Haddad & Pontalis : psychanalyse et littérature
5 pages
Français

Haddad & Pontalis : psychanalyse et littérature

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
5 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description


Le psychanalyste Gérard Haddad a écrit Lumière des astres éteints (Grasset, 2011), sûrement le plus saisissant et le plus bouleversant essai qui se puisse lire cette saison.
&
Un néologisme rencontré au cours de mes lectures me revient à l’esprit au moment d’évoquer le petit livre entêtant de J.-B Pontalis En marge des nuits (Folio n°5288)  : «hantologie»
  [Moins]

Informations

Publié par
Nombre de lectures 32
Langue Français

Extrait

Gérard Haddad
Salim Jay A Gammarth, à Paris, à Sidi Bou Saïd, entre août 2009 et décembre 2010, le psychanalyste Gérard Haddad a écrit Lumière des astres éteints (Grasset, 2011), sûrement le plus saisissant et le plus bouleversant essai qui se puisse lire cette saison. D’abord agronome en Afrique de l’Ouest comme son ami Gilbet Naccache, l’auteur de Cristal, [...]
La lumière des astres éteints – Gérard Haddad
A Gammarth, à Paris, à Sidi Bou Saïd, entre août 2009 et décembre 2010, le psychanalyste Gérard Haddad a écrit Lumière des astres éteints (Grasset, 2011), sûrement le plus saisissant et le plus bouleversant essai qui se puisse lire cette saison. D’abord agronome en Afrique de l’Ouest comme son ami Gilbet Naccache, l’auteur de Cristal, le fut dans leur Tunisie natale, Gérard Haddad rencontrant Jacques Lacan entreprit des études de médecine et devint psychanalyste. C’est un parcours intellectuel atypique que le sien, mais qui lui donne une expérience tout à fait originale de la quête des savoirs et de l’attention aux problématiques, aux besoins des groupes ainsi qu’aux pratiques, aux discours et aux souffrances des individus.
Lumière des astres éteints est un essai dont le sous-titre La psychanalyse face aux camps explicite l’objet : affronter l’impensable que représente la mise en œuvre par le nazisme de l’extermination des juifs. Gérard Haddad ne pouvait pas trouver plus nette explicitation que celle contenue dans les phrases placées en épigraphe de Lumière des astres éteints : « Le camp est semblable à une bombe nucléaire qui disperse ses retombées radioactives en des lieux éloignés, même après l’explosion ; tout traumapsychique continue à contaminer ceux qui y ont été exposés, d’une manière ou d’une autre, à la première, seconde et ultérieures générations.(…) Le trauma émotionnel ne peut être vu ni détecté. Il demeure caché dans les noirs abyssesde l’inconscient avec son influence hasardeuse et toxique menaçant la santé des êtres humains pour des siècles ». Ces propos de Nathan Kellerman, Gérard Haddad les prend au mot. On peut même écrire qu’il les prend aux maux.
Cette souffrance qui se révèle parmi sa clientèle durant la cure analytique s’exprime par exemple ainsi : « Depuis mon enfance et mon adolescence – et j’ai aujourd’hui quarante ans je me traîne dans les cabinets et sur les divans d’analystes. Et je n’ai pas réussi à trouver un peu de paix intérieure, ni même une place quelque peu stable dans ce monde de sables mouvants ». Primo Levi, l’écrivain italien qui fut déporté n’a-t-il pas écrit : « et moi-même parfois je me demande si tout cela a bien eu lieu ».
Pour Simone, en cure avec Gérard Haddad,« Le monde actuel n’était que le produit des camps » et de donner un « exemple qui vous surprendra peut-être. (…) Le Club Med, bien sûr. Savez-vous comment cette idée du Club a jailli ? Non, pas dans la tête de Gilbert T., mais dans celle d’un homme remarquable, un juif belge, Gérard Blitz. (…) Une partie de sa famille est morte dans les camps. Lui a survécu. (…) Pour guérir le monde du camp [où] tout était interdit, dans le contre-camp tout serait permis. Dans le camp, on mourait de faim. Dans le contre-camp ,on pourrait manger à volonté, à satiété, sans limites. (…) Dans le camp le mot « loisir » n’avait aucun sens, dans le contre-camp le loisir, et d’abord le sport, serait roi ».
Qu’il évoque son expérience de psychiatre dans un dispensaire pour enfants ou ses lectures de récits ou de romans, Gérard Haddad est toujours éclairant, attentif et méthodique. Pas moins que son confrère Ali Magoudi qui s’est lui aussi passionné pour le roman de Georges Perec La disparition. Mais l’important dans la réflexion de Gérard Haddad, c’est aussi la place qu’il accorde à l’art, ce qu’il ose espérer de l’art dans le refus de la déshumanisation et ce qu’il réclame à la psychanalyse face à la terreur, en citant l’ouvrage de H.Besserman (1932-2002), cette psychanalyste brésilienne qu’il publia aux éditions de l’Harmattan en 1997 Politique de la psychanalyse face à la dictature et à la torture avec une préface de René Major, psychanalyste qui donna il y a quelques années une conférence à Rabat.
La chronique de Salim JAY
Comment comprendre l’impasse moyenne-orientale ? se demande Gérard Haddad ? « Nous disposons pour cela, écrit-il, d’une bibliothèque d’essais, de romans et de poèmes israéliens, souvent de qualité, à laquelle fait face celle des romans, essais et poèmes palestiniens tout aussi méritoires. Pourtant la confrontation entre ces deux littératures,aussi émouvantes l’une que l’autre, ne dessine à ce jour aucun point de rencontre ». A l’exception de quelques rares amitiés parmi lesquelles celle, que cite Haddad (dont on sait que le nom signifie en arabe forgeron) ayant rapproché Edward Saïd et Daniel Barenboïm.
Gérard Haddad condamne le triptyque consistant à « ne rien céder, n’avoir confiance en personne, y compris en ses amis, être indifférent à la souffrance des autres» et il note que «le résultat de ce catastrophique triptyque a été exprimé par ce jugement désabusé du grand violoniste et humaniste Yehudi Menuhin : Israël est parvenu à dilapider en quelques années l’immense capital moral que le peuple juif avait accumulé au cours des millénaires. » Gérard Haddad n’est pas un pessimiste professionnel. Il n’oublie rien de l’action de celles et ceux qui s’indignent. Ainsi Deborah, « une militante pour la paix qui occupait ses loisirs avec d’autres femmes en se postant aux check-points de l’armée israélienne. Là, à la moindre brimade à un Palestinien, elle surgissait de sa voiture pour interposer sa forte silhouette ».
Lumière des astres éteints est un livre qui, à la lumière des désastres passés ,voudrait conjurer les désastres futurs et invite à ne pas se cacher les désastres présents.
Jean-Bertrand Pontalis
Salim Jay Un néologisme rencontré au cours de mes lectures me revient à l’esprit au moment d’évoquer le petit livre entêtant de J.-B Pontalis En marge des nuits (Folio n°5288): «hantologie». Jean-Bertrand Pontalis, membre de l’association psychanalytique de France,
avait publié En marge des jours (Folio n° 3922) longtemps après le fameux ouvrage qu’il coécrivit avec Jean [...]
Un néologisme rencontré au cours de mes lectures me revient à l’esprit au moment d’évoquer le petit livre entêtant de J.-B Pontalis En marge des nuits (Folio n°5288): «hantologie». Jean-Bertrand Pontalis, membre de l’association psychanalytique de France, avait publié En marge des jours (Folio n° 3922) longtemps après le fameux ouvrage qu’il coécrivit avec Jean Laplanche Vocabulaire de la psychanalyse (P.U.F, 1967). J’avais été particulièrement impressionné à la lecture de Frère du précédent paru en 2006 chez Gallimard (Folio n° 4608). La connaissance de l’inconscient est la grande affaire de la vie intellectuelle de Pontalis mais l’entrée en littérature n’est pas pour lui la moindre des aventures. Il s’y est voué comme en marge des jours et des nuits, avec la volonté farouche et inquiète de mieux se connaître et, petit-être aussi, de s’oublier quelquefois ou, du moins, de se voir changer en interrogeant la pulpe du temps, le fruit de la relation à autrui, notamment dans ce qu’il appelle «mes Cahiers privés où je note de temps à autre tel ou tel événement du jour ou de l’un de ces événements: ce qui arrive, ce qui survient, ce qui vous tombe dessus ou vous ravit, l’imprévu.»
La chronique de Salim JAY
Il y aussi l’imprévisible qui vous ravit, vous emporte voire contient soudain le meilleur de votre bien à autrui, d’où cette collection L’Un et l’Autre qui paraît chez Gallimard sous la direction de Pontalis et nous a donné à lire nombre de récits remarquables renvoyant à cette «hantologie» que j’évoquais plus haut. En effet, les auteurs de la collection rendent hommage à des figures de leur vie privée ou à des personnages illustres de la culture ou de l’histoire qui les facinent et en viennent à nous faciner. L’échange est donc la belle énigme autour de laquelle tourne la vocation de Pontalis. Une des vertus de l’inquiétude qui anime les courts récits de rêves recueillis et commentés dans En marge des nuits, c’est de nous rappeler avec vigueur de terreur qui s’abat dans l’Histoire sur le monde: «Quand la nuit écrase le monde, écrit Pontalis, comme les plus redoutables de nos cauchemars, ceux dont nous sortons tremblants dans un cri d’effroi, paraissent inconsistants, irréels, face aux ténébres devenus réalité!»Lecteur du Journal d’Ernst Jünger et aussi du Journal d’Hélène Beer, Jean-Bertrand Pontalis suit le récit par le colonel de la Wehrmacht et fin lettré de ses promenades dans les jardins sous l’Occupation et il se demande ce qu’aurait trouvé à dire Jünger «à cette jeune femme qui aimait la vie de toutes ses forces, et Dieu sait qu’elle étaient grandes comme l’était son courge» et qui mourut exterminée par les nazis que servait l’écrivain galloné.La lecture d’En marge des nuits où rayonnent caresses et stupeurs amène à considérer qu’un vrai livre est d’abord et toujours l’écrin d’une parole. Il en est ainsi d’un recueil d’un jeune écrivain qui était de mes amis Le Dibbouk et autres textes (Société des Ecrivains, 2011).Nous ne parlions pas que de littérature. Un jour, avec une loyauté souriante, Jérôme Sas m’a parlé des «bénéfices secondaires de la maladie»: Cette expression admise, je ne la reçu pas comme une évidence incontournable.Qui voudrait du loisir obtenu du fait de la schizophrénie? Qui en voudrait pour soi, tout à trac, ici et maintenant? Qui réclamerait, à cor et à cris, du handicap dans sa besace, de la terreur dans sa tête, une division éruptive de l’esprit sous le fracas d’une trombe?Mais Jérôme Sas était écrivain. Un écrivain à l’œuvre aussi étroite qu’une brèche dans son tourment, une incision, mais décisive, une liberté, mais stupéfaite jusqu’à produire dans la phrase l’énigme puissante d’un sourire intérieur qui coule sur les joues comme une larme et s’adresse à autrui autant qu’à soi-même. Cela m’évoque une phrase du poète Armen Lubin: «On n’est libre que par pans».Lorsqu’il me la donna à lire Le Dibbouk, texte donnant son titre à son livre à venir je le reçus pour ce qu’il était, un cadeau majeur reconnu dans ma vie de lecteur: «Cette clarté insupportable, ces atermoiements insensés, toujours renouvelés, quelle œuvre ! Ah! Dibbouk, mon cœur est ton mausolée.»Pour triompher de son dibbouk, Jérôme était sans armure. La lecture de ce livre ranime la part de l’autre en nous, la possibilité du partage des affects comme une chanson entêtante, une rémanence heureuse qui défie l’espoir et le désespoir.
J’aurais voulu aussi pouvoir informer Jérôme Sas du fait que le Journal d’Anne Frank vient d’être traduit en arabe. Le lui dire à lui qui écrit: «Son esprit toujours répond aux élans de son cœur, et vient sur le papier dire l’histoire d’Anne.» Pontalis sonde «le tourment des mots» et exprime son souhait de «pouvoir rejoindre un jour celui qui cherche dans le tournement des mots à traduire le secret que sa mémoire lui refuse» selon les termes qui vinrent sous la plume de Louis-René des Forêts.Cette quête du secret déjà la mémoire lui refusait, Jérôme Sas l’entreprit avec une grâce souvent incisive et tout le secret semble déployé dans son livre dans l’innocente lucidité à laquelle il lui arrive de nous confronter.
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents