Renel coutume des ancetres
174 pages
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Charles Renel La coutume des ancêtres Bibliothèque malgache / 16 I LE MENEUR-DE-PIERRES Les hommes de la Terre-rouge accomplissaient sous le ciel clair l’œuvre monotone des jours. C’était la récolte finissante du premier riz. Dans presque toutes les rizières, asséchées déjà, les épis lourds gisaient ; dans d’autres, les hommes, de l’eau jus- qu’aux genoux, coupaient avec les longs couteaux le pied des tiges ; au flanc des collines, dans les aires rondes, des groupes de femmes battaient les gerbes, à grands coups alternés, sur les pierres polies, et d’un geste las jetaient la paille vidée de ses grains. Des pirogues noires, chargées de riz, avec un pagayeur nu debout à l’arrière, glissaient sur les canaux étroits vers le pied des montagnes où les Ancêtres avaient jadis établi leurs demeu- res. L’Imerne tout entière était en travail, depuis Tananarive- la-Haute jusqu’à l’Andrinnguitre pierreux qui barre de son arête dentelée l’horizon occidental. Sur un de ses derniers contreforts, le village d’Ankadivouribé, dont le nom veut dire le Grand- fossé-rond, cachait derrière une ceinture de cactus et de figuiers l’écroulement de ses masures. La tristesse des hautes maisons rouges aux toits de chaume gris, la mélancolie des murs ruinés, restes d’anciennes cases, étaient rendues plus saisissantes en- core par l’absence des habitants : tous, au Lieu-des-longues- pierres-plates, où l’on prend les dalles pour les maisons des morts, aidaient selon la coutume Ralambe, un des leurs, qui bâtissait un tombeau neuf pour ceux de sa Race. L’ancien, trop petit, ne pouvait plus contenir les cadavres, couchés depuis sept générations sur les lits de pierre. Une nuit, le père de la lignée, le fondateur de l’antique village, était apparu en songe à Ra- lambe son descendant ; il lui avait ordonné de construire, pour – 3 – les Ancêtres et les morts futurs, une Maison-froide plus vaste, et digne d’eux. L’excavation fut creusée, selon le rite, au penchant d’une colline, tout près du village, en un endroit abrité du vent ; les grandes dalles de pierre brute, tirées à force de bras, et amenées une à une jusqu’au tombeau, étaient mises en place. Seule res- tait la dernière, la plus lourde de toutes : on l’appelle la Pierre- mâle, et elle sert de toit pour couvrir le sommeil mystérieux des Morts. La veille, on avait fait éclater le rocher, en allumant des feux de bois et de bouse séchée, puis taillé grossièrement, en y enfonçant des coins, l’énorme dalle séparée de la masse. Par dessous s’insérèrent en guise de rouleaux des troncs d’arbres entiers, ébranchés et dépouillés de leur écorce. La pierre, liée de gros câbles de raphia, tirée à grands efforts avançait par à coups. Sur les pentes, les hommes tiraient pour la retenir, quand s’accélérait la vitesse ; aux montées, le village entier an- hélait, et à chaque pause se décourageait, devant une tâche ju- gée impossible. On était parvenu au bas de la côte, non loin des premières maisons, mais le tombeau, placé à mi-hauteur, semblait encore inaccessible. Depuis une heure, hommes et femmes s’épuisaient en vain. Malgré leurs efforts répétés et la tension douloureuse de leurs muscles, la dalle énorme ne bougeait pas plus que les blocs de gneiss sculptés par les eaux sur le sommet des monta- gnes, et demeures immuables des Esprits. Sur la dalle pesante, une canne d’ébène à la main, le Maî- tre-du-tombeau était monté ; enveloppé du riche lamba de soie qui devait, au jour fixé, lui servir de linceul, il excitait, de la voix et du geste, les hommes de la Race. Mais la pierre restait immo- bile, cependant que la sueur ruisselait sur les torses de bronze, et que les muscles des bras, contractés et raidis, saillaient sous les peaux luisantes. Ils s’arrêtèrent pour se reposer, s’étendirent par groupes dans le chaume jauni, sans souci du soleil torride ; le doux murmure des conversations humaines, dans la splen- – 4 – deur harmonieuse du midi, se mêlait au chant inlassable des cigales et au gai pépiement des alouettes. Ralambe, assis sur la pierre de son tombeau, regardait avec colère les hommes du village ; il s’indignait de leur apathie, me- surait de l’œil le chemin parcouru et celui qui restait à faire. Une inquiétude le tourmentait, à la pensée que peut-être la Pierre- mâle ne recouvrirait pas, avant le coucher du soleil, la future maison des Ancêtres. Il en ressentait d’avance une cruelle humi- liation pour les morts de sa Race, pour tous ceux qui, habitants de l’ancienne demeure, avaient souhaité d’en posséder une neuve, – pour lui-même, bâtisseur inhabile de la Maison-froide où il devait reposer, – pour ceux de plus tard, sortis de lui, qui viendraient grossir dans la suite des jours le nombre des ancê- tres vénérables. Alors se rappelant une fois de plus que son fils unique Ra- lahy ne lui avait pas encore donné d’enfants, il contempla ce dernier né de la Race avec une mélancolie tendre. C’était un bel exemplaire du type Houve : taille bien prise, mains longues et fines, pieds petits, jambes nerveuses de marcheur ; les yeux grands, très noirs, un peu froids ; le nez fortement accusé, sans être gros, les lèvres sensuelles, le menton volontaire, le front large et intelligent ; – les cheveux plats et le teint très clair de la peau, d’un ocre tirant sur le jaune, marquaient que les Ancêtres avaient toujours choisi leurs grandes épouses parmi les femmes libres. Ralahy, debout au milieu d’un groupe d’hommes pros- trés, semblait perdu dans une méditation triste. Ralambe la supposait pareille à la sienne : il suivit la direction des regards de son fils, vers les rizières, au pied de la colline. Le long du sen- tier rouge, trois femmes montaient, court-vêtues, le lamba roulé autour de la taille, portant sur la tête des vases ronds en terre brune, luisants d’eau. Il reconnut de suite celle qui marchait en avant, Ranoure la deuxième fille de la vieille Razafy, leur an- cienne voisine. Son cœur, de nouveau, fut triste. Cette Ranoure, il la détestait ; depuis plus d’un an elle vivait avec son fils, sans lui avoir donné jamais aucun espoir de paternité ; avant lui, elle avait connu beaucoup d’autres hommes, et à dix huit ans elle – 5 – n’était pas encore mère. Or Ralahy l’aimait, et le père avait peur qu’après l’essai rituel de la vie commune son fils ne la prît comme épouse. De qui naîtraient alors les descendants néces- saires pour retourner les Morts au mois Adaoure, dans le tom- beau de la famille ? Et devait-elle donc être vaine l’œuvre entre- prise par lui en ce jour, de fonder pour sa Race une maison- froide plus spacieuse, digne d’enfants des anciens Chefs ? Un sourire maintenant éclairait le visage de Ralahy, à voir la jeune femme, gracieuse et souple, venir vers lui ; un désir ai- gu, au souvenir de toutes les possessions passées, fit frémir sa chair. Il souhaitait que Ranoure regardât de son côté, pour ren- contrer ses yeux. Mais juste à ce moment elle s’arrêta, porta une main au rebord du vase de terre qu’elle maintint en équilibre, et, se détournant, elle contempla Tananarive, dont les cases au loin, sur la haute montagne, luisaient comme des grenades mû- res. D’obscures images de jalousie, une seconde, obsédèrent Ralahy. Ranoure, lentement, comme à regret, reprit sa marche vers le groupe des gens d’Ankadivouribé, et, à mesure qu’elle approchait, l’homme sentit tout son être pénétré de joie, comme la terre desséchée d’une rizière lorsqu’y revient l’eau, à la saison nouvelle. Le vieux houve n’avait rien perdu des impressions éprou- vées par son fils. Il se désolait de le voir absorbé par l’amour de cette femme au point de se désintéresser presque du labeur en- trepris pour les Ancêtres. Pour les satisfaire, il fallait que la tâ- che, ce soir même, fût terminée. Ses inquiétudes le reprirent. Mais la force de la Race était éparse dans cent corps répandus autour de la pierre : celle-ci, sous la poussée vivante, allait glis- ser vers sa destination sainte. Les hommes reposés se dressaient çà et là dans le chaume ; les femmes, drapées dans les lambas blancs, babillaient par groupes et les câbles de raphia, tordus comme des serpents, rampaient de la lourde dalle vers la fosse rouge creusée au flanc de la montagne. D’un bond Ralambe remonta sur la pierre, et, au milieu du silence de tous, prononça les paroles attendues : – 6 – – Enfants-anciens, descendants de l’Ancêtre vénérable qui veut aujourd’hui changer de tombeau, Hommes-sous-le-ciel, nés de femmes libres et non mariés hors de vos castes, ô mes parents, mes amis, je vous remercie de l’aide propice que vous apportez à mes desseins ! Sans vous il me serait aussi impossi- ble de reconstruire le tombeau des miens, qu’à une sauterelle isolée de dévorer la récolte d’un champ, ou à une seule pintade de tenir tête à un chien. « Nous savons par la sagesse des anciens que mille petits termites mettent à terre un grand arbre, et dans un conte il est dit que la tribu des perroquets brûla un jour le grand-père des caïmans, après l’avoir attiré sur une colline couverte d’herbes sèches. « Sommes-nous comme des esclaves, à qui leurs maîtres ont imposé une tâche trop lourde ? Voici que l’Œil-du-jour est plus qu’à moitié de sa course, et la partie la plus dure de notre travail nous reste encore à faire. Mais, je vous en supplie, évitez de vous fatiguer. Ce qu’une heure ne peut gagner, une autre l’apporte : reprenez cependant les cordes de raphia, et tirez sans efforts extrêmes, pour que le toit du tombeau aille se poser de lui-même sur les autres pierres préparées. » Or les paroles de Ralambe étaient feintes. C’était par sim- ple politesse qu’il adjurait ses parents de ne pas se fatiguer. Car il savait qu’un très gros effort serait nécessaire pour démarrer l’énorme masse. Les hommes, en silence, se levèrent, et s’attelèrent aux cor- des. Elles se tendirent comme les liens qui retiennent une piro- gue attirée par un fort cour
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