« La nuit vénitienne » : un fiasco fécond - article ; n°1 ; vol.39, pg 279-288
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1987 - Volume 39 - Numéro 1 - Pages 279-288
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 50
Langue Français

Extrait

Pierre Reboul
« La nuit vénitienne » : un fiasco fécond
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1987, N°39. pp. 279-288.
Citer ce document / Cite this document :
Reboul Pierre. « La nuit vénitienne » : un fiasco fécond. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1987,
N°39. pp. 279-288.
doi : 10.3406/caief.1987.2440
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1987_num_39_1_2440« LA NUIT VENITIENNE » :
UN FIASCO FECOND
Communication de M. Pierre REBOUL
(Lille)
au XXXVIIIe Congrès de l'Association, le 24 juillet 1986
Après la publication des Contes d'Espagne et d'Italie,
le critique de La Quotidienne, le 12 février 1830, avait
supposé : « Avec le talent dramatique qui distingue ces
Contes, M. de Musset a dû déjà rêver le théâtre ». L'année
1830 fut effectivement, pour Musset, pleine de théâtre.
Pour deux raisons : les planches peuvent porter l'argent
et la gloire. De là, plusieurs tentatives : un plan médiocre
du Comte d'Essex, qui aurait été une pièce historique et
« romantique », novatrice et hardie ; une vague idée de pièce
également historique : Les derniers moments de François Гт,
dont on ne peut rien dire, puisque l'on n'en a guère qu'un
interminable monologue pathétique, publié l'année suivante.
Les Marrons du feu, dans les Contes d'Espagne et d'Italie,
avaient déclenché l'ire de la critique et manifesté, en même
temps que le goût de l'auteur pour la forme dramatique,
son inaptitude, naturelle et délibérée, au théâtre de son
temps. Musset avait entassé les pires violences, les plus
virulentes grossièretés, sur un canevas inspiré à'Andromaque.
Provocateur avec obstination, l'auteur évitait l'accord du
canevas avec les personnages, des scènes entre elles, des
paroles et des situations. Je ne sais quelle indéniable
poésie n'en flottait pas moins, comme une insaisissable
buée, autour des mots et des outrances et du flou des
enchaînements — une poésie qui incite au rêve, à suivre,
malgré soi, des pensées à peine aperçues et non pas à 280 PIERRE REBOUL
suivre, par le cœur et par l'esprit, une action construite
et touchante. Caractéristique peut-être du premier et du
meilleur Musset, bée un hiatus entre le sujet et les paroles,
entre la réalité que présuppose le dialogue et ce dialogue
lui-même, qui s'évapore, malgré ses duretés, en une série
de quant à soi d'un qui ne peut s'empêcher de songer en
fumant une pipe et en buvant un punch.
Dans cette année 1830, où les deux frères ne demeurèrent
pas indifférents, semble-t-il, aux troubles de la politique
et de la rue ni même inactifs, Musset, à deux reprises,
approcha de la scène. Il s'efforça d'y monter, au théâtre des
Nouveautés, avec La Quittance du diable. Il y monta, pour
en descendre aussitôt, à l'Odéon, avec La Nuit vénitienne.
Contrairement au récit de Paul de Musset, on n'envisagea
pas de jouer La Quittance. Peut-être même ne lut-on pas
le manuscrit sérieusement jusqu'au bout. C'était, au vrai,
une entreprise médiocre, à laquelle je trouve du charme.
Musset a emprunté son sujet à l'Histoire de Willie l'errant,
un épisode du Redgnauntley de Walter Scott. Le feul laird
Robert de a été médicalement incapable de
signer la quittance des fermages que Sténie lui a versés.
John, son successeur, les lui réclame. Johny le braconnier,
qui s'est associé au diable, de même que l'était Sir Robert
et que l'est Sir John, prend la défense du malheureux fer
mier ; évoque, parmi d'autres cadavres ou squelettes pail
lards, le fantôme de Sir Robert, qui signe la quittance. Bon
diable jusqu'au bout, défenseur des opprimés, il fait signer
au nouveau laird une donation de tous ses biens au pauvre
Sténie, avant de le faire périr dans l'incendie de son château.
Une bluette fantastique, selon Paul de Musset. J'y verrai
un vaudeville comme Scribe, par exemple, en
avait fait jouer, c'est-à-dire une pièce en prose, avec des
parties chantées, en vers. L'auteur, ici, garde trop larg
ement ses distances avec le genre qu'il aborde. L'évocation
des fantômes joint de la gauloiserie à ces rites écossais.
Reste une revendication en faveur des damnés de la terre,
secourus, ici, par le diable, en la personne de Johny. «LA NUIT VÉNITIENNE»: UN FIASCO FÉCOND 281
Le charme est ailleurs. Musset a ajouté au récit de Willie
l'errant une histoire d'amour : Sténie, le fermier misérable,
aime Miss Eveline, la nièce du laird, sans avoir osé le lui
dire. Eveline aime également Sténie, sans peut-être en avoir
une conscience claire. Elle le rencontre, malgré la surveil
lance aigre de sa vieille gouvernante Gertrude, fantoche
ridicule, domestique fidèle du laird, soucieuse sottement de
« l'étiquette ». Nous assistons aux finesses d'E véline, à ses
mensonges de jeune fille bien élevée en vue de rencontrer
Sténie. Nous entendons celui-ci, apeuré et maladroit, décla
rer timidement son amour. Tous deux badinent, gentiment,
avec l'amour. Grâce au diable, Eveline épousera Sténie
devenu riche. Je ' devine qu'ils seront heureux et auront
beaucoup d'enfants. Nous retrouverons, de pièce en pièce,
l'acariâtre gouvernante guindée, la fraîcheur et l'innocence
rusée de miss Eveline, qui a la douce ambiguïté des jeunes
filles qui s'éveillent à l'amour, sans oublier Johny, le sata-
nique braconnier, qui me fait rêver à Lorenzo.
Avec La Quittance du diable, Musset avait perdu une
bataille. Il lui fallait perdre la guerre. Ecrite, j'imagine,
rapidement, La Nuit vénitienne ou les noces de Laurette
sombra, le Гг décembre, à l'Odéon, sous les sifflets. Après
une seconde représentation, aussi malheureuse, on la retira
de l'affiche, mais elle parut, ce même mois, dans la Revue
de Paris.
De La Quittance du diable, Musset reprenait ici ce qui
lui était personnel, c'est-à-dire l'intrigue amoureuse ; mais
il la retourne et la complique. Sir John destinait bien
Eveline à un vieux laird fort riche, mais celui-ci ne figu
rait pas dans la pièce et perdait, par conséquent, la partie.
Musset va donner ici la victoire au mari imposé, s'inspirant
précisément du Dénouement imprévu de Marivaux, comme
le prouve l'épisode du portrait. On se rappelle la pièce de
Marivaux : Dorante aime Angélique ; il a tous les aspects
du vainqueur, puisque les parents le refusent et qu'Angél
ique dit l'aimer. Mais, ô surprise, il perdra. La Nuit véni
tienne donne au schéma du Dénouement imprévu les char- 282 PIERRE REBOUL
mes faciles du dépaysement. Elle l'assaisonne, dans la pre
mière des trois scènes, sans lésiner, du poivre de la vio
lence ; puis, dans la troisième, elle jette sur le dénoue
ment, comme une poudre d'or, la désinvolture d'un retour
aimable à la fête et à la débauche.
Les Marrons du feu, malgré leur extraordinaire fantaisie
et leur humour parodique, avaient illustré une esthétique de
la violence et de la passion. Il en reste, ici, avec des nuances
perceptibles, le personnage de Razetta, dans la première
scène. Musset, cependant, avait, tout de suite après les
Contes, changé. Dès janvier 1830, il avait écrit à son oncle
Desherbiers : « Je te demande grâce pour des phrases
contournées, je m'en crois revenu ». Plus avant dans l'année,
le 19 septembre, son père écrivait : « Le Romantique se
déhugotise tout à fait ». On sent, dans Les Noces de Lau-
rette, l'amorce d'une évolution vers une sagesse littéraire,
non pas banale, mais personnelle et aérienne. Proche d'une
folie organisée, cette sagesse fait le prix de la deuxième
scène, la seule où apparaisse le Prince d'Eysenach, qui a
épousé Laurette par procuration et va la conquérir en un
tournemain. Razetta, noble Vénitien à demi ruiné, occupe
la première scène : il aime Laurette qui l'aime. La situation
lui donne les allures de la victoire, p

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