Esthétique des Contes singuliers - article ; n°1 ; vol.46, pg 387-402
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1994 - Volume 46 - Numéro 1 - Pages 387-402
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 50
Langue Français

Extrait

Pierre Berthiaume
Esthétique des Contes singuliers
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1994, N°46. pp. 387-402.
Citer ce document / Cite this document :
Berthiaume Pierre. Esthétique des Contes singuliers. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1994,
N°46. pp. 387-402.
doi : 10.3406/caief.1994.1854
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1994_num_46_1_1854ESTHÉTIQUE DES CONTES SINGULIERS
Communication de M. Pierre BERTHIAUME
(Université d'Ottawa)
au XLVe Congrès de l'Association, le 22 juillet 1993
Plusieurs Contes singuliers se fondent sur des anec
dotes tirées de périodiques ou d'ouvrages dont Prévost
a infléchi l'orientation dans un sens romanesque (1).
Outre qu'ils se rapprochent des romans de Prévost par
l'importance du thème de l'amour, ces contes leur re
ssemblent aussi par les aventures qui y sont rapportées.
Pourtant jamais ces contes n'ont la densité des romans.
Dans la production littéraire de Prévost, ils constituent,
il faut le reconnaître, un certain échec. Ce que nous
souhaitons examiner ici, ce sont les causes de cet échec.
Notre analyse se limitera aux procédés narratifs des
contes qui comportent des aventures plus développées
et qui reposent sur la passion amoureuse. Nous abor
derons d'abord la question des aventures; suivra une
brève analyse des personnages; nous terminerons par
l'examen du rôle des narrateurs.
(1) Notamment «Histoire de donna Maria et du jeune prince Justiniani»
(Contes singuliers, dans Œuvres de Prévost, Grenoble, P. U. G., 1985, t.
VII, p. 111), «Histoire récente» (ibid., p 138), «Aventure de M.» (ibid.,
p. 148), «Accidents tragiques arrivés dans un bain» (ibid., p. 159), «Aventure
intéressante des mines de Suède» (ibid., p. 185). PIERRE BERTHIAUME 388
*
* *
Si importantes qu'elles soient, les aventures sont peu
développées dans les contes. Par exemple, celles du
héros de la « Relation curieuse de Sibérie » sont à peine
évoquées. Pourtant le récit se prête d'autant plus à leur
exposition qu'il est fait à la première personne. Tout
au plus le narrateur résume-t-il la situation alors qu'on
le mène au lieu où il doit subir son châtiment et avoue-
t-il son désespoir :
Nous marchâmes l'espace d'environ deux lieues. Je croyais
mon malheur si certain que les souhaits mêmes me paraissant
inutiles, je n'en faisais plus pour le changement de ma fortune.
Cependant le secours du ciel n'avait jamais été si proche de
moi (2).
Ce recours au ciel pour dénouer une intrigue se re
trouve souvent, trop souvent, dans les contes. Donna
Maria, l'héroïne de l'histoire qui porte son nom, est-
elle proche de « sa perte » ? « Le Ciel qui veille sur l'i
nnocence» la tire des mains du jeune Anglais qui enten
dait la faire servir à ses plaisirs (3). Dans «Aventure
intéressante des mines de Suède », c'est encore « le ciel »
qui permet que les voleurs choisissent «la retraite la
plus dangereuse pour leur sûreté (4) ». Ces interventions
miraculeuses nuisent aux récits. Négatives, elles manif
esteraient une forme de fatalité et se conjugueraient
aux maux des personnages ; heureuses, elles ressemblent
à des artifices et à des expédients de conteur qui adopte
(2) Contes, p. 163.
(3) Contes, p. 112. Dans son cas, le procédé se répète et elle échappe à
plusieurs reprises à des dangers, voire à un enlèvement (Contes, p. 123),
grâce à des «miracles» {ibid., p. 116 et 118).
(4) Contes, p. 186. ESTHÉTIQUE DES CONTES SINGULIERS 389
la voie de la facilité pour dénouer une intrigue ou r
ésoudre un conflit. En outre, ces interventions, qui brus
quent l'action et qui mettent un terme à une péripétie,
annulent tout suspense et réduisent les protagonistes
des contes à l'état d'automates conduits par le hasard
et les interventions surnaturelles.
Il est vrai que les péripéties romanesques n'intéressent
pas Prévost. Le plus souvent, les événements sont moins
décrits qu'évoqués par de courtes phrases qui transfor
ment presque le récit en synopsis : dans « Aventure sin
gulière », la jeune femme, qui hésite entre deux amour
eux, l'un badin, l'autre grave, écrit au rédacteur de
The Auditor pour lui demander conseil et, après avoir
reçu la réponse du journaliste, épouse celui qui paraît
être plus gai, avant de lui faire l'aveu de sa démarche.
Son époux se montre alors fort mécontent :
II avait été trompé ; il croyait épouser une personne dont il
était aimé ; c'était un malheur, disait-il, dont rien ne le pouvait
consoler. Il ne laissa pas de chercher sa consolation dans le
redoublement de sa dépense, et surtout dans la compagnie
de quelques femmes qui aidèrent à le dégoûter plus que
jamais de son épouse. La haine suivit de près l'indifférence.
Il affecta de ne la plus voir, et irrité à la fin de quelques
reproches qu'elle lui fit avec un peu d'amertume, il la força
de quitter Londres pour aller vivre dans une campagne fort
solitaire (5).
Au lieu d'exploiter le caractère romanesque des avent
ures, les narrateurs se contentent d'exposer la trame
des récits et de produire des éclaircissements afin d'élu
cider les situations et d'éclairer le comportement des
protagonistes. Tout mystère est évacué. Dans « Relation
curieuse de Sibérie», au moment où le héros se dit
désespéré parce qu'on l'emmène en forêt pour y subir
(5) Contes, p. 109. PIERRE BERTHIAUME 390
son châtiment, il a heureuse surprise d'être libéré par
ses propres gardiens: «ils m'annoncèrent un bonheur
que je n'avais nulle raison d'espérer», dit-il; puis il
explique qu'il doit son salut à l'épouse du gouverneur
qui a suborné ses gardes (6). Au lieu de développer
l'aventure et d'exploiter son suspense, le narrateur tran
sforme son récit en exposé historique dans lequel il dé
brouille les causes et les circonstances de son salut. Sans
cesse dans les contes, la tension dramatique est dé
samorcée par les narrateurs, plus soucieux d'éclaicir les
événements que de les raconter et de leur donner vie (7).
Dans les romans, on trouve des scènes dont l'intensité
dramatique concrétise et illustre les mouvements du
cœur. Rien de tel dans les contes. Par exemple, dans
« Histoire de donna Maria», le narrateur résume la dis
pute, pourtant dramatique à souhait, au cours de la
quelle la tante de donna Maria essaie de la forcer à
épouser un jeune Italien. Au lieu de peindre la situation,
de donner la parole aux protagonistes, le narrateur
dresse un rapport objectif et un résumé neutre (8). Même
absence d'exploitation d'une autre scène, tout aussi
dramatique, lorsque le père de la jeune Suédoise
d'« Aventure intéressante des mines de Suède » retrouve
sa fille parmi des voleurs et lui fait des reproches amers
sur son inconduite. Au lieu de représenter l'altercation,
le narrateur produit une synthèse qui évacue les péripét
ies du récit et le caractère passionné des échanges entre
les protagonistes (9). Dans les contes, Prévost choisit
de décrire événements et sentiments, plutôt que de les
mettre en scène. Le discours demeure distant, objectif
(6) Contes, p. 163.
(7) On a même parfois le sentiment que les narrateurs sont pressés d'en
finir avec le récit . les dernières aventures du négociant anglais sont résumées
«en substance» (Contes, p. 168) et le récit se termine assez abruptement.
(8) Voir Contes, p. 113
(9)p. 186-187. ESTHÉTIQUE DES CONTES SINGULIERS 39 1
et neutre. Sur le plan journalistique, c'est là un incont
estable succès ; sur le plan romanesque, les événements
manquent de corps et les personnages de vie.
Il arrive même à Prévost de dédramatiser le récit.
Une scène «réjouissante (10)» interrompt le drame que
vit donna Maria; «Mémoire d'une dame turque» s'
achève sur une «galanterie bohémienn

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