Pierre et la lune.
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Nouvelle fantastique, essai cherchant à mêler une esthétique de conte.

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Publié le 29 janvier 2012
Nombre de lectures 296
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Langue Français

Extrait

PIERRE ET LA LUNE
Pierre contemplait la lune.
Elle était ronde, pleine, opaque et lumineuse, telle un fruit mûr posé sur un drap de velours
noir. Elle souriait en biais ; et l’on pouvait apercevoir, si les yeux s’y attardaient un instant,
deux cratères bien dessinés en son centre, qui lui conféraient une allure pensive.
Pierre, lui, était également d’humeur méditative ce soir. Il se demandait bien qui avait placé la
lune là, à l’horizon du ciel. Et pourquoi devait-elle se partager la vedette avec le soleil ? Après
tout, la lune était bien plus gracieuse, plus candide. Elle ne malmenait pas la vue, on pouvait
l’admirer à loisir ; jamais elle ne faisait preuve de traîtrise, en aveuglant l’innocent
observateur qui aurait eu l’audace de soutenir trop longtemps son regard… Et puis l’astre était
intime avec la nuit : c’était autre chose que ce nigaud de soleil, qui lui venait tout gâcher,
venait tirer Pierre des bras de Morphée tous les matins, et l’entraînait dans une ribambelle de
rituels, plus vides de sens les uns que les autres. Métro, école, travail, courses, courir dans
tous les sens, toujours plus vite, toujours courir. Il voyait bien que même son père n’appréciait
pas tant, ainsi qu’il le prétendait, cette dynamique routinière.
« La nuit, pensait Pierre perché au bord de sa fenêtre, la nuit, elle, est beaucoup plus amicale :
elle est imaginative, conseillère, tolérante, rêveuse….On peut faire confiance à la nuit, pour
qu’elle enveloppe les soucis et les mauvaises pensées dans ses draps sombres et feutrés. »
Définitivement, la nuit était l’amie favorite de Pierre. C’était le seul moment où il pouvait
s’abandonner à ses réflexions, rêver à loisir sans que l’on vienne le déranger, ou pire encore,
sans que l’on vienne le blâmer d’être si distrait et peu attentif.
Tout d’un coup, il entendit la porte s’ouvrir, et en un instant un jappement familier se fit
entendre à ses pieds. D’un bond, le petit chien Olbert sauta sur ses genoux, et commença à
pousser frénétiquement de son museau humide le bras de Pierre, sur laquelle il appuyait sa
tête.
-
D’accord, très bien, c’est l’heure de la promenade, j’ai compris.
Il pivota sur son séant, et descendit de son perchoir, ses jambes osseuses les premières. Il
passa rapidement la porte de sa chambre, le couloir, le salon douillet, la salle à manger
éclairée. Tiens, son père et sa mère n’étaient pas encore rentrés de leur dîner. Il passa par la
grande véranda pour accéder au jardin, le petit chien le suivant à la trace. Il décliqueta la
chaînette du grand portail en bois vert, et se retrouva dans la ruelle.
Tout était calme, paisible. Pas un bruit environnant. Pas un porche éclairé. Pas une voiture,
pas un passant distrait. Pierre regarda sa montre à son poignet : il n’était pourtant pas si tard, à
peine dix heures passées. Il haussa les épaules ; ce devait être une banalité au fond pour un
dimanche soir. Olbert lui gratta la jambe avec sa patte, comme pour inciter son jeune maître à
ne pas s’arrêter en si bon chemin. Pierre sourit, et se pencha pour caresser les oreilles
moelleuses de son compagnon. Puis, il mit la main à sa poche, et sous l’œil attentif d’Olbert,
en sortit une balle en caoutchouc rouge. Il l’exhiba face au petit chien, qui était aux aguets et
agitait frénétiquement la queue. Il fit un geste comme pour laisser échapper la balle, mais
retint son mouvement au dernier moment ; Olbert jappa, frustré. Pierre éclata de rire, prit son
élan et lança le jouet à quelques mètres devant lui ; immédiatement, l’animal s’élança à la
poursuite du projectile rouge dans la nuit.
Le jeune garçon, les deux mains dans les poches, commença à marcher droit devant lui, afin
de rattraper la bête. Cependant, il ne se pressait pas. Il regardait autour de lui, cherchant à
habituer ses yeux aux lumières faiblardes des réverbères. Dans cette pénombre claire-obscure,
on a une drôle d’impression, pensa-t-il, on dirait presque que l’on est perdu au beau milieu
d’un songe. Comme ceux qu’il avait l’habitude de faire dernièrement : il se retrouvait seul,
perdu au cœur d’une ville qu’il ne reconnaissait pas, à ce qui semblait être le point de fuite de
la nuit profonde ; ce moment où l’aube commence à peine à teinter le ciel d’une vague
couleur mauve, et où la nature se réveille peu à peu, échappant à son mutisme forcé. Il était,
lui semblait il à chaque fois, en quête de quelque chose, ou de quelqu’un. Mais il lui était
impossible de se souvenir ce qu’il devait trouver. Alors, il se mettait à courir, courir tout
d’une traite, courir sans pouvoir s’arrêter…Et habituellement, c’était à ce moment là qu’un
quelconque bruit, distant ou voisin, parvenait à le réveiller, et la vie réelle reprenait ses droits.
Vaguant distraitement dans la structure irrégulière du quartier, il ne s’était pas rendu compte
d’être allé plus loin, dans un coin qu’il n’avait encore jamais exploré. Il s’arrêta, et siffla
Olbert afin qu’il revienne vers lui, et qu’ils puissent faire demi tour. Mais le chien répondit à
son appel, de quelque lieu bien plus éloigné de ce qu’il avait cru ; il l’entendit lui répondre
dans le lointain, ses aboiements lui semblaient provenir d’un point indistinct à sa gauche, là
où se trouvait le parc du jardin public, songea t il. Il accéléra le pas afin de s’y rendre, tout en
continuant de siffloter pour attirer son chien, dans la crainte que celui-ci n’ait encore
parachevé quelques bêtises dans les fières roseraies. Arrivé devant l’entrée principale, il avisa
la grande porte verrouillée. Heureusement, il se souvint d’un trou dans le grillage, par lequel il
passait lorsqu’il était enfant, afin de venir en catimini jouer au parc, quand les autres enfants
étaient déjà presque tous partis ; il n’avait jamais énormément apprécié de se retrouver au
milieu de la foule. En avançant, il retrouva le chien blanc, qui venait à lui, et semblait l’inviter
à le suivre. Il contourna les fougères qui masquaient l’imposant grillage, et une fois arrivé
sous un arbrisseau qu’il reconnut, écarta les branches et s’accroupit pour passer par le trou
béant qui lui garantissait l’entrée dans le jardin.
Une fois de l’autre côté, il du se frotter les yeux afin d’être certain qu’il ne rêvait pas la scène
qu’il avait sous les yeux : devant lui, allongée à terre et selon toute vraisemblance évanouie,
se trouvait ce qui semblait être une jeune fille. Elle était sous le grand chêne massif qui
surplombait le centre du parc, et le chien Olbert qui l’avait devancé, lui tournait autour en la
reniflant.
***
Pierre, se ressaisissant de sa première stupeur, courut jusqu’à l’arbre. Il s’accroupit aux pieds
de l’imposant chêne ; là où poussaient les énormes racines, se retrouvait étendue, la tête
renversée, une jeune fille. Mais, tandis qu’il se rapprochait et relevait la tête de l’inconnue,
elle tourna son visage sans connaissance vers lui, et mue par la lumière d’un rayon de lune, il
la vit. Elle n’était en rien comme les jeunes filles qu’il avait pu rencontrer jusqu’à alors.
Elle semblait être faite de porcelaine. Sa peau, lisse et d’une blancheur telle qu’elle en
devenait presque transparente, était glacée sous le contact de la peau de Pierre, mais semblait
néanmoins irradier d’un éclat particulièrement extraordinaire. De longs cheveux noirs, lisses,
étaient épars tout autour d’elle, et semblaient lui composer une couche délicate et soyeuse, sur
laquelle son corps, grêle et menu, paraissait reposer, le plus naturellement du monde. Pierre
prit délicatement une longue mèche qui était restée en travers du visage pâle, et la repoussa. A
ce contact, soudainement la jeune fille parut se ranimer. Ses lèvres roses frémirent, et elle
ouvrit grand les yeux, brusquement, ce qui fit sursauter le jeune homme qui, d’instinct, retira
sa main et s’écarta du visage de la belle endormie. Elle ne parut pas remarquer son embarras.
Néanmoins, ses yeux ne quittaient pas le visage de Pierre, elle le dévisagea un instant, puis
fronça les sourcils.
« - Tu n’es pas Caliel. »
Pierre resta interdit, autant par les propos de la jeune fille, qui lui étaient obscurs, que par la
surprise que lui causa le timbre de sa voix. Il y avait quelque chose de pur, de cristallin, dans
cette voix, qu’il ne parvenait pas à atteindre ; on aurait dit l’écho d’une rivière, au cœur d’une
montagne, une mélodie discrète mais pourtant inoubliable, qui restait gravée, qui restait figée
dans l’esprit, comme suspendue à un fil de pensées.
« - Tu n’es PAS Caliel. »
La jeune fille répéta la mystérieuse sentence, mais cette fois avec plus de vigueur, et le constat
qui semblait en découler n’était apparemment pas à son goût. Elle repoussa le bras de Pierre
qui était tendu vers elle, et tenta de se lever, d’un bond. Cependant, ses forces étaient encore
faibles, si bien qu’elle chancela, et s’agrippa à la chemise du garçon pour ne pas tomber.
« Non. Je ne suis pas celui que tu dis, je m’appelle Pierre. Laisse-moi t’aider.»
La jeune fille le scruta attentivement, hésitante, cachée derrière sa longue chevelure, qui
semblait s’enrouler autour d’elle comme le plumage d’un corbeau, pour la protéger. Olbert
jappa, mécontent de n’avoir pas plus grande importance dans le sauvetage de la mystérieuse
inconnue, qui de sa posture inférieure, lui apparaissait telle une fine brindille, prête à se casser
au moindre souffle de vent. Celle-ci tourna son regard vers le petit chien, qui s’assit sur son
arrière-train, et remua de la queue. Elle dut penser que le propriétaire d’un frisé à l’allure si
féroce ne devait en lui-même pas constituer une grande menace, puisqu’elle regarda
curieusement Pierre, et, opinant de la tête, consentit à s’appuyer sur lui. Le jeune homme la
prit par le bras, et passant son autre main autour de sa taille, l’aida à se remettre complètement
debout.
« Voilà, ça va aller à présent. »
Elle ne répondit pas, et s’appuya contre le tronc de l’arbre. Ce faisant, il ne put s’empêcher de
constater que l’inconnue semblait vraiment minuscule, et très chétive. Il remarqua seulement
alors qu’elle portait ce qui semblait avoir été une longue tunique, sombre, aux longues
manches, qui lui arrivait aux pieds et qui était déchirée de tous les côtés, laissant entrevoir une
épaule ronde, d’une blancheur éclatante. Sa tête arrivait à peine à la moitié du torse du jeune
homme, et elle semblait extrêmement maigre, et l’on aurait pu la penser malade, si ce n’avait
été pour ses yeux. Ils étaient gris, mais d’une couleur qu’il n’avait jamais vu auparavant, car
d’un gris pâle, étrangement froids mais lumineux, presque les yeux d’une statue, songea t il.
Ils perçaient pourtant le regard de Pierre, malgré la noirceur de la nuit, et ils semblèrent
s’illuminer quand le garçon s’autorisa, timide, à les rencontrer. Il lui sourit, ce qui sembla la
calmer, puisqu’elle cessa de jeter ses regards tout autour d’elle, et les fixa sur lui, le regardant
d’un air étonné.
« Je suis Lullaby. Comment s’appelle ton ami ?»
Pierre regarda en bas, et comprit qu’elle parlait du petit chien, qui était assis sagement à côté
de lui, et suivait curieusement la scène.
« Lullaby ? C’est très joli, et peu commun comme prénom… Moi je suis Pierre. Eh bien,
Lullaby, voici Olbert. Il est très gentil, n’aie pas peur, tu peux l’approcher ».
A l’injonction favorable de son maître, le petit chien tenta une avancée vers la jeune fille, qui,
ayant d’abord eu un premier mouvement de recul, se baissa et leva la main pour la poser sur le
museau frémissant. Son bras suspendu à mi chemin, elle parut hésiter, et Olbert pour
l’encourager se leva sur ses deux pattes arrière, et fourra son petit crâne frisé dans la main
tendue. La jeune fille éclata de rire, sous le regard anxieux de Pierre, qui sourit, rassuré.
« Je vais m’en aller à présent. »
Tout aussi brusquement que partit son rire, la jeune fille se redressa, escalada les racines qui
gênaient le passage, et tournant les talons, commença à courir au travers du jardin. Pierre la
considéra un instant, interdit, avant de la rattraper en trois grandes enjambées.
« Attends, Lullaby, cria t il, la rejoignant. Attends. Tu ne vas partir comme ça, toute seule, au
milieu de la nuit. Je ne sais même pas qui tu es, ni d’où tu viens. Je peux peut être t’aider à
retrouver ton chemin, si… »
La jeune fille lui coupa la parole :
« Qui je suis ? Mais je suis une chasseuse d’étoiles, bien sûr. »
***
La jeune inconnue fronça des sourcils, devant le regard interrogateur que lui lança Pierre. Elle
ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose, quand soudain, elle se figea, et son regard parut
s’éteindre, fixé au loin vers un point indistinct, au dessus de la tête du jeune homme.
Soudainement, un crépitement se fit entendre, et la lumière du lampadaire le plus proche
d’eux sembla faiblir, un instant, clignota, et finit par s’éteindre.
« COURS. »
Pierre avait à peine tourné la tête vers le point qui venait de fulminer, lorsque le cri de la jeune
fille le fit sursauter, mais il n’eut pas le temps de réagir : elle venait de le saisir par le poignet,
et sa poigne froide le tirait en avant pour l’inciter à bouger.
« IL arrive. Il faut qu’on parte d’ici, IL ne doit pas m’attraper. Vite ! »
Ils se mirent tous les deux à courir, Lullaby en tête, suivie de près par une boule de poils
blanche qui ne la quittait plus d’une semelle. Comme il était traîné par la jeune fille, qui tenait
toujours fermement sa main, Pierre jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, rapidement : il
n’aperçut rien, si ce n’était un noir total et profond.
« Lullaby, pourquoi… »
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Le silence s’était fait tout autour ; le dernier réverbère
en face d’eux venait de rendre l’âme, ils se retrouvèrent plongés dans le noir le plus total. Il
sentit près de lui Lullaby s’arrêter, et il entendit sa voix se tourner vers lui :
« Vite, il n’y a plus de temps à perdre, j’espère avoir suffisamment de forces… »
Il distingua péniblement, comme ses yeux s’habituaient peu à peu à l’obscurité, qu’elle leva
les bras, et prit le visage du garçon entre ses mains. Il perçut, ou plutôt eu la sensation, d’un
regard fixe planté dans le sien. Il eut un mouvement de recul, embarrassé, par le froid contact
de ces mains marbrines, et par le regard intense qui semblait transpercer son corps tout entier.
Mais soudain, mu par un automatisme physiologique et impromptu, il cligna des yeux.
La chose dura une fraction de seconde, ce fut un instant minime, qui est à peine perceptible
dans la continuité d’une vie humaine, dans la linéarité d’un jour, d’une heure, d’une minute.
Néanmoins, lorsqu’il rouvrît les yeux l’instant d’après, le décor autour de lui avait totalement
changé.
***
Lullaby ôta ses mains du visage du jeune homme, et se détourna brusquement de lui ; elle
regardait maintenant à terre, et semblait chercher quelque chose. Tout autour d’eux, la lumière
était revenue : ils se trouvaient à présent dans ce qui semblait être une forêt, Pierre jeta un
coup d’œil derrière lui, et il n’y vit qu’une masse obscure d’arbres et de verdure. A une
centaine de mètres devant eux, il distingua une grande étendue d’eau sombre et scintillante,
qui semblait être un lac. Tout autour d’eux, il n’y avait plus de signe de civilisation : il parut
en effet à Pierre qu’ils étaient perdus au beau milieu d’un bosquet, qu’il ne parvenait pas à
reconnaître. Il s’étonna de voir les lieux aussi clairement, malgré le fait qu’il devait être
désormais une heure avancée de la nuit. Mais en levant les yeux, il s’aperçut avec surprise que
toute la scène était éclairée par l’énorme et ronde lune qui trônait, imposante, au dessus du
lac, dans lequel elle se reflétait, créant une curieuse illusion. L’ovale scintillant qui était
reproduit dans l’eau semblait être une copie conforme de son double dans le ciel, une copie
nette, parfaite, qu’aucune vaguelette mue par un souffle de vent ne parvenait à briser.
« Nous l’avons échappée belle, s’exclama Lullaby, encore un peu et je n’aurais plus rien pu
faire pour toi. »
Elle se baissa, et ramassa une branche longue et épaisse, qu’elle examina un instant, avant de
la briser en deux. Pierre regarda, médusé, cette jeune fille à l’aspect si fragile qui se démenait
à présent dans tous les sens, balayant la terre autour d’eux à l’aide de son bout de bois.
« Je ne comprends pas, qu’est ce qu’il s’est passé au juste la bas ? J’ai vu les luminaires qui
grillaient l’un après l’autre, est ce qu’il s’agit… d’une panne de secteur, ou quelque
chose.. ? »
La jeune fille s’arrêta un instant, et le regarda, les sourcils froncés. Elle se releva et croisa les
bras, affichant un air contrarié.
« On m’avait prévenu qu’il existait des êtres autres, qui ignoraient tout de la Vérité, mais
enfin, j’ai toujours cru qu’il s’agissait d’une sorte de légende, après tout, comment est il
possible de vivre sous un ciel, et d’ignorer l’origine même de toute chose… Tu ne sais
vraiment pas ce que je suis n’est ce pas ?
Le jeune homme secoua la tête.
« Alors, assieds toi, je vais t’expliquer ».
Ils s’accroupirent à terre, et se placèrent l’un en face de l’autre. La mystérieuse jeune fille
saisit la branche qu’elle avait laissée de côté, et commença à tracer des cercles à terre.
« Je suis une chasseuse d’étoiles. Mon rôle est de préserver la Lumière, de la garder intacte et
pure, de la protéger afin que l’Obscurité ne submerge pas toute chose, tu comprends ? »
Au regard perplexe qui lui répondit, elle soupira.
« D’accord, je vais tout reprendre depuis le début, pour que ce soit plus clair pour toi. Vois-tu,
au départ, lorsqu’il n’y avait encore rien, que le Vide remplissait toute chose, une seule entité
demeurait : le Temps. Ces deux essences semblaient incompatibles l’une avec l’autre, et
cependant, un jour vint où elles rentrèrent en contact : l’univers était crée. Mais aux origines,
le temps n’était pas tel que tu le connais aujourd’hui, il n’était pas linéaire, mais incertain,
flottant, les choses se confondaient et le flux était changeant ; le Temps était encore jeune,
inexpérimenté, comme un enfant… Lorsque des êtres commencèrent à peupler cet espace,
tous se mêlaient : il n’y avait aucune distinction entre végétal, minéral, animal… Un jour
néanmoins, quelque chose se dérégla, on ne sait pourquoi : dans mon peuple, on appelle ça la
Grande Enigme. Toute chose commençait à se désintégrer, il y avait eu une faille dans le
système ; tout le travail accompli jusque là risquait d’être anéanti. Ainsi, le Temps se figea un
instant, une infime seconde ; on raconte alors qu’il enfanta deux rejetons, afin de restaurer
l’équilibre. C’est ainsi que furent crées le Jour et la Nuit. Ils se partagèrent le travail, afin de
délimiter l’écoulement des heures et des journées, et permettre ainsi au Temps de circuler à
nouveau. Néanmoins, le Vide, l’élément originel, voyait son pouvoir diminuer, et son
existence devenir moindre : en effet, il n’était plus considéré, le Temps l’avait rendu à peine
perceptible. Alors, il profita d’une brèche dans le système encore jeune, et, à la pointe du Jour,
dans le moment où la Nuit vient réclamer ses droits, il laisse échapper de son ventre…ses
« soldats », si l’on veut. C’était ce qui nous a poursuivi tout à l’heure. Ces êtres nés du Vide
ont pour but de répandre l’Obscurité, et ainsi de faire disparaître toute forme d’existence, de
les réduire à néant…
En réaction à ces attaques qui devenaient de plus en plus puissantes, deux symboles furent
créés, deux adjuvants pour seconder le Jour et la Nuit dans leur quête ; ainsi, le Soleil se
lèverait, éclairerait les êtres et bénirait toute chose de sa lumière, pour seconder le Jour. Dans
la suite des choses, la Lune, elle, agirait au nom de la Nuit, et serait tel un phare au milieu des
ténèbres qui submergeaient l’univers, et le guiderait grâce à sa lumière bienveillante.
Dans les légendes de mon peuple, nous, êtres vivants de notre temps, sommes originaires de
ces entités ; les humains qui vivent au gré de la lumière, et marchent sur la Terre ferme, ton
peuple donc, est issu du Soleil. Moi, je suis un être lunaire, la Lune est ma mère originelle. »
Pierre avait les yeux écarquillés, et était pendu aux lèvres de Lullaby, qui ne le regardait plus
à présent, mais laissait son regard divaguer, en direction du grand ciel au dessus d’eux.
« Mais… alors, si tu ne vis pas sur Terre… - Pierre fronça les sourcils-, où vis-tu
exactement.. ? Et pourquoi es tu venue ici.. ? »
Lullaby lui décocha un regard pénétrant, et son visage s’illumina d’un grand sourire.
« Je ne vais pas non plus tout te révéler, dès notre première entrevue, enfin ! - Elle eut un petit
rire. Mais, je n’étais pas censée arriver jusqu’ici, - elle redevint brusquement sérieuse.
En fait, il y a eu un problème lors de la dernière partie de chasse… Vois-tu, ce que je fais est
délicat. Comme l’Obscurité menace d’engloutir toute chose, nous, Chasseurs, dédions notre
vie à les empêcher de parvenir à leurs fins, et à rallumer les Lumières de l’espoir : c’est ce que
tu connais sous le nom d’étoiles. Sais-tu que le terme « étoile », à son origine, désignait tout
corps brillant de lumière.. ? Mon devoir est ainsi de les protéger, de protéger cette lumière, et
de veiller à ce qu’elles continuent à briller, hautes et fières dans le ciel. »
« Mais quelque chose est allé de travers ce soir. Nous avons subi une attaque particulièrement
acharnée, ils ont réussi à détruire une étoile… J’étais au beau milieu de l’explosion, je pense
que c’est ce qui m’a fait tomber jusqu’à votre Terre… »
Elle poussa un soupir, et se tut. Pierre n’osait pas ouvrir la bouche, il était à la fois fasciné par
ce qu’il venait d’entendre, bien qu’il n’arrivât pas encore à bien en saisir le sens ; mais il était
également fasciné par la façon dont les mots s’écoulaient avec grâce de la bouche de la jeune
fille, et de son aura, qui lui semblait plus imposante encore que lorsqu’il l’avait premièrement
aperçue. Soudain, il se rendit compte qu’une larme perlait aux bords des longs cils noirs de la
jeune fille. Il en eut un pincement au cœur, et il se décida.
« Bien, nous allons donc devoir trouver un moyen de te renvoyer là-haut, n’est ce pas ? »
Il se leva, et tendit la main à Lullaby, qui le considéra un instant, puis s’appuya à lui pour se
relever.
« Que doit-on faire ? »
La jeune fille ramassa son bâton, qu’elle avait abandonné à terre, avant de lui répondre.
« Je dois trouver une passerelle, un portail… Un point où l’énergie serait assez forte pour me
permettre de décoller.
-
Et…comment est ce qu’on va retrouver ce point ? » demanda Pierre, perplexe.
Il regarda autour de lui. La clairière qui les entourait semblait calme, paisible,
presqu’endormie. Ce lieu clos, et d’apparence abandonné, dégageait un fort sentiment de
sécurité, qu’il n’était pas prêt à quitter immédiatement, spécialement après l’histoire qu’on
venait de lui conter. Soudain, il avisa un grand arbre, un peu plus éloigné d’eux, proche du
lac, dont le feuillage et les branches étaient repliées d’une façon telle, qu’ils effleuraient la
surface de l’eau. Pierre leva les yeux au ciel ; il lui sembla que, soudainement, un rayon de
lune brilla plus fort que les autres, et tombait pile devant lui, formant un étrange sentier de
lumière jusqu’à l’arbre qu’il contemplait. Il se retourna vers la jeune fille, qui avait
recommencé son étrange manège, munie de son bout de branche, et la prit par la main.
« Par là. » Il lui indiqua l’endroit, sous l’arbre, par un geste de sa main libre. La jeune fille se
redressa brusquement, et le regarda curieusement. Enfin, elle commença à s’avancer.
« Ca pourrait ressembler à un portail, en effet. Comment peux-tu le savoir ? »
Pierre haussa les épaules, et pencha pour attraper son chien, qui s’était endormi juste à côté
d’eux.
« Une intuition, c’est tout. Allons-y ? »
La jeune fille le regarda encore un moment, puis se détourna de lui, pour s’avancer, décidée,
vers l’imposant arbre. Pierre la suivait de près, le chien Olbert, réveillé, trottinait à ses côtés.
Soudain, le jeune homme du se frotter les yeux pour être sûr de ce qu’il voyait. Comme
Lullaby était entrée dans l’enceinte de l’arbre, et elle en toucha le tronc avec sa main ; il lui
parut que le feuillage se dépliait à son passage, et s’était mis à se mouvoir, comme s’il
répondait à son contact. Soudain, il entendit un craquement sec derrière lui, et il se retourna
brusquement, mais tout semblait tranquille.
« C’est bien ici ! Pierre, je vais pouvoir récupérer mon énergie, et rentrer chez moi ! »
Il entendit la voix de la jeune fille, un peu étouffée, puisque quand Pierre regarda à nouveau la
scène, l’arbre avait replié ses branches, et semblait la couver en son sein, comme s’il voulait
la protégeait dans une étreinte faite de feuillages. Brusquement, une vive lumière commença à
émaner de l’arbre, et, remarqua Pierre, qui était à présent tout près, apercevant de nouveau la
jeune fille, de Lullaby elle-même. Il se pencha, pour mieux voir, et, soudain, l’arbre entrouvrit
ses branches, comme pour l’inviter à entrer.
« Pierre, il te reconnaît, le portail s’ouvre davantage… Tu dois venir avec moi ! »
Elle l’attrapa par la main, et l’entraîna à l’intérieur avec elle. Mais à ce contact, la lumière
devint plus intense, presque insupportable ; un horrible craquement se fit entendre, et l’arbre
sous lequel ils se trouvaient tous les deux prit feu. Pierre entendit Olbert, qui aboyait,
confusément, à côté d’eux. Il ne comprenait pas ce qui arrivait, sa vision se brouillait, il
n’apercevait plus que des couleurs floues, un rouge vif auquel venait se mêler un noir terrible
et profond. Il entendit, perçante, Lullaby crier à côté de lui, et le secouer.
« C’est encore eux ! Vite, donne moi la main, et concentre toi sur la lumière ! »
Il serra ses doigts contre les siens, et vit, indistinctement, qu’une grande source de lumière,
différente, blanche, lumineuse, s’était crée à leur contact. Sa vision redevint peu à peu
normale, le noir s’était retiré de son esprit. Néanmoins, le feu continuait toujours à ronger
l’arbre ; il commença à tousser, ses poumons soudainement envahis par la fumée. Il distingua
au milieu des vapeurs, le visage de Lullaby, qui se rapprochait du sien : il était rempli de
larmes.
« Je suis désolée. Je reviendrai te chercher, je le promets. »
Pierre secoua la tête ; il ne comprenait pas les mots de la jeune fille. Soudain, elle prit la tête
du jeune homme entre ses mains, et, d’une manière ferme mais délicate, posa ses lèvres sur
les siennes. La dernière chose qu’il vit, avant de fermer les yeux à ce doux contact, était une
très forte lumière, chaleureuse, puissante, qui les enveloppait tous les deux.
***
« Pierre, où es-tu ? »
Pierre ouvrit brusquement les yeux, paniqué. Il regarda autour de lui : il était à nouveau dans
sa chambre, assis au bord de sa fenêtre.
« Pierrot ! Ah, tu es là… Nous sommes rentrés. »
Il se retourna, et vit dans l’encadrement de la porte, sa mère qui le regardait souriante, son
manteau encore sur les épaules. Il se frotta les yeux, confus, et la regarda. Le chien Olbert
venait de se lever du lit, où il faisait un somme, et accueillait la mère de Pierre en lui faisant
fête.
« Pierre, tu m’entends.. ? Qu’est ce que tu faisais, tu t’es endormi à ta fenêtre, vraiment… Sa
mère riait. Eh bien, notre soirée était très agréable, puisque tu le demandes ! Je vois que tout
s’est bien passé pour toi aussi. »
Pierre la fixe un instant, et hocha la tête, lentement.
« Oui… Tout va bien, je crois, merci. »
Sa mère lui sourit, et quitta sa chambre. Le jeune homme resta un instant à considérer la porte
de sa chambre, une fois sa mère partie. Qu’est ce que ce la signifiait ? Où était Lullaby ? Et le
feu ? Pourquoi était-il dans sa chambre, en pyjama ? Et ce…baiser…
Olbert vint d’un bond s’asseoir à coté de lui, à la fenêtre, et jappa pour attirer son attention.
Pierre regarda sa petite tête soyeuse, qui fixait sur lui deux petits yeux brillants. Il lui fit une
caresse, et le prit sur ses genoux, tandis qu’il se retournait, afin de scruter le ciel dehors, par sa
fenêtre. Aux alentours, tout semblait calme. Le quartier était toujours aussi paisible,
silencieux. Il vit un chat, qui passait dans les buissons, silhouette indistincte dans la nuit. Il
leva les yeux, et se sentit submergé par la vaste étendue de ciel qui s’ouvrait devant lui. Il
considéra en un coup d’œil, les infimes points lumineux, qui jonchaient la voûte céleste. Il se
mit à rire.
« Je vois, je me suis endormi, et j’ai fait le plus étrange des rêves… Mais le plus merveilleux,
aussi… » Le petit chien jappa, en réponse au son de sa voix.
« Allez, vient, Olbert, allons nous coucher, c’est mieux. »
Il se leva, fit descendre le petit chien de ses jambes, et se glissa dans son lit. Il éteignit la
lumière, et se sentit submergé par une grande fatigue ; avant de sombrer dans le sommeil, il
jeta un dernier coup d’œil vers sa fenêtre, et de là où il était, il aperçut, distinctement, le
disque rond et lumineux de la lune, qui trônait dans l’encadrement de sa chambre, et qui
semblait lui sourire. Il ferma les yeux.
M.G.
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