Jeu italien contre jeu français - article ; n°1 ; vol.15, pg 189-199
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1963 - Volume 15 - Numéro 1 - Pages 189-199
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1963
Nombre de lectures 28
Langue Français

Extrait

Xavier de Courville
Jeu italien contre jeu français
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1963, N°15. pp. 189-199.
Citer ce document / Cite this document :
de Courville Xavier. Jeu italien contre jeu français. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1963, N°15.
pp. 189-199.
doi : 10.3406/caief.1963.2254
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1963_num_15_1_2254JEU ITALIEN CONTRE JEU FRANÇAIS
Communication de M. Xavier DE COURVILLE
(Paris)
au XIVe Congrès de l'Association, le 27 juillet 1962.
Jeu français, jeu italien, y a-t-il vraiment deux écoles
contraires ? La querelle des comédiens français et des comé
diens italiens que fit rebondir sur le marché théâtral du
XVIIIe siècle le conflit des monopoles et des concurrences
oppose, selon le vent du jour, la comédie noble et la farce,
la comédie apprise et la comédie improvisée, le théâtre offi
ciel et le théâtre libre, l'artifice et le naturel. Le partage entre
deux systèmes a pourtant son fondement dans la réalité.
Pour fêter en 1716 le retour des Comédiens Italiens, le
Mercure oppose dans un plaisant dialogue Arlequin à Co
thurnus, le comédien « comediante » au fantoche sans vie qui
récite ou déclame. Dès avant l'exil de 1697, les Italiens de
l'ancienne troupe avaient plus d'une fois marqué tout ce qui
opposait leur manière à celle de la Comédie Française, en
usant, contre les héritiers infidèles de Molière, de la satire
et de la parodie, des mêmes armes dont Molière s'était servi
contre les mauvais tragédiens de l'Hôtel de Bourgogne. La
troupe du Régent reprendra naturellement le combat, sou
tenue par l'enthousiasme d'un public heureux de reconnaître
dans son jeu la flamme perdue, celle de Molière, celle de
Scaramouche.
Car le jeu italien n'est point affaire de langue ou de national
ité, pas plus qu'il le privilège de l'improvisation. Jeu 190 XAVIER DE COUR VILLE
italien, cela revient à dire théâtre vivant ou théâtre tout court,
à l'encontre de théâtre mort et de théâtre qui n'est point
théâtre ; cela ne signifie ni farce, ni impromptu, ni même
naturel, mais présence réelle, vie et feu. C'est ce feu qui r
econquiert d'abord le public de Paris au retour des Italiens
en 171 6 : « Ces gens-là, disait le critique Boindin, qu'ils
parlent ou ne parlent pas, sont toujours en action. »
Qu'offre alors, face au jeu des nouveaux venus de l'Hôtel
de Bourgogne, celui que pratiquaient les acteurs français
sur notre scène officielle ? Les compagnons de Molière ont
vite laissé triompher les tons et les manières condamnés par
leur patron. Plus d'un libelle s'en plaint. Certaine lettre
signée « du souffleur de la comédie de Rouen » condamne,
avec l'emphase de Mlle Duclos, l'artifice non moins grave
de Beaubourg : « persuadé qu'il faut être touché pour émouv
oir les autres, il fait connaître qu'il ne l'est pas par son
application continuelle à le paraître. » Et Lesage n'est pas
plus indulgent dans son Gil Bias, en satirisant cet acteur
« presque toujours hors de la nature », et n'en cueillant pas
moins les applaudissements d'un injuste parterre.
Consacrées par le mauvais goût du public, les mauvaises
conventions du jeu français devaient alimenter longtemps,
avec celles de l'opéra, la parodie. Riccoboni le fils, qui brillera
dans ce genre à la Comédie Italienne dans le même temps que
Lesage en agrémentera ses opéras-comiques à la Foire, ana
lysera un jour dans son Art du Théâtre les vices triomphants
de notre déclamation : « Commencer bas, prononcer avec une
lenteur affectée, traîner les sons en langueur sans les varier,
en élever un tout à coup aux demi-pauses du sens, et retour
ner promptement au ton d'où l'on est parti ; dans les mo
ments de passion s'exprimer avec une force surabondante
sans jamais quitter la même espèce de modulation, voilà
comme on déclame. » II s'étonnera comme son père de la
fidélité des Français à « la monotonie, la pesanteur et l'a
ffectation » : « Ils ont toujours été de même à Paris. Molière
a perdu ses peines à les critiquer, et le Théâtre Italien à les
parodier. »
Or une réaction s'était produite en 1720. Baron, en remon- JEU ITALIEN CONTRE JEU FRANÇAIS ICI
tant sur les planches après vingt ans de retraite, ne devait-
il pas y ramener la simplicité de Molière, dont il avait été le
plus cher disciple ? Il est vrai que, passé dès la mort de son
maître dans la troupe rivale il n'avait quitté à trente-huit ans
la carrière de tragédien que pour s'ouvrir dans le monde une
autre carrière, plus riche de ses succès personnels que de la
pure tradition moliéresque. Au temps où l'Hôtel de Bour
gogne rouvre ses portes à la nouvelle troupe italienne de
Riccoboni, Baron est devenu cet acteur sexagénaire que
Lesage encore fait revivre en une trop plaisante caricature.
Le seňor Carlos Alfonso de la Ventoleria, ce bellâtre qui
embrasse les acteurs et les actrices « avec des démonstrations
plus outrées que les petits-maîtres », qui se teint les cheveux,
la moustache, les sourcils, et qui fait le beau parleur avec « des
contes tirés de son sac et débités d'un air imposant et bien
étudié » est un ancien comédien, qui se fait volontiers admirer
encore d'une société imbécile, mais dont une clairvoyante
soubrette dénonce le ridicule et l'artifice.
La rentrée de Baron n'en est pas moins acclamée sur la
scène de la Comédie Française. Le parterre avant peu rira
de voir, aux pieds de Chimène, un Rodrigue qui a l'âge de
don Diègue et ne peut sans secours se remettre debout. Mais
ce parterre, dont Baron flétrira bien haut ce jour-là l'ingra
titude, commence par l'applaudir. La critique parle de simp
licité, de vérité, de « naturel ». Et de tels compliments
n'étaient peut-être pas d'aveugles hommages à une gloire
vénérable. En remplaçant dans la troupe Beaubourg qui était
pire que lui, le doyen y rejoignait une comédienne mieux
faite pour réagir contre les artifices de la déclamation fran
çaise. L'intelligente sensibilité d'Adrienne Lecouvreur romp
ait avec le ton de la Desmares et de la Duclos. La réplique
de cette jeune voix sut ranimer sans doute quelques soirs
dans le trop grand comédien Baron la sincérité du compagnon
de Molière. S'il y eut alors chez les Français une réaction
contre l'artifice, la débutante y avait certainement plus de part
que le vétéran. Et la mort tragique que le sort lui réservait en
1730, un an après celle de son vieux frère d'armes, allait à son
égard rétablir la justice. « C'est vous, dira Beauchamp, qui 192 XAVIER DE COURVILLE
des douceurs de la simplicité — Nous avez fait connaître et
sentir la beauté. » Ce retour à la simplicité, Paris, en 1720,
en attribuait le mérite à Baron, bien plus qu'à Lecouvreur :
naturel effet de la gloire dont un seňor Alfonso de la Vento-
leria sait jusqu'en sa retraite armer sa publicité.
De leur Hôtel de Bourgogne, où le nouvel Arlequin parl
ait au cœur un autre langage, le bouillant chef de troupe
Lélio Riccoboni, la savante prima donna Flaminia son épouse
avaient entendu les rumeurs qui saluaient la rentrée du tra
gédien. Ensemble ou séparément, ils vinrent à la Comédie,
ils écoutèrent les applaudissements et n'applaudirent pas.
Réforme ? retour au naturel ? Oui, Monsieur Baron a le jeu
familier : il met la main sur l'épaule de son interlocuteur,
il embrasse volontiers, il caresse sa perruque, tripote le pa
nache de son chapeau, joue de son mouchoir, de ses gants.
Et il rompt si bien la mesure de ses alexandrins qu'on ne sait
jamais s'il parle prose ou poésie. Mais quoi ? ce serait là toute
cette révolution ? Le naturel d'un roi consiste-t-il à prendre
son confident par le bras ? La vérité d'un héros à se moucher
librement en scène ? Et la réforme de la diction à détruire le

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