La menace du bonheur : l idée de l amour impossible dans la trilogie de Paul Claudel - article ; n°1 ; vol.29, pg 309-323
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La menace du bonheur : l'idée de l'amour impossible dans la trilogie de Paul Claudel - article ; n°1 ; vol.29, pg 309-323

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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1977 - Volume 29 - Numéro 1 - Pages 309-323
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1977
Nombre de lectures 55
Langue Français

Extrait

Michael WOOD
La menace du bonheur : l'idée de l'amour impossible dans la
trilogie de Paul Claudel
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1977, N°29. pp. 309-323.
Citer ce document / Cite this document :
WOOD Michael. La menace du bonheur : l'idée de l'amour impossible dans la trilogie de Paul Claudel. In: Cahiers de
l'Association internationale des études francaises, 1977, N°29. pp. 309-323.
doi : 10.3406/caief.1977.1152
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1977_num_29_1_1152MENACE DU BONHEUR : LA
L'IDÉE DE L'AMOUR IMPOSSIBLE
DANS LA TRILOGIE DE PAUL CLAUDEL
Communication de M. Michael WOOD
(Columbia)
au XXVIIIe Congrès de l'Association, le 28 juillet 1976.
« II y a un amant et sa maîtresse dans l'endroit
où l'on fait les couteaux, qui ont juré de se sépa
rer éternellement... »
Le Père humilié.
« ... le tourment/De l'amour insatisfait /Le tourment
plus grand/De l'amour satisfait... » Ces vers bien connus
du Mercredi des Cendres de T. S. Eliot semblent nous intro
duire d'emblée dans l'univers moral de Paul Claudel. Je
reprends la citation d'un peu plus haut :
La Rose solitaire
Est devenue le Jardin
Où termine tout amour
Fini le tourment
De l'amour insatisfait
Le tourment çlus grand
De satisfait... (1).
Et pourtant, malgré cette ressemblance assez intéres
sante, ce n'est pas là l'univers moral de Claudel. Dans les
phrases d'Eliot, il y a trop d'équilibre, trop d'humour
Ash-Wednesday. Brace, (1) 1962, p. 62. T. C'est S. Of The Terminate Is Where Eliot, moi now love greater single qui The all the unsatisfied satisfied... traduis. loves complete torment Rose Garden end Poems and Plays, Harcourt, 3IO MICHAEL WOOD
résigné ; trop de triste confiance, trop de certitude que
l'amour humain ne peut suffire à l'âme humaine. Claudel
est plus inquiet à ce sujet ; moins lugubre aussi.
Je sais que la doctrine pour ainsi dire officielle de l'œuvre
de Claudel est très proche de la pensée d'Eliot. L'amour
selon cette doctrine, personnifiée parLâla, dans la deuxième
version de La Ville, est une « promesse qui ne peut être
tenue » (I, 490) (2). Sygne, Ysé, Violaine, Prouhèze sont
les noms d'autant de trahisons profondes d'un homme aimé
et aimant. Je sais aussi que la vie personnelle du poète a
fourni ce qui pourrait paraître une preuve éclatante que
les promesses amoureuses ne se tiennent pas. « Une pro
messe », dit Rodrigue dans la troisième journée du Soulier
de Satin, « la vieille, l'éternelle promesse !... Une promesse
que rien au monde ne peut satisfaire, pas même cette
femme qui un moment s'en est faite pour nous le vase, /Et
que la possession ne fait que remplacer par un simulacre
désert. » (II, 853-854). Rodrigue fait écho ici non seul
ement à La Ville, mais à la célèbre lettre à Jacques Rivière :
L'amour humain n'a de beauté que quand il n'est pas
accompagné par la satisfaction... Quant aux voluptés de
l'amour satisfait, aucun écrivain ne les a jamais dépeintes,
car elles n'existent pas. Le paradis qui consisterait dans
la possession totale d'une femme et dans la prise comme fin
suprême de ce corps et de cette âme ne me semble en rien
différer de l'enfer... (3).
Je remarquerai que la satisfaction, chez Claudel comme
chez Eliot, veut dire tout d'abord la satisfaction sexuelle,
l'étreinte du « corps bestial » dont parle l'Ode (4) ; et que
ce sens, chez les deux écrivains, est doublé immédiate
ment par un autre, pour arriver au paradoxe et à la plai
santerie amère : la prétendue satisfaction ne satisfait pas,
loin de là, elle est une zone de l'enfer, qui est pour Eliot
un tourment infini et pour Claudel la prolongation éter-
(2) Je renvoie au théâtre de Claudel selon l'édition de la Pléiade, deux
volumes, Gallimard, 1967, 1965.
(3) Correspondance Claudel-Rivière, 1907-1914, Pion, 1926, p. 262.
(4) « La Maison fermée », Paul Claudel, Œuvre poétique, édition de la
Pléiade, 1957, P- ?8°- L AMOUR IMPOSSIBLE DANS LA TRILOGIE DE CLAUDEL 311
nelle du désir. « Et si le désir devait cesser avec Dieu »,
dit Fausta, dans La Cantate à trois voix, « Ah, je l'envierais
à l'Enfer ! » (5). Quand Pelage, dans Le Soulier de Satin,
demande à Prouhèze ce qu'elle est capable de donner à
Rodrigue, elle répond : « Rien qui puisse lui suffire, afin
qu'il ne cesse pas de me désirer. » « C'est le désir des dam
nés », dit Pelage (II, 744). Quand Rodrigue parle d'une
« absence essentielle », et de son amour pour Prouhèze
comme d'un « besoin sans fond et sans espoir », c'est Sept-
Epées, fille de Prouhèze, choquée, qui s'écrie : « Mais c'est
l'enfer que vous dites » (II, 914).
Et voici que, cherchant simplement à dégager la doc
trine claudélienne de l'amour, nous nous heurtons à une
de ses contradictions principales. On dirait que chez Clau
del tous les chemins mènent en enfer. Que l'homme pos
sède la femme, ou qu'il s'en sépare à tout jamais, un enfer
de désir l'attend. Et l'on peut se demander, évidemment,
quel est le danger moral et spirituel sur lequel Claudel,
dans ses lettres et dans ses pièces, semble tellement voul
oir insister. Si les voluptés de l'amour satisfait n'existent
pas, pourquoi Claudel tient-il tellement à en protéger ses
amis et ses amants imaginaires ?
La question est trop simple. Le fait est que Claudel, qui
croit comme tout le monde au tourment de l'amour insat
isfait, est beaucoup moins persuadé qu'Eliot de celui de
l'amour satisfait. Au contraire, la doctrine claire et ca
lmante d'un amour essentiellement insuffisant — « toute
beauté dans son insuffisance », comme dit l'Ode (6) — est
en tous points menacée par une peur du bonheur dans
l'amour, une peur que la vieille, l'éternelle promesse, celle
qui ne peut être tenue, pourrait bien être sérieusement
tenue tout de même ; irrésistiblement, irréparablement
tenue.
« Je t'aimais trop, ma vie, » dit Mesa dans Partage de
Midi (1, 1054). « Jacques », dit la deuxième Violaine, « peut-
(5) « La L'Esprit Cantate et à trois l'eau voix, », Œuvre poétique, p. p. 242. 362.
(6) 312 MICHAEL WOOD
être/Nous nous aimions trop pour qu'il fût juste que nous
fussions l'un à l'autre » (I, 630). Sygne de Coûfontaine
confesse qu'elle aime son cousin « plus qu'il n'est dû à
aucune créature » (II, 170). « II y a quelqu'un pour toujours
de la part de Dieu », dit Prouhèze pour s'expliquer la nécess
ité de sa séparation de Rodrigue, « qui lui interdit
la présence de mon corps/Parce qu'il l'aurait trop aimé »
(H, 779). Ce « quelqu'un » est peut-être moins le délégué
de Dieu que celui de Paul Claudel, auteur et de la pièce
et de l'interdiction qui sépare Prouhèze et Rodrigue, mais
cette réflexion ne fait que souligner le danger réel d'un
bonheur dans l'amour, puisque tout le théâtre de Claudel
travaille à l'éviter. En tout cas, elle nous mène loin du
« corps bestial » et de « l'enfer » et du « simulacre désert »
de la possession corporelle. Je dirai même que tous ces
assauts claudéliens contre la satisfaction physique en amour
m'ont l'air d'être des tentatives assez anxieuses pour
rabaisser un sentiment périlleux où, en plus du corps, c'est
l'âme qui n'est que trop impliquée :
C'est toujours le même calembour banal [dit Orian dans
le Père humilié], la même coupe tout de suite vidée, l'affaire
de quelques nuits d'hôtel, et de nouveau
La foule, la bagarre ahurissante, cette affreuse fête foraine
qu'est la vie... (II, 545).
Marianne Mercier-Campiche remarque la « vulgarité » (7)
du langage d'Orian à ce moment, et Jacques Petit, com
mentant la même citation, trouve le thème de l'amour
impossible « bien commun » (8) à ce niveau. Mais ce n'est
pas l'élévation de l'esprit d'Orian qui importe ici, ou le
manque d'élévation de

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