Berlioz lecteur de Virgile : de la mémoire vive à la création musicale - article ; n°1 ; vol.53, pg 235-251
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 2001 - Volume 53 - Numéro 1 - Pages 235-251
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2001
Nombre de lectures 58
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Professeur Joseph-Marc Bailbé
Berlioz lecteur de Virgile : de la mémoire vive à la création
musicale
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 2001, N°53. pp. 235-251.
Citer ce document / Cite this document :
Bailbé Joseph-Marc. Berlioz lecteur de Virgile : de la mémoire vive à la création musicale. In: Cahiers de l'Association
internationale des études francaises, 2001, N°53. pp. 235-251.
doi : 10.3406/caief.2001.1423
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_2001_num_53_1_1423РЬ
BERLIOZ LECTEUR DE VIRGILE
DE LA MÉMOIRE VIVE
À LA CRÉATION MUSICALE.
Communication de M. Joseph-Marc BAILBÉ
(Université de Rouen)
au LIIe Congrès de l'Association, le 5 juillet 2000
II me semblait que le latin était un feuillage vert sombre,
touffu, un laurier de l'âme à travers lequel j'eusse perçu une
clairière peut-être, en tout cas la fumée d'un feu, un bruit de
voix, un frémissement d'étoffe rouge.
Yves Bormefoy, L'Arrière -pays, 1972
II est clair que les écrivains et artistes du XIXe siècle ont
été fortement influencés par les poètes latins, dont l'étude
sérieuse faisait partie de la culture de l'époque. Néan
moins les coûts étaient partagés. En effet, certains étaient
surtout fidèles à Horace, comme Chateaubriand,
Delacroix, Nodier et Janin, qui traduisit les œuvres du
poète latin en 1860. D'autres se tournaient plus volontiers
vers Virgile, comme Sainte-Beuve dont L'Etude sur Virgile,
consacrée surtout à l'Enéide, en 1857, illustre le classicisme
dans sa mesure et son harmonie. Une œuvre belle et
géniale qui semble s'animer de la grandeur des lectures
successives : livre repris, médité, traduit, commenté à
travers les siècles et assurant la survie du poète (1).
(1) Sainte-Beuve prend nettement ses distances par rapport aux excès du
romantisme. On trouve une attitude semblable chez Gustave Planche. Voir
Maurice Regard, L'Adversaire des Romantiques : Gustave Planche, Paris, N. E.
L, 1957. La traduction de l'Enéide par Delille date de 1804. JOSEPH-MARC BAILBÉ 236
EVEIL DU SENTIMENT POÉTIQUE
Le sentiment poétique s'est imposé à Berlioz, dès sa
jeunesse, par la lecture et l'explication à haute voix des
textes de La Fontaine et de Virgile : le premier lui apport
ant la profondeur cachée sous la naïveté ; l'autre enflam
mant son imagination autour des passions épiques.
Berlioz lui-même révèle au lecteur dans quelles circons
tances il apprit le latin : « J'avais dix ans quand mon père
me mit au petit séminaire de la Côte pour y commencer
l'étude du latin. Il m'en retira bientôt après, résolu à entr
eprendre lui-même mon éducation » (Mémoires, I, 44).
Cette éducation classique ne porta pas ses fruits dès le
début et, bien que l'on n'exigeât pas du jeune enfant un
travail considérable, certaines contraintes ne lui conve
naient guère : « L'obligation d'apprendre chaque jour par
coeur quelques vers d'Horace et de Virgile m'était surtout
odieuse » (I, 44). Pourtant aux heures de méditation et de
création, ces textes lus et appris vont surgir tout naturell
ement à son esprit comme autant d'images, qui facilitent le
mécanisme de la mémoire et la remontée des souven
irs (2). Ainsi par la force de l'habitude Berlioz pourra
tirer profit presque inconsciemment de ses lectures et les
utiliser à bon escient « Quand j'eus quelque temps ruminé
La Fontaine et Virgile. [...] le poète latin, en me parlant de
passions épiques que je pressentais, sut le premier trouver
le chemin de mon cœur » (1, 45).
C'est pourquoi, dès l'abord, Virgile attire Berlioz, non
comme un merveilleux versificateur, mais comme un
frère, un authentique initiateur de sa sensibilité, dans les
scènes les plus dramatiques de son œuvre. Une sorte
« d'allumeur d'âme » pour reprendre la belle expression
d'E. Legouvé. Au hasard des lectures l'émotion surgit. On
connaît le texte célèbre des Mémoires :
(2) Les citations des Mémoires de Berlioz renvoient à l'édition de P. Citron
Paris, GF, 1969, 2 vol. BERLIOZ LECTEUR DE VIRGILE 237
Combien de fois, expliquant devant mon père le quatrième
livre de l'Enéide (IV, 690), n'ai-je pas senti ma poitrine se
gonfler, ma voix s'altérer et se briser ! Un jour, déjà troublé
dès le début de ma traduction orale par le vers :« At regina
gravi jamdudum saucia cura », j'arrivais tant bien que mal à la
péripétie du drame; mais lorsque j'en fus à la scène où Didon
expire sur son bûcher, entourée des présents que lui fit Enée,
des armes du perfide, et versant sur ce lit hélas bien connu les
flots de son sang courroucé ; obligé que j'étais de répéter les
expressions désespérées de la mourante, trois fois se levant
appuyée sur son coude et trois fois retombant, de décrire sa
blessure et son mortel amour frémissant au fond de sa
poitrine, et les cris de sa soeur, de sa nourrice, de ses femmes
éperdues, et cette agonie pénible dont les dieux mêmes émus
envoient Iris abréger la durée, les lèvres me tremblèrent, les
paroles en sortaient à peine et inintelligibles; enfin au vers
« Quaesivit caelo lucem ingemuitque reperta », à cette image
sublime de Didon, qui cherche aux cieux la lumière et gémit
en la retrouvant, je fus pris d'un frissonnement nerveux, et
dans l'impossibilité de continuer, je m'arrêtai court (1, 45-46).
Pour exprimer le sentiment tragique de l'existence
l'image de la Reine mourante s'impose à lui et ne cessera
de le hanter, durant toute sa vie.
LA LANGUE DE VIRGILE ET L'EMOTION DU VOYAGEUR.
Certes on ne sera pas surpris qu'après une pratique
régulière et orale de la langue latine, une imprégnation
sensible puisse être remarquée au niveau de l'écriture. On
s'en rend compte dans la phrase précédente, qui est un
morceau d'éloquence. C'est pourquoi, d'une façon génér
ale, on n'est pas étonné de constater que la phrase latine,
même complexe, passe, comme en se jouant, sous la
plume de Berlioz, où elle ménage les imbrications les plus
rigoureuses : « A l'exemple donc de Berton, qui regardait
en pitié toute la moderne école allemande, de Boïeldieu,
qui ne savait trop ce qu'il en fallait penser... à l'exemple
de Cherubíni.. . à l'exemple de Paër... de Catel... de JOSEPH-MARC BAILBÉ 238
Kreutzer enfin... Lesueur se taisait, faisait le sourd et
s'abstenait soigneusement d'assister aux Concerts du
Conservatoire » (I, 138) (3). Si le style même de Berlioz
doit quelque chose à la période oratoire latine, les allu
sions et références à l'histoire antique abondent dans les
Chroniques, les Mémoires, et la Correspondance, établissant
ainsi un lien entre la réflexion personnelle et la méditation
de caractère plus général.
D'autre part, on peut le constater, les citations de
Virgile viennent nombreuses sous la plume du musicien :
« J'adore Virgile et j'aime à le citer. C'est une manie que
j'ai et dont vous avez déjà dû vous apercevoir (4) ». Cet
automatisme, on le trouve également chez les autres coll
aborateurs du Journal des Débats, comme Janin ou d'Orti-
gue, voire Reyer. Ces textes intervenant sans apprêt dans
les divers chapitres donnent l'impression du plus parfait
naturel; ils aident à mieux faire sentir telle ou telle situa
tion, ils éclairent la psychologie d'un personnage, ils
soulignent l'originalité d'une création artistique.
On peut donner en premier lieu quelques exemples de
formules habituelles qui ne surprennent pas:
- « Horresco referens » (Enéide II, 204), exclamation
d'Enée lors du récit de la mort de Laocoon et de ses deux
fils étouffés par un serpent.
- « Quos ego (Enéide 1, 135) marque la colère de Neptune
furieux contre Éole dont les vents déchaînés ont fait
échouer le bateau des Troyens.
- « Pandite nunc Helicona Musae, cantusque movete »
(Enéide, VII, 641) : « Maintenant, Muses, ouvrez les portes
de l

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