L esprit créateur de Diderot - article ; n°1 ; vol.20, pg 39-54
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1968 - Volume 20 - Numéro 1 - Pages 39-54
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1968
Nombre de lectures 41
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Robert Niklaus
L'esprit créateur de Diderot
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1968, N°20. pp. 39-54.
Citer ce document / Cite this document :
Niklaus Robert. L'esprit créateur de Diderot. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1968, N°20. pp.
39-54.
doi : 10.3406/caief.1968.897
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1968_num_20_1_897L'ESPRIT CRÉATEUR DE DIDEROT
Communication de M. Robert NIKLAUS (Exeter)
au XIXe Congrès de l'Association, le 26 juillet 1967.
La doctrine classique qui a pour principe l'imitation des
Anciens et, à travers elle, l'imitation de la nature fut longue
ment discutée lors de la Querelle des Anciens et des Modernes
qui se prolonge au xvine siècle. A vrai dire, elle est présentée
de façon intéressante par La Bruyère qui, dans son Discours
à V Académie (1693), fait l'apologie de l'imitation créatrice
à propos de Boileau, de La Fontaine et de Bossuet. Relevons
ce qu'il dit de Boileau et de sa façon d'employer le mot créer :
« Celui-ci (Boileau) passe Juvénal, atteint Horace, semble
les pensées d'autrui et se rendre propre tout ce qu'il manie ;
il a dans ce qu'il emprunte des autres toutes les grâces de la
nouveauté et tout le mérite de l'invention. » Malgré sa pru
dence et son goût classique, il voit dans l'artiste comme un
inventeur et presque un créateur. Évidemment, et sans r
emonter à l'antiquité, des artistes comme Léonard de Vinci,
Lomasso et Durer avaient en quelque sorte conçu l'artiste
à l'image de Dieu, mais la notion d'artiste créateur ne prend
tout son sens que dans le sillage de Locke et de la pensée an
glaise. On a cité Bacon, Hobbes, Locke, Berkeley, Hume et
Condillac comme les philosophes qui ont examiné le problème
de l'imagination créatrice. Margaret Gilman, dans une ex
cellente étude intitulée « Imagination and Creation », parue
dans Diderot Studies (II), a justement rappelé que Dubos, ROBERT NIKLAUS 4O
l'abbé Batteux et Voltaire entre autres ont insisté sur le rôle
de l'imagination dans la création artistique. Pour ma part,
j'insisterais volontiers sur la perspicacité de Dubos, lui-même
à l'école de Locke, qui a déclaré dès 1719 dans ses Réflexions
critiques sur la poésie et la peinture : « Un ouvrage peut être
mauvais sans qu'il y ait des fautes contre les règles, comme un
ouvrage plein de fautes contre les règles peut être un ouvrage
excellent », phrase lourde de sens et qui n'a été pleinement
comprise que vers la fin du siècle (1). Il avait entrevu que
l'art n'était pas sujet à des lois purement intellectuelles et
arbitraires et pressenti le rôle de la sensibilité dans une esthé
tique nouvelle. C'est pourtant un philosophe anglais qu'il
n'a pas connu, Shaftesbury, opposé comme Locke à tout
principe a priori, et décidé à réhabiliter les passions, qui a le
mieux formulé l'esthétique nouvelle, selon laquelle l'art en
dernière analyse est création et non point imitation : « To
copy what has gone before can be of no use... To work origina
lly, and in a manner create each time anew, must be a matt
er of pressing weight, and fitted to the strength and capacity
of none but the choicest workmen. » L'artiste comme le
poète, poursuit-il, « is indeed a second maker ; a just Promet
heus, under Jove » (2). Le mot createy appliqué à l'invention
et à l'imagination du poète, laisse pressentir une conception
assez nouvelle de la puissance artistique. Shaftesbury, comme
Dubos, était convaincu que l'art ne devait être astreint à
aucune formule, fût-ce celle des Anciens (3). Si Shaftesbury
a eu des précurseurs, c'est pourtant lui qui a battu le tambour
avec le plus d'insistance. Le courant de libre-pensée et de
liberté qui soufflait dans les arts comme dans le monde des
lettres et de la philosophie pendant la Régence et durant les
années 1730 a trouvé quelques assises très sûres dans l'œuvre
de Shaftesbury qui a permis une liberté d'expression jus
qu'alors inconnue et posé des questions d'ordre esthétique,
(1) Par Beaumarchais par exemple. Cf. Diderot : « A mesure qu'on in
troduit la forme, la vie disparaît » (Assézat-Tourneux, XI, 245).
(2) Characteristics of Men, Manners, Opinions, Times, 171 1. Dans l'édi
tion de 1790 que nous avons consultée, la citation se trouve en III, 5, et
en I, 179.
(3) Voir Fiske Kimball, The Creation of the Rococo, 11 3-1 14. L'ESPRIT CRÉATEUR DE DIDEROT 41
philosophique, moral et psychologique que Diderot, âme
sœur et libre traducteur de Shaftesbury, n'a pas manqué de
relever. Quand Diderot s'écrie : « L'enthousiasme naît d'un
objet de nature » (4), il se sert du mot même de Shaftesbury
pour désigner ce feu sacré ou génie qui est pour celui-ci un
don de Dieu. Mais le problème, pour Diderot, sera justement
de maintenir cette inspiration ou furor poeticus comme él
ément essentiel de la création artistique sans avoir recours à
Dieu.
Pour mieux comprendre l'esprit créateur de Diderot phi
losophe et artiste, il faudrait approfondir la conception de
l'enthousiasme selon Diderot que nous saisissons à son point
de départ chez Shaftesbury, associer un concept qui évolue
sans cesse à son œuvre créatrice, au processus créateur lui-
même ; ou encore, si l'on veut, partir de l'idée pour en arri
ver à l'expression et repartir de celle-ci pour revenir à l'idée,
cette dernière quelque peu modifiée par l'expérience ; en
d'autres termes, adopter la façon de procéder de l'auteur,
ce qu'il appelle « faire le travail de l'abeille ».
Point n'est besoin ici de préciser la doctrine sensualiste
de Diderot qui raffine sur celle de Condillac en tenant compte
de données plus complexes et en s'efforçant de serrer la
réalité de plus près. Il substitue à tel imaginaire sixième sens
esthétique, cher à quelques anglais, le cerveau lui-même qui
peut coordonner les sensations et même leur ajouter quelque
chose par leur association. Précisant le rôle des divers sens
et du cerveau, leurs rapports mutuels, il en arrive rapidement
à établir des correspondances de toute espèce que l'exemple
du clavecin oculaire du père Castel lui suggère. Dans sa r
echerche de la vérité, il se sert de la méthode deductive, tout
en soulignant l'importance grandissante de la méthode expé
rimentale, et raisonne par analogie, instrument d'enquête
valable puisque tout se tient en nature pour le philosophe
dont le rôle doit se borner à « comparer les phénomènes » (5).
Les hommes, qui se ressemblent tous par l'organisation (6),
(4) Assézat-Tourneux, VII, 102-103.
(5) A. -T., XIV, 430.
(6) A.-T., VI, 444. 42 ROBERT NIKLAUS
reçoivent leurs idées des sens, puisque la pensée est le fruit
de la sensibilité qui est une propriété universelle de la nature (7)
ou un produit de l'organisation, que l'univers est une seule
et unique machine où tout est lié (8). Il y a donc correspon
dance entre le processus de notre esprit et la réalité object
ive. Comme Diderot le dit : « Le type de nos raisonnements
les plus étendus, leur liaison, leur conséquence est néces
saire dans notre entendement, comme l'enchaînement, la
liaison des effets, des causes, des objets, des qualités des
objets, l'est dans la nature » (9). Le rythme du monde mental
et celui du monde physique vont de pair dans le monde vi
vant. C'est la perception plus ou moins nette des analogies
dans l'univers visible et invisible qui détermine l'originalité
et la vérité du philosophe ; et l'intuition, la scientia intuitiva
comme l'appelait Spinoza, cet « esprit de divination par l
equel on subodore, pour ainsi dire, des procédés inconnus,
des expériences nouvelles, des résultats ignorés » (10), comme
l'a qualifiée Diderot, est la condition du génie du philosophe,
la source féconde de ses conjectures scientifiques. Toute
véritable pensée devient alors interprétation. Il ne s'agit
pas seulement d'une interprétation de la nature, d'une inter
prétation

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