-il ? La France se passionnait-
elle encore pour des controverses théologiques ? Pouvait-on
défendre la foi par l’épée, comme Simon de Hautfort, ou par la
plume et la parole, comme Gaston de Chanteprie ?… Écraser
l’hérésie, gagner des âmes, connaître Dieu et le faire connaître,
l’aimer et le faire aimer, c’était l’ambition naïve, le grand rêve
qu’Augustin de Chanteprie avait avoué à son confesseur…
Une étoile brillait. Des vitres s’illuminèrent. Par le chemin
qui contourne l’escarpement du donjon, un homme s’avançait.
Il longea le mur de la terrasse et s’arrêta devant la porte charre-
tière. Le heurtoir de bronze retentit.
– 8 – « Maman, dit Augustin un peu troublé, c’est M. Forgerus. »
– 9 – II
Une servante, âgée, très haute, très maigre, coiffée d’un
bonnet noir, entra dans le salon. Elle déposa sur la cheminée
une lampe de porcelaine commune dont la lueur fit bleuir les
fenêtres. M. Forgerus restait immobile, un peu gêné, son cha-
peau à la main.
C’était un homme de cinquante ans, chauve, à barbe grise,
le nez aquilin, les sourcils gros, le regard ferme et circonspect. Il
tenait de l’universitaire et de l’ecclésiastique. Sa redingote était
fort démodée, et le cordon de son binocle cassé et renoué en
plusieurs endroits.
me« Soyez le bienvenu, monsieur, dit M de Chanteprie.
Vous n’êtes pas trop fatigué de ce long voyage ?…
M. de Grandville se porte bien ?… Il ne songe pas à revenir en
France ?
– L’abbé de Grandville est en parfaite santé, malgré son
grand âge, répondit M. Forgerus. Il appartient, corps et âme, à
son cher collège de Beyrouth. Certes, si j’avais mieux supporté le
climat de la Syrie, je n’aurais pas quitté mon vénérable ami.
Mais j’espère lui revenir, madame, dans sept ou huit ans, quand
votre fils n’aura plus besoin de mes leçons. »
meM de Chanteprie appela :
« Augustin ! Venez