Le réalisme subjectif dans L Éducation sentimentale - article ; n°1 ; vol.23, pg 299-310
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1971 - Volume 23 - Numéro 1 - Pages 299-310
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1971
Nombre de lectures 106
Langue Français

Extrait

Professeur Michel Raimond
Le réalisme subjectif dans "L'Éducation sentimentale"
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1971, N°23. pp. 299-310.
Citer ce document / Cite this document :
Raimond Michel. Le réalisme subjectif dans "L'Éducation sentimentale". In: Cahiers de l'Association internationale des études
francaises, 1971, N°23. pp. 299-310.
doi : 10.3406/caief.1971.990
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1971_num_23_1_990LE RÉALISME SUBJECTIF
DANS « L'ÉDUCATION SENTIMENTALE »
Communication de M. Michel RAIMOND
{Sorbonně)
au XXIIe Congrès de V Association, le 24 juillet 1970.
Je prendrai ces mots de « réalisme subjectif » dans le sens
assez large d'un effort pour présenter au lecteur la réalité
fictive à travers l'optique d'un protagoniste. En ce qui con
cerne U Éducation sentimentale, il y a beau temps qu'on a
observé que Mme Arnoux était vue la plupart du temps par
les yeux de Frédéric ; mais, d'un autre côté, on a analysé
les interventions de Flaubert, et, en particulier, M. V. Brom-
bert, dans un beau chapitre sur U Éducation, я montré l'ambi
guïté de la parole de Flaubert, qui se situe souvent sur un
plan intermédiaire entre l'optique du personnage et la vision
de l'auteur. Je voudrais aujourd'hui, dans ces perspectives,
signaler quelques-unes des modalités du réalisme subjectif
dans L'Éducation sentimentale, et essayer d'en dégager le sens
et la portée.
Il faudrait d'abord insister sur l'importance du regard dans
ce roman ; un regard qui pénètre l'objet, lors d'une lente
contemplation, ou qui procède à une sorte de survol de détails
multiples. En présence de Mme Arnoux, Frédéric « regardait
attentivement les effilés de sa coiffure caressant par le bout
son épaule nue ; et il n'en détachait pas ses yeux, il enfonçait 3OO MICHEL RAIMOND
son âme dans la blancheur de cette chair féminine » (i). Mais,
du haut de son balcon, le voici qui contemple Paris : « Ses
yeux, délaissant à gauche le pont de pierre [...] se diiigeaient
[...] vers le quai aux Ormes, sur un massif de vieux arbres » (2).
Même mouvement des yeux pour évoquer un intérieur, chez
Pellerin par exemple : « Ses yeux, abandonnant son ouvrage,
se portaient sur les écaillures de la muraille, parmi les bibe
lots de l'étagère, le long des torses où la poussière amassée
faisait comme des lambeaux de velours » (3). A la fixité
qui pénètre s'oppose ainsi la mobilité qui parcourt, et il arrive
que ces deux types de regard se confondent dans les moments
où le héros détaille amoureusement l'être contemplé.
C'est une des vertus du réalisme subjectif que de procé
der à une mise en perspective du spectacle : cela peut aboutir,
dans U Éducation sentimentale, à une véritable promotion de
l'espace, exploré par le regard et par le mouvement. Frédéric,
quand il rentre de Nogent, traverse la banlieue : « Des ét
ablissements de produits chimiques alternaient avec des chant
iers de marchands de bois. De hautes portes, comme il y en
a dans les fermes, laissaient voir, par leurs battants entr'ou-
verts, l'intérieur d'ignobles cours » (4). A Y avancée du héros,
qui provoque une continuelle métamorphose du décor, s'
ajoute ce que j'appellerai une profondeur de champ latérale.
Selon le même schéma, Frédéric, errant dans le quartier
latin, aperçoit, tout en marchant, « au fond des cafés soli
taires », la dame du comptoir bâillant entre ses carafons remp
lis (5). Cette organisation de l'espace à partir du sujet a
parfois la rigueur d'une composition picturale tout en étant
le compte rendu de l'expérience perceptive du héros : Fré
déric a longtemps cherché Regimbard ; il le trouve enfin :
« II l'aperçut, à travers la fumée des pipes, seul, au fond
de l'arrière-buvette, après le billard, une chope devant
lui (...) » (6). Le billard la fumée, la chope, les mots à
I, 3, Pléiade, 1952, p. 80.
L 5, P- 96.
I, 5, p. 86.
II, 1, p. 133.
I. 5, P- 97-
II, 1, p. 138. SUBJECTIF DANS « L'ÉDUCATION SENTIMENTALE » 301 REALISME
travers, au fond de, après, devant, tout cela dispose les él
éments du réel selon l'axe d'une profondeur de champ. On
sait combien il est fréquent qu'un paysage soit vu dans le
cadre d'une fenêtre ; c'est le cas à Saint-Cloud, lors de la
fête de Marie Arnoux : « Par les fenêtres ouvertes, on aper
cevait tout le jardin [...] et, au delà du fleuve, se déve
loppaient en large demi-cercle le Bois de Boulogne,
Neuilly (...) » (7). Dans les appartements, des portes
entr'ouvertes permettent d'apercevoir des enfilades de
pièces. Chez Mme Dambreuse, Frédéric, avant de se mêler
au cercle des invités, doit traverser « une antichambre, une
seconde pièce, un grand salon à hautes fenêtres ». Il est
frappant que les glaces creusent souvent l'espace d'une pro
fondeur supplémentaire. Flaubert respecte la disposition
des lieux dans l'espace compartimenté de la ville ou de l'appar
tement. Il y a pour Frédéric des rues à parcourir, des escaliers
qu'il faut monter, des portes d'appartements devant les
quelles, une fois qu'on a sonné, il faut attendre qu'une ser
vante paraisse. Cette rigueur moderne dans la façon d'explorer
ce que Robbe-Grillet appelait « l'entour de l'homme » est
liée chez Flaubert à l'emploi du réalisme subjectif.
Surtout le regard est lié à un angle de prise de vue. André
Gide écrivait, dans le Journal des Faux-Monnayeurs : « Admett
re qu'un personnage qui s'en va puisse n'être vu que de dos. »
Est-ce la lecture de U Éducation qui lui a suggéré cette r
emarque ? Frédéric sort de chez les Dambreuse ; il doit fran
chir la porte cochère ; Мще Dambreuse est montée dans son
coupé. Je lis : « Frédéric, en même temps qu'elle, arriva de
l'autre côté, sous la porte cochère. L'espace n'étant pas assez
large, il fut contraint d'attendre. La jeune femme, penchée
au dehors du vasistas, parlait tout bas au concierge. Il ri aper
cevait que son dos (...) » (8). A un autre moment, c'est en voyant
Rosanette de profil qu'il s'aperçoit qu'elle pleure (9). Les
restrictions de champ, pour reprendre une expression de
Georges Blin, consistent à ne laisser voir qu'une partie de la
(7) I, s, p- "3-
(8) 1, 3, psi-
(9) II, 1, p. 154. ЗО2 MICHEL RAIMOND
personne ou du spectacle. Frédéric, entrant dans le bureau
d'Arnoux, « vit par la porte [...] le bas d'une robe dispa
raître » (10). C'est Mme Arnoux. Mais c'est elle aussi dont, à
un autre moment, parce qu'elle est « enveloppée d'ombre »,
il « ne (distingue) d'abord que (la) tête » (n), ou bien dont il
aperçoit le pied quand, après avoir paru, à Saint-Cloud, au
haut du balcon, elle descend les marches (12). Laisser entr'aper
cevoir plutôt que montrer, c'était en partie la technique de
Flaubert dans U Éducation. Le regard se fait bien involon
tairement indiscret, dans cette très belle scène, à Creil (13),
où Frédéric, après avoir monté les escaliers sans rencontrer
personne, pousse une porte, et aperçoit Mme Arnoux seule,
devant une armoire à glace, « la ceinture de sa robe de chambre
entr'ouverte [pendant] le long de ses hanches » (14).
Il arrive aussi qu'à partir d'un point de vue situé, telle
ou telle réalité soit masquée par une autre. A l'Alhambra,
MUe Vatnaz est obligée, pour contempler le chanteur,
d'écarter d'une main « la branche d'un troène qui lui masquait
la vue de l'estrade » (15). Un autre soir, au théâtre du Palais
Royal, Frédéric ne peut d'abord identifier une femme auprès
de qui se trouve Arnoux, dans une loge d'avant-scène, car
« l'écran de taffetas vert, tiré au bord de la loge, masquait son
visage » (16). Cette fois, c'est la Vatnaz. Mais justement elle
apparaît ici sans que le romancier la nomme, sans que le héros
sache de qui il s'agit. C'est une des

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