Demain n'existe pas: La crasse

Tancrède Bouglé

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• Publié par: tanc_b
• Publié le: 01 décembre 2013
• Nombre de lectures: 72
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• Langue: Français

Extrait

Demain n'existe pas La crasse

Tancrède Bouglé

Comment ais-je pu t'oublier, comment ais-je pu m'oublier? Celui qui passait ses soirées dans ce vieil appartement crasseux à boire des bières à demi éventées en refaisant le monde et en trashant les camarades de promotion? Ces soirs sans lendemain, un trombinoscope sur les genoux, un verre de mauvais whisky coca à la main et le pire de la télé française à l'écran? Ces soirs un peu minables et sans lendemain, ces soirs où on oubliait d'avoir peur du futur? Ces soirs où on allait en boîte danser sur Justice avec des amis d'antan, se tenant par les épaules sur "we are your friend", la certitude d'un lien éternel et inconditionnel, faire partie du groupe, de la tribu pour la première fois.

Comment ais-je t'oublier, toi qui ne savais pas quoi faire de tes journées et qui créa une entreprise par ennui un jour de novembre? Peux-tu être parti si loin que tu as disparu? Loin des yeux loin du coeur disaient les anciens, mais de nos jours plus rien n'est loin, le passé est sur YouTube et les kilomètres ne veulent plus rien dire. Où es-tu parti alors? Peut-être au fond de ma mémoire, un peu caché dans le dernier espace hors ligne, la dernière grande Terra Incognita, et qu'elle le reste!

Qu'il fallut d'un rien ou de si peu, les conversations disparues, des nuits entières à errer sur les réseaux, se lamentant sur le présent et oubliant les bons souvenirs pour que le futur grandisse, grossisse, d'irritation à bête monstrueuse, dévorant tout.

Où sont passés les rêves de voyage, la main passant dans le sable du désert sur une montagne de l'Atlas, les yeux sur l'Afrique et la tête plus loin encore? Où sont ces rêves, je ne veux pas croire qu'ils soient partis. Je veux revivre cette liberté, la crasse et l'incertitude graisseuse de ces premières années, tout plutôt que la certitude d'un futur gris. Un homme m'a dit hier que j'étais trop jeune pour faire quelque chose dont je n'ai pas envie, peut-être ne m'en fallait-il pas plus.

Peut-être les anciens avaient raison, nous sommes sur Terre pour souffrir, mais quitte à souffrir, je veux souffrir avec panache, sur la route, hébété par l'aube un lendemain de cuite et la fumée sur les lèvres, pas revenant du travail à 18h, regardant directement ses mails et se tendre en pensant, déjà, au lendemain. Le mal de tête plus que l'anxiété, l'aspirine plus que le lexomil, la cuite plus le 9 à 8.

Ah, mais j'ai beau jeu de clamer ça, avec mon chèque mensuel, esclave que je suis, rapide à aboyer et tout aussi rapide à rentrer à la niche dès que les nuages font mine de noircir. Oh que ma laisse semble courte! Et peut-être est-elle aussi courte qu'il paraît, peut-être mon royaume restera-t-il toujours ces deux mètres que mes maîtres m'ont donné avec une niche pour m'abriter et un os à ronger, ne

s'inquiétant pas quand je fais du bruit, conscients que ma subsistance ne tient qu'à leur protection. Ou peut-être ais-je ce trésor que nul ne peut m'enlever, cette richesse que jamais je ne dois oublier.

Je l'inscrirai dans le marbre, je l'inscrirai sur ma peau, je l'inscrirai sur les murs et dans l'âme de chacun s'il le faut, que jamais Ô grand jamais on ne m'enlèvera, ma carte de la Terra Incognita.