Littérature marginale / Le rapprochement dans les figures (Michel Deguy)
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Pour Deguy, c’est l’éloquence ou la rhétorique qui contribue, sous le regard du poéticien, à la liaison pacifique entre littérature et philosophie. Car participant de l’éloquence, Deguy se trouve à un carrefour de l’usage pluriel de la langue : position privilégiée qui permet d’apercevoir en connaissance de cause divers modes de pensée. Inversement, il ne faudrait pas que « le grand ensemble langagier » devienne un asile pour ceux qui n’ont ni l’éloquence du poéticien, ni la maîtrise du concept et auraient néanmoins la prétention de « penser » selon « le trouble amalgame » dont parlait Heidegger…
Éric Bonnargent
Contact : bartleby00@hotmail.fr
- Atopia, petit observatoire de littérature décalée, éditions du Vampire actif.
- "Vila-Casas", in Revista Shandy (janvier 2011).
- "L'idiotie d'Alberto Caeiro", in Le Grognard, n° 14 consacré à Clément Rosset (juin 2010).
- "L'auberge espagnole de Roberto Bolaño", Revue Cyclocosmia, n° 3 consacré à Roberto Bolaño (février 2010).
- Qui
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Langue Français

Extrait

Le rapprochement dans les igures (MIchel Deguy)
18 décembre 2012
ParSerge MartIn
J’aI publIé une lecture deA ce qui n’en Init pas. Thrène(ParIs, SeuIl, 1995) dansL’Amour en fragments. Poétique de la relation critique (Arras, ArtoIs Presses UnIversIté, 2004, p. 131 et suIvantes). Cette étude précède le travaIl quI suIt…
ïl est ImpossIble de consIdérer l’ensemble de l’œuvre de MIchel Deguy nI même de dIssocIer poème et essaI, « poème » et « phIlosophème » ou « FIgure et Concept[1]». ïl faut d’abord penser ce rapport quI rend Inséparables pensée et poésIe dans les termes mêmes de Deguy ; ce que faIt, par exemple, un de ses plus proches commentateurs, PhIlIppe Verstraten :
Pour Deguy, c’est l’éloquenceou la rhétorIque quI contrIbue, sous le regard du poétIcIen, à la lIaIson pacIique entre lIttérature et phIlosophIe. Car partIcIpant de l’éloquence, Deguy se trouve à un carrefour de l’usage plurIel de la langue : posItIon prIvIlégIée quI permet d’apercevoIren connaissance de causedIvers modes de pensée. ïnversement, Il ne faudraIt pas que « le grand ensemble langagIer » devIenne un asIle pour ceux quI n’ont nI l’éloquence du poétIcIen, nI la maîtrIse du concept et auraIent néanmoIns la prétentIon de « penser » selon « le trouble amalgame » dont parlaIt HeIdegger…
Cette mIse en garde semble nous concerner puIsque nous travaIllons dans ce « grand ensemble de savoIrs […] ayant la langue comme élément commun et regroupant lIttérature, psychanalyse, scIences humaInes, phIlosophIe, poésIe ». À moIns que nous ne reprenIons,
« avec la grâce qu’on luI connaît », comme dIt Verstraten, la crItIque faIte par HeIdegger : « tout ça c’est de l’anthropologIe (pour sIgnIier l’homme centre et maître de l’étant, oublIeux de l’Autre qu’Il faut réapprendre à laIsser être) » [cIté par Verstraten,ibid.]. ToutefoIs, l’anthropologIe n’est pas l’armatIon d’une transcendance de l’homme. C’est l’InterrogatIon concernant justement le problème qu’est l’homme comme problème de langage et problème du langage. AussI, l’anthropologIe nous oblIge à sItuer « l’Autre » tout autrement que ne le faIt HeIdegger. C’est pourquoI « l’éloquence » ou « la maîtrIse du concept », deux crItères quI font coniance à des technIcItés plus qu’à une tenue du contInu poétIque, éthIque et polItIque du dIscours, ne permettent pas d’assurer une pensée, «en connaissance de cause», des « dIvers modes de pensée » quI traversent « le grand ensemble langagIer ».
Rapprocher les arts ou les œuvres ?
ToutefoIs, reconnaIssons d’emblée que le projet dessIné par l’œuvre de Deguy consIste à rapprocher poésIe et phIlosophIe et vIse à « faIre entendre » ce que Verstraten appelle « un objet de pensée » dans une œuvre dont les quatre caractérIstIques devraIent consIster à être « unIque, Insuppléable, ne ressemblant à rIen d’autre, et faIsant que l’Imprévu devIenne tout à coup nécessaIre ». PourquoI pas ? MaIs Il ne s’agIt que d’un programme, d’une déinItIon et Il faut aller y voIr de plus près. Comment Deguy pense-t-Il le rapprochement ? Quelle est la théorIe de la relatIon que Deguy nous propose ?
Partons d’un court passage dont la premIère partIe du tItre, « La poésIe n’est pas seule ; ou : prIvatIon et comparaIson », est celuI du lIvre éponyme[2]. Deguy se demande ce quI est « comme-un » aux « arts » ? Notons ImmédIatement qu’Il ne cherche pas ce quI est « comme-un » aux œuvres que Deguy nomme « les choses de la poésIe » et « les choses prochaInes quI sont celles de la peInture, de la musIque, de la phIlosophIe ». ïl ne s’Interroge pas non plus sur les œuvres qu’on ne sauraIt sItuer dans aucun « des arts ». SI le problème étaIt déplacé des « arts » aux œuvres, la questIon ne se poseraIt même pas. ToutefoIs Deguy verraIt plutôt une conirmatIon de ses proposItIons dans ce qu’on appelle aujourd’huI les « InstallatIons » :
MaIs qu’est-ce que vIent faIre l’Art ? L’Art s’Interpose, Interposant quoI ? Mettant « en scène », Il faIt spectacle de ce quI est –et qu’on appelle ça aujourd’huI « InstallatIon » ne semble pas bouleverser ce rapport. ïl transforme ce quI est en spectacle, nous faIsant spectateurs dans le moment détaché de la consIdératIon[3].
La « consIdératIon » des œuvres comme « choses de l’Art » Impose, sans qu’on y prenne forcément garde, une poétIque descrIptIve et non une poétIque relatIonnelle, à moIns que la relatIon ne soIt justement mIse
entIèrement par Deguy dans la descrIptIon et donc dans la dIstance spectaculaIre ou scénographIque : ce quI reste à examIner.
Pour répondre au paradoxe de l’apparentement et de l’Isolement des « arts », Deguy reprend le « passage fameux du lIvre ïV (1106-1120) » de Lucrèce quI « consIdère la façon dont s’aIment les amants, quI fontcommes’entre-dévorer » :
En se prIvant de manger ce qu’Il désIre, le désIr amoureux (dIérent en cela d’un besoIn) est pareIl à une dévoratIon. La relatIon entre la prIvatIon (le se-prIver, le s’abstenIr ; le manque constItutIf IntérIorIsé comme une ascèse) et la comparaIson, ou rapprochement, cette relatIon est essentIelle à l’essence, sI je puIs dIre.
Une chose est, en étant comme une autre, dans la mesure où elle ne s’IdentIie pas à elle, faIt l’épreuve de l’anIté, se retenant de s’IdentIier (de « se fondre ») à son modèle tout en entrant dans l’attIrance d’un modèle.
C’est donc au cœur d’une dIalectIque phIlosophIque du même et de l’autre, du dedans et du dehors, que Deguy sItue l’opératIon artIstIque par laquelle « un art mIme l’autre grâce à ce quI luI manque et qu’Il désIre “exprImer” par trans-posItIon ».
Dans le cas de lapoésie, que luI manque-t-Il, dont elle doIt alorsseprIver, énergIquement, pour être-comme ce qu’elle désespère de ne pas « être » ? ïl nous faut mentIonner ces troIs choses :
–La quasI-ImmédIateté de la matIère sensIble ; ou « sensatIon », à savoIr le purquale, les dIastèmes du corps ; lamusiquequ’elle borde, conine, par lephonétiqueet le chant de la voIx ; la pensée phIlosophIque.
À quel « art » faIt référence le premIer manque ? Ces « dIastèmes du corps » relèvent-Ils d’une érotIque généralIsée ou Deguy faIt-Il, de loIn, allusIon à « la peInture » et à « la sculpture » puIsque suIvent la musIque et la phIlosophIe : troIs « arts » attendus ? En revanche, ce que cherche à « dégager » Deguy c’est bIen l’« expérIence de ladéInitionnon descrIptIve ». Ce quI le conduIt à « cette tournure enhyperbate», « et-et-et-et » :
La langue, non pas lInguIstIquement appréhendée, maIs comme langage poétIque et dans ses œuvres, est IcI médIatrIce : la poétIque est le mIlIeu duet et et, non pas de synthèse maIs de syncrèse et de métamorphose, ronde et danse. Car les métamorphoses quI ont lIeu ne sont plus celles –festIvement réelles –du dIeu en Icône ou du vIeIllard en arbre, maIs de l’archétype passant d’un art à l’autre, donnant forme à, et Informé par, peInture, sculpture, musIque, prose…
C’est la proposItIon majeure de la théorIe de la relatIon de Deguy. ïl convIent de bIen l’exposer à l’aIde de quelques passages puIs au
chapItre ïV (« L’Être-comme ») deLa Poésie n’est pas seule. ïl faut d’abord bIen saIsIr le faIt que « le caractère comme-un ne peut-être posé que par l’esprIt pensIf aImé (reconnu) dans l’œuvre d’art » (p. 104). MaIs quel est cet « esprIt pensIf » ? Telle comparaIson dans tel poème –maIs déjà Deguy par l’exemple prIs (« La terre est bleue comme une orange ») est dans le modèle plus que dans l’empIrIque –« est une relatIon, un rapport, non un élément quI saute aux yeux. MaIs construIt : en langage, en dIt, en mots. Le vu ne peut être vu que par un dIre quI ouvre la relatIon en la dIsant » (p. 107). Deguy consIdère donc l’actIvIté langagIère comme relatIon maIs, en même temps, Il retIre au langage et à la relatIon le rôle moteur de cette InteractIon pour leur préférer « ce quI n’est pas vIsIble dans le vIsIble », et conier à une phénoménologIe de l’apparaître voIre à une « phénoménogénéalogIe » (p. 110) la compréhensIon de la relatIon. Comment s’opère ce détournement ?
Rapprocher poésIe et phIlosophIe
Le détournement s’eectue tout sImplement par les exemples choIsIs ; ce sont ceux qu’aectIonne toute la phénoménologIe d’InspIratIon heIdeggérIenne et qu’esthétIse à outrance les textes de Deguy. Par exemple, ce passage exemplaIre quI conclut la réexIon de Deguy sur le poInt de vue : le « bon “poInt”, d’où, et pour lequel, voIr l’échange, la réversIbIlIté », « d’oùpeut, donc, être vue la relatIon du dedans et du dehors en tous ses poInts réversIble » :
Comme quand le regard traversant une maIson aux fenêtres ouvertes voIt l’arbre de l’autre côté de la maIson s’encadrantpar une fenêtre : tel le dehors remIs au dedans, et Inversement, « antIdotIquement ». La vue de la réversIbIlIté, des transItIons et transactIons, de l’antidosistoujours accompagnée, dans l’apparence d’un autre regIstre « extéroceptIf » (maIs c’est leur jeu ensemble, musIcal, quI faIt la plénItude du percevoIr ounoein) de l’entente du rythme des portes laIssant entrer et sortIr, sortIr l’entrée et entrer la sortIe –est la vue quI a gagné le désIntéressementneutre: vue en retraIt (dans le sIte, donc, de la métaphore)surla beauté du jeu du monde –vue contemplante ?
TroIs éléments sImples, Issues d’une réductIon phénoménologIque aux choses mêmes : « maIson », « arbre » et « fenêtre ». Une opératIon quI subsume toutes les autres : « voIr » parce que pour Deguy, « l’ontologIe et la “spatIalIsatIon” caractérIstIque,i.e.tropologIque, du dIre (logos) sont en “chIasme”, enantidosis“a prIorI” » (p. 18). Une inalIté quI subsume toutes les « comparutIons artIstIques » dans le « comme » : contempler le jeu de la relatIon dans un rythme rapporté à un battement, au battement de tous les dualIsmes (sortIr/entrer). Un dIsposItIf fondamentalement scénographIque quI met la relatIon dans la « mImêsIs ». Ce passage auraIt été l’expansIon, sI ce n’est la reprIse, d’un autre passage quI venaIt au début du lIvre :
Dans la maIson, une peInture, voIre une « reproductIon » (PIero, Klee…), représente une maIson : telle maIson, absente de toute maIson, mIse enœuvreIcI me remet en relatIon avec la relatIon de l’art à la vIe quI rend la vIe habItable. MIeux vaut changer l’ordre des choses que mon désIr, sI c’est celuI de la semblance, de l’Image, par l’ouvrage d’art. ïl a, ce désIr, renversé la sItuatIon en eet : faIsant passer le dehors par le passage secret de lavue, par le chas, par le taIn, le poInt de son InversIon –d’où Il revIent au-dedans, igure, spécularIsé, lImIté. (p. 17)
Outre la reprIse de la formule que le mallarméIsme a exploItée à satIété en en maIntenant la bévue orthographIque[4]: « la eur absente de tout bouquet » (p. 173) et « [le poème] absente la eur du bouquet » (p. 148), on voIt bIen que ce dIsposItIf scénographIque est reprIs par tel passage[5]quI évoque assez explIcItement les InquIétudes d’un PIerre Legendre[6]:
Alors l’art dont nous parlons encore ? AI-je la nostalgIe de sa fonctIon de refaIre du tIers, de l’entre, de l’autre, quI resépare, remette en relatIon avec l’absence, écartant le réel perçu et l’Image fascInante ; réespaçant, refaIsant de la place pour le vIde, comme au théâtre ?
Notons le ton nostalgIque, le programme « réactIonnaIre » qu’une telle InterrogatIon postule : le « théâtre » de Deguy est certes dIérencIant maIs toujours dans un dualIsme redoublé et redoublant (extérIeur/IntérIeur ; scène/salle) quI Impose que la pensée et donc le dIscours en passe par la mIse en abyme, « la structure en mIroIr » (p. 26). La destInatIon de toute œuvre est la dIstancIatIon de la igure parce que le langage est constamment rapporté à la langue, à la grammaIre, à la grammaIre de la grammaIre, la phIlosophIe : « Ramener au langage par une œuvre ce quI n’est pas langage (le « dehors », sI l’on veut), cela détermIne l’être du langage quI se parle de son essence avec les noms des choses, des mouvements, des igures. Cela abrIte aussI le langage » (p. 29).
Rapprocher dans la igure de la igure
Ce détournement quI convoque l’essentIalIsme et le dualIsme phénoménologIques, s’opère également par l’ImposItIon du tIers dans la relatIon ; ce quI met le dIalogIsme sous le regard du « poInt de vue de l’absolu » (p. 117). La pensée de « l’opératIon analogIque » telle que la conçoIt Deguy est au cœur de l’opératIon poétIque puIsque « opérer, œuvrer, c’est construIre un analogon pour ouvrIr un dedans au dehors, un dehors au dedans » (p. 115). Cette opératIon a pour vocatIon de « rendre présent le représentant » (p. 118). AussI la relatIon est-elle « relatIonàla relatIon de relatIons » (p. 124). En eet, Il y a « l’acte de relatIon à la relatIon des rapports et le dénIvellement des deux rapports » (p. 125) quI est cette constructIon d’un «seuil» propre à chaque œuvre, vérItable « ”formule de la dIérence” dedans/dehors » (ibid.), précIse Deguy. C’est pourquoI, « Il s’agIt deIgurer» (p. 127) :
Le terme n’est pas l’œuvre, maIs le rapport de la igure àcequI est iguré ; l’œuvre produIt la hantIse de ce à quoI elle se mesure, de la référence quI vIent l’habIter, et quI, de même que le sens n’est pasdansaucun des mots de la sIgnIicatIon, n’est pasdansl’œuvre. Le secret, ce à quoI elle se proportIonne n’est pasdansl’œuvre tout en n’étant pas aIlleurs que dans l’œuvre. (p. 128)
C’est à ce poInt que le tIers se durcIt dans la pensée de Deguy : Il s’agIt d’un tIers médIateur « quI n’est à aucune des “deux” » (« choses proches »), « maIs par où –Inventé et proposé –elles pourraIent se rapprocher : un analogon quI luI-même aIt la structure analogIque, d’un “comparatIf” ; quI va rassembler en ayant luI-même la structure de la semblance[7]». Deguy répète alors que « ce quI rassemble faIt se ressembler[8]». C’est pourquoI Il postule, dans une assez grande proxImIté avec Pascal QuIgnard, une « rhétorIque généralIsée » (p. 75). Non seulement parce qu’Il s’agIt pour luI de contester toute réductIon des tropes à l’écart stylIstIque, maIs également parce qu’Il cherche, dans un double mouvement, à généralIser toute igure (« une igure détermInée est donc elle-même en même temps une catachrèse de la poésIe », p. 82) et à igurer (transformer en igure) tout nIveau lInguIstIque « (du syntagme à la grande unIté dIscursIve ou à la composItIon de l’œuvre) » (ibid.).
Rapprocher « suggérer » de « nommer »
Quelles conséquences cette tropologIe peut-elle avoIr sur la relatIon dans et par le langage ? Deguy propose de « condenser » la réexIon à ce nIveau sur « la pérIphrase et la paraphrase[9]». Les déinItIons que Deguy donnent de ces deux « igures », les sItuent dans la questIon phIlosophIque du « même » et de l’« autre » redoublée par celle de l’« IntérIeur » et de l’« extérIeur ». Ce quI ne surprend pas. Par contre, la réexIon est relancée par la manIère dont Deguy reprend l’opposItIon fameuse faIte par Mallarmé[10]entre « nommer » et « suggérer » : Deguy rabat en eet ce « verbe préféré de Mallarmé » (p. 63) sur la nomInatIon :
Suggérer: ce qu’Il convIent de substItuer à la chose, rémunérant son « manquer à sa place » ; son pseudonyme quI occupe à sa place ce quI luI manque (tout « nom propre » étant une sorte de provIsoIre sobrIquet), là où elle manque à être dIte ; substItuer au sIgnalement sténographIque de son « IdentIté » toujours fuyante unco-gnomenquI soIt « juste » (condensatIon d’un jugement), la donnant à voIr d’être dIte sous cet autre aspect, dans la famIlle d’un aIr (la sérIe où je l’éclaIre), cette métonymIsatIon est aussI bIen méta-phorante. (ibid.)
MaIs Mallarmé ne demande pas de « dIre » la chose quand Il veut « suggérer » plutôt que « nommer » : justement, Il ne s’agIt pas de « dIre » dans une descrIptIon-déinItIon comme le propose Deguy (« L’écrIvaIn […] re-décrIt, à nouveaux fraIs,versune déinItIon », p. 64).
Deguy engage la confusIon en cherchant à verser « l’opératIon » poétIque dans la représentatIon :
La pérIphrase est une opératIon « apophatIque » quI choIsIt (soustraIt ; « nIe ») les prédIcats quI ne convIennent pas à la « manœuvre[11]», à l’opératIon de suggestIon, ou déinItIon, ou é-vocatIon, ou nomInatIon, dont Il s’agIt. (ibid.)
Plus loIn, Deguy sItue cette « opératIon » dans la volonté du poète (« le poète veut changer les termes pour que durapprochementaIt lIeu »,ibid.), et surtout pose que « la pérIphrase répond au désIr de nomInatIon » (p. 65), oublIant peut-être le désIr de suggestIon maIs surtout l’actIvIté de suggestIon que le poème lance s’Il faIt la relatIon. La raIson profonde de cette assomptIon de la pérIphrase, c’est que Deguy semble seulement vIser une aporIe du sujet phIlosophIque : l’ImpossIbIlIté de dIre une « sIngularIté absolue », par quoI Il suraIt alors de proposer de « tourner autour », avec la pérIphrase justement. C’est pourquoI la réexIon de Deguy s’orIente entIèrement du côté de la référence alors même que nous attendIons une écoute du mouvement même de la pérIphrase. ïl y a pourtant « le mouvement, nI transItIf nI IntransItIf (ne-utre) quI compte, l’élan de la relatIon… » (p. 69), maIs Deguy vIse le référent prIs dans l’«eu-phémIsme » quI « tourne autour de l’IndIcIble ; auble l’Ineable » (p. 72). On comprendraIt alors mIeux ce que Deguy suggéraIt au début de son artIcle, quand voulant justIier son « retour sur la phrase, et [sa] réhabIlItatIon de la pérI-para-phrase, dans l’Intérêt de la poésIe (dans l’Intérêt du poème en vue de la poésIe) », Il précIsaIt l’enjeu : « Car Il y va du poème. La lutte est au sujet du rapport du poème à la phrase, et donc, IcI, des raIsons quI attachent le poème au phrasé, à l’euphrasIe » (p. 58).
Deguy chercheraIt donc à tenIr le contInu d’un poInt de vue poétIque et lInguIstIque –même sI on saIt que la phrase peut, pour un phIlosophe, prendre le sens deproposition. ïl chercheraIt même à engager une pensée du contInu par le poème quand la lInguIstIque ne s’y aventure guère. ToutefoIs, Il reprend vIte « toute l’aaIre » en vue de « contrIbuer à cette restItutIon de la rhétorIque quI, de CurtIus à Perelman, desFleurs de Tarbesde Paulhan à laRhétorique spéculativede QuIgnard –sans omettre la reprIse collectIve de LongIn, au cœur du problème, dans le lIvreDu sublime–, non seulement arrache la lIttérature au dIscrédIt de sens commun, maIs reconduIt au cœur de la relatIon de l’écrIture à la pensée ». MaIs, cet ajout paraphrastIque (« euphrasIe »), après l’IntroductIon de la notIon décIsIve de « phrasé », est révélateur en ce qu’Il montre que la vIsée de Deguy n’est pas l’écoute du tout venant maIs la vérIicatIon d’une conformIté : l’en-rythmIe bIenséante des phrases. Ce préixe (eu-) vIent comme soumettre le phrasé, forme subjectIve unIque et InassIgnable autrement qu’à demander une écoute toujours vIve, à un modèle de phrasé et de phrase-proposItIon sous-jacente. Par conséquent, la relatIon pour
Deguy, sI elle stIpule une altérIté quasIment InvIolable, est cependant une maîtrIse de toute altérIté et donc de toute relatIon, mettant en in de compte cette dernIère dans la dépendance d’un tIers hors-relatIon, hors-langage, prIs luI-même dans une modélIsatIon : « Une chose est, en étant comme une autre, dans la mesure où elle ne s’IdentIie pas à elle, faIt l’épreuve de l’anIté, se retenant de s’IdentIier (de se « fondre ») à son modèle tout en entrant dans l’attIrance d’un modèle » (p. 143).
Le dIalogIsme de Deguy inIt par s’écrIre « (dIa)logIsme » oublIant la relatIon « je/tu » pour luI préférer la rhétorIque de la langue et une grammaIre de la phrase en lIeu et place d’une poétIque du phrasé. Le rythme de Deguy inIt par s’entendre « contre BenvenIste » (p. 64) oublIant la relatIon que seule l’écoute de l’organIsatIon du mouvement dans le langage[12]permet de suIvre pour luI préférer « le schème rythmIque » quI s’en remet aux alternances d’une rhétorIque des rapports. N’écrIt-Il pas : « SI le cœur est structuré comme un langage, sI les mots du cœur sont homologues aux tropes, qu’est-ce quI empêchera deséduire(avant de l’abandonner) un cœur par la rhétorIque[13]? » Deguy, répétant Lacan, désIgne aInsI claIrement le cœur de son dIsposItIf : une tropologIe généralIsée quI permet certes un récIt (amoureux) maIs non une relatIon (amoureuse).
[1]. P. Verstraten, « La poétIque de MIchel Deguy »,Critiquen° 643, décembre 2000, p. 929-941.
[2]. M. Deguy,La Poésie n’est pas seule, Court traité de poétique, SeuIl, 1987, p. 142-152. Dans un premIer temps, je renvoIe dIrectement à ces pages puIs les IndIcatIons de page sans autre mentIon renvoIent à cet ouvrage.
[3]. M. Deguy, L’ÉnergIe du désespoIr ou d’une poétIque contInuée par tous les moyens, PUF, 1998, p. 55-56.
[4]. Sur cette questIon de détaIl hautement sIgnIicatIve, voIr G. Dessons, « Le Mallarmé des sIxtIes.L’absente de tout bouquet»,
dansEurope, n° 825-826 (« Stéphane Mallarmé »), janvIer-févrIer 1998, p. 64-77.
[5]. M. Deguy, L’ÉnergIe du désespoIr, op. cIt., p. 71.
[6]. VoIr, par exemple, dans P. Legendre,Dieu au miroir, Étude sur l’institution des images(ParIs, Fayard, 1994), ce passage : « […] l’enjeu IdentIicatoIre suprême : le rapport spéculaIre à l’Autre absolu, au TIers-MIroIr, comme versant relevant du plan de la représentatIon, Inséparable de celuI du dIscours dans la constItutIon du TIers absolu symbolIque » (p. 247). Rapport que Legendre voIt en grave pérIl dans notre socIété.
[7]. M. Deguy, L’ÉnergIe du désespoIr, op. cIt., p. 84.
[8].ïbid., p. 84 et p. 85.
[9]. M. Deguy, « Phrase, pérIphrase, paraphrase »,Poétique,n° 117, févrIer 1999, p. 57-73. Je renvoIe dorénavant à cet artIcle sans autre IndIcatIon.
[10]. S. Mallarmé : « […] pour ne garder de rIen que la suggestIon », dans « CrIse de vers »,Œuvres complètes« PléIade »,, ParIs, GallImard, 1945, p. 365.
[11]. Note de Deguy renvoyant à Mallarmé : « J’accomplIs selon les règles la manœuvre » (« Le Nénuphar blanc », voIrŒuvres complètes,op. cit., p. 286). Seule cItatIon de Mallarmé pourtant Invoqué contInûment !
[12]. É. BenvenIste, « La notIon de “rythme” dans son expressIon lInguIstIque » (Journal de Psychologie, 1951), dansProblèmes de linguistique générale, 1,op. cit,, p. 327-335. Sur cette questIon et le travaIl d’hIstorIcIsatIon de cette notIon quI s’en est suIvI en vue d’une relatIon avec une lInguIstIque de l’énoncIatIon, voIr H. MeschonnIc,Critique du rythme, Lagrasse, VerdIer, 1982.
[13]. M. Deguy, « La passIon réduIte au langage »,Nouvelle Revue de Psychanalyse, n° 21, prIntemps 1980, p. 197.
http://ver.hypotheses.org/191?utm_source=alert
André Bonmort - L'âge de cendre
Éditions Sulliver
Commençons par saluer la pugnacité et l’ambition de cette petite maison, Sulliver, qui poursuit depuis 1995 son travail d’analyse sociale et politique et s’obstine dans son attachement à une «langue insoumise». Axée principalement sur les sciences humaines, la maison d’édition s’est récemment dotée d’une collection littéraire, dans la continuité naturelle de son optique critique.
André Bonmort, qui en est le responsable éditorial, nous donne donc à lireL’âge de cendre, à partir d’une idée originale : le narrateur en efet n’est autre que «l’humanité». Celle-ci va se regarder au miroir des hommes, et ne s’y reconnaîtra évidemment pas. Un peu hâtivement qualiIé de roman,L’âge de
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