Le Livre de Pierre
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Han RynerLe Livre de Pierre1917(Edition à part d'un chapitrede Ce qui meurt d'Henri Ner - 1893)Sommaire1 I. Pervenches et violettes2 II. Le jeu des secrets3 III. Le grand secret4 IV. Jaloux5 V. Juste6 VI. Boucles de cheveux7 VII. Minet8 VIII. Tais-toi9 IX. On s'amuse bien, nous deux10 X. Des vers11 XI. Le don des larmes12 XII. Égaré13 XIII. Maman et papa14 XIV. Ton ballon15 XV. Mon petit malade16 XVI. Souvenirs pénibles17 XVII. Les œufs de Pâques18 XVIII. Le soir19 XIX. Le matinI. Pervenches et violettesDans notre dernière promenade, nous avons cueilli des pervenches et desviolettes.Tu souriais, en regardant les pervenches.Et tu disais : « Comme c'est joli ! »Tu souriais, en flairant les violettes.Et tu disais : « Comme ça sent bon ! »Puis, tu flairas les pervenches, et tu fis la moue. Et je t'entendis murmurer : « Cettefleur, qui est si jolie, devrait sentir bon ! »Vois, petit Pierre, ton désir est devenu réalité.J'apporte sur ta tombe un bouquet de ces jolis yeux bleus si gentiment éveillés, despervenches ; mais je leur ai donné le parfum des violettes.Et tu vas sourire, chéri. Et tu ne feras plus la moue, pas vrai ?II. Le jeu des secretsSi tu savais, mon petit Pierre, elle a toujours les yeux rouges, ta maman, et sesjoues sont creuses maintenant.Tu étais content autrefois d'avoir une maman bien jolie. Il ne faut pas qu'elle cessed'être jolie. Il ne faut pas qu'elle tombe malade. Ça te ferait trop de peine, n'est-ce-pas, ...

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Han RynerLe Livre de Pierre7191de C(eE dqiutiio nm eà uprta rdt' Hd'eunnr i cNhaerp i-t r1e893)Sommaire1 I. Pervenches et violettes2 II. Le jeu des secrets3 III. Le grand secret4 IV. Jaloux5 V. Juste6 VI. Boucles de cheveux7 VII. Minet8 VIII. Tais-toi9 IX. On s'amuse bien, nous deux10 X. Des vers11 XI. Le don des larmes12 XII. Égaré13 XIII. Maman et papa14 XIV. Ton ballon15 XV. Mon petit malade16 XVI. Souvenirs pénibles17 XVII. Les œufs de Pâques18 XVIII. Le soir19 XIX. Le matinI. Pervenches et violettesDans notre dernière promenade, nous avons cueilli des pervenches et desviolettes.Tu souriais, en regardant les pervenches.Et tu disais : « Comme c'est joli ! »Tu souriais, en flairant les violettes.Et tu disais : « Comme ça sent bon ! »Puis, tu flairas les pervenches, et tu fis la moue. Et je t'entendis murmurer : « Cettefleur, qui est si jolie, devrait sentir bon ! »Vois, petit Pierre, ton désir est devenu réalité.J'apporte sur ta tombe un bouquet de ces jolis yeux bleus si gentiment éveillés, despervenches ; mais je leur ai donné le parfum des violettes.Et tu vas sourire, chéri. Et tu ne feras plus la moue, pas vrai ?II. Le jeu des secretsSi tu savais, mon petit Pierre, elle a toujours les yeux rouges, ta maman, et ses
joues sont creuses maintenant.Tu étais content autrefois d'avoir une maman bien jolie. Il ne faut pas qu'elle cessed'être jolie. Il ne faut pas qu'elle tombe malade. Ça te ferait trop de peine, n'est-ce-pas, Pierrot ?Alors je me cache et je viens tout seul, sans qu'elle le sache.Elle vient peut-être aussi toute seule en se cachant. Mais je ne te le demande pas.Si vous avez des secrets ensemble, il ne faut pas me les dire. Parce que je ne veuxpas que tu lui dises les miens, tu comprends ?Tu te rappelles ? tu aimais tant à jouer aux secrets. Tu me disais : Papa, dis-moi unsecret ; je ne le dirai à personne.Demain, je t'en dirai encore un de secret, un grand. Non, pas aujourd'hui, demain.A demain, mon chéri.III. Le grand secretSais-tu pourquoi je viens toujours seul, mon ami ? pourquoi ta maman nem'accompagne pas ?C'est parce que, moi, ça me fait du bien de causer avec toi. Tandis que ta maman,ça lui fait du mal.Nous deux, nous causons gentiment, sans pleurer. Ou bien, si je pleure, c'estdoucement, avec un soulagement mélancolique et profond. C'est si bon de revivreun moment avec toi.Ta maman, quand je l'amène, pleure tout le temps de grosses larmes lourdes quitombent jusqu'à terre et qui lui font mal.Ecoute-moi bien, mon petit Pierre ; je vais te dire le grand secret.Il ne faut pas que ta maman pleure trop, parce que, quand tu es parti, on avaitcommandé depuis deux mois ce petit frère que tu nous demandais toujours.Et, tu sais, quand les mamans pleurent, le marchand de Paris vous envoie un petitfrère laid comme un singe, petit comme une poupée de deux sous, et qui crie tout letemps, et qui n'a pas de force du tout; et qui meurt, presque toujours.Alors, comme tu veux avoir un beau petit frère, bien gros, bien joufflu, qui ne crieguère, et qui vive, et qui soit fort, il ne faut pas que ta maman pleure.IV. JalouxTu étais très jaloux des caresses de ton papa. Je ne pouvais pas embrasser tamaman sans que tu réclames :— Moi aussi, papa !Et si je faisais semblant de ne pas t'entendre, entre ta maman et moi tu te glissais ;à mes habits tu t'accrochais ; le long de moi tu grimpais.J'étais bien forcé de m'occuper de toi, et de te prendre dans mes bras, et de tedonner ta part de baisers sur tes joues qui rougissaient de plaisir et où le sourirecreusait des fossettes.** *Je crois que tu es toujours jaloux, mon petit Pierre chéri. Chaque fois quej'embrasse ta maman, il me semble t'entendre réclamer :— Moi aussi, papa.Et, comme je ne te réponds que par une grande envie de pleurer, entre ta mamanet moi tu te glisses ; et je sens à mes habits un poids, et tout le long de moi, j'ai
l'impression d'un grippement.Mais je ne puis te prendre, te soulever dans mes bras. Sur tes joues quirougissaient de plaisir et où le sourire creusait de jolies fossettes, je ne puis mettredes baisers, beaucoup de baisers.** *Voilà pourquoi, chaque fois que j'embrasse ta maman, nous nous mettons àpleurer.V. JusteSi tu étais jaloux, tu étais juste aussi, mon petit Pierre.Quand je t'avais tenu longtemps sur mes genoux, quand je t'avais fait beaucoup decaresses sur tes joues qui rougissaient de plaisir et où le sourire creusait desfossettes, souvent tu me disais :— Embrasse maman, maintenant, mon petit papa. Et, souriant, j'allais embrasser ta.erèm** *Voilà pourquoi, lorsque longtemps mes lèvres se sont tendues à vide en rêvant detes joues si fraîches, souvent je vais, en retenant mes larmes, embrasser ta maman.VI. Boucles de cheveuxTa mère a une mèche de tes cheveux qui est d'un blond pâle, très pâle, presqueblanc.Où tient-elle cette mèche de cheveux d'un blond pâle, très pâle, presque blanc, queje voudrais toucher des doigts, des yeux et des lèvres, afin de te revoir et det'embrasser tout petit ?Je ne sais. Et je ne veux pas le lui demander, parce qu'elle pleurerait.Mais, sans le secours des jolis cheveux fins, d'un blond si pâle, à peine coloré, je terevois tout petit et si blond, courant et riant, au milieu d'autres enfants qui courent etqui rient, là-bas, sous les grands arbres du Luxembourg.** *Ta mère a une mèche de tes cheveux d'un joli blond chaud, un peu fauve.Où est-elle, cette mèche de cheveux d'un joli blond chaud, presque fauve, que jevoudrais toucher des doigts, des yeux et des lèvres, afin de te revoir et det'embrasser, un peu grandi ?Je ne sais. Et je ne veux pas le demander à ta mère qui pleurerait.Mais, sans le secours des cheveux d'un joli blond chaud et un peu fauve, je te revoisun peu grandi, bavardant et courant après quelques papillons, ici, dans le parc,sous les grands arbres amis.** *Ta mère a encore une boucle de tes cheveux qui m'apparaît, si je ferme les yeux,d'un blond étrangement triste, sombre, comme bruni.Mais elle les a coupés depuis trop peu de temps pour que je veuille les voir.Elle les a coupés sur ton pauvre front refroidi.Et je la vois trop dans ton lit blanc, ta pauvre petite figure douloureuse et toute
blanche — oh ! si blanche !Et je me rappelle que lorsque tu fus mort, en te regardant pour la dernière fois, jepensai : « Mais ses cheveux sont presque bruns ! »Tes cheveux semblaient plus sombres, parce que ton visage était plus pâle.VII. MinetTu te rappelles Minet avec qui tu jouais toujours ; Minet, si sage, qui jamais ne tegriffa ; Minet, que je te donnais le matin dans ton petit lit et qui, joyeux de tescaresses et de la tiédeur des draps, se mettait à ronronner, à faire : « heureux !heureux ! » comme tu disais ?Ce matin, il est venu seul me trouver dans mon grand lit, où je t'aurais pris, si tuavais été là.Parce que, ce matin, j'ai fait le paresseux, et quand ton petit papa faisait leparesseux, tu voulais qu'il te prenne dans son grand lit.Et Minet faisait : heureux ! heureux ! Et il se pressait contre moi, pour que je lecaresse.Je le caressais, mais sans penser à lui.Je pensais à toi, qui serais si content d'être un peu dans mon grand lit pendant queje fais le paresseux, et qui rirais, et qui m'embrasserais, câlin !Et tout à coup - il y a des fois que les papas sont fous comme les petits garçons quiinventent des histoires, — tout à coup, j'ai pris cet être vivant et mouvant qui était làprès de moi à me caresser, et je l'ai embrassé en l'appelant : Pierrot.J'ai peut-être serré trop fort. Il a crié : Miaou !Et je l'ai lâché. Je l'ai lâché en souriant, en souriant avec une grande envie depleurer.VIII. Tais-toiLe dernier jour où tu fus avec nous mon petit Pierre, toute la journée, de ta voix,étouffée qui faisait mal à entendre, tu parlais, tu parlais !Tu disais des choses douces, aimantes, tendres, fleuries de fraîcheur et de grâcenaïve.Mais tu pauvre voix étouffée faisait mal à entendre.Et puis, j'avais peur que de dire tant de paroles, — tant de paroles fleuries defraîcheur et de grâce naïve, — te fatiguât ton pauvre gosier malade.Et souvent je te priais : « Tais-toi, mon enfant ».Et, silencieux, tu me souriais de ton joli sourire pâle, qui parlait encore.** *Ce mot : « Tais-toi ! » c'est le dernier que je t'aie dit. Ta gorge allait se fermer et tesyeux chavirer : tu me disais encore des choses douces et aimantes, toutes fleuriesde fraîcheur et de grâce naïve.Ta petite soeur venait de mourir : tes paroles aimantes m'étaient douloureusescomme une caresse sur une blessure qui saigne. J'éloignai vivement ton baiser dema plaie vive : « Tais-toi ! tais-toi ! »Tu as été trop obéissant, mon adoré.Et je voudrais t'entendre parler encore, même de ta pauvre voix étouffée desderniers jours.
Redis-moi, Pierrot, les jolies choses douces et aimantes que tu me disais ce jour-.àlJe les sais toutes par coeur, mon enfant, mais tu me ferais une grande joie en meles disant encore une fois.** *Non, chéri, tais-toi ! tais-toi !J'ai peur que tu aies entendu mon souhait absurde et que maintenant, là, sous laterre, pour me parler, tu te fatigues en vains efforts torturants.Tais-toi, mon enfant, tais-toi ! et dors bien tranquille. Dodo, Pierrot, dodo !IX. On s'amuse bien, nous deuxPar les longues veillées d'hiver, dès qu'on avait dîné, tu venais à moi, ton serviettonencore sur ton tablier. Tu montais sur mes genoux, tu jetais les bras autour de moncou ; tu m'embrassais. Et tu restais là un moment, câlin, à me câliner.Puis tu descendais. Tu me disais :- Papa, amusons-nous.Et nous nous amusions.Nous nous amusions à des jeux bizarres, de ton invention ; des jeux qui neplaisaient pas toujours à maman. Car tu avais, si frêle et si débordant de vienerveuse, des amusements un peu violents quelquefois.** *Tu me disais :- Papa faisons la grande bataille !Et tu me donnais de ta petite main des coups sur la main.Mais tu ne voulais pas que ma main restât immobile. Il fallait qu'elle allât à larencontre de la tienne. Ta main tombait, légère et rapide, sur ma main qui montait,lente, à la rencontre de ta menotte. Tu protestais :- Voyons, papa, plus fort que ça !Et, à chaque rencontre, tu souriais ou tu riais.Quelquefois tu souriais en disant :- J'ai perdu la bataille.Presque toujours tu riais en disant :J'ai gagné la bataille.A quoi tu distinguais les batailles gagnées des batailles perdues, çà, par exemple,je n'en ai rien su jamais.** *Quelquefois, le choc était un peu rude à ta frêle menotte.Alors, tout prêt à pleurer, tout prêt à rire, tu me regardais de tes jolis yeux inquiets.Et tu demandais :- C'est pour rire, dis, papa ?- Mais oui, Pierrot, c'est pour rire.
Alors tu riais aux éclats. Et tu venais m'embrasser.** *Ta maman t'appelait : Vilain petit gamin !Et elle nous regardait d'un air sévère qui va se dissiper en un rire. Elle nousregardait comme deux enfants sages, mais dont les habitudes étonnent un peu.Toi, tu te serrais contre moi. Et tu me disais :- On s'amuse bien, nous deux, dis, papa ?X. Des versUn jour, tu me dis :- Qu'est-ce que c'est que les vers, dis, papa ?Je te vois encore me poser cette question.C'était dans la ville sur la grande promenade dont les tilleuls en fleur avaient uneodeur si douce, au milieu de la prairie d'un vert jeune, comme enfantin. Nouspromenions tous les deux. Pour me demander cela, tu t'arrêtas et tu m'arrêtas.Tu devais avoir quatre ans, quatre ans et demi peut-être.Mais tu lisais déjà couramment. Et, parmi les livres que tu lisais couramment, il yavait un petit livre de fables en vers.Mais, malgré ta science précoce, la réponse à ta question me semblait très difficile.Et je te dis :- Je ne peux pas t'expliquer cela. Tu es trop jeune. Tu ne comprendrais pas.Alors toi, très fier et un peu révolté :- Mais si, papa, je comprendrais. A preuve que je le sais.- Dis-le alors.- Je le sais, mais je ne sais pas le dire.Je te fis remarquer un moineau qui voletait devant nous. Et le moineau l'intéressa.** *Mais quand le moineau fut parti, ta petite tête se remit à travailler. Et, tout d'un coup,tu me dis :- Papa, j'ai trouvé comment il faut dire. Les vers, c'est quand çà rime.- Oui, mon ami, mais tu ne peux pas savoir ce que c'est que la rime. Tu es trop petit.- Mais si, papa, je sais bien... La rime, c'est... c'est quand c'est la même chose.** *Quelques jours après, tu me dis :- Papa, j'ai fait des vers.- Ah, par exemple !- Oui, papa. Écoute :                  Je bats mon âne                  A coups de canne                  Parce qu'il flâne.
** *Oui, tu avais fait des vers. Et la rime t'avait fait dire des bêtises. Car jamais tu n'aseu d'âne, ni de canne. Et jamais tu n'aurais battu ton âne, si tu en avais eu un.Tu étais un poète bien cruel, petit être tout de douceur et de pitié.XI. Le don des larmesComment aurais-tu fait pour battre ton âne, toi qui ne pouvais pas voir Polichinellebattre sa femme ou le commissaire ?Une seule fois je t'ai conduit à ce spectacle amusant qui fut pour toi un spectaclepénible.Car, dès que Polichinelle leva son bâton, tu te mis à pleurer. Et tu criais :- Je ne veux pas qu'il la batte !Mais ta volonté n'y pouvait rien. Il la battait quand même.J'eus beau t'expliquer que c'était pour rire ; que Polichinelle et sa femme étaient enbois. Tu continuais de pleurer et de crier :- Je ne veux pas qu'il la batte !Tous les enfants se retournaient et riaient de ta pitié douloureuse et inutile, encoreplus que du spectacle de violence et de douleur.Je fus obligé de t'emmener loin de ce spectacle trop semblable à de la vie.Je n'ai jamais pu te raconter jusqu'au bout le Petit Poucet, ni le Petit Chaperonrouge. Dès que le Petit Poucet et ses frères étaient perdus dans le bois, tu pleuraistant que j'étais obligé de les ramener tout de suite entre les bras de leurs parents etde les faire s'aimer beaucoup, beaucoup, et de multiplier les tours amusants auvilain ogre, sans trop savoir ce qu'il venait faire dans le conte.Quand le Petit Chaperon rouge rencontrait le loup, tout de suite tu pleurais. J'étaisobligé de faire sortir de derrière un arbre un gros chien qui faisait sauver le loup.Et le Loup et l'Agneau ! Tu ne pus jamais le lire en entier dans ton livre de fables.Il n'y avait pas moyen de te raconter d'histoires. Parce que les histoires, mêmecelles qui finissent bien, ont toujours un moment cruel comme de la vie.** *C'est pour cela que le bon Dieu a eu peur que tu pleures trop et qu'il t'a emmenéloin du spectacle de la vie, qui est aussi cruel que le scénario de Polichinelle.C'est pour cela que le bon Dieu a coupé court à l'histoire de la vie qu'il commençaità te raconter. Il a bien fait, mon chéri. Tu aurais trop pleuré. Il y a trop de petitsPoucets perdus dans les bois, trop d'agneaux mangés par les loups.Tu as eu raison de ne pas écouter la suite douloureuse du conte qui n'est pas unconte.** *Maintenant, tu es, sans doute, en face d'un spectacle de joie, de douceur etd'amour.Ah! si, de l'autre côté, Polichinelle embrasse sa femme au lieu de la battre ; et si lesloups s'amusent, bien gentils avec les agneaux ; comme tu dois regarder de toustes yeux, petit Pierre ! Et comme il doit être heureux et joli, ton joli sourire !XII. Égaré
Je suis bien en retard, ce soir, n'est-ce pas, mon petit Pierre ?Je vais te dire pourquoi. Mais j'ai bien peur que tu m'appelles : « Nigaud de papachéri ! »** *Te rappelles-tu ta dernière promenade, Pierrot celle où l'on cueillait des pervenchessi jolies et des violettes qui sentaient bon ?L'heure d'un rendez-vous d'affaires approchait. Je te laissai avec ta maman cueillirviolettes et pervenches et vers la ville je courus.Quand je rentrai, ma journée finie, tu grimpas sur mes genoux, tu m'embrassascomme d'habitude.Mais tu avais, ce jour-là, un joli petit air malicieux. Et tu me dis, malicieux :- Tu sais, papa, nous nous sommes perdus.Et, en embrassant tes fraîches joues souriantes, je dis :- Vous vous êtes perdus ! Ah ! les deux petits nigauds chéris !Alors tu éclatas de ce rire adorable, de ce rire clair comme une eau de cascade, dece rire que je n'entendrai plus.Puis ton rire adoré s'arrêta et tu t'écrias :- Tu vois, maman, j'avais dit qu'il nous appellerait : nigauds chéris ! Et juste il nous aappelés : nigauds chéris !Et de rire de nouveau. Et de rire longtemps ! Et de remplir la maison et mon coeurde ce bruit joyeux que je n'entendrai plus.** *Ah ! si tu riais encore, comme tu rirais aujourd'hui.Car, sur les collines, dans un bois où je t'ai cueilli ces pervenches bleues et cespervenches blanches, je me suis égaré.Quand j'ai réussi à regagner la route, je me croyais à un kilomètre et j'étais à dixkilomètres.Alors je me suis mis à courir.Mais j'ai eu beau courir, je suis arrivé en retard. Je parie que ça te rappelle unefable que tu nous récitais quelquefois ; tu sais bien : le Lièvre et la Tortue :                        Rien ne sert de courir, il faut partir à point. ** *Et, comme tu disais autrefois, c'était « tout plein rigolo », ce papa qui s'était perducomme un petit garçon, ce papa qui courait, ce papa qui arrivait en retard.Mais sais-tu pourquoi je ne riais pas tout en courant ? C'est parce que tu ne peuxplus dire que c'est tout plein rigolo. C'est parce que tu ne peux plus rire de ton rireclair comme une eau de cascade. C'est parce que je n'avais pas assez peur que tum'appelles « Nigaud de papa chéri ! »XIII. Maman et papaTes jouets, tes vêtements, tout ce qui fut à toi, est réuni au même endroit. C'est unechambre dont la porte, et les vitres, et les volets sont fermés. Ta maman n'y entrejamais, et, quand elle passe devant la porte, elle se détourne.Moi, dès que ta maman ne peut pas me voir et m'entendre, j'entre dans cette
chambre et j'ouvre, tout grands, les volets et les vitres, parce que tu aimais tant l'airet la lumière. Et je touche tes jouets. Et je touche tes habits. J'ouvre et referme lestiroirs de ton épicerie, et je me rappelle comme gentiment tu jouais au petitmarchand. Je couvre de baisers ta jolie petite blouse de marin, mais pas trop fort,tremblant de lui faire perdre la forme gracieuse de ton corps.Et c'est bien bon, chéri, d'être là nous deux seuls, dans la grande lumière.** *Quand, dans la rue, nous rencontrons un de tes petits camarades, ta maman a unsursaut et, pour ne point le voir, se détourne.Moi, d'un long regard, je suis ton petit camarade et je souris à son sourire.** *Dans la maison de ton petit ami Jacques, en face de notre maison de la ville, tamaman ne va plus jamais.Moi, j'y vais souvent, et je prends sur mes genoux ton petit ami Jacques et jel'embrasse.** *Et il y a des moments où je crois que c'est toi qui es sur mes genoux, que c'est toique j'embrasse.** *D'où vient qu'un même amour a des effets si différents ? D'où vient que ce qui meconsole la désole ?Pourquoi tout ce qui te fait revivre m'est-il bon et lui est-il douloureux ?Es-tu mort pour elle plus que pour moi, que rien ne puisse lui donner l'illusion douceque tu es vivant encore ?Ou le chagrin qui vient après, quand on se dit que « ce n'est pas vrai », est-il pourelle plus grand que le bonheur de croire une seconde que c'est encore vrai ?Moi je trouve qu'une seconde de bonheur, c'est long, long, long !Mon amour pour toi, Pierrot, me plonge en une folie très douce, souriante, qui mefait te sentir sur mes genoux quand ce n'est pas toi qui es sur mes genoux, qui mepermet de t'embrasser sur des joues roses qui ne sont point tes joues roses ; quirend vivant et plein le vide immobile et lamentable de tes blouses.Je recouvre le présent douloureux avec du passé joyeux ; je fais sur les mots noirsdes ratures de lumière.** *Tu ne comprends pas ce que je veux dire, Pierrot. C'est pourtant bien simple.Je veux dire que je t'aime beaucoup, et ta maman aussi.XIV. Ton ballonUn jour que je partais pour la ville, j'avais promis de te rapporter un ballon si tu étaisbien sage jusqu'à mon retour.Mais j'eus beaucoup de choses à faire à Préville ce jour-là. Et quand on a trop dechoses à faire, on finit par oublier les plus importantes. J'oubliai ton ballon.Quand tu me le réclamas, je te répondis que mon petit oiseau m'avait dit que tuavais été un peu méchant. Alors j'avais laissé le ballon dans notre maison de la ville
et j'irais te le chercher le lendemain, si tu étais bien sage.Et tu pleuras un peu, mon chéri. Va, je m'en veux beaucoup de t'avoir fait pleurer ; etje pleure aussi quand j'y pense !** *Tu l'eus le lendemain, ton ballon. Mais tu avais mal à la gorge déjà. Il ne fallait pasque tu sortes. Tu jouas avec, une minute, dans la chambre. Mais il soulevaitbeaucoup de poussière du tapis.Je t'expliquai que cette poussière te ferait plus malade.Et tu mis ton ballon dans un coin. Tu avais peut-être envie de pleurer. Mais tu fusbien sage, tu ne le laissas pas voir.** *Le lendemain de ce jour-là, tu étais au lit. Et tu ne t'es plus levé qu'une fois. Et, cettefois, tu pouvais à peine marcher. Et tu n'es pas resté levé plus de cinq minutes.Et, moi te suivant, t'entourant de mes bras, prêt à soutenir ta marche qui chancelait,tu es allé au coin de ta chambre où dormait ton ballon.Tu l'as fait rouler à l'autre bout de la chambre. Tu l'as fait rouler une fois, rien qu'une.siofParce que, tout de suite, on eut peur de te fatiguer, et qu'on le fit un peu manger detapioca et qu'on te recoucha.** *Un autre jour, dans ton lit, tu voulus jouer au ballon.Et je te donnai ton ballon. Tu me le lançais, je l'attrapais ; je te le renvoyais sur le lit,pour que tu me le lances de nouveau.Ta maman entra à ce moment. Elle nous dit que nous étions deux petits fous et quenous finirions par casser quelque chose.Et toi tu riais un peu. Mais ta figure était bien blanche, tes lèvres qui s'ouvraient pourrire étaient bien pâles ; et ton rire ne faisait guère de bruit, parce que tu ne pouvaisplus parler et rire qu'à voix basse, à voix étouffée, pauvre chéri.Et moi je souriais de te voir rire. Et moi je riais bien fort pour te faire rire. Maisj'avais des larmes aux yeux de voir si pâle ton sourire et d'entendre si peu ton rire àvoix basse, à voix étouffée.** *Avec tes autres jouets, dans la chambre où ta maman n'entre jamais, il dort, tonballon qui fut si peu ton ballon.XV. Mon petit maladeTu as été pendant six ans mon petit garçon. Tu as été pendant six jours mon petitmalade.D'où vient donc que je revois plus souvent mon petit malade pâle et souriant dansson lit que mon petit garçon gai, toujours à courir, à sauter, si amusé et siamusant ?Tu m'aimais bien quand tu étais mon petit garçon ; mais il me semble que tum'aimais mieux quand tu étais mon petit malade, quand tu avais besoin de moi toutle temps.Et je t'ai toujours bien aimé, mon cher petit garçon ; mais je t'aimais encore mieuxquand tu étais mon pauvre petit malade et que tout le temps je m'occupais de toi.
Et puis, ce n'était pas difficile de rire et de t'amuser quand tu te portais bien ; tandisque je te dois beaucoup de reconnaissance pour tes pâles sourires de malade.O mon petit chéri ! mon petit aimé fait d'amour qui, dans tes souffrances, avais lecourage de me donner la joie de ton sourire.XVI. Souvenirs péniblesPourquoi suis-je si triste aujourd'hui et d'où vient que mon esprit est hanté desouvenirs pénibles ?C'est pourtant à toi que je pense, mon Pierrot joli. Mais je te vois si pâle, si dolent !Et je suis près de toi, si cruel !Tu es couché, tout vibrant de douleur, en ton petit lit. Et tu refuses de prendre lespotions ordonnées, et les quinquinas qui doivent soutenir ta faiblesse, et lesaliments qui doivent te donner la force de combattre la maladie.Pourtant le médecin a dit : « Faites-lui prendre, même par force. »Et j'hésite à te forcer parce que, d'habitude, tu es si gentil, si obéissant, tu fais sibien tout ce qu'on veut... Si tu te révoltes aujourd'hui, c'est que ça te fait mal sansdoute, ce qu'on te demande de faire.Et ta pauvre petite voix douloureuse, voilée, presque éteinte, me le dit si bien :« Papa, j'ai mal au gosier. De prendre, ça m'y fait encore plus mal. Je ne peux pasprendre. Papa, ne me force pas ! Ne fais pas mal à ton petit garçon que tuaimes ! »J'ai grand peine à ne pas pleurer. Pourtant je ne pleure pas. Et je ne cède pas à tessupplications qui me donnent envie de pleurer.Le médecin a dit : « Même par force ! » Je ne veux pas lui désobéir. Je ne veux paste laisser t'affaiblir contre le mal qui devient plus fort.Mais comment te forcer ?J'ai pris près de moi le gros tas de tes images que tu aimes tant, que tu regardes sisouvent, que tu embrasses, qui t'amusent, auxquelles tu souris. Et je te dis :— Bois, ou je les jette au feu.J'espère que la menace suffira.Mais non, la menace ne suffit pas. Et j'en jette une dans la cheminée. Tu pleures enla voyant flamber. Moi je la vois flamber, je te vois pleurer, et je retiens mes larmes.Et je prends mon air méchant :- Bois, ou je continue !Je brûle encore deux ou trois de ces pauvres images que tu aimes.Tu finis par céder. Tu bois en pleurant.Mais, dès que tu as bu, voilà que tu vomis la potion prise par force.Et je t'embrasse, mon pauvre petit, et je te dis que je t'achèterai des images, lesmêmes que j'ai brûlées, et d'autres plus jolies avec.Et tu m'embrasses sans rancune. Tu me dis :— Pardon, papa. Je t'ai fait du chagrin. Mais je ne pouvais pas boire, je ne pouvais! sapAh ! comme j'ai pleuré à mon aise dès que tu n'as plus pu me voir !Et moi qui me rappelle si volontiers tous tes souvenirs où je te vois, j'ai toujourschassé celui-là quand il est venu. Aujourd'hui je n'ai pas pu le chasser. Tout le jour, ilm'a torturé. Tout le jour, j'ai entendu ta pauvre voix presque éteinte qui demandaitgrâce, j'ai vu tes pauvres yeux qui pleuraient, et tes bras si maigres se tendre versla flamme où disparaissait — jeté par moi ! — quelque chose que tu aimais !
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