La Parole dans Les Caractères - article ; n°1 ; vol.44, pg 277-290
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1992 - Volume 44 - Numéro 1 - Pages 277-290
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 32
Langue Français

Extrait

Michael Moriarty
La Parole dans Les Caractères
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1992, N°44. pp. 277-290.
Citer ce document / Cite this document :
Moriarty Michael. La Parole dans Les Caractères. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1992, N°44.
pp. 277-290.
doi : 10.3406/caief.1992.1792
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1992_num_44_1_1792LA PAROLE DANS LES CARACTÈRES
Communication de M. Michael MORIARTY
(Cambridge)
au XLIIIe Congrès de l'Association, le 24 juillet 1991
Dans Les Caractères, le moraliste n'a pas le monopole
de la parole. Il délègue volontiers le droit de parler à ses
personnages, souvent, il est vrai, pour qu'ils trahissent à
leur insu leurs propres ridicules, leurs propres vices. Mais
ce n'est pas seulement par le contenu absurde ou révoltant
de leurs propos que ses personnages se désignent au ju
gement négatif du lecteur. Il est question aussi de leur
comportement, si je puis dire, de sujets parlants.
Je dirais, en d'autres termes, que l'acte de parler est
souvent par lui-même l'objet du jugement du moraliste,
et cela de deux façons principales. D'abord, La Bruyère
se plaît à évoquer la dimension physique de la parole —
le ton de la voix, l'expression du visage et les gestes de
celui qui parle. Et le jugement du moraliste à l'égard de
ses personnages passe souvent par la représentation de
cet aspect de la parole, aussi bien que par la citation de
leurs discours. D'autre part, La Bruyère cherche aussi à
évaluer la parole individuelle par rapport à un contexte
collectif, soit réel, soit imaginaire. Ici non plus, il ne
s'agit pas des idées exprimées par le locuteur, mais d'une
part de ses rapports avec celui qui écoute, et d'autre part
de son choix d'un langage, d'un vocabulaire. Le thème MICHAEL MORIARTY 278
de la parole se rattache ainsi à celui de la critique sociale.
C'est-à-dire que dans le texte des Caractères il se dessine
ce qu'on pourrait appeler une éthique de la parole ou de
la communication, dont je tiens à esquisser ici les lignes
fondamentales.
On sait, surtout depuis l'étude de Louis van Delft,
tout ce que La Bruyère doit à Descartes (1). Jules Brody,
d'ailleurs, a mis au jour un aspect particulier de cette
influence, en faisant valoir l'importance pour La Bruyère
de la thèse cartésienne selon laquelle le langage humain
fournit la preuve de la différence irréductible entre
l'homme et la bête (2). Or nous trouvons, dans le célèbre
fragment de La Bruyère sur les paysans, un écho de cette
thèse: parmi les signes de leur humanité retenus par
l'observateur, il y a celui-ci, qu'« ils ont comme une voix
articulée» {De l'homme, 128). Certes, il n'est pas question
d'essayer de déchiffrer les productions de cette voix arti
culée, d'écouter ce que ces animaux farouches peuvent
vouloir dire; mais il reste vrai que la possession de la
parole les marque comme appartenant à l'humanité, au
monde des devoirs sociaux et moraux auquel La Bruyère
tient surtout ici à rappeler son lecteur.
Cependant, comme le démontre Jules Brody, dans le
cadre de l'expérience quotidienne telle qu'elle est repré
sentée dans Les Caractères, cette distinction entre l'homme
et l'animal-machine est sans cesse remise en cause par
l'assimilation de tel ou tel comportement humain au fonc
tionnement d'un automate. L'exercice du langage lui-
même n'échappe pas à cette assimilation: il fait partie
d'un mode de vie régi, non pas par un principe intellectuel
(1) Louis van Delft, La Bruyère moraliste; quatre études sur les « Caractères»
(Genève, 1971), pp. 61-63.
(2) Jules Brody, Du style à la pensée: trois études sur les «Caractères» de La
Bruyère (Lexington, Kentucky, 1980), pp. 35-37. Voir aussi Descartes, Discours
de la méthode, cinquième partie, in Œuvres philosophiques, éd. F. Alquié
(Paris, 1963-1973), 1. 1, pp. 629-631. LA PAROLE DANS LES CARACTÈRES 279
ou spirituel inhérent à l'homme, mais par un processus
mécanique d'alternance et de répétition (3). Aux exemples
cités par Brody, je voudrais ajouter quelques autres où le
thème de la parole prend une importance particulière.
Pour que la parole puisse servir à démarquer l'homme
du règne animal, il faut en effet qu'elle s'exerce dans le
cadre d'une communication authentique : qu'elle soit une
opération de l'intelligence et de la volonté de celui qui
parle, et qu'elle soit reconnue comme telle par qui
écoute. Or, dans la parole des personnages de La Bruyère,
ces conditions font souvent défaut. On pourrait dire que
la pathologie linguistique du moraliste décèle deux dé
sordres principaux de la parole. Dans le premier, c'est le
locuteur seul qui est en cause, tandis que le deuxième
porte sur le rapport entre le locuteur et l'interlocuteur et,
en fin de compte, sur les rapports entre le locuteur, l'i
nterlocuteur et la société.
D'abord, en effet, au lieu de traduire la conscience du
locuteur, la parole peut simplement réfléchir une influence
extérieure à la conscience, par exemple le corps. Chez le
sot, la parole est un processus purement physique (et ici
Robert Garapon a souligné l'allusion à la philosophie
cartésienne) : « Le sot est automate, il est machine, il est
ressort; [...] c'est tout au plus le bœuf qui meugle, ou le
merle qui siffle : il est fixé et déterminé par sa nature, et
j'ose dire par son espèce. Ce qui paraît le moins en lui,
c'est son âme» (De l'homme, 142) (4).
Même quand la parole n'est pas un simple réflexe
physique, son aspect physique peut parfois l'emporter
sur le message qu'elle devrait en principe communiquer.
C'est là quelquefois un travers individuel, comme chez
Théodecte :
(3) J. Brody, op. cit., pp. 33-35.
(4) Les Caractères, éd. R. Garapon (Paris, 1962), p. 343. 280 MICHAEL MORIARTY
J'entends Théodecte de l'antichambre; il grossit sa voix à
mesure qu'il approche ; le voilà entré : il rit, il crie, il éclate ;
on bouche ses oreilles, c'est un tonnerre.
{De la société et de la conversation, 12)
On se rappellera aussi Théodas, livré à son génie poé
tique : « II crie, il s'agite, il se roule à terre, il se relève, il
tonne, il éclate» {Des jugements, 56). Mais le ton de la
voix peut aussi servir à caractériser les attitudes d'un
groupe. Chez les prêcheurs, il figure parmi les succédanés
de la «tristesse évangélique », ces techniques oratoires,
ou ces tics, qui font que « le discours chrétien est devenu
un spectacle» {De la chaire, 1). Tendance reprehensible;
compréhensible, pourtant, si Ton se rappelle que « le peu
ple appelle éloquence la facilité que quelques-uns ont de
parler seuls et longtemps, jointe à l'emportement du geste,
à l'éclat de la voix, et à la force des poumons» {Des
ouvrages de l'esprit, 55). A la cour, « vous voyez des gens
qui entrent sans saluer que légèrement [...] ; ils parlent
d'un ton élevé, et qui marque qu'ils se sentent au-dessus
de ceux qui se trouvent présents» {De la cour, 17). Ces
gens-là ne sont pas des grands, mais c'est vraisemblable
ment sur les grands qu'ils ont modelé leur conduite;
témoin Pamphile, qui «ne s'entretient pas avec les gens
qu'il rencontre dans les salles ou dans les cours : si l'on
en croit sa gravité et l'élévation de sa voix, il les reçoit,
leur donne audience, les congédie » ; qui, quand il consent
à vous parler, ne s'arrête pas pour autant: «il se fait
suivre, vous parle si haut que c'est une scène pour ceux
qui passent » {Des grands, 50). Ce sont là des conduites
plus ou moins délibérées, destinées précisément à produire
un spectacle ; mais chez Giton et Phédon {Des biens de
fortune, 83), il semblerait plutôt que le ton de la voix en
soit venu à réfléchir directement le statut économique du
personnage, plutôt qu'une intention quelconque de la
part de celui-ci: Giton «parle avec confiance», tandis LA PAROLE DANS LES CARACTÈRES 281
qu

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