Obscure légèreté

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• Publié par: No-more-Blues
• Publié le: 12 décembre 2012
• Nombre de lectures: 306
• Langue: Français

Extrait

Ma voisine

À

Esther

C’est tard, et dans la légère obscurité qui régne dans ma chambre, je n’arrive

pas à m’assoupir. Au loin, le silence, tout près, le bourdonnement d’une grande

quantité de sourires absents. Je regarde au dedans, mais je ne vois qu’un

tremblement de désirs. Être avec quelqu’un, puis avec quelqu’un d’autre, le

succès, la paix, son contraire, enfin, ne pas savoir ce que l’on veut tout en

voulant le savoir. Elle, ma voisine, semble savoir ce qu’elle veut, elle me l’a dit

l’autre jour, je me souviens bien: “Moi, je veux profiter et sentir chaque instant

comme si c’etait le dernier”. J’ai trouvé ça cliché, mais bon cliché. Ensuite elle

m’a dit qu’elle se sentait heureuse, et je m’en suis réjouis sincérement, car elle

avait l’air sincère en disant ça. Avec ses chaussures faites de nuages, son

chignon timide, son sourire illuminant l’espace d’envie de touchers, et sa voix si

douce, on ne peut que l’apprécier en tant que femme. Et puis elle habite pas

très loin, deux immeubles à còté du mien. Pourtant je ne la croise jamais dans

la rue, c’est étrange de me souvenir de tout ça maintenant. Je me sens tout las

de ne pas savoir où me mènent mes pensées… D’ailleurs, personne ne sait

avec certitude rien d’autre que la verité absolue et future de sa mort. Mais celle-

ci est peut-être une illusion. Qu’importe? D’abord, je suis seul dans ma

chambre, moi et ma plante décrépie, et pas par faute de ne l’avoir pas arrosée!

Je pense soudain à ma voisine, qui, comme beaucoup, ne dors peut-être pas

toujours seule, puis je pense aux autres, à ceux qui ne dorment jamais seuls,

mais qui le voudraient de temps en temps. Amour, haine, lumière, eau. Un

nuage qui parcourt le ciel, une fleur qui tombe de là haut. Tonalités distinctes,

couleurs qui forment des formes sans définition, et puis tout ce qui fait dormir,

tout ce qui détend, comme un baiser volé à une voisine dans un rêve qui

deviendrais vrai tout à coup, dans une chambre solitaire avec une plante

décrepie, pleine de silence et d’obscure légèreté. Mais, je me souviens, elle

n’est plus là, cette voisine aux nuages et au sourires, elle est partie, où ça? Je

ne saurais jamais, loin, loin, loin de ma vie. La destinée n’est pas ses bras, le

paradis n’est pas ses lèvres. Oublier, comme une eau qui tombe du ciel, afin de

ne pas se souvenir trop tard, trop tard, de la vérité qu’elle voulait incarner, elle.

“Sentir chaque instant comme le dernier des instants, comme l’ultime, comme

le seul, sans penser ni en arrière, ni penser en ce qui viendra”. Et je pense

qu’elle est partie, c’est vrai, l’autre jour elle me l’a fait comprendre aussi, je sais

qu’elle ne reviendra pas dans ma vie, mais si je la porte dans mon coeur,

comme la parcelle de lumière qu’elle m’a évoqué, alors elle vivra comme un

apprentissage, celui du présent, celui de l’instant, celui de l’amour qui part pour

mieux revenir en s’incarnant dans la manière dont je vis tout ce qui fait

l’ensemble de mon destin. Enfin, certitude en main, je vais pouvoir m’assoupir.

Tant pis si elle est plus là, tant pis si elle est partie. Jamais elle ne reviendra,

mais je me sens tranquille, sans autre désir que verser de l’amour dans

l’amertume, sans autre souhait que remplir de paix l’incertitude, et en calmant la

rancune, je la laisse partir, loin, très loin de moi, et je défait pièce par pièce le

mosaîque de ce qui m’attache à son souvenir.