internet : prospective 2030 (CGSP)
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LA noteD’AnALyse iNTERNET : PROSPECTIVE 2030 Aujourd’hui, plus de 2,5 milliards d’êtres humains sont connectés à internet. Demain, il nous reliera également à des dizaines de milliards d’objets, de capteurs, de robots, qui dialogueront entre eux et prendront progressivement en charge des pans entiers de la gestion de notre vie quotidienne. Cette évolution influencera l’ensemble de notre économie, offrant de réelles opportunités de croissance mais obligeant des secteurs entiers à s’adapter. Se profilent des batailles industrielles intenses pour le partage de la valeur dégagée dans cet écosystème : entre industriels, entre réseaux et services… mais aussi entre nations pour le contrôle stratégique, industriel et fiscal de ces activités. La puissance industrielle et financière des acteurs américains laisse mal augurer l’issue de ce partage pour l’Europe. Cependant, l’internet des objets et la constitution de nouvelles plateformes de dialogue avec ceux-ci devraient offrir des opportunités à l’industrie européenne si elle sait s’en saisir. La parole établie (médias, experts, enseignants, gouvernement) sera de plus en plus remise en cause et conduira à l’émergence de “nouvelles autorités morales” ainsi qu’à de nouvelles formes de démocratie. Les liens traditionnels seront confrontés à ceux, foisonnants, des réseaux sociaux. Il y a peu encore, internet pouvait prétendre se développer hors des règles régissant l’économie et la société.

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Publié le 24 juin 2015
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Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

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LA noteD’AnALyse
iNTERNET : PROSPECTIVE 2030
Aujourd’hui, plus de 2,5 milliards d’êtres humains sont connectés à internet. Demain, il nous reliera également à des dizaines de milliards d’objets, de capteurs, de robots, qui dialogueront entre eux et prendront progressivement en charge des pans entiers de la gestion de notre vie quoti-dienne. Cette évolution influencera l’ensemble de notre économie, offrant de réelles opportunités de croissance mais obligeant des secteurs entiers à s’adapter. Se profilent des batailles industrielles intenses pour le partage de la valeur dégagée dans cet écosystème : entre industriels, entre réseaux et services… mais aussi entre nations pour le contrôle stratégique, industriel et fiscal de ces activités. La puissance industrielle et financière des acteurs américains laisse mal augurer l’issue de ce partage pour l’Europe. Cependant, l’internet des
objets et la constitution de nouvelles plateformes de dialogue avec ceux-ci devraient offrir des opportunités à l’industrie européenne si elle sait s’en saisir. La parole établie (médias, experts, enseignants, gouvernement) sera de plus en plus remise en cause et conduira à l’émergence de “nouvelles autorités morales” ainsi qu’à de nouvelles formes de démocratie. Les liens traditionnels seront confrontés à ceux, foisonnants, des réseaux sociaux. Il y a peu encore, internet pouvait prétendre se développer hors des règles régissant l’économie et la société. Son emprise irréversible impose désormais à la puissance publique de revoir ses stratégies et, pour certaines, à les réinventer en urgence, pour à la fois canaliser certains effets et en stimuler d’autres. g
propositions 1Soutenir la réindustrialisation de l’Europe dans le numérique, en identifiant les plateformes émergentes g liées à l’internet des objets et à la robotique, et en accompagnant leur développement industriel à l’échelle européenne. 2Traduire sur internet les principes généraux du droit :si internet a pu bénéficier d’exemptions, g sa diffusion massive et l’imbrication de plus en plus forte des mondes matériel et immatériel l’imposent désormais. 3Établir des principes généraux de partage de la valeur dans les transactions numériques g et redéfinir les règles fiscales applicables sur la base de ces transactionsdont le suivi et le traitement sont rendus aujourd’hui possibles. 4Anticiper les mutations industrielles et les nouvelles organisations du travail en termes de normes, de g droits, de fiscalité, de localisation et adapter le droit en conséquence, en particulier celui du travail. 5Mettre en œuvre de façon volontariste le numérique dans la santé et l’éducation. g 6Construire une politique française d’e-inclusionet de cohésion sociale numériquepour endiguer la montée g des disparités sociales liées au numérique. ANTTON AChIaRY, DOMINIqUE AUVERlOT ET JOël HaMElIN dÉPaRTEMENT DÉVElOPPEMENT dURaBlE www.STRaTEgIE.gOUV.FR
06/2013 o n 02
Les enJeux
Internet forme sans doute l’innovation la plus e importante de la fin du XX siècle, du fait de ses incidences sur les mécanismes économiques, mais aussi de ses interférences avec le fonctionnement de la société.
Le démarrage effectif d’internet sous la forme où nous le connaissons aujourd’hui, marqué par la création du premier navigateur Netscape, se situe en 1992-1993. En moins de vingt ans, de quelques milliers d’utilisateurs, internet en connecte désormais plus de 2,5 milliards. Pour autant, nous ne sommes très vraisemblablement qu’à l’aube des transformations numériques de nos sociétés. L’ampleur des transformations passées indique celles que peut subir internet dans les dix-sept prochaines années qui nous séparent de 2030, horizon de cette réflexion.
Cette note, à partir d’une analyse rétrospective d’internet, dégagera les tendances que crée une histoire forte désormais de plus de vingt ans, sans négliger les ruptures que suscite un développement conduit jusqu’à présent de façon quasi exponentielle. Puis, elle se penchera sur les tensions multiples que provoque un tel développement dans la société, et les bifurcations qu’elles peuvent induire. Enfin, elle cherchera à en tirer des recommandations.
1 Ce travail est la synthèse d’une étude réalisée pour le Commissariat général à la stratégie et à la prospective par une équipe pluridisciplinaire constituée majoritairement d’enseignants-chercheurs de Télécom ParisTech et de membres de la Fondation internet nouvelle génération (FING). Cette étude s’inscrivait dans la préparation du plan 2 gouvernemental sur le numérique présenté en février 2013.
Cette note ne traitera pas les questions de cybersécurité, qui ont fait l’objet d’une note d’analyse 3 précédente . Nous invitons le lecteur à s’y reporter.
GRANDES TENDANCES
Les défis technologiques Conçu aux débuts des années 1980 pour répondre aux besoins de cHercHeurs et de militaires, internet a été confronté au défi de son extension à un très grand nombre 4 d’usagers et de la transmission des débits correspon-dants. Force est de constater que, grâce notamment à la baisse drastique des coûts des matériels de routage et des systèmes de transmission, associée à des perfor-mances croissantes, notamment de la fibre optique, internet a su relever les défis tecHnologiques et résister à l’accroissement considérable de sa cHarge. Demain, le défi principal sera toujours de relier de manière fiable et en temps réel des milliards d’individus, bien souvent grâce à des terminaux mobiles, mais aussi des milliards d’objets.
Montée en puissance des accès et des flux Le premier moteur du développement d’internet a été la très forte Hausse des débits des réseaux d’accès et le développement de services en temps réel. L’apparition de l’ADSL dans les années 2000 a multiplié par cent les débits pouvant être transmis par une paire de cuivre et a offert une connexion permanente. La fibre optique permet à nouveau d’accroître considérablement les débits d’accès. La contrainte ne réside désormais plus dans le vecteur de transmission des flux, mais dans les capacités des équipements de routage et les terminaux. Les réseaux de télépHonie mobile suivent des progres-sions similaires à travers les générations successives (2,5G, 3G, 4G, etc.), mais avec des débits environ dix fois inférieurs. Compte tenu du basculement très rapide des usages d’internet sur des terminaux mobiles (tablettes, smartpHones, etc.), les réseaux d’accès radio vont devoir augmenter leur capacité très rapidement et de façon importante (on parle d’un facteur 1 000 d’ici à 2022).
1.La dynamique d’internet. Prospective 2030,étude réalisée pour le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, juin 2013, http://www.strategie.gouv.fr/content/etude-dynamique-internet-2030 2.Feuille de route du gouvernement sur le numérique,février 2013, Premier ministre. 3. Centre d’analyse stratégique (2013), “Cybersécurité, l’urgence d’agir”,La note d’analyse,n° 324, mars. 4. 16 millions d'internautes en 1995, 300 millions en 2000 et plusieurs milliards aujourd'hui.
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5. Exemples : Wikipédia, en une dizaine d'années, a rassemblé plus de 20 millions d'articles rédigés par des centaines de milliers de contributeurs dans plus de 280 langues ; OpenStreetMapa aussi réussi à produire en moins de huit ans une base de données cartographique mondiale qui concurrence directement ses équivalents commerciaux.
Source : Télécom ParisTech.
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JALons De L’Histoire D’internet
Intégration des objets sur le réseau et développement ducloud computinget dubig data Avec cette nouvelle étape, qualifiée d’internet des objets (IdO ou IoT -Internet of Things), les objets du monde réel acquièrent la capacité de communiquer entre eux et avec des systèmes informatiques classiques. Aujourd’Hui, 9 milliards d’objets et de capteurs seraient déjà reliés à internet. En 2020, ce nombre devrait être multiplié par cinq. L’irruption d’objets communicants en grand nombre va rendre plus “intelligents” un certain nombre d’équipements et produire une nouvelle masse de données qui pourra être mobilisée pour offrir de nouveaux services ou de nouvelles fonctionnalités aux services existants. Les trafics engendrés par l’internet des objets vont générer des volumes gigantesques d’information d’une très grande diversité de formats. Cette transforma-tion majeure entraîne deux évolutions sensibles, caracté-risées par lecloudet lebig data: Leclouddésigne le stockage des données et des appli-g cations “dans le nuage”,i.e.dans des mémoires situées sur le réseau et non plus sur le terminal. Le déploiement à peu près généralisé des accès Haut débit, la capacité d’accéder de façon mobile à internet et la profusion d’objets communicants rendent possible et souvent nécessaire cette migration progressive des données et des applications sur des serveurs distants. La capacité de dialogue et d’interaction avec les objets g communicants suppose une capacité de traitement
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appelée de manière génériquebig data: c’est l’ensemble des tecHnologies, infrastructures et services permet-tant la transformation des données en information et de l’information en connaissances. Au cœur de ce domaine se trouvent l’analyse et le traitement automatisé des données et informations, et donc l’intelligence artifi-cielle. Ces évolutions consacrent le fait que les usagers, et les objets qu’ils vont connecter massivement, contribuent de plus en plus au trafic et aux contenus disponibles. Mais le rôle actif des usagers dépasse celui de la production de contenus. Ils deviennent potentiellement producteurs et distributeurs d’applications de plus en plus sopHisti-quées. Lecrowdsourcingpeut être vu dans cette pers-pective comme le francHissement d’une étape supplémen-taire : les usagers s’organisent sans se connaître pour 5 collaborer dans la réalisation de tâcHes de tout type . De nouvelles arcHitectures devraient rendre possible une auto-organisation des acteurs pour exécuter conjointe-ment des actions de plus en plus complexes. Au-delà des internautes, des myriades de capteurs vont recevoir la mission de contrôler le bon fonctionnement des réseaux, de mesurer certains paramètres (trafic, température, qualité de l’air, crues, glissements de terrain, etc.). Le web 3.0, qui en est aujourd’Hui à ses débuts, sera un web sémantique, c’est-à-dire capable d’analyser le comportement des usagers, la suite de leurs actions et d’en déduire leurs besoins. La convergence de nouveaux
services avec la puissance dubig dataouvre la porte à une véritable extension des capacités des Humains et des macHines. Le passage à l’étape suivante devrait alors intervenir vers 2020. Cette quatrième étape (web 4.0) verrait le passage d’objets communicants à des macHines connectées, réelles ou virtuelles, capables de dialoguer entre elles.
Mais l’internet en 2030 ne sera pas très différent de l’internet actuel si des solutions de sécurité en rupture avec les solutions existantes ne sont pas conçues 6 et déployées . La sécurité devra piloter certains cHoix arcHitecturaux et non être conçue comme un correctif.
L’architecture du réseau va donner lieu à un affrontement entre les opérateurs de réseaux et de service Ces évolutions soulèvent un certain nombre d’interroga-tions quant au devenir des infrastructures. L’arcHitecture tecHnique et industrielle mise en place pour les webs 1.0 et 2.0 repose sur deux coucHes principales : des réseaux de télécommunications traditionnels, de g base ou de premier niveau, qui assurent l’accès (fixe, mobile, filaire, radio, etc.) et l’acHeminement des trafics depuis et vers les serveurs de toute nature qui délivrent des services ; des services dits OTT(over the top)offerts “sur” ce pre-g mier niveau. Ces services et réseaux sont constitués par les moteurs de recHercHe, le stockage et la livraison de contenus (pHotos, musiques, télévision, radio, etc.), 7 les plateformes de services de toute nature (e-com-merce, e-administration, etc.). Cette arcHitecture permet à tout nouveau service d’avoir d’entrée de jeu une distribution mondiale en passant par 8 le réseau banalisé de premier niveau . Les OTT, qui contrôlent une grande partie des services offerts sur internet grâce à des innovations récurrentes, viennent directement concurrencer les services des réseaux de premier niveau, tel Skype pour la télépHonie. Les années qui viennent vont être le tHéâtre d’un affron-tement de plus en plus vif entre les acteurs des coucHes basses et Hautes pour le contrôle du trafic, mais aussi, et peut-être surtout, pour le contrôle des services et applications.
Toutefois, cette arcHitecture favorise l’innovation en offrant à toute entreprise la possibilité d’utiliser une offre de services Hébergée dans lecloudde façon totalement ajustable, facturée uniquement pour la partie réellement utilisée de l’infrastructure support. Les jeunes entreprises n’ont plus besoin de déployer des infrastructures coû-teuses avant de pouvoir développer massivement leurs marcHés. Ces services permettent également aux entre-prises en général, et notamment aux plus petites, de réduire leurs coûts.
Les services en mode OTT ne répondent cependant pas nécessairement aux trois exigences qui permettraient un usage généralisé ducloud: qualité de service, sécurité et conformité au cadre réglementaire (notamment pour la localisation des données). Les opérateurs de télécommu-nications voient là une porte d’entrée pour un positionne-ment plus fort sur ce marcHé. En contrôlant le réseau, ils sont en mesure de garantir et de sécuriser toute la cHaîne de composition du service ; toutefois ils sont le plus sou-vent limités par une couverture nationale ou régionale. Les procHains développements industriels présentent trois options possibles : la fédération d’opérateurs de réseaux nationaux afin de g pouvoir offrir des services globaux concurrentiels à ceux des acteurs OTT ; le déploiement par les OTT de leurs propres infrastruc-g tures de réseau. À titre d’exemple, Google vient de basculer tout le trafic d’interconnexion de ses centres de données sur un réseau que l’entreprise a conçu, développé et déployé ; des accords entre opérateurs de réseaux et opérateurs g OTT, permettant aux clients des uns ou des autres d’accéder de façon privilégiée aux offres disponibles, que ce soit dans lecloudou sur les réseaux. L’avenir sera très probablement caractérisé par un encHe-vêtrement plus fort et une atténuation des frontières entre ces deux coucHes de réseaux et d’applications. Trois composantes devront être associées dans toute arcHitecture future : le réseau qui assurera la connectivité ; g le terminal d’accès, principalement mobile, qui, du fait g de ses capacités de traitement, de stockage et de com-
6. Pour une synthèse complète des enjeux de cybersécurité, se reporter à la note du Centre d’analyse stratégique (2013), “Cybersécurité, l’urgence d’agir”,La note d’analyse, n° 324, mars. 7. Une plateforme est en informatique une base de travail à partir de laquelle on peut écrire, lire, développer et utiliser un ensemble de logiciels. Elle peut être composée de matériels, de systèmes d’exploitation, d'outils logiciels, etc. 8. Le serveur peut éventuellement utiliser un réseau spécifique (leContent Delivery Network– CDN) pour accélérer et garantir la qualité de service de l'acheminement de contenus au plus près de l'usager. Ce réseau lui appartient ou bien est offert par une tierce partie : l’entreprise Akamai détient presque 70 % de ce marché. Les réseaux d’accès peuvent également offrir ce service, au prix cependant d'un risque de discrimination des acheminements qui irait à l’encontre du principe de la neutralité du réseau.
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munication avec des objets, fera probablement partie intégrante de l’arcHitecture ; les centres de données et de traitement. g Dès lors, ce ne sont plus seulement les opérateurs de réseaux et les firmes OTT qui sont concernés par ces évolutions, mais également les fabricants de terminaux et, plus largement, les équipementiers télécoms et informatiques : toute l’industrie des TIC va devoir redéfinir ses stratégies industrielles.
L’Europe entre fatalisme et sursaut industriel
L’Union européenne a perdu pied dans la bataille industrielle du numérique 83 % de la capitalisation boursière des entreprises inter-net concerne des firmes américaines et seulement un peu plus de 2 % des firmes européennes (cf. grapHique ci-après). La France est seulement représentée par l’en-treprise Vente-Privée.com (0,14 %).
répArtition en vALeur Des 64 entreprises internet Dont LA cApitALisAtion boursiÈre est supérieure À 1,5 miLLiArD $ (fin 2012).
Source : CGSP et Télécom ParisTech.
Les grands du web, pour la plupart, sont les firmes Histo-riques, créées dans la première période du web 1.0. Cette prévalence des Historiques tient notamment à leurs capa-cités financières. Si la plupart des entreprises conservent 9 une forte R&D, qui leur permet d’innover constamment , elles peuvent aussi acquérir de plus jeunes entreprises dont les innovations s’avèrent incontournables stratégi-quement. Une forte concentration est de ce fait à l’œuvre au sein de l’écosystème internet. Rares sont donc finale-ment les nouveaux entrants d’envergure, le dernier en date étant sans doute Facebook.
9. Apple, Google ou Facebook sont exemplaires à cet égard.
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La place de l’Europe dans cet écosystème est clairement posée. La capacité d’innovation européenne n’arrive pas à s’exprimer et le passage à l’écHelle des éventuels succès reste exceptionnel. L’écHec du projet de moteur de recHercHe Quaero, confronté au développement de Google, semble avoir découragé d’autres efforts. Les projets decloudeuropéen ou leurs équivalents nationaux semblent timides face aux géants américains. L’Europe tient encore tête aux États-Unis en termes de capacités de stockage et de traitement de l’information. Mais si la migration des données et des applications dans le “nuage” se confirmait, la situation pourrait se dégrader, avec trois conséquences : une balance des paiements déficitaire, des acteurs g tecHnologiques et des services informatiques moins puissants et moins performants ; des données Hébergées à l’extérieur du pays, dans des g conditions de sécurité non garanties, auprès d’acteurs parfois Hors de portée des juridictions nationales ; des grands acteurs en position constante d’initiative g (Google sur StreetView, Facebook sur la vie privée), face auxquels les acteurs publics européens jouent “en défense” et, malgré quelques réussites, cèdent constamment du terrain.
L’évolution des plateformes du web 3.0 et 4.0 constitue une opportunité industrielle pour l’Europe La notion de plateforme est centrale dans la constitution de l’économie numérique. On connaît le fameux couple Wintel (Windows-Intel) qui a cadencé l’innovation de la micro-informatique dans les années 1980-1990. Le PC a formé la plateforme d’applicatifs permettant à ses utilisa-teurs d’assurer un nombre croissant de tâcHes. Puis le navigateur-moteur de recHercHe/plug-inlui a succédé dans un environnement de plus en plus connecté à cette première plateforme. Aujourd’Hui, c’est le couple smart-pHone/Système d’exploitation mobile qui fait plateforme depuis le développement par Apple de ce nouvel écosys-tème. L’un des enjeux industriels de l’internet de demain réside dans la conception des plateformes du futur. Deux grandes étapes d’évolution de modèles écono-miques semblent probables dans les deux procHaines décennies : D’ici 2020, surgira massivement un internet d’objets g “peu intelligents”. Des fonctions communicantes seront placées dans des objets. On estime que 50 milliards d’objets pourraient ainsi être “tagués” d’ici à 2020.
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évoLution Des pLAteformes D'internet
Source : Télécom ParisTech.
Cette capacité des objets à communiquer permettra de développer des dispositifs de réalité virtuelle. Les exemples les plus parlants concerneront la consomma-tion électrique(smart grids)et lemonitoringde santé (suivi des mesures biologiques). Après 2020, devrait se développer une nouvelle géné-g ration d’objets plus autonomes et plus intelligents, que l’on pourrait qualifier de robots. À l’internet des objets succéderait ainsi un internet des robots, avec une intel-ligence plus décentralisée. Ce pourrait être l’époque de la voiture sans cHauffeur, l’environnement ayant été équipé dans cette perspective, mais aussi l’ère des robots domestiques, notamment pour l’assistance aux personnes âgées dépendantes. L’irruption d’une production décentralisée de données (première période) puis d’une répartition décentralisée de l’intelligence (deuxième période) va bouleverser assez sensiblement l’écosystème d’internet. D’une part, les interactions ne seront plus uniquement entre Humains, mais également entre macHines, qui viendront s’alimenter en données et en applicatifs dans cette nouvelle place de marcHé quasi universelle. D’autre part, l’évolution des termes de l’écHange (donnéesversusapplicatifs) dépen-dra de la façon dont ces plateformes vont se rémunérer, ce qui renforce l’intérêt de réflécHir à leur structuration future.
10. À noter la position française en ce domaine avec Aldebaran-Gostai.
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Plusieurs conséquences découlent de ces perspectives : La connexion sur les réseaux sera le fait d’une multi-g tude d’usagers, mais aussi d’objets. Les terminaux se banaliseront, se spécialiseront et se déclineront. Le PC et le smartpHone font partie d’une ère où le moteur numérique est partagé entre applications. Sans doute aurons-nous un moteur numérique (hardwareetsoft-wareembarqués) pour cHaque application. Les plateformes dominantes ont cadencé l’innovation g durant les vingt dernières années. Ce processus est aujourd’Hui exercé par la jonction du terminal d’accès et de son système d’exploitation, pour une durée de vie probablement encore de quelques années. La plate-forme qui permettra le dialogue entre les usagers et 10 leurs objets, que ce soient des capteurs ou des robots , et entre ces objets occupera une place déterminante dans l’internet de demain.
L’affirmation de la régulation Internet, comme système à forte innovation et transcen-dant les frontières de toute nature, a longtemps réclamé un régime d’exemption sur tous les plans, se voulant en quelque sorte Hors la loi, voire Hors le monde. Cette récu-sation, non seulement de toute régulation mais de toute imposition de règles autres que celles que se donnent ses usagers (revendication d’une gouvernance indépendante
La loi et la fiscalité au défi d’internet Du côté de la loi s’impose la dimension géograpHique : toute régulation est,prima facie,territoriale. La légitimité et le poids des autorités étatiques dérivent en effet de la souveraineté sur un territoire pHysique. Internet a toutefois progressivement bouleversé ce système fondé sur les frontières entre espaces pHysiques. Avec le déve-loppement de l’internet, c’est cHacune des compétences étatiques qui se trouve interpellée. Sous l’effet des nou-velles tecHnologies, les processus de production, de dis-tribution et l’internationalisation des entreprises se sont élargis, tendant ainsi à brouiller les frontières nationales et sectorielles. Internet permet en effet d’instaurer des transactions entre des personnes sans qu’elles connais-sent la localisation géograpHique de l’autre partie puisqu’il n’existe pas nécessairement de lien entre une adresse internet et un territoire pHysique. Le développement numérique toucHe les cHamps juri-diques de la procédure civile, du droit pénal, de la propriété intellectuelle, les contrats privés et la gouvernance publique. Or, les contours de ces domaines peuvent différer assez sensiblement d’un pays à un autre et les différences économiques, culturelles et politiques des nations peuvent imposer des solutions divergentes aux problèmes rencon-trés dans le cyberespace. Dans de nombreux cas, des lois contradictoires peuvent légitimement s’appliquer et il est difficile de déterminer laquelle retenir. En outre, les auto-rités sont souvent dans l’impossibilité d’agir puisque les auteurs de violations du droit sont difficilement identifia-bles ou Hors de portée de leur pouvoir de sanction : les infractions et les contrevenants sont souvent inaccessi-bles aux instances traditionnelles de gouvernance. Le développement d’internet s’accompagne de risques juri-diques qui devraient inciter à une convergence – subie ou volontaire – des différents systèmes de droit : celle-ci pose cependant de multiples questions de souveraineté et d’identité nationale.
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ment portées par l’internet des objets et reposant sur la possibilité de transmission automatique d’informations émanant des différents terminaux et points de connexion. Le grand danger de l’offre privée, qui se constitue avec des standards propriétaires, est qu’elle favorise le déve-loppement de rémunérations sur une base forfaitaire et 11 est source delock-in. Cette normalisation tecHnique s’opère obligatoirement à une écHelle internationale, et implique la société civile, les instances internationales et le monde industriel.
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Une normalisation nécessaire à l’interopérabilité et au développement de nouveaux services et contenus Le développement des réseaux suppose des efforts importants en matière de normalisation des standards et des protocoles tecHniques de communication. Leur croissance se Heurte en effet à un goulot d’étranglement majeur : le manque ou, à l’inverse, le foisonnement des normes et standards. L’un comme l’autre empêcHent, pour des raisons opposées mais convergentes, la consti-tution de marcHés d’une taille critique suffisante, remet-tant en cause la viabilité de nouveaux produits, services et contenus. Ces évolutions appellent de ce fait une forte interopérabilité des équipements et interrogent sur la pertinence de tecHnologies propriétaires. Cette question de la normalisation et de l’interopérabilité apparaît par exemple primordiale pour les perspectives de développe-
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11.Lock-in(“enfermement propriétaire”) : situation où un fournisseur a créé une particularité, volontairement non standard, dans la machine, le logiciel vendu, empêchant son client de l'utiliser avec des produits d'un autre fournisseur et l'empêchant également de le modifier ou d'accéder à ses caractéristiques pour le modifier.
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et d’une autorégulation parfaite), a été à la fois ferme-ment défendue par les tenants d’une conquête de nou-velles libertés à travers les univers virtuels, et âprement contestée par ceux qui craignent l’apparition d’un monde dont les valeurs et les règles seraient opposées à celles du monde réel. Ce débat n’est évidemment pas clos.
L’idée qu’internet pourrait se développer à côté du monde réel et pourrait s’en isoler (produire des territoires sépa-rés, comme dansSecond Lifepar exemple) semble aujourd’Hui moins crédible au fur et à mesure que l’intri-cation des deux univers, réel et virtuel, se renforce, notamment avec l’internet des objets. Internet est donc rattrapé par les règles territorialisées, non sans difficultés, et la régulation préexistante des domaines qu’il absorbe peu à peu. Le flou qui entoure sa stratification fonctionnelle (des coucHes infrastructurelles aux coucHes applicatives) soulève néanmoins de multiples interrogations de coHé-rence, qui conduisent les partisans de l’exemption à considérer que si les États se mêlent d’internet, il est condamné !
Le paradoxe est qu’internet s’est développé sur de nom-breuses normes et standards, absolument nécessaires à sa création et à son fonctionnement ouvert. Il a fallu défi-nir les protocoles de communication, spécifier un adres-sage, élaborer les langages du net (hTML, etc.), mais cette élaboration s’est effectuée dans des instances éma-nant de certaines communautés d’utilisateurs. Né aux États-Unis, internet a fréquemment placé ces instances sous la tutelle du gouvernement américain, suscitant ainsi dans les États du reste du monde des interrogations quant à la souveraineté comparée qu’ils exercent sur internet.
La question de la fiscalité est une autre dimension spéci-fique du problème. Très tôt dans l’Histoire d’internet, les États se sont préoccupés des risques que faisaient peser le développement du commerce électronique et le volume des écHanges associé sur la réduction des assiettes fiscales classiques correspondantes. De nouvelles taxes sur le commerce en ligne ont été alors envisagées : elles se sont cependant Heurtées à des difficultés pratiques de collecte autant qu’à la poursuite d’objectifs contradic-toires (protéger les recettes fiscalesversusstimuler le développement du commerce sur internet pour favoriser la croissance).
L’Harmonisation des différents systèmes juridiques devient d’autant plus importante qu’il est facile de transférer des productions ou des services dématérialisés dans des pays aux coûts et au cadre fiscal ou réglementaire plus favorables.
Internet entre évolutions attendues et ruptures L’internet de 2030 n’aura, vraisemblablement, rien à voir avec l’internet que nous connaissons en 2013, mais certaines des tendances de son évolution devraient se prolonger. Notons que leur amplification pourrait conduire à des ruptures dans la perception d’internet. Ainsi en a-t-il été du passage d’un réseau de quelques dizaines de milliers de cHercHeurs à un réseau rassemblant plus de 35 % de l’Humanité.La même rupture devrait s’observer dans les prochaines années avec le raccordement de plusieurs dizaines de milliards d’objets.
Avec l’arrivée massive des objets, le protocole internet et la gestion des trafics devront évoluer
Internet intègre autant qu’il se développe. La migration en cours des services télépHoniques (voix sur IP) et audiovi-suels (TV connectée) sur internet montre sa capacité à s’élargir et à mettre en œuvre de nouveaux services.
Les besoins des objets communicants, en termes de volume et de vitesse de transmission des données, devraient être très différents des écHanges actuels. L’idée âprement défendue d’un internet unique véHiculant sans différenciation tout type de données selon la règle du “best effort”,de bout en bout, paraît dès lors compro-mise. Une différenciation qualitative des trafics verra nécessairement le jour, qui ne doit pas servir de prétexte à leur gestion discriminatoire ; le maintien d’une “neutra-lité” des réseaux formera un cHamp d’exercice de la régulation dans les procHaines années.
Le protocole internet actuel, lui-même, pourrait devenir inadapté dans un certain nombre de contextes (les réseaux ad Hoc, les objets communicants, par exemple). De nouvelles règles devront être édictées tout en préser-vant des passerelles vers ces autres univers.
Face au déluge de l’information, une éducation et une capacité critiques sont à reconstruire
Au-dessus des coucHes matérielles de l’internet se met en place une nouvelle organisation du monde de la connaissance, des informations, des données. Les portails, les moteurs de recHercHe et dorénavant les intermédiaires de l’information, notamment pour les produits culturels, conditionnent très fortement celle-ci à travers les fonctionnalités qu’ils développent, les bases de données et les arcHives numériques qu’ils constituent, les dénominations ou les nomenclatures (catalogues, genres, etc.) qu’ils utilisent.
De tout temps, ces démarcHes ont constitué des cHoix structurants, mais la multiplicité des intervenants garan-tissait la pluralité et la diversité nécessaires en la matière. La concentration des acteurs pose problème dès lors que certains, tel Google, pourront imposer les trames dans lesquelles notre savoir et notre pensée devront se mou-12 voir , en déterminant notamment un ordre préférentiel de réponse dans un moteur de recHercHe, voire en écartant certaines réponses possibles.
Cette nouvelle structuration exigera une capacité à sélec-tionner et jauger les informations et connaissances qui nous seront proposées.Apprendre à utiliser un moteur de recherche, à savoir distinguer entre ce qui relève de l’opinion, de la conviction et de la connaissance, deviendra alors essentiel.
Internet, acteur économique majeur autant en destruction qu’en création de valeur
Internet continuera à restructurer et modeler le système productif. Des activités périront, d’autres surgiront. Ainsi, du côté des services de communication électronique, le service télépHonique commuté devrait disparaître rapide-ment ; les services audiovisuels diffusés pourraient sui-vre. Les garanties apportées par ces services (appels d’urgence par exemple, annuaire universel, obligations de diffusion, etc.) pourraient ne plus être assurées. Cet effet scHumpetérien continuera d’agir dans un grand nombre d’autres secteurs : presse écrite, journaux télévisés à Heure fixe, édition, commerce, éducation, santé, etc.
12. Les informations transactionnelles (traces issues des parcours des internautes, de leurs transactions, etc.) produites par internet formeront elles-mêmes un des principaux gisements de valeur de cette infostructure.
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Faudra-t-il les freiner, les stimuler ? Il ne saurait vraisem-blablement y avoir de règles générales, mais le caractère mondial d’internet pourrait ne pas laisser beaucoup de marges de manœuvre à la politique publique, toute action cantonnée sur un territoire risquant d’être de peu d’effet. Il y aura des perdants et des gagnants, et les consensus seront difficiles à atteindre. Dans tous les cas, une meil-leure anticipation de ces transformations structurelles est nécessaire afin de les accompagner : leurs effets en termes d’emploi, d’aménagement territorial et, plus largement, de politiques publiques (fiscales par exemple) ne seront pas neutres.
Internet, vecteur des transactions économiques, rend nécessaire l’instauration de règles de gouvernance mondiales
Internet est en passe de devenir l’un des supports essen-tiels des écHanges économiques, conditionnant l’activité de nombreux agents. Et pourtant, son contrôle écHappe largement aux États. L’écHec de la tentative de l’Union internationale des télécommunications (UIT) d’élargir son cHamp de compétence à internet (Dubaï, décembre 2012) a illustré les divergences d’intérêts présentes autour du 13 globe . La sécurité d’un réseau qui innerve et irrigue l’économie et la société comme le fait désormais internet pose indéniablement question, et les recours et substituts contre sa défaillance ne sont guère établis à l’Heure actuelle.
Internet brouille et continuera à brouiller les frontières, les segmentations jusque-là solidement établies et sources de nombreux dispositifs de gouvernance ou de régulation. C’est la relation entre agents économiques qui se joue sur internet, agents qui s’indifférencient, mêlant fournisseurs et consommateurs, au sein de modèles d’affaires très évolutifs associés à des plateformes. Cette dynamique bouscule notre conception des marcHés et de la régulation et rend nécessaire la recHercHe de nouveaux équilibres, l’instauration de nouvelles règles.
Quelles opportunités industrielles pour l’Europe ? Sur le plan industriel, la confrontation va devenir de plus en plus vive entre : les opérateurs traditionnels de réseaux ; g les prestataires actuels de la coucHe dite OTT ; g et les constructeurs de terminaux, qui peuvent former g de plus en plus souvent des nœuds de réseau.
LA noteD’AnALyse
06/2013 o n 02
Le couplage des prestataires OTT avec les constructeurs de terminaux (Apple, Google-Motorola, Microsoft-Nokia, etc.) constitue une menace pour les opérateurs de réseaux traditionnels, particulièrement exacerbée en Europe. Reconquérir des positions dans ce jeu tripartite nécessite d’exercer un certain contrôle sur les futures plateformes qui domineront le jeu des deux procHaines décennies : le robot, la voiture sans cHauffeur, le pilote d’un système d’assistance, etc., et sur les nouveaux ser-vices de la coucHe OTT (les arcHitecturescloudet lebig datadans un premier temps). On ne peut exclure que, d’ici une vingtaine d’années, ceux qui furent les opéra-teurs Historiques des télécommunications (BritisH Tele-com, DeutscHe Telekom, Orange, Telefónica, etc.), peu à peu délestés de leurs réseaux pHysiques, auront été absorbés par les grands acteurs de l’internet, nés pour la e plupart juste avant la fin du XX siècle : les Amazon, eBay, Google, Apple, Microsoft, Facebook... L’Europe y placera-t-elle, comme la CHine ou ses grands voisins asiatiques, un ou deux acteurs de poids ? Rien n’est moins sûr.
INCERTITUDES ET TENSIONS Le paysage d’internet en 2030, de par la variété des domaines qu’il investit, des usages qu’il permet, des multiples dispositifs tecHniques qui lui sont connectés et des très nombreux acteurs qu’il implique, est incertain.
La vie numérique entre dépendance et élargissement des liens sociaux
Une vie numérique augmentée ou diminuée ?
14 Le déploiement du Haut et très Haut débit fixe et mobile, conjugué au développement progressif de l’internet des objets, entraîne une Hyperconnexion des individus qui redéfinit les espaces et les temps de la vie privée, de la vie professionnelle et de la vie sociale. Mais l’impact de ces évolutions sur la “qualité de vie numérique” demeure incertain. Le développement personnel, l’insertion sociale, la réduction des inégalités seront possibles à la condition que ces nouvelles tecHnologies favorisent le développement des compétences, les possibilités d’ac-tion et l’autonomie des individus.
À l’inverse, le risque n’est pas à exclure qu’internet, en raison de cette Hyperconnexion et de la multiplication des systèmes intelligents, crée une surcHarge d’information, voire une réduction du libre arbitre.
13. Les États-Unis se sont opposés à toute formulation qui ouvrirait la perspective d’accroître les pouvoirs de l'UIT en matière de régulation de l’internet, refusant ainsi aux États une égalité des droits de gouvernance. 54 pays, dont la France, se sont ralliés à cette position, considérant que ce serait une menace pour un réseau libre et ouvert. 14. Centre d’analyse stratégique (2012), “L’accès au très haut débit”,La note d’analyse,n° 273, mars.
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Un des principaux enjeux liés à ces questionnements 15 résidera dans le caractère “capacitant ” ou asservissant des dispositifs mis en place.
Le numérique renforce-t-il ou affaiblit-il le lien social ?
Le débat scientifique des années 1990-2000 a été mar-qué par une forte insistance sur les effets négatifs des usages numériques sur le lien social. Les TIC étaient per-çues comme un vecteur d’isolement social, de diminution de la qualité de vie et de patHologies psycHosociales multiples. Le temps d’utilisation des TIC était considéré comme un facteur central de “déconnexion sociale”. Cette vision est aujourd’Hui remise en cause avec l’aug-mentation régulièrement observée de la taille et de la 16 diversité des réseaux personnels .
Mais il ne semble pas pertinent de réduire l’impact des tecHnologies communicantes sur le lien social à une sim-ple estimation quantitative. Selon le sociologue Wellman, on passerait d’univers sociaux étancHes (famille, commu-nauté professionnelle, groupes locaux) à une société d’individualisme en réseau,i.e.un ensemble de relations interpersonnelles qui relèvent autant des liens forts que des liens faibles. Apparaît alors le danger d’une médiation tecHnologique excessive des relations Humaines, avec le risque d’être “ensemble nulle part” et d’être “seul collectivement”.
Des incertitudes persistent sur l’appropriation des usages numériques
Des incertitudes subsistent quant à l’appropriation des usages et le développement des dispositifs numériques qui nous environnent. Les usagers ne désirent pas néces-sairement un domicile toujours plus connecté, ils peuvent ressentir un sentiment de lassitude ou de saturation face à la multiplication des offres tecHnologiques. Les enjeux 17 environnementaux pourraient également entraîner une certaine sobriété en matière d’équipement et d’usages.
La convergence progressive des TIC avec les sciences 18 cognitives, les biotecHnologies et les nanotecHnologies fera très certainement émerger des questionnements étHiques dans les décennies à venir. Des tecHnologies actuelles ou bientôt disponibles soulèvent d’ores et déjà des questions de cet ordre. Ainsi en est-il des dispositifs conçus pour faciliter la vie tels les compteurs intelligents,
les robots de compagnie et les véHicules connectés qui enregistrent nos traces et nos comportements.
Les individus pourront-ils maîtriser leur identité numérique ? L’identité numérique peut se définir comme la collection des traces que nous laissons derrière nous sur internet (ID, adresse IP, e-mail, mot de passe, pseudo, données personnelles, administratives, bancaires, pHotos, avatars, tags, liens, publications) et qui sont stockées et analysées par les moteurs de recHercHe et navigateurs web. Même si beaucoup d’informations ne sonta prioripas person-nelles, elles peuvent le devenir dans la mesure où leur traitement pardata miningpermet de reconstruire l’iden-tité numérique. Force est de constater que les usagers maîtrisent mal leurs identités numériques. Ils produisent un nombre considérable de traces à leur insu, avec une faible capacité à les contrôler. Ils subissent également des conditions générales d’utilisation (CGU) peu compré-Hensibles et les contentieux liés aux abus des grandes plateformes sont déjà abondants. Les difficultés liées à la protection de l’identité numérique ne feront que s’accroître à mesure que l’internet s’étendra au monde pHysique (géolocalisation, réalité augmentée, capteurs, internet des objets), aux actions de tous les jours (RFID – tecHnologie d’identification –, paiement sans contact) et aux systèmes de contrôle (reconnais-sance faciale et orale, données biométriques).
Travail et activité : vers un effacement des frontières Un bouleversement du travail L’usage des TIC contribue à cHanger les modalités du travail et les compétences mises en œuvre pour l’exercer. La part d’abstraction, de plus en plus grande, va de pair avec la complexification et l’individualisation des tâcHes (auto-organisation du travail, travail en mode projet, contact en ligne avec des clients et partenaires extérieurs, etc.). Les TIC participent également de manière déterminante à l’éclatement de l’unité de temps et de lieu du travail. Les pratiques de travail en mobilité, à distance, en deHors des Heures traditionnelles de bureau, sont désormais courantes et de nouveaux lieux de travail émergent (espaces deco-working,cafés équipés de wifi, etc.).
15. Le terme “capacitant” attribué à un dispositif est de plus en plus utilisé pour désigner la capacité (aptitude à faire) de ce dispositif à développer dans un sens positif le potentiel (d'action, d'apprentissage, d'autonomie, etc.) de ses utilisateurs. 16. Dunbar affirmait en 1992 que les êtres humains ne pouvaient pas gérer un réseau personnel qui dépasse 148 personnes. Pourtant, la taille d'un réseau moyen était de 290 individus en 2001 (McCarty etal.) et de 610 personnes en 2010 (Goel et Salganik). 17. Consommation énergétique desdata centerset ducloud computing,obsolescence programmée des matériels, utilisation de terres rares et de matériaux polluants, etc. 18. Parfois appelée “convergence NBIC”.
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Les États au défi de l’internet Internet s’est largement développé sans les États et en deHors d’eux. La puissance publique ne régit pas le réseau et ne le maîtrise pas. D’un côté, l’esprit libertaire ou coopératif des pionniers s’est prolongé et se fonde davantage sur la notion revisitée de biens communs que sur celle, plus traditionnelle, de biens publics. De l’autre, le réseau est devenu un immense espace marcHand, régi (dans une certaine mesure) par les règles libérales de l’économie mondiale. La capacité des États à faire exister pour internet un cadre légal et réglementaire, une gouvernance, une régu-lation, voire un cadre de confiance, est mise en question. Des incertitudes existent quant à leurs possibilités et modalités d’actions tant dans le domaine des infrastruc-tures que dans celui des services.
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De nouveaux équilibres dans les relations de propriété L’immense majorité des pratiques sociales numériques a lieu dans le contexte des grandes plateformes privées, soumises au régime de leurs conditions générales d’utili-sation. Si pour l’Heure elles font en sorte d’être le plus
À l’opposé, des communautés d’internautes participent sciemment et bénévolement à la production collaborative de connaissances tout en veillant au format de circulation de cette information (licence libre, biens communs infor-mationnels). Ce modèle, restreint jusqu’à présent à la production de connaissances, devrait s’étendre à la pro-19 duction de biens tangibles .
L’émergence de modes de production collaboratifs La double dynamique de démocratisation des outils tecH-nologiques et de travail collaboratif a donné naissance à des dispositifs d’un genre nouveau, les“labs”(Fablab, Biolab, Robolab, Brainlab,etc.). Ces dispositifs, souvent de statut associatif, mutualisent des outils tecHnolo-giques de pointe afin de les rendre accessibles à un plus grand nombre de personnes, capables d’en imaginer des usages ou des projets nouveaux, par le biais de l’intelligence collective. La propriété des outils et les capacités de production qui en découlent ne sont plus l’apanage des entreprises ou des laboratoires institution-nels de recHercHe.
Les géants de l’internet (Google, Amazon, Twitter, You-tube, Facebook) ont compris cette dynamique d’innova-tion ouverte et ont poussé le modèle à l’extrême. Plutôt que de produire et de fournir des contenus, ils ont su cap-ter la valeur produite par les internautes : vidéos, pHotos, annotations, évaluations, etc.
L’ouverture des processus d’innovation et l’enjeu de la captation de valeur Réseaux étendus de collaborateurs, management des connaissances, démocratisation des outils, développe-ment du travail collaboratif : petit à petit, la compétitivité d’une entreprise se joue dans sa capacité à innover en continu, à susciter l’innovation de la part d’autres acteurs de son écosystème et à capter une part de la valeur créée dans un système d’innovation ouverte. L’innovation émerge des interactions et collaborations de travail, qui peuvent se situer aux frontières de l’entreprise.
19. L’expérience de l’ingénieur américain Joe Justice autour de “WikiSpeed” – projet de construction de voiture peu chère, peu consommatrice d’essence, rapide, et répondant aux normes de sécurité – montre de nouvelles façons de travailler et de produire collectivement, hors de tout cadre organisationnel classique.
Des organisations en tension entre vertical et horizontal Internet a favorisé le renforcement de pratiques sociales et d’organisations Horizontales, bousculant les Hiérar-cHies. La relation à l’autorité est mise en question, notam-ment dans les cHamps de la connaissance, avec la floraison des ressources en ligne et l’importance de l’apprentissage entre pairs. Dans le même temps, les dispositifs numériques sont, plus que jamais, des outils de pouvoir et de contrôle, des outils de gestion et d’efficacité, dont les organisations les plus verticales ne peuvent plus se passer. Il n’y a donc pas substitution, mais tension, entre le vertical et l’Horizontal.
Enfin, le développement des communautés du “logiciel libre” et de“l’Open Source”brouille les frontières tradi-tionnelles entre marcHand et non marcHand, productif et non productif, puisqu’une part significative de la valeur est produite sur le temps libre des développeurs qui par-ticipent à ces communautés.
LA noteD’AnALyse
La puissance publique questionnée par le numérique Les nouveaux outils à la disposition des citoyens et usagers, l’émergence de nouvelles formes collectives d’action, le foisonnement d’initiatives numériques des pouvoirs locaux ainsi que le double mouvement de mon-dialisation et de communication généralisée induisent une transformation sensible de l’exercice de la puissance publique.
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