Charles Juliet : une écriture coupable - article ; n°1 ; vol.51, pg 349-364
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1999 - Volume 51 - Numéro 1 - Pages 349-364
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 30
Langue Français

Extrait

Mireille Calle-Gruber
Charles Juliet : une écriture coupable
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1999, N°51. pp. 349-364.
Citer ce document / Cite this document :
Calle-Gruber Mireille. Charles Juliet : une écriture coupable. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises,
1999, N°51. pp. 349-364.
doi : 10.3406/caief.1999.1361
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1999_num_51_1_1361CHARLES JULIET :
UNE ÉCRITURE COUPABLE
Communication de Mme Mireille CALLE-GRUBER
(Queen's University, Canada)
au Le Congrès de l'Association, le 9 juillet 1998
« [...] l'écriture a toujours été
pour moi un combat. Ún com
bat contre moi-même et un
combat les mots. »
(Charles Juliet, 13 novembre
1997) (1)
Informer le Journal
L'exercice que constitue l'écriture du Journal d'écrivain
m'a toujours paru singulier en ce qu'il est écriture-limite.
Moins une écriture à la limite ou une écriture expérience
des limites comme on se plaît à le répéter ici et là, que la
brèche inaugurale faite dans l'écriture littéraire, l'ouvertu
re d'un espace-limite, d'un espacement. C'est la brèche
constitutive du départ d'écriture, donnant lieu au lieu de
la littérature et qui est ce moment si mystérieux du venir à
écrire. Le pas sur l'abîme : le pas-encore, le déjà-pas,
retrait, retenue, tension, l'avant-scène, l'avant-souffle qui
(1) « Entretien avec Charles Juliet », [in] L'œil-de-Bœuf, Revue littéraire,
novembre 1997, n° 13, p. 7. 350 MIREILLE CALLE-GRUBER
précède et prophétise le texte à-venir mais se tient suspen
du dans le risque du non encore advenu.
Le Journal d'écrivain pour Charles Juliet, c'est bien par
excellence cela : le pas qui fait seuil ; enjambement et
négatif. C'est une écriture négative au sens où l'on dit
« ontologie négative ». Une sortie, une venue, un affleur
ement sur la page de l'être-à-la mort et au-silence lorsqu'il
tente de prendre mots et racines avant même de prendre
forme. Ou c'est le travail aux racines de la langue qui i
nforme le texte, lui donne forme et matière au fur et à
mesure de sa gestation. Car chez Juliet, précisément, le
Journal d'écrivain est mis en œuvre dans ses principes
mêmes qui sont ceux d'une définition minimale. A
savoir : un lieu de la non-forme, de la non-histoire, du
non-récit, de la non-personne, du non-propre, de l'insu,
lieu de la genèse et du vacillement de l'écriture où va
advenir, incessamment, d'un moment à l'autre, la sépara
tion du jour d'avec les ténèbres. Où toujours lecture et
écriture sont sur le point de...
Il existe, on le sait, bien des formes du Journal d'écri
vain. Souvent considéré comme un genre à soi, il tisse
mémoire, rassemble et réunit un sujet de renonciation,
recompose un signataire, subsume une pensée en sa
variété de trajectoires. Barthes autrefois, Renaud Camus
dans son sillage aujourd'hui, y font dépôt et chronique du
temps qui passe : où le « Journal » fait trace, signe, vec
teur, histoire. Qu'il soit lieu commun d'un ego, d'une per
sonne, d'une époque, le Journal littéraire depuis les Gon-
court a eu tendance à se faire témoin : le creuset d'une
conjonction et d'une compréhension. Dans sa fragmentat
ion, il fait effet de réunion. Il répare ce qu'il sépare ; il
oriente (vectorialise) ce qu'il dissémine ; il embrasse la
partie et le tout, l'un et le multiple. Plus il divise, plus il
lie. Et Gide le sait bien qui, dans Les Faux-Monnayeurs,
confère au Journal d'Edouard, journal fictionnel d'écri
vain, une fonction centripète extraordinaire par sa mise en
abyme dans le récit — ce qui contrebalance les mouve
ments centrifuges en tous points à l'œuvre par miroite- CHARLES JULIET 351
ments, interruptions, reprises. Le Journal a pouvoir de
tout prendre, entreprendre, reprendre, rendre notable ce
qui est noté, donner crédit à ce qui est dit. Il se donne
comme coulant de source, bouche de vérité — la bocca
délia verità — de l'écrivain sinon de l'œuvre.
Car il y a aussi, bien sûr, le « journal » de l'œuvre — le
Journal des Faux-Monnayeurs par exemple -, sorte de lieu
parallèle préparatoire, laboratoire de l'art, de ses ques
tionnements stratégiques, esthétiques et éthiques par rap
port à un projet d'écriture. Où le Journal prend la mesure
du temps de la réflexion, qui est le temps de la lecture —
dont on oublie trop souvent qu'il double (doublure tem
porelle et textuelle) et dépasse, surplombe le temps de
l'écriture. Façon de souligner qu'un livre est toujours
deux, qu'un récit en appelle au moins un autre aussitôt :
le récit de ce — et ainsi de suite sans fin. Qu'un récit
toujours en cache un autre. A moins que ce Journal de
l'œuvre ne soit « journal de bord » ainsi que le nomme
Claude Oilier : mémoire des lieux étrangers et la traversée
des paysages par le corps écrivain qui n'a de cesse, dès
lors, de réinscrire sur la page le récit des « liens d'espace »
imprimés en lui.
Parfois aussi, comme chez Butor, l'écriture au jour le
jour se veut métaphorique de l'œuvre même : de l'opéra
poétique (Au jour le jour intitule un recueil de poèmes (2)),
de l'écriture-voyage, du Texte-Labyrinthe, du Livre
memento mori de l'écrivain, bref toute une conception de
l'écrire comme vivre. Le Journal d'écrivain est alors para-
digmatique d'une formidable confiance en l'écrire, d'un
pouvoir-écrire-toujours et en tous lieux qui fait de l'écri
vain, archive du monde, l'égal de Thoth.
Toutes ces formes de Journal d'écrivain sont des
espaces de plénitude et de recueillement, voire de virtuos
ité, établis sur un héritage des cultures, une solide
confiance en les pouvoirs des belles-lettres et le savoir-
faire nécessaire à la mise en jeu des effets de fiction et des
(2) Michel Butor, Au pur le pur, Carnets 1985, Paris, Pion, 1989. 352 MIREILLE CALLE-GRUBER
effets de réel. Car, je le rappelais lors d'une discussion
dans Poétique concernant un article de Jean Rousset sur le
« journal intime » (3), on ne saurait perdre de vue, lor
squ'on considère un journal intime, que c'est avant tout de
l'écrit ; et que, pour intime qu'il soit, le journal constitue
une discipline scripturale ; pour proche du vécu qu'il se
donne, il est lieu d'une transposition et, fût-elle minime,
d'une fabulation. C'est dire que tout récit biographique
ou autobiographique, dût-il prendre la forme la plus
informe qui est celle du Journal, opère un déplacement
qui transporte sur la scène de l'écriture. C'est un récit
dont l'instance narrative est le personnage principal, et
comme tous les récits il raconte toujours une histoire à la
place d'une autre histoire. Si peu que ce soit donc, tous les
« journaux » ci-dessus mentionnés jouent de cet espace
ment de la fabulation, à divers degrés et en toute connais
sance du trompe-l'œil.
Rien de tel avec le Journal de Charles Juliet qui déplace
les enjeux - Journal qu'il écrit depuis plus de 40 ans, qui a
précédé son œuvre puis l'a entraînée à l'enseigne du récit
autobiographique. Commencé en 1957, ce Journal paraît
en 1978 comme premier volume de l'œuvre, suivi un an
\ plus tard par la publication d'un recueil de poème Affûts
(1979). Ce Journal constitue à ce jour quatre volumes :
Journal I (1957-1964) paru en 1978, Journal II (1965-1968)
paru en 1979, Journal III (1968-1981) paru en 1982, tous
trois publiés chez Hachette. Le quatrième volume, paru
chez P.O.L., se présente différemment : Accueils, Journal
IV. A noter que les volumes II et III, récemment réédités
par P.O.L., ont pris titres : Traversée de nuit, Journal II ;
Lueur après labour, Journal III, nommant après coup ce qui
était innommable au moment de l'écriture ; donnant sens
n° (3) 56, Jean 1983, Rousset, p 435-443 « Le Au journal titre de intime, « Journal texte intime sans destinataire et ? », textuel Poétique, »

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