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Publié par | bibebook |
Nombre de lectures | 62 |
EAN13 | 9782824711393 |
Langue | Français |
Extrait
RA YMON D ROUSSEL
IMP RESSIONS
D’AF RIQU E
BI BEBO O KRA YMON D ROUSSEL
IMP RESSIONS
D’AF RIQU E
1910
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1139-3
BI BEBO OK
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V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.CHAP I T RE I
, ce 25 juin, tout semblait prêt p our le sacr e
de T alou V I I, emp er eur du Ponuk élé , r oi du Dr elchk aff.V Malgré le dé clin du soleil, la chaleur r estait accablante dans
cee région de l’ Afrique v oisine de l’é quateur , et chacun de nous se
sentait lourdement incommo dé p ar l’ orag euse temp ératur e , que ne mo difiait
aucune brise .
D e vant moi s’étendait l’immense place des T r ophé es, situé e au cœur
même d’Éjur , imp osante capitale for mé e de cases sans nombr e et baigné e
p ar l’ o cé an Atlantique , dont j’ entendais à ma g auche les lointains
mugissements.
Le car ré p arfait de l’ esplanade était tracé de tous côtés p ar une
rang é e de sy comor es centenair es ; des ar mes piqué es pr ofondément dans
l’écor ce de chaque fût supp ortaient des têtes coup é es, des orip e aux, des p
ar ur es de toute sorte entassés là p ar T alou V I I ou p ar ses ancêtr es au r etour
de maintes triomphantes camp agnes.
1Impr essions d’ Afrique Chapitr e I
A ma dr oite , de vant le p oint mé dian de la rang é e d’arbr es, s’éle vait,
semblable à un guignol g é ant, certain théâtr e r oug e , sur le fr onton
duquel les mots « Club des Incomparables », comp osant tr ois lignes en ler es
d’ar g ent, étaient brillamment envir onnés de lar g es ray ons d’ or ép anouis
dans toutes les dir e ctions comme autour d’un soleil.
Sur la scène , actuellement visible , une table et une chaise p araissaient
destiné es à un confér encier . P lusieur s p ortraits sans cadr e épingles à la
toile de fond étaient soulignés p ar une étiquee e xplicativ e ainsi conçue :
« Électeurs de Brandebourg ».
P lus près de moi, dans l’alignement du théâtr e r oug e , se dr essait un
lar g e so cle en b ois sur le quel, deb out et p enché , Naïr , jeune nègr e de vingt
ans à p eine , se liv rait à un absorbant travail. A sa dr oite , deux piquets
plantés chacun sur un angle du so cle se tr ouvaient r eliés à leur e xtrémité
sup érieur e p ar une longue et souple ficelle , qui se courbait sous le p oids
de tr ois objets susp endus à la file et distinctement e xp osés comme des
lots de tomb ola. Le pr emier article n’était autr e qu’un chap e au melon
dont la caloe noir e p ortait ce mot : « P I NCÉE » inscrit en majuscules
blanchâtr es ; puis v enait un g ant de Suède gris foncé tour né du côté de la
p aume et or né d’un « C » sup erficiellement tracé a la craie ; en der nier lieu
se balançait une légèr e feuille de p ar chemin qui, char g é e d’hiér ogly phes
étrang es, montrait comme en-tête un dessin assez gr ossier r eprésentant
cinq p er sonnag es v olontair ement ridiculisés p ar l’aitude g énérale et p ar
l’ e x ag ération des traits.
Prisonnier sur son so cle , Naïr avait le pie d dr oit r etenu p ar un entr
elacement de cordag es ép ais eng endrant un véritable collet étr oitement fix é à
la solide plate-for me ; semblable à une statue vivante , il faisait des g estes
lents et p onctuels en mur murant av e c rapidité des suites de mots appris
p ar cœur . D e vant lui, p osé e sur un supp ort de for me sp é ciale , une fragile
p y ramide faite de tr ois p ans d’é cor ce soudés ensemble captivait toute son
aention ; la base , tour né e de son côté mais sensiblement suréle vé e , lui
ser vait de métier à tisser ; sur une anne x e du supp ort, il tr ouvait à p
orté e de sa main une pr o vision de cosses de fr uits e xtérieur ement g ar nies
d’une substance vég étale grisâtr e rapp elant le co con des lar v es prêtes à se
transfor mer en chr y salides. En pinçant av e c deux doigts un fragment de
ces délicates env elopp es et en ramenant lentement sa main à lui, le jeune
2Impr essions d’ Afrique Chapitr e I
homme cré ait un lien e xtensible p ar eil aux fils de la Vier g e qui, à l’ép o que
du r enouv e au, s’élong ent dans les b ois ; ces filaments imp er ceptibles lui
ser vaient à comp oser un ouv rag e de fé e subtil et comple x e , car ses deux
mains travaillaient av e c une agilité sans p ar eille , cr oisant, nouant,
enchevêtrant de toutes manièr es les lig aments de rê v e qui s’amalg amaient
gracieusement. Les phrases qu’il ré citait sans v oix ser vaient à réglementer
ses manig ances p érilleuses et pré cises ; la moindr e er r eur p ouvait causer
à l’ ensemble un préjudice ir rémé diable , et, sans l’aide-mémoir e
automatique four ni p ar certain for mulair e r etenu mot à mot, Naïr n’aurait jamais
aeint son but.
En bas, v er s la dr oite , d’autr es p y ramides couché es au b ord du pié
destal, le sommet en ar rièr e , p er meaient d’appré cier l’ effet du travail après
son complet achè v ement ; la base , deb out et visible , était finement
indiqué e p ar un tissu pr esque ine xistant, plus ténu qu’une toile d’araigné e .
A u fond de chaque p y ramide , une fleur r oug e fix é e p ar la tig e airait
puissamment le r eg ard der rièr e l’imp er ceptible v oile de la trame aérienne .
Non loin de la scène des Incomp arables, à dr oite de l’acteur , deux
piquets distants de quatr e à cinq pie ds supp ortaient un app ar eil en mouv
ement ; sur le plus pr o che p ointait un long piv ot, autour duquel une bande
de p ar chemin jaunâtr e se ser rait en ép ais r oule au ; cloué e solidement au
plus éloigné , une planchee car ré e p osé e en plate-for me ser vait de base
à un cylindr e v ertical mû av e c lenteur p ar un mé canisme d’horlog erie .
La bande jaunâtr e , se déplo yant sans r uptur e d’alignement sur toute
la longueur de l’inter valle , v enait enlacer le cylindr e , qui, tour nant sur
lui-même , la tirait sans cesse de son côté , au détriment du lointain piv ot
entraîné de for ce dans le mouv ement giratoir e .
Sur le p ar chemin, des gr oup es de guer rier s sauvag es, dessinés à gr os
traits, se succé daient dans les p oses les plus div er ses ; telle colonne ,
courant à une vitesse folle , semblait p our suiv r e quelque ennemi en fuite ;
telle autr e , embusqué e der rièr e un talus, aendait p atiemment l’ o ccasion
de se montr er ; ici, deux phalang es ég ales p ar le nombr e luaient cor ps
à cor ps av e c achar nement ; là , des tr oup es fraîches s’élançaient av e c de
grands g estes p our aller se jeter brav ement dans une lointaine mêlé e .
Le défilé continuel offrait sans cesse de nouv elles sur prises stratégiques
grâce à la multiplicité infinie des effets obtenus.
3Impr essions d’ Afrique Chapitr e I
††
En face de moi, à l’autr e e xtrémité de l’ esplanade , s’étendait une sorte
d’autel pré cé dé de plusieur s mar ches que r e couv rait un mo elleux tapis ;
une couche de p eintur e blanche v einé e de lignes bleuâtr es donnait à l’
ensemble , v u de loin, une app ar ence