L emploi de la première personne chez Chasles et Marivaux - article ; n°1 ; vol.19, pg 101-114
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1967 - Volume 19 - Numéro 1 - Pages 101-114
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1967
Nombre de lectures 49
Langue Français

Extrait

Professeur Jean Rousset
L'emploi de la première personne chez Chasles et Marivaux
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1967, N°19. pp. 101-114.
Citer ce document / Cite this document :
Rousset Jean. L'emploi de la première personne chez Chasles et Marivaux. In: Cahiers de l'Association internationale des
études francaises, 1967, N°19. pp. 101-114.
doi : 10.3406/caief.1967.2335
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1967_num_19_1_2335L'EMPLOI DE LA PREMIÈRE PERSONNE
CHEZ CHASLES ET MARIVAUX
Communication de M. Jean ROUS SET
{Genève)
au XVIIIe Congrès de Г Association, le 28 juillet 1966.
On lit au chapitre premier de la Vie de Henry Brulard :
« je devrais écrire ma vie... Cette idée me sourit. Oui, mais
cette effroyable quantité de Je et de Moi !... On pourrait
écrire, il est vrai, en se servant de la troisième personne, il fit,
il dit. Oui, mais comment rendre compte des mouvements
intérieurs de l'âme ? » (1).
« Écrire ma vie » en rendant compte « des mouvements inté
rieurs de l'âme », voilà en deux mots le programme de toute
autobiographie introspective, qu'elle soit, comme ici, réelle
ou qu'elle soit, dans le roman, imaginaire. Elle se voit aussitôt
liée à sa forme naturelle : ces Je, ces Moi qui effarouchent
Stendhal, que ses romans éviteront, hors les soliloques des
héros, mais qui font les délices du XVIIIe siècle et du nôtre.
C'est pourtant un romancier actuel, et qui n'a pas reculé
devant la première personne, c'est Michel Butor qui écrit :
« La forme la plus naïve, fondamentale, de la narration est la
troisième personne ; chaque fois que l'auteur en utilisera
une autre, ce sera d'une certaine façon une « figure », il nous
(1) Stendhal, Œuvres intimes, coll. Pléiade, p. 40. JEAN ROUSSET IO2
invitera à ne pas la prendre à la lettre, mais à la superposer
sur celle-là toujours sous-entendue » (2).
Cette priorité historique du discours impersonnel peut
paraître surprenante à première vue, il semble cependant que
l'histoire littéraire la confirme : la première personne, comme
la conscience de soi, serait une conquête. Pour m'en tenir à
la période limitée que j'envisage ici, je constate que l'ép
anouissement de la forme autobiographique au xvine siècle
s'annonce ou se cherche dans un xvne siècle massivement
adonné à la forme externe, à cette troisième personne qui a
pour effet habituel de séparer ou d'éloigner l'auteur de ses
personnages ; sans doute, la première personne n'y est pas
inconnue, mais elle y est périphérique ou sporadique, du
moins en France. Ceci me paraît digne de remarque : les r
omanciers disposent des deux formes, ils peuvent opter, et ils
choisissent généralement la troisième personne. J'en vois un
indice dans les récits intercalés, si nombreux dans les r
omans héroïques, de Gomberville à Mlle de Scudéry : les per
sonnages intervenants ont à faire connaître leur passé per
sonnel ; la logique voudrait qu'ils le fissent eux-mêmes, ils
ont à dire leurs sentiments, parfois les plus intimes. Or il
leur arrive souvent d'en déléguer la charge à un confident,
éludant ainsi la première personne ; cela est surtout vrai,
me semble-t-il, des grands, des princes de haut lignage. Ces
autobiographies esquivées sont parfois précédées de préam
bules significatifs, où l'on nous fait savoir que le confident du
héros est un autre lui-même, qu'il n'ignore rien de ses états
les plus secrets ; le Prince des Incas avertit Polexandre : vous
trouverez bon « que Garruca parle pour moi, et vous conte
ce qu'il sait mieux que moi-même » (I, p. 236) ; dans le
Faramond de La Calprenède, Constance cède la parole à son
écuyer : « il n'a pas ignoré même la moindre de mes pensées »
(I, p. 66). Il y a plus, on éprouve le besoin de justifier ces
substitutions de personnes : « un honnête homme ne se peut
résoudre à parler de soi » {Polexandre, I, p. 237), ou bien ce
sera « pour m' épargner la douleur de repasser sur beaucoup
(2) Butor, Répertoire H, éd. Minuit, 1964, p. 61. EMPLOI DE LA PREMIÈRE PERSONNE CHEZ CHASLES ET MARIVAUX 103
d'endroits qui m'affligeraient sensiblement » (Faramond, I,
p. 66). Les exemples abondent dans la Clélie ; ni Aronce, ni
la Princesse d'Ëlide ne se mettent eux-mêmes en scène ; et
quand la Princesse des Léontins accepte de confier son his
toire à Clélie et à ses amies, elle s'en décharge sur sa confi
dente : « car je vous avoue que je n'aurais pas la force de vous
dire beaucoup de choses dont le simple souvenir me fait
rougir... » (IX, p. 264). Les motivations du refus peuvent
varier, elles traduisent toujours un recul devant l'extrême
proximité du personnage et de son récit.
Que la coutume en soit établie dans le roman au point de
paraître contraignante, on en a une preuve tardive dans les
Mémoires de Grammont ; au chapitre III, le chevalier raconte
à son ami Matta ce qui lui est arrivé peu auparavant à Lyon :
« Je t'en veux faire le récit. Voici, dit Matta, qui sent bien le
roman, hors qu'il faudrait que ce fût ton écuyer qui me contât
ton histoire. C'est l'ordre, dit le chevalier ; cependant je
pourrai te parler de mes premiers exploits sans blesser ma
modestie ; outre que mon écuyer a l'accent un peu burlesque
pour un récit héroïque. »
Ces quelques pages mises à part, ces Mémoires se con
forment à ce que le protagoniste vient d'appeler « l'ordre » du
roman ; ils nous parviennent à travers un confident, Hamilt
on, tenant le rôle de l'écuyer, auquel le héros est censé les
avoir dictés ; ce rédacteur a donc rétabli à la troisième per
sonne un récit qui n'a pu lui être fait qu'à la première, il a
écarté délibérément le discours personnel qui était pourtant
sa donnée première ; ce faisant, il a rejeté dans l'éloignement
celui qui s'était d'abord offert dans son immédiateté. S'il
procède ainsi, c'est sans doute parce qu'il se pose en historien,
dont le il est l'instrument normal ; mais c'est aussi parce qu'il
était lecteur, et prisonnier, des grands romans du xvne siècle.
Ceux-ci étaient pourtant contestés depuis un tiers de siècle ;
les mémorialistes d'une part, de petits romanciers d'autre
part, Mme de Villedieu, Courtilz de Sandras préparaient le
terrain à un roman de forme autobiographique ; les Mémoires
de Grammont sont un cas d'archaïsme de composition. Car
une chose est certaine : au xvine siècle, dans le roman, il n'y JEAN ROUSSET Ю4
a plus qu'une forme qui soit féconde, la première personne.
C'est sur le je que les écrivains de ce temps fondent leur nou
veau roman.
Avant d'aller plus loin, il me faut poser rapidement un
point d'esthétique : quand un principe formel, qui est en
même temps un mode de vision et de saisie de l'être, prédo
mine dans une période donnée, on n'en conclura pas qu'il
s'impose tyranniquement, qu'il prédétermine tous les artistes
de ce temps. Ceux-ci semblent liés par lui, puisque tous ou
presque tous s'y conforment ; en réalité, il est le principe de
liberté qui s'offre à eux à ce moment-là ; il leur permet de se
libérer de formes temporairement usées, et il leur offre un
instrument neuf pour qu'ils puissent s'explorer et se cons
tituer en inventant leur forme individuelle.
C'est cette invention différenciée dans la logique d'une
même forme que je me propose d'observer sur deux exemples,
Chasles et Marivaux.
Que propose cette logique de la première personne ? Je
m'en tiendrai à un article, qui me paraît prendre le pas sur
tous les autres : c'est l'identité du personnage et de son his
toire par l'exclusion de ce médiateur qu'est le romancier
comme conteur externe, c'est l'intimité du narrateur avec les
sentiments qui font la narration, cette narration qui est lui-
même, qui est sa propre vie ; grâce à l'inclusion à l'intérieur
du livre, d'où il lui est interdit de sortir, de celui

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