Du bon et du mauvais usage des « bons » et des « mauvais » livres en France des Lumières à Internet - article ; n°1 ; vol.54, pg 347-359
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 2002 - Volume 54 - Numéro 1 - Pages 347-359
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2002
Nombre de lectures 41
Langue Français

Extrait

Jean-Yves Mollier
Du bon et du mauvais usage des « bons » et des « mauvais »
livres en France des Lumières à Internet
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 2002, N°54. pp. 347-359.
Citer ce document / Cite this document :
Mollier Jean-Yves. Du bon et du mauvais usage des « bons » et des « mauvais » livres en France des Lumières à Internet. In:
Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 2002, N°54. pp. 347-359.
doi : 10.3406/caief.2002.1469
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_2002_num_54_1_1469BON ET DU MAUVAIS USAGE DU
DES « BONS » ET DES « MAUVAIS »
LIVRES EN FRANCE DES LUMIÈRES
À INTERNET
Communication de M. Jean- Yves MOLLIER
(Université de Versailles/Saint-Quentin-en-Yvelines)
au LIIIe Congrès de l'Association, le 5 juillet 2001
De la proclamation par Luther de ses thèses hérétiques,
à Wittenberg en 1517, à la publication par l'abbé Be
thléem, en 1904, de Romans à lire et romans à proscrire (1),
un spectre hanta l'Europe catholique, celui du mauvais
livre, invention diabolique destinée à pervertir l'âme des
chrétiens. Les pays de religion réformée ne furent pas,
pour autant, préservés de cette névrose obsessionnelle et,
à Genève, dans la cité de Calvin, le conditionnement des
lecteurs, leur moralisation, furent explicitement visés par
les règlements de la Bibliothèque publique (2). Toutefois,
l'ouverture précoce, dès le XVIIe siècle, d'un tel édifice à la
population témoigne de la réalité d'un authentique projet
pédagogique en terres protestantes : permettre à chacun
d'accéder aux textes sacrés et catéchistiques, donc alpha-
(1) Abbé Bethléem, Romans à lire et romans à proscrire, Cambrai, O. Masson,
1904.
(2) Jean-François Pitteloud, « Bons » livres et « mauvais » lecteurs. Politiques
de promotion de la lecture populaire à Genève, au XIXe siècle, Genève, Société
d'histoire et d'archéologie, 1998. 348 JEAN-YVES MOLLffiR
bétiser le peuple sans craindre sa démoralisation imméd
iate (3). La recherche récente a montré qu'il ne fallait pas
exagérer le clivage religieux en matière de « lectorisation »
du peuple, et que la dichotomie villes-campagnes jouait
un rôle tout aussi important. A ces nuances près, on ne
peut cependant manquer d'observer un retard catholique
à tolérer l'intrusion de l'imprimé profane dans les foyers
domestiques.
Le « chien de lisard » proféré par le père Sorel en direc
tion de son fils Julien au début du roman de Stendhal, Le
Rouge et le Noir (4), retentit à sa manière comme une réac
tion populaire instinctive face à une activité jugée comme
illégitime ou socialement déplacée en 1830. Dans les pro
pos rapportés par des institutrices de la Belle Époque,
Jacques et Mona Ozouf ont perçu des échos mal atténués
par la réforme Ferry de cette appréhension face à un uni
vers redouté. Quand une paysanne reproche, vers 1910, à
une femme venue de la ville de prêter des volumes à son
fils, agriculteur de plus de 40 ans, en maugréant : « Le
Usage l'a toujours perdu » (5), un bloc d'éternité surgit,
semblant vouloir figer la réalité et interdire à jamais l'a
cculturation des lecteurs à la civilisation des loisirs. Là
encore, il ne s'agit pas de nier les changements et même
les mutations qui ont fait des Français un peuple de dévo
reurs de la chose imprimée, autour des années 1880-
1900 (6), mais de considérer que, dans les pays où l'Eglise
romaine a exercé un magistère durable, le comportement
des fidèles et, de ce fait, d'une partie notable de la populat
ion, par rapport au livre en a été fortement marqué. Au-
(3) Ibid., p. 20.
(4) Stendhal, Le Rouge et le Noir, rééd. Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade »,
1952, ch. V.
(5) Cité par Jacques et Mona Ozouf, La République des instituteurs, Paris,
Hautes Etudes - Gallimard - Le Seuil, 1992, p 293.
(6) C'est le 23 janvier 1898 que le peintre Félix Vallotton publie, dans Le Cri
de Pans, son dessin intitulé « L'Âge de papier », ce qui a le mérite de faire
toucher du doigt l'entrée de la France dans l'ère des médias de masse ; voir
J.Y. Mollier, La Lecture et ses publics à l'époque contemporaine. Essais d'histoire
culturelle, Paris, PUF, 2001, p. 157. LUMIÈRES À INTERNET 349 DES
delà d'ailleurs du monde chrétien, c'est précisément
l'existence de la même attitude en faveur du « bon » livre
de militants républicains puis socialistes qui frappe les
esprits, les uns et les autres refusant, jusque tard dans le
XXe siècle, le libre choix des lectures par les laïcs.
DU COMBAT DE L'ANGE CONTRE LE DÉMON
Loin d'avoir été monocolore et identique en tous lieux,
la réaction des clercs face à l'invasion des romans et des
essais à l'époque des Lumières suivit deux lignes direc
trices distinctes. D'un côté, le plus grand nombre refusa
les conséquences de la révolution permise par l'imprimer
ie et censura le principe même de la lecture tandis que,
de l'autre, des pasteurs plus sensibles à la misère de leurs
ouailles prônèrent l'alphabétisation de tous. Jean-Baptiste
de la Salle fut de ceux-là et il n'est nul besoin de s'étendre
longuement sur l'influence des Frères de la Doctrine de
l'École chrétienne, aux XVIIIe puis XIXe siècles, dans la Fran
ce de l'Est et du Nord (7). C'est à eux que la moitié supé
rieure du pays doit son « avance » en matière de perfo
rmances culturelles ainsi que l'établira le recteur Maggiolo
quand il dessinera le tracé de cette ligne mystérieuse, qui,
de Saint-Malo à Genève, sépare les lisants des faibles lec
teurs (8). Indépendamment de ce courant qui oblige
l'Église catholique à revoir sa copie en matière d'instruc
tion scolaire, d'autres acteurs apparaissent à la veille de la
Révolution française. C'est en effet en 1771 qu'un Père
jésuite, Nicolas de Diesbach, né protestant en Suisse, puis
converti au catholicisme après le décès de son épouse,
publie à Turin un livre qui mérite la plus grande attention.
Dans Le Chrétien catholique inviolablement attaché à sa rel
igion, il constate en effet la vacuité du discours de ceux qui
(7) Georges Rigault, Histoire générale de l'Institut des Frères des Écoles chré
tiennes, Paris, Pion, 1942, 5 vol.
(8) François Furet et Jacques Ozouf, Lire et écrire. L'alphabétisation des Franç
ais de Calvin à Ferry, Paris, Ed. de Minuit, 1977, 2 vol. 350 JEAN-YVES MOLLIER
veulent empêcher le peuple de s'instruire (9). Désirant
ardemment contribuer au combat contre les Lumières, il
propose donc d'opposer les bons livres aux mauvais, de
s'inscrire dans le mouvement du siècle qui va dans le sens
d'une éducation généralisée mais, évidemment, de la
canaliser, de l'orienter, de la conditionner diront ses
détracteurs.
Après la Révolution française, c'est un autre ecclésias
tique, l'abbé Julien Barault, qui reprendra ce flambeau et,
en établissant, dès 1812, à Bordeaux, les bases de ce qui
deviendra, en 1820, l'Oeuvre des Bons Livres (10), oppos
era au vice développé par la multiplication des cabinets
de lecture, non pas l'anathème et la censure, mais la créa
tion de dizaines de bibliothèques paroissiales aptes à pro
poser de saines lectures au peuple. Pragmatique, l'homme
qui avait rêvé d'être missionnaire en Chine mais dut se
résoudre à évangéliser l'Aquitaine, faisait flèche de tout
bois. Puisque les bons livres étaient encore en nombre
insuffisant en France, il acceptait même les volumes en
partie défectueux, les caviardait et les offrait, mutilés, à
ses abonnés, lesquels ne payaient ni cotisation ni droit
d'abonnement dans son réseau de bibliothèques circu
lantes (11). Pionnière en matière de prêt de livres à domic
ile, l'Oeuvre des Bons Livres se répandi

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