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L'appel L'appartement d'Isabelle, inondé de lumière, sentait l'huile de lin. Elle avait passé la matinée à ranger, nettoyer, astiquer et en éprouva un bien être certain mais fugace. Qu'allait-elle faire ensuite? Elle aurait pu ranger son courrier de la semaine comme à son habitudemais cela lui aurait demandé une concentration dont elle était incapable ce jour là. Sans doute, y était-il pour quelque chose. Les dossiers sur le bureau, fraîchement nettoyé à la cire d'abeille, attendraient aussi leur tour ; le rouge, celui des procès en cours et le bleu celui des factures à vérifier. Elle continua à s'affairer autour de rien pendant quelques minutes, peut-être une demi heure, puis son regard tomba sur son téléphone. Il avait dit qu'il appellerait. Finalement, elle empoigna le dossier rouge dont elle arracha l'élastique. Elle consulta le dernier courrier de son avocat mais dut relire plusieurs fois la première phrase, sans se rappeler vraiment de quoi il s'agissait. Elle verrait ça plus tard. Elle ne prit pas la peine de remettre le courrier en place. On avait frappé à la porte. Elle restait là, debout, en alerte, se forçant àrespirer. Pourquoi irait-elle ouvrir ? Alors que justement elle venait de décider de ne rien faire. Elle n'attendait personne. Et si c'était lui ? Elle eut envie de se frapper d'autant de candeur, voulant se défendre de sa propre attente.

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Publié le 06 novembre 2015
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Langue Français

Extrait

L'appel
L'appartement d'Isabelle, inondé de lumière, sentait l'huile de lin. Elle avait passé la matinée à ranger, nettoyer, astiquer et en éprouva un bien être certain mais fugace. Qu'allait-elle faire ensuite ? Elle aurait pu ranger son courrier de la semaine comme à son habitude mais cela lui aurait demandé une concentration dont elle était incapable ce jour là. Sans doute, y était-il pour quelque chose. Les dossiers sur le bureau, fraîchement nettoyé à la cire d'abeille, attendraient aussi leur tour ; le rouge, celui des procès en cours et le bleu celui des factures à vérifier. Elle continua à s'affairer autour de rien pendant quelques minutes, peut-être une demi heure, puis son regard tomba sur son téléphone. Il avait dit qu'il appellerait. Finalement, elle empoigna le dossier rouge dont elle arracha l'élastique. Elle consulta le dernier courrier de son avocat mais dut relire plusieurs fois la première phrase, sans se rappeler vraiment de quoi il s'agissait. Elle verrait ça plus tard. Elle ne prit pas la peine de remettre le courrier en place. On avait frappé à la porte. Elle restait là, debout, en alerte, se forçant à respirer. Pourquoi irait-elle ouvrir ? Alors que justement elle venait de décider de ne rien faire. Elle n'attendait personne. Et si c'était lui ? Elle eut envie de se frapper d'autant de candeur, voulant se défendre de sa propre attente. Ses jambes restaient figées, raides, mais elle tendit son bras pour attraper le téléphone et vérifier pour la troisième fois...le sang battait fort dans ses tempes quand elle décida quand même, mais à pas lents, de se diriger vers la porte d'entrée. Seule la tempe gauche commençait à lui faire mal. Elle entrebâilla la porte après l'avoir déverrouillée pour constater qu'il n'y avait personne. Quelqu'un se serait trompé de porte. Sûrement. Quelqu'un qui allait chez les voisins et qui aurait d'abord frappé là. Non, ça ne pouvait pas être lui. Il avait dit qu'il appellerait. Elle n'allait pas passer sa journée à attendre. Seul lui devait appeler, d'ailleurs ; c'était convenu comme ça. Isabelle y trouvait là un grand confort. Pourquoi l'aurait-elle appelé d'ailleurs ? Bien sûr, elle aimait bien être en sa présence parfois mais elle ne supportait pas l'idée de tomber sur un répondeur de téléphone.
C'est quelque chose qu'elle ne tolérait pas, comme un refus, un affront personnel.
Lui ou un autre, du moment qu'il la dorlotait un peu et la flattait beaucoup, elle savait bien que c'était pareil. Presque pareil, jamais tout à fait. Avec Armand, elle n'avait jamais eu de problème. Il avait été régulier comme un métronome, rassurant comme un ange gardien. Alors justement, aujourd'hui, elle ne supportait pas qu'il ne fasse pas ce qu'il avait dit, qu'il la laisse attendre, enfin non pas attendre justement, elle allait changer les règles du jeu. Il verrait bien. Elle allait appeler ; elle pouvait le faire aussi. Elle serait fixée, peut-être, si elle ne tombait pas sur ce fichu répondeur. Non, elle n'était pas phobique, elle pouvait le faire. Seulement, ce qui la contrariait, c'était qu'il ne fasse pas ce qu'il avait dit. Elle ne pouvait pas penser qu'il eut pu avoir un empêchement. Il lui était dévoué, point. C'était comme ça qu'elle tolérait une relation avec un homme. Armand et Isabelle se voyaient chaque week-end, exceptionnellement en semaine, après l'appel rituel du vendredi soir.
Il avait eu mieux à faire ; elle aurait préféré ne pas y penser. Subitement, elle ne se retint plus de fumer. Elle le faisait pour lui, il n'aimait pas qu'elle fume, qu'elle en ait l'odeur sur elle, il se tenait à distance. Mais là, à quoi bon ? Elle prit son paquet de cigarettes, le téléphone et s'installa sur la terrasse. Elle revint à la cuisine pour chercher un verre d'eau, marchant pieds nus sur le carrelage frais, déroulant bien la plante des pieds, elle voulait se détendre avant. Elle allait l'appeler, tout à l'heure, quand elle n'aurait plus mal à la tête, ou non, maintenant justement, c'est ça qui lui faisait mal à la tête alors autant s'en débarrasser tout de suite. Elle sentirait le moment, ne savait plus si elle devait se forcer, toute son énergie dirigée vers cette décision. Alors, elle appuya sur la touche. Ne laissa pas sonner. Elle se releva pour aller éteindre la télévision qui braillait sans raison dans le salon parfaitement ordonné. Au moment de la publicité, le son se fit plus fort, Isabelle vit l'homme du « café Senseo capuccino » tomber de la falaise. Pourquoi pas ? dit-elle à voix haute. Elle rapporta la carafe d'eau, se rassit. Rentra à nouveau, rangea les télécommandes, chercha son téléphone - longtemps, vraiment longtemps - pleurant presque de rage, comme si c'était la faute de ce fichu téléphone ; peut-être, après tout. Elle retourna sur la terrasse. Il était dans sa poche. Depuis quand ? Elle sélectionna le nom dans le répertoire - des palpitations trop connues résonnèrent encore jusqu'à sa boîte crânienne - c'était bien de sa faute à lui si elle s'énervait comme ça. En même temps, elle se sentait...non, elle n'était pas faible, c'était lui qui se fichait d'elle. Elle laissa sonner, tomba sur la messagerie, ne laissa pas de trace, recommença, laissa un message, l'écouta, le supprima.
Sa voix lui était revenue pleine de chagrin, de doute, non, ce n'était pas elle. Il se serait moqué en l'entendant ou en aurait été agacé. Elle voulait lui parler à lui, pas à un robot. Mais elle l'avait fait. Il verrait qu'elle l'avait fait.
Une heure plus tard, Isabelle se réveilla. Elle avait fait les fonds de placard de la salle de bains, terminant les myorelaxants qu'il lui restait. Ce n'est pas qu'elle en ait besoin, mais c'était toujours des contrariétés qui se rajoutaient les unes aux autres. Elle aurait sûrement encore bien dormi sans ce texto débile disant : « Désolé, j'ai dépanné ma fille qui a eu un accident, rien de grave pour elle, plus de peur que de mal, voiture fichue. Bisou. »
Tu mens très mal, pauvre crétin. Et tu crois que je vais gober des trucs pareils ? Si c'était vrai, pourquoi me le dire seulement maintenant ? Tu pouvais bien me le dire hier non ? Soudain, ta fille est plus intéressante que moi, c'est nouveau ça, tu disais pas ça la semaine dernière, tu n'as vraiment aucune mémoire, tu ne vaux pas mieux que les autres. Mais, pas de chance pour toi, c'est toi qui vas payer. Oh non, je ne vais pas te rappeler pour te demander des nouvelles de ta fille, tu penses bien que je m'en fous de ton mensonge. Je vais venir moi-même constater les dégâts. Tu vas en faire une drôle de tête dans ton petit costume de flanelle beige, toujours comme il faut, correct, sauf avec moi.
Dans un état second, Isabelle se leva, à la fois molle et résolue, se dirigea vers la salle de bains, se cognant au chambranle de la porte. La douche froide povoqua en elle la dureté qui lui était familière, elle s'habilla, se maquilla, choisit ses chaussures, prit son sac et sortit. Elle allait y aller à pied. Elle marchait vite, les voitures la laissaient passer, les bruits lui parvenaient confusément. Elle eut envie de fumer – n'avait pas pris ses cigarettes - décida de s'en passer - il pourrait l'approcher comme ça – cette pensée la fit rire - des gens se retournèrent. Elle ne regardait personne. Elle marchait vite, aurait couru si elle n'avait pas mis ses chaussures à talons ; leur bruit recouvrait les propos ineptes des passants. Où allaient-ils tous ? Tous ces imbéciles. À des rendez-vous d'amoureux ? Pauvres idiots. Elle allait au moins débarrasser la terre d'un dangereux séducteur, non pas qu'il soit plus redoutable qu'un autre, il était plutôt banal, mais sa conduite était un exemple de ce qu'ils pouvaient faire, tous, ils en étaient capables. Ce n'était pas non plus qu'elle souhaite défendre une quelconque cause. Elle n'en avait rien à faire non plus. Mais il fallait bien un jour commencer le nettoyage. Et ce serait lui qui en aurait la primeur. Quel honneur pour ce petit bonhomme à qui elle avait offert de son temps ! Comment allait-elle s'y prendre ? Pas d'arme, pas de poison. L'idée jaillit. Il lui avait donné lui-même. L'accident de voiture, elle conduirait le lendemain ou un autre jour et sauterait de voiture
juste à temps. Pas plus difficile que ça. Elle avait toujours réussi ce qu'elle avait entrepris. Elle ne serait pas soupçonnée. Surtout, ne pas laisser voir son état, être douce et compatissante, feindre de croire au malheur de sa fille et tout irait bien. Comme elle marchait très vite, les gens la bousculaient, elle fut bientôt obligée de marcher sur la route, les motos l'évitaient de justesse, les voitures faisaient des écarts. Elle était presque arrivée quand elle décida de se reposer, disons de s'asseoir sur un banc, dans un petit parc, près de chez lui. S'il passait par là, elle verrait bien. Elle devait se recomposer intérieurement avant de le retrouver, ne rien laisser paraître. Il la trouverait empathique, sympathique et n'en serait que plus confiant pour leur prochaine et ultime promenade d'amoureux... A ce moment là seulement, elle aperçut les gens autour d'elle, oui, autour d'elle, elle semblait les attirer. Comme ils passaient devant elle et repassaient, parfois en ricanant, elle se mit à les observer, les scruter, les suivre du regard, se demandant quels étaient leurs secrets, leurs attentes, à quoi ressemblaient leurs vies ? Ils semblaient lisses, sûrs d'eux. Elle accordait un intérêt particulier aux couples, essayant de déceler ce qui dénotait la tromperie, en y parvenant presque toujours. C'était soit un regard, une démarche, un geste refusé...c'était sûr, le couple n'existait pas. Cela la fit rire encore.
Bientôt, elle ne les regarda plus, ne bougea plus sachant que son plan se réaliserait de toute façon. Elle n'était plus qu'à deux rues de chez Armand.
Le gardien du parc lui demanda de sortir, il allait fermer comme tous les jours à dix huit heures. « Madame, madame, vous m'entendez ? Vous ne pouvez plus rester ici, le parc va fermer. » S'ensuivit une flopée d'insultes à laquelle le brave Gomez était habitué.
"Si vous me forcez, je vais être obligé d'appeler et ils vont vous amener comme la dernière fois. Vous vous souvenez, Madame Isabelle. Vous n'avez pas aimé la dernière fois, ils vous ont gardée deux mois, mais là, ils risquent de vous enfermer pour de bon. Ça me ferait de la peine moi de vous savoir là bas, vous savez, moi aussi, je sais comment c'est là bas, on guérit pas vraiment alors autant rester dehors. Allez, Madame Isabelle, venez avec moi, je vous ramène chez vous."
Isabelle se mit à sourire et donna la main.
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