L épistolière, nouvelle numéro 1
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Description

Numéro 1 Cette histoire que je m’apprête à raconter va sans doute, à notre époque, paraitre banale et sans trop d’intérêt. Je n’ai pourtant jamais, jusqu’à présent, pu la dire à personne, de peur que des conséquences importantes ne retombent sur ma famille et mes proches. A présent que malheureusement il ne reste plus que moi, je peux me permettre de sortir de l’ombre la période de ma vie qui fut, bien qu’extrêmement brève, sans doute une des plus heureuses de ma vie. Bien sur, par la suite, j’ai vécu, comme toute femme, des périodes de vie calme et sereine qui pouvaient être assimilées à du bonheur, mais il est toujours resté en moi un vide que rien n’a jamais pu combler et qui date de cette époque noire où les garnisons ennemies avaient envahi nos villes et nos campagnes et où l’une d’entre elles avait élu domicile sur notre domaine. J’avais 17 ans quand un matin une longue file de voitures plus ou moins blindées avait franchi le portail du domaine fermier sur lequel mes deux parents et moi travaillions. Sans plus de politesse que leur permettait leur domination, mais avec un peu de gène tout de même de la part de certains, les soldats s’étaient dispersés dans tous les bâtiments, investissant les meilleurs endroits et nous contraignant à replier nos affaires dans les granges. Mes parents et moi partagions ainsi avec une autre famille une étable depuis longtemps abandonnée, tandis que nos conquérants dormaient au chaud et au sec dans nos logements.

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Publié le 12 octobre 2013
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Licence : Tous droits réservés
Langue Français

Extrait

Numéro 1

Cette histoire que je m’apprête à raconter va sans doute, à notre époque,
paraitre banale et sans trop d’intérêt. Je n’ai pourtant jamais, jusqu’à présent,
pu la dire à personne, de peur que des conséquences importantes ne
retombent sur ma famille et mes proches. A présent que malheureusement il
ne reste plus que moi, je peux me permettre de sortir de l’ombre la période de
ma vie qui fut, bien qu’extrêmement brève, sans doute une des plus heureuses
de ma vie.
Bien sur, par la suite, j’ai vécu, comme toute femme, des périodes de vie calme
et sereine qui pouvaient être assimilées à du bonheur, mais il est toujours resté
en moi un vide que rien n’a jamais pu combler et qui date de cette époque
noire où les garnisons ennemies avaient envahi nos villes et nos campagnes et
où l’une d’entre elles avait élu domicile sur notre domaine.
J’avais 17 ans quand un matin une longue file de voitures plus ou moins
blindées avait franchi le portail du domaine fermier sur lequel mes deux
parents et moi travaillions.
Sans plus de politesse que leur permettait leur domination, mais avec un peu
de gène tout de même de la part de certains, les soldats s’étaient dispersés
dans tous les bâtiments, investissant les meilleurs endroits et nous
contraignant à replier nos affaires dans les granges.
Mes parents et moi partagions ainsi avec une autre famille une étable depuis
longtemps abandonnée, tandis que nos conquérants dormaient au chaud et au
sec dans nos logements.
Un jour, durant le repas du midi, alors que tout le monde était aux champs,
j’entrepris de rentrer à la ferme. Je ne savais pas exactement pourquoi je faisais
cela. J’avais vaguement en tête de me glisser dans notre ancien logis et de
m’allonger quelques instants sur ce qui avait été mon lit. J’en avais un peu
assez de dormir sur des ballots de paille plus ou moins bien conservée.
Marie-Christine L’Heureux, l’épistolière, numéro 1
La cours était vide quand j’y entrais. Le longeais les murs pour ne pas être vue.
Je n’étais pas censée me trouver là à cette heure. J’atteignis sans difficulté
l’entrée de mon ancienne maison. Je poussais la porte, elle n’était pas fermée à
clé. Je me glissais à l’intérieur, tendant l’oreille pour être sure qu’il n’y ait
personne. La porte de la salle à manger était ouverte, j’avançais doucement et
m’arrêtais juste avant de passer devant. Je risquais un œil à l’intérieur de la
pièce. Un homme assez jeune, habillé en officier, était assis dans un fauteuil qui
n’appartenait pas à notre mobilier, et lisait un livre qui n’était pas à nous non
plus. Mes parents ne possédaient pas de livre. Je regardais plus en détail la
pièce, et m’aperçu qu’une bibliothèque avait été montée contre un mur, et que
ses rayons étaient pleins. Le jeune officier avait peut être l’intention de les lire
tous, à moins qu’il ne l’ait déjà fait.
Comme l’homme ne semblait pas bouger, je me risquais à passer devant la
porte et commençais à monter l’escalier. Sur la pointe des pieds, j’atteignis le
pallier du premier étage et j’ouvrais doucement la porte de mon ancienne
chambre. Je refermais derrière moi et me jetais presque aussitôt sur mon lit. Il
était souple, chaud, moelleux, et je dus lutter pour ne pas m’y endormir. Je
regardais la pièce, qui avait quelque peu changé. Des meubles avaient été
ajoutés, quelques tableaux étaient accrochés aux murs, représentant des
paysages de montagne, et des rideaux permettaient maintenant sans doute de
pouvoir dormir durant la journée sans être gêné par la lumière du soleil.
En sortant, je prenais bien garde à ne pas faire de bruit mais arrivée en bas de
l’escalier, je m’aperçu que le jeune officier m’attendait sur le pas de la porte de
la salle à manger. Il me demanda si c’était ma maison, ma chambre.
Tremblante, je répondis que oui, de manière à peine audible.
« Alors vous êtes chez vous ! Revenez quand vous voulez. »
Je sortais presque en courant, inquiète à l’idée de l’entendre appeler du renfort
et sonner l’alerte, mais il n’en fit rien et je retournais travailler.
Tous les jours, durant plusieurs semaines, je me glissais discrètement le midi
dans mon ancienne chambre et je m’allongeais sur mon lit. J’avais l’impression
de résister ainsi à l’envahisseur, du moins à ma manière. Je participais à la
reconquête de mon territoire. Et durant ces semaines successives, tous les
jours, le jeune officier me regardais passer devant la porte de la salle à manger
Marie-Christine L’Heureux, l’épistolière, numéro 1
sans rien dire, levant juste les yeux de son livre, comme pour s’assurer que
j’étais bien arrivée puis que je sortais sans encombre.

Un jour, au moment de mon arrivée, je le vis qui se levait et venait vers moi.
Comme le premier jour où je l’avais vu je me sentis trembler, mais le sourire
vague qu’il affichait sur son visage ne semblait pas hostile. Il me demanda
l’autorisation de monter avec moi afin de récupérer un livre qu’il avait oublié
en haut, et je le laissais faire. Il ouvrit la porte puis s’effaça pour me laisser
entrer la première. Je trouvai cela très élégant. Je me faisais l’impression d’être
une grande dame que l’on introduisait dans un salon important.
L’impression n’était d’ailleurs pas vraiment fausse, car depuis leur arrivée, nos
envahisseurs avaient procédé à de nombreuses modifications des lieux, y
apportant en confort et une hygiène qui pour nous était réservés aux riches de
la ville. Ainsi, ma chambre s’était trouvée dotée d’un petit cabinet dans lequel
on trouvait un meuble avec une bassine pour la toilette et même une
baignoire, toutes deux reliées directement au robinet d’eau qui se trouvait
dans la cour. Les tuyaux passaient entre temps dans une pièce du rez-de-
chaussée dont se dégageait, été comme hivers, une chaleur humide un peu
inquiétante.
Le jeune officier me regarda m’assoir sur mon ancien lit et entreprit de me faire
la démonstration du cabinet de toilette, m’expliquant les travaux qui avaient
été faits et pourquoi l’eau jaillissait déjà chaude au robinet marqué de rouge.
Son français été approximatif, mais je trouvais ses expressions attendrissantes
et j’étais tentée parfois de les corriger, mais à la dernière minute, chaque fois,
quelque chose me retenait.
Il sortit de la pièce et me laissa à mes rêveries quotidiennes. Au moment de
passer devant la salle à manger, alors que je sortais, je le vis de nouveau se
lever et venir vers moi. Il me sourit juste et retourna s’assoir.

Le lendemain, je me posais la question de savoir si je devais ou non retourner
faire mon petit pèlerinage quotidien. Je me disais que le sourire du jeune
officier cachait peut être de mauvaises intentions, qu’il allait me dénoncer et
Marie-Christine L’Heureux, l’épistolière, numéro 1
qu’à mon arrivée j’allais me retrouver face à toute une garnison qui m’aurait
envoyée en camp à l’autre bout du monde. Mais la tentation de braver une fois
de plus les interdits était trop forte, et je franchis encore une fois la porte de
mon ancienne maison.
Le jeune officier dû entendre le bruit de la porte d’entrée car au moment de
passer devant le séjour, je le vis qui en sortait pour me saluer. La situation
m’amusa un peu et je souris. Il me retourna mon sourire et en montant les
escaliers, je sentis qu’il me suivait. Comme la veille, il m’ouvrit la porte et
s’effaça pour me laisser entrer, puis se dirigea vers le cabinet de toilette et
m’expliqua qu’il s’était montré sans éducation, le jour précédent, en ne me
proposant pas de disposer des installations si le gout m’en prenait. Je restais un
peu sans voix devant cette proposition.

Les jours suivants, le jeune officier ne monta pas derrière moi. Il se contenta de
me saluer à mon arrivée et à mon départ. J’étais un peu intriguée de son
attitude et

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