Les Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre
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E. T. A. Hoffmann — C o n t e sLes Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre1814Traductions de cette nouvelle :Les Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre par Gérard de Nerval, 1830(inachevée)Les Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre par Henry Egmont, 1840Les Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre (tr. Nerval)LES AVENTURESDE LA NUIT DE SAINT-SYLVESTREConte inédit d’Hoffman.AVANT-PROPOS.Le voyageur enthousiaste dont l’album nous fournit cette fantaisie à la manière de Callot sépare visiblement si peu sa vie intérieurede sa vie extérieure, qu’on aurait peine à indiquer d’une manière distincte les limites de chacune ; mais, comme il est vrai que toi-même, bienveillant lecteur, tu n’as point de ces limites une idée bien précise, notre visionnaire te les fera peut-être franchir à ton insu,et ainsi tu te trouveras lancé tout à coup dans une région étrange et merveilleuse, dont les mystérieux habitants s’introduiront peu àpeu dans ta vie extérieure et positive ; de sorte que vous serez bientôt ensemble à tu et à toi, comme de vieux compagnons.Accepte-les pour tels, et accommode-toi à leurs allures, de manière à supporter sans peine les légers saisissements que leurcommerce immédiat pourra quelquefois te causer : je t’en prie de toutes mes forces, bienveillant lecteur. Que puis-je faire de pluspour le voyageur enthousiaste à qui sont arrivées déjà, en divers lieux, et particulièrement à Berlin, dans la soirée de la Saint-Sylvestre, tant de singulières et ...

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E. T. A. Hoffmann — ContesLes Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre4181Traductions de cette nouvelle :Les Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre par Gérard de Nerval, 1830(inachevée)Les Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre par Henry Egmont, 1840Les Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre (tr. Nerval)LES AVENTURESDE LA NUIT DE SAINT-SYLVESTREConte inédit d’Hoffman.AVANT-PROPOS.Le voyageur enthousiaste dont l’album nous fournit cette fantaisie à la manière de Callot sépare visiblement si peu sa vie intérieurede sa vie extérieure, qu’on aurait peine à indiquer d’une manière distincte les limites de chacune ; mais, comme il est vrai que toi-même, bienveillant lecteur, tu n’as point de ces limites une idée bien précise, notre visionnaire te les fera peut-être franchir à ton insu,et ainsi tu te trouveras lancé tout à coup dans une région étrange et merveilleuse, dont les mystérieux habitants s’introduiront peu àpeu dans ta vie extérieure et positive ; de sorte que vous serez bientôt ensemble à tu et à toi, comme de vieux compagnons.Accepte-les pour tels, et accommode-toi à leurs allures, de manière à supporter sans peine les légers saisissements que leurcommerce immédiat pourra quelquefois te causer : je t’en prie de toutes mes forces, bienveillant lecteur. Que puis-je faire de pluspour le voyageur enthousiaste à qui sont arrivées déjà, en divers lieux, et particulièrement à Berlin, dans la soirée de la Saint-Sylvestre, tant de singulières et folles aventures ?I. — LA BIEN-AIMÉE.J’avais la mort dans l’âme, la froide mort, et je croyais sentir comme des glaçons aigus s’élancer de mon cœur dans mes veinesardentes. Égaré, je me précipitai, sans manteau, sans chapeau, au sein de la nuit épaisse, orageuse. Les girouettes grinçaient ; ilsemblait que l’on entendît se mouvoir les rouages éternels et formidables du temps, comme si la vieille année allait, telle qu’un poidsénorme, se détacher et rouler sourdement dans l’abîme. Tu sais bien que cette époque, Noël et le nouvel an, que vous accueillez,vous, avec une satisfaction calme et pure, vient toujours me précipiter, hors de ma paisible demeure, dans les flots d’une merécumante et furieuse.Noël !… ce sont des jours de fête dont l’éclat aimable me séduit longtemps d’avance ; à peine puis-je les attendre. Je suis meilleur,plus enfant que tout le reste de l’année ; mon cœur ouvert à toutes les joies du ciel ne peut nourrir aucune pensée noire ou haineuse ;je redeviens un jeune garçon, avec sa joie vive et bruyante. Parmi les étalages bigarrés, éclatants, des boutiques de Noël, je vois desfigures d’ange me sourire, et, à travers le tumulte des rues, les soupirs de l’orgue saint m’arrivent comme de bien loin ; car un enfantnous est né ! Mais, la fête achevée, tout ce bruit s’abat, tout cet éclat se perd dans une sourde obscurité. À chaque année, toujoursdes fleurs qui se flétrissent, et dont le germe se dessèche, sans espoir qu’un soleil de printemps ranime jamais leurs rameaux !Certes, je sais fort bien cela ; mais unepuissance ennemie, chaque fois que l’an touche à sa fin, ne manque jamais de me le rappeler avec une satisfaction cruelle. « Vois,murmure-t-elle à mon oreille, vois combien de plaisirs, cette année, t’ont abandonné pour toujours ! Mais aussi tu es devenu plussage, tu n’attaches désormais aucun prix à des divertissements frivoles ; te voilà de plus en plus un homme grave, un homme sansplaisirs. »Le diable me réserve toujours pour le soir de la Saint-Sylvestre un singulier régal de fête : il prend bien son temps, puis s’en vient,avec un rire odieux, déchirer mon sein de ses griffes aiguës et se repaître du plus pur sang de mon cœur. Il se sert, à cet effet, de toutce qui se présente ; témoin hier encore le conseiller de justice, qui se trouva être l’instrument qu’il lui fallait. Il y a toujours chez lui (chezle conseiller) grande réunion le soir de la Saint-Sylvestre ; il a la fureur, alors, de vouloir ménager à chacun une surprise agréable pourla nouvelle année, et s’y prend d’une manière si gauche et si stupide, que tous les plaisirs qu’il avait imaginés, à grand-peine,
aboutissent d’ordinaire à un désappointement ridicule et pénible. Dès que j’entrai dans l’antichambre, le conseiller de justice se hâtade venir à ma rencontre, m’arrêtant à la porte du sanctuaire, d’où partaient les vapeurs du thé accompagnées de parfums exquis ; ilsourit d’une façon singulière et me dit, avec tout l’air de finesse bienveillante qu’il put se donner :« Mon bon ami, mon bon ami, quelque chose de délicieux vous attend dans le salon !… une surprise admirable, digne de la bellesoirée de la Saint-Sylvestre. N’allez pas vous effrayer ! »Ces mots me tombèrent lourdement sur le cœur ; de sombres pressentiments s’en élevèrent, et je me sentis cruellement oppressé.Les portes s’ouvrirent, je me précipitai rapidement dans le salon, et, sur le sofa, au milieu des dames, son image radieuse s’offrit àmoi. C’était elle !… elle-même, que je n’avais point vue depuis tant d’années ! Tous les heureux moments de ma vierepassèrent soudain dans mon âme comme un éclair rapide et puissant. Plus d’éloignement funeste ! bien loin même l’idée d’uneséparation nouvelle !Par quel hasard merveilleux se trouvait-elle de retour ? quel rapport existait-il entre elle et la société du conseiller, qui ne m’avaitjamais appris qu’il la connût ? Je ne m’arrêtai point un instant à ces pensées… Je la retrouvais enfin !Immobile, tel qu’un homme frappé de la foudre, voilà comme j’étais sans doute.Le conseiller me poussa doucement :« Allons, mon ami, mon ami ! »Machinalement, je m’avançai ; mais je ne voyais qu’elle, et de mon sein oppressé ces mots purent s’échapper à peine.« Mon Dieu ! mon Dieu ! Julie ici ! »J’étais auprès de la table à thé ; ce fut alors seulement que Julie m’aperçut. Elle se leva et me dit, du ton qu’on parlerait à unétranger :« Je me réjouis beaucoup de vous rencontrer ici. Votre santé paraît bonne ! »Puis elle se rassit, et, s’adressant à une dame auprès d’elle :« Aurons-nous au théâtre quelque chose d’intéressant la semaine qui vient ? »Tu t’approches d’une fleur charmante qui éclatait à tes yeux au milieu de parfums suaves et voluptueux ; mais, au moment où tu tepenches pour en admirer les vives couleurs, voilà qu’un froid et venimeux basilic s’élance de sa corolle enflammée pour te lancer lamort avec ses yeux perfides… C’est ce qui venait de m’arriver. Je saluai gauchement les dames, et, pour ajouter encore le ridicule àma profonde douleur, je coudoyai, en me retournant rapidement, le conseiller de justice, qui se trouvait derrière moi, et lui jetai horsdes mains une tasse de thé fumant sur son jabot admirablement bien plissé ; on rit de l’infortune du conseiller et plus encore de mamaladresse. Ainsi tout, ce soir-là, tendait à me rendreexcessivement bouffon, et je me résignai, en homme, à ma destinée. Julie n’avait point ri ; mes regards égarés rencontrèrent lessiens, et ce fut comme si un rayon du bonheur d’autrefois, de cette vie toute d’amour et de poésie, revenait me sourire encore.Quelqu’un qui commença à improviser sur le piano, dans la chambre voisine, mit alors en mouvement toute la société. C’était, disait-on, un virtuose étranger, nommé Berger, qui jouait divinement, et à qui l’on devait toute son attention.« Ne fais donc pas sonner ainsi ta cuiller à thé, Mimi ! » s’écria le conseiller.Et, inclinant légèrement la main du côté de la porte, il invita les dames avec un agréable « Eh bien ? » à s’approcher du virtuose. Julieaussi s’était levée et se dirigeait lentement vers la salle voisine. Tout en elle avait pris je ne sais quel caractère étrange ; il me semblaqu’elle était plus grande qu’autrefois et que ses formes s’étaient développées de manière à ajouter merveilleusement à sa beauté. Lacoupe singulière de sa robe blanche et surchargée de plis, qui ne couvrait qu’à moitié sa gorge, son dos et ses épaules ; ses vastesmanches, qui se rétrécissaient aux coudes, sa chevelure séparée sur le front et répandue derrière sa tête en tresses multipliées, luidonnaient quelque chose d’antique ; elle rappelait les vierges des peintures de Miéris ; et pourtant il me semblait avoir vu quelquepart, de mes yeux bien ouverts, cet être en qui Julie s’était transformée. Elle avait ôté ses gants, et rien ne lui manquait, pas même lesbracelets d’un merveilleux travail, attachés au-dessus de la main, pour ressembler complètement à cette image d’autrefois, quim’assaillait toujours plus vivante et plus colorée.Julie se tourna vers moi avant d’entrer dans le salon voisin, et je crus m’apercevoir que cette figure angélique, jeune et pleine degrâce, se contractait dans une amère ironie : quelque chose d’horrible, de délirant, s’empara de moi et fit frémir convulsivement tousmes nerfs.« Oh ! il joue divinement bien ! » murmura une demoiselle, animée par une tasse de thé bien sucré.Et je ne sais comment il se fit que son bras se trouva passé dans le mien, et je la conduisis, ou plutôt elle m’entraîna dans la sallevoisine. Berger faisait alors mugir le plus furieux ouragan ; ses accords puissants s’élançaient et retombaient comme les vaguesd’une mer en furie : cela me fit du bien. Julie se trouvait à mon côté et me disait de sa voix d’autrefois, la plus douce et la plus tendre :« Je voudrais te voir au piano, chantant l’espérance et le bonheur qui sont passés ! »
L’ennemi s’était retiré de moi, et dans ce seul mot : Julie, j’aurais voulu exprimer toute la félicité du ciel qui me revenait. D’autrespersonnes, en passant entre nous, m’éloignèrent d’elle. Il était clair qu’elle m’évitait maintenant ; mais je parvins tantôt à respirer sadouce haleine, tantôt à effleurer son vêtement, et l’aimable printemps, que j’avais cru à jamais passé, ressuscitait, paré de couleurséclatantes. Berger avait laissé s’abattre la tempête ; le ciel s’était éclairci, et, semblables aux petits nuages dorés du matin, devaporeuses mélodies nageaient mollement dans le pianissimo.Le virtuose reçut, en terminant, des applaudissements unanimes et bien mérités ; puis l’assemblée se mêla confusément, de sorteque je me retrouvai auprès de Julie. J’avais l’esprit animé, je voulus la saisir, l’embrasser, dans le transport de ma douloureusepassion ; mais la maudite figure d’un valet importun surgit tout à coup entre nous deux.« Peut-on vous offrir ?… » nous dit-il d’une voix désagréable, en présentant un vaste plateau.Au milieu des verres, remplis d’un punch fumant, s’élevait une coupe artistiquement ciselée, remplie de la même liqueur, à ce qu’ilparaissait. Comment cette coupe se trouva parmi ces verres, c’est ce que sait mieux que moi celui que j’apprends de plus en plus àconnaître ; celui qui, en marchant, décrit toujours avec son pied, commeClément dans Octavien, des crochets fort bizarres, et qui aime par dessus tout les manteaux rouges et les plumes rouges. Julie pritcette coupe ciselée, qui brillait d’un éclat singulier, et me l’offrit en disant :« Recevras-tu encore ce breuvage de ma main aussi volontiers qu’autrefois ?— Julie ! Julie ! » m’écriai-je en soupirant.Et, saisissant la coupe, j’effleurai ses doigts délicats ; des étincelles électriques pétillèrent en parcourant mes artères et mes veines.Je buvais et je buvais toujours : il me semblait que de petites langues de feu bleuâtre voltigeaient à la surface du verre et autour demes lèvres. La coupe était vidée, et j’ignore moi-même comment il se fit que je me trouvai dans un cabinet éclairé par une lamped’albâtre, assis sur une ottomane, et Julie ! Julie à mes côtés, qui me souriait avec son regard d’enfant… comme autrefois !…Berger s’était remis au piano : il jouait Vanclante de la sublime symphonie en mi bémol de Mozart, et, enlevée sur les ailespuissantes de l’harmonie, mon âme retrouvait ses plus beaux jours d’amour et de bonheur… Oui, c’était Julie ! Julie elle-même, belleet douce comme les anges ! Notre entretien, complainte d’amour passionnée, avait plus de regards que de paroles ; sa main étaitdans la mienne.« Désormais je ne te quitte plus ; ton amour est l’étincelle qui va rallumer en moi une vie plus élevée dans l’art et dans la poésie : sanstoi, sans ton amour tout est froid, tout est mort ! Mais n’es-tu donc pas revenue afin de m’appartenir pour toujours ?… »En ce moment, il entra, en se dandinant lourdement, une longue figure, aux jambes d’araignée, avec des yeux sortant de la tètecomme ceux des grenouilles, qui, souriant d’un air coquet, criait de sa petite voix aigre :« Mais où diantre est donc restée ma femme ? »Julie se leva et me dit, d’un ton de voix qui n’était plus la sienne :« Retournons vers la compagnie ; mon mari me chercherche. Vous avez été encore fort amusant, mon cher ami : c’était toujours la même humeur fantasque et capricieuse qu’autrefois ;seulement, ménagez-vous sous le rapport de la boisson. »Et le petit-maître aux jambes d’araignée lui prit la main ; elle le suivit, en riant, dans le salon.« Perdue à jamais ! » m’écriai-je.« Eh ! sans doute, Codille, mon cher ! » observa une bête qui jouait à l’ombre.Je me précipitai dehors… dehors, dans la nuit orageuse !…II. — LA SOCIÉTÉ DANS LE CABARET.Il peut être fort agréable de se promener de long en large sous les tilleuls, mais non pas dans la nuit de la Saint-Sylvestre, par un froidpénétrant et une neige battante. C’est une réflexion que je fis, étant nu-tête et sans manteau, quand je sentis un vent glacé enveloppermon corps tout brûlant de fièvre. Je traversai dans cet état le pont de l’Opéra, et, passant devant le château, je me détournai et prispar le pont des Écluses en laissant la Monnaie derrière moi.J’arrivai dans la rue des Chasseurs, près du magasin de Thiermann : les appartements étaient fort bien éclairés ; j’allais entrer, carj’étais transi de froid, et je sentais le besoin de m’abreuver à longs traits de quelque liqueur forte. En ce moment, une société, toutanimée d’une joie bruyante, se précipita hors de la maison : ils parlaient d’huîtres superbes et de l’excellent vin de la comète de 1811.« Il avait bien raison, s’écria l’un d’eux, que je reconnus pour un officier supérieur des uhlans, celui qui, l’an passé, à Mayence, pestaitcontre ces faquins d’aubergistes qui n’avaient pas voulu absolument, en 1794, lui servir de leur vin de 1811. »Tous riaient à gorge déployée. J’étais allé involontairement quelques pas plus loin, et je me trouvai devant un
cabaret éclairé d’une seule lumiôre. Le Henri V de Shakspeare ne se vit-ii pas réduit un jour à un tel degré de lassitude et d’humilité,que la pauvre créature nommée Petite Bière lui vint à l’esprit ? Dans le fait, pareille chose m’arriva : j’avais soif d’une bouteille debonne bière anglaise, et je descendis rapidement dans le cabaret.« Que désirez-vous ? » dit l’aubergiste s’avançant d’un air agréable et la main à son bonnet.Je demandai une bouteille de bonne bière anglaise, avec une pipe d’excellent tabac, et je me trouvai bientôt dans une quiétude sisublime, que force fut au diable lui-même de me respecter et de me laisser quelque repos. — Oh ! conseiller de justice ! si tu m’avaisvu, au sortir de ton brillant salon, dans un obscur cabai-et, buvant, au lieu de thé, de la petite bière, tu te serais détourné de moi avecun orgueilleux dédain.« Est-il donc étonnant, aurais-tu murmuré, qu’un pareil homme soit dans le cas de ruiner les jabots les plus délicieux ? ))Sans chapeau, sans manteau, je devais être pour ces gens un sujet d’étonnement. L’hôte avait une question sur les lèvres, quand onfrappa à la fenêtre ; une NOix cria d’en haut :« Ouvrez, ouvrez, me voici ! »L’hôte se hâta de monter et rentra bientôt, élevant dans ses mains deux flambeaux ; un homme fort grand et fort maigre descenditaprès lui. En passant sous la porte fort basse, il oublia de se baisser et se heurta assez rudement ; mais un bonnet noir, en forme debarette, qu’il portait, le préserva de tout accident. Il eut soin de passer le plus pi’ès possible de la muraille et s’assit en face de moi,pendant que l’on plaçait les lumières sur la table. On pouvait bien dire de lui qu’il avait un air distingué et mécontent : il demanda, d’unton de mauvaise humeur, une pipe et de la bière, et à peine avait-il rendu quelques bouffées de tabac, qu’un nuage épais de fuméenous enveloppa. Sa figure avait, au reste, quelque chose de si caractéristique et de si attrayant, (jue j’en fus charmé toutd’abord, malgré sa mine sombre. Sa chevelure noire et épaisse, séparée sur son front, se répandait des deux côtés en une profusionde petites boucles, ce qui lui donnait quelque ressemblance avec les portraits de Rubens. Quand il se fut débarrassé de son vastemanteau, je m’aperçus qu’il était vêtu d’un kurtka noir avec des tresses nombreuses ; mais ce qui me surprit davantage, c’est qu’ilportait, par-dessus ses bottes, de fort belles pantoufles. Je remarquai cela pendant qu’il secouait sa pipe, fumée en cinq minutes.Notre conversation avait peine à se lier ; l’étranger semblait très-préoccupé d’un grand nombre de plantes singulières qu’il avaittirées d’un étui, et qu’il examinait avec soin. Je lui témoignai mon étonnement de voir d’aussi belles plantes, et lui demandai, commeelles paraissaient toutes fraîches, s’il les avait recueillies au jardin botanique ou chez Boucher. Il sourit d’une manière assez étrangeet répondit :« Vous ne me paraissez pas fort sur la botanique ; autrement, vous ne m’auriez point aussi… »Il hésita ; j’ajoutai à demi-voix :« Sottement…— Questionné, termina-t-il d’un ton de franchise bienveillante. Vous auriez, poursuivit-il, reconnu, du premier coup d’œil, que ce sontlà des plantes alpestres qui ne croissent que sur le Chimboraço. »L’étranger prononça ces mots presque à voix basse ; je te laisse à penser s’ils me causèrent une singulière émotion. Les questionsexpiraient sur mes lèvres ; mais une sorte de pressentiment s’élevait en moi, et je me figurai que, si je n’avais pas vu souventl’étranger, je l’avais du moins rêvé.On frappa de nouveau à la fenêtre ; l’hôte ouvrit, et une voix cria :« Ayez la bonté de couvrir votre miroir !— Ah ! ah ! dit l’hôte, c’est le général Souvorov, qui vient bien tard ! »L’hôte couvrit son miroir, et aussitôt sauta, avec une rapidité assez maladroite, ou mieux avec une légèretéassez pesante, un petit homme grêle, enveloppé d’un manteau d’une couleur brune singulière, qui formait mille plis et un grandnombre d’autres plus petits encore et flottant autour de sa taille d’une manière si étrange, qu’à la lueur du flambeau, on eût cru voirplusieurs formes se déployer et se replier sur elles-mêmes comme dans les fantasmagories d’Eusler. Il se mit à frotter ses mains,cachées dans ses longues manches, et s’écria :« Froid ! froid ! oh ! qu’il fait froid !… En Italie, c’est bien différent ! bien différent !… »Il finit par prendre place entre moi et mon grand voisin, disant :« Cette fumée est insupportable !… Tabac contre tabac !… Si j’avais une prise seulement ! »La tabatière de métal poli dont tu m’avais fait cadeau se trouvait dans ma poche ; je la tirai afin d’offrir du tabac au petit étranger. Àpeine l’aperçut-il, qu’il la repoussa violemment des deux mains, en s’écriant :« Loin ! bien loin cet odieux miroir !… »Sa voix avait quelque chose d’effrayant, et, quand je le regardai, tout étonné, il était entièrement différent de ce qu’il m’avait parud’abord. Il avait sauté dans la salle avec une physionomie agréable et toute jeune ; mais il présentait maintenant le visage ridé, pâlecomme la mort, d’un vieillard aux yeux caves.
Saisi d’effroi, je m’élançai vers le plus grand des deux étrangers.« Au nom du ciel, regardez donc ! » allais-je m’écrier.Mais lui, absorbé dans l’examen de ses plantes, n’avait rien vu de ce qui venait de se passer, et, dans le même instant, le petit cria :« Vin du Nord ! » avec son ton un peu précieux.Bientôt l’entretien commença entre nous ; le petit me déplaisait assez, mais le grand savait parler sur les choses les moinsimportantes en apparence avec beaucoup de profondeur et d’agrément, quoiqu’il eût à lutter sans cesse contre une langue qui n’étaitpas la sienne, et qu’il se servît souvent de mots impropres ; ce qui, du reste,donnait à son langage une originalité piquante ; de sorte que, tout en m’inspirant pour lui-même un sentiment d’estime et d’amitié, ilaffaiblissait aussi l’impression désagréable que le petit homme m’avait fait éprouver.Ce dernier semblait supporté par des ressorts, car il s’agitait çà et là sur sa chaise, gesticulant beaucoup des mains ; — mais unesueur glacée découla de mes cheveux sur mon dos, quand je m’aperçus clairement qu’il me regardait avec deux visages différents ;et surtout il considérait souvent, avec son vieux visage, quoique moins horriblement qu’il ne m’avait fixé d’abord, l’autre étranger, dontl’air paisible contrastait avec sa perpétuelle mobilité.Dans cette mascarade de notre vie d’ici-bas, souvent l’esprit regarde avec des yeux pénétrants au travers des masques et reconnaîtceux qui sont de sa famille ; c’est de cette manière que, si différents du reste des hommes, nous nous regardâmes et nousreconnûmes tous trois dans ce cabaret. Dès lors, notre entretien prit ce caractère sombre qui ne convient qu’aux âmes blessées àmort pour jamais.« C’est encore un clou dans cette vie, dit le grand.— Oh Dieu ! repris-je, le diable n’en a-t-il pas enfoncé partout à notre intention ? Dans les murs de nos demeures, dans les bosquets,dans les buissons de roses… Où pouvons-nous passer sans y laisser accroché quelque lambeau de nous-mêmes ? Il semble, mesdignes compagnons, que nous ayons tous perdu quelque chose de cette manière : moi, par exemple, il me manque, cette nuit, monmanteau et mon chapeau ; tous deux sont pendus à un clou, dans l’antichambre du conseiller de justice, comme vous savez bien. »Le petit homme et le grand tressaillirent à la fois, comme frappés du même coup à l’imprévu : le petit me regarda en grimaçant avecsa plus laide figure ; puis, sautant rapidement sur une chaise, il alla raffermir la toile qui couvrait le miroir, pendant que l’autremouchait les chandelles avec soin.Notre entretien eut peine à se renouer ; nous en vînmescependant à parler d’un jeune peintre fort distingué, nommé Philippe, et du portrait d’une princesse qu’il avait exécuté admirablement,inspiré dans son œuvre par le génie de l’amour et par cet ineffable désir des choses d’en haut qu’il avait puisé dans l’âmeprofondément religieuse de celle qu’il aimait.« Il est tellement ressemblant, dit le plus grand étranger, que c’est moins son portrait que le reflet de son image.— C’est vrai ! m’écriai-je, on le dirait volé dans un miroir ! »Le petit homme se leva tout d’un coup, me regarda furieusement avec son vieux visage, dont les yeux lançaient du feu.« Cela est absurde ! s’écria-t-il, cela est insensé ! Qui pourrait dérober une image dans un miroir ?— Qui le pourrait ? Le diable, peut-être, à votre avis ?— Ho ! ho ! frère, celui-là brise la glace avec ses lourdes griffes, et les mains blanches et frêles d’une image de femme se couvrentde blessures et de sang. Ha ! ha ! montre-moi l’image… l’image volée dans un miroir, et je fais devant toi le saut de carpe de milletoises de haut. Entends-tu, misérable drôle ? »Le grand se leva à son tour, s’avança vers le petit, et lui dit :« Ne faites donc pas tant d’embarras, mon ami, ou vous vous ferez jeter du bas de l’escalier en haut. Je crois, du reste, que votrereflet, à vous, est dans un misérable état.— Ha ! ha ! ha ! s’écria le petit en riant dédaigneusement et avec une sorte de frénésie ; ha ! ha ! ha ! crois-tu ?… crois-tu ?… J’ai dumoins encore ma belle ombre ! pitoyable faquin, j’ai encore mon ombre ! »À ces mots, il sauta hors du cabaret, et nous l’entendîmes encore qui éclatait de rire et criait dans la rue :« J’ai encore mon ombre !… mon ombre ! »Le grand était retombé, anéanti et tout blême, sur sachaise, la tête dans ses deux mains, et sa poitrine oppressée exhalait à grand’ peine un profond soupir.« Qu’avez-vous ? lui demandai-je avec intérêt.— Oh ! monsieur, ce vilain homme qui a si mal agi avec nous, qui m’a relancé jusque dans ce cabaret, ma retraite ordinaire, oùj’aime à rester seul, à peine visité de temps à autre par quelque gnome qui vient s’accroupir sous la table et grignoter quelques
miettes de pain ; ce méchant homme m’a replongé dans ma plus cruelle infortune… Hélas ! j’ai perdu, à jamais perdu mon…Adieu ! »Il se leva et traversa le caveau pour sortir : tout restait éclairé autour de lui ; il ne projetait aucune ombre. Je m’élance à sa poursuiteavec transport.« Pierre Schlemihl ! Pierre Schlemihl ! » m’écriai-je tout joyeux.Mais il avait jeté ses pantoufles ; je le vis enjamber par-dessus la caserne des gendarmes, et disparaître dans l’obscurité.Lorsque je voulus rentrer dans le caveau, l’hôte me jeta la porte au nez en s’écriant :« Le bon Dieu me garde de pareils hôtes ! »Ernst Theodor Amadeus HoffmannLes Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre (tr. Egmont)LES AVENTURES DE LA NUIT DE SAINT-SYLVESTREtirées du journal d’un voyageur enthousiasteTraduit par Henry EgmontAvant-propos de l’ÉditeurLe Voyageur enthousiaste, dont on nous communique ce morceau de fantaisie à lamanière de Callot, extrait de son journal, met évidemment si peu de différence entresa vie intellectuelle et sa vie positive, qu’on peut à peine distinguer la limite qui lessépare. Mais cette limite n’étant guère mieux déterminée dans ton esprit, lecteurbénévole, il se pourra bien qu’entraîné malgré toi par l’auteur visionnaire dans lesrégions fantastiques de la magie, tu voyes inopinément mille figures étranges venirs’associer à ta vie réelle, et te traiter sans façon aussi familièrement que de vieillesconnaissances. Veuille les accueillir avec la même franchise que s’il en était ainsi,et te soumettre absolument à leur influence merveilleuse, sans même t’irriter despetits frissons fébriles que pourraient te causer leurs procédés surnaturels ; je t’enprie de tout mon cœur, lecteur bénévole ! Que puis-je faire de plus en faveur duVoyageur Enthousiaste à qui il est arrivé décidément partout, et à Berlin encoredurant la nuit de Saint-Sylvestre, tant de choses extraordinaires et inconcevables ?1I. La Bien-AiméeJ’avais la mort, la mort glaciale dans le cœur. Je croyais sentir dans tout mon êtremes veines brûlantes transpercées par des glaçons aigus. Je me précipitaiimpétueusement dehors, malgré les ténèbres de la nuit et de l’orage, sans songer àprendre mon chapeau ni mon manteau. — Les girouettes des édifices craquaientavec des sons plaintifs ; il semblait qu’on entendit le grondement terrible desrouages éternels que fait mouvoir le temps, alors que la vieille année va s’engloutiren roulant sourdement, telle qu’un pesant fardeau, dans le sombre abîme du passé.Tu sais, ami, que le retour de ces fêtes de Noël et du nouvel an, qui vous inspire àtous tant de joie et de franche allégresse, m’arrache invariablement à ma paisibleretraite pour me jeter à la merci d’une mer houleuse et mugissante. Noël ! ce sontdes jours bénis qui depuis long-temps brillent à mes yeux d’une clarté propice : jeles attends avec une impatience sans égale ; je deviens meilleur, plus ingénu quependant tout le reste de l’année ; mon âme, pleine d’un pur sentiment de voluptécéleste, ne nourrit plus aucune pensée sombre ni haineuse ; je redeviens un enfantenivré de plaisir. De gracieux visages d’anges me sourient du milieu des figurinesbigarrées et dorées qui garnissent les boutiques resplendissantes de la Noël ; et àtravers le bruit confus de la foule, j’entends retentir, comme à une grande distance,les merveilleux accords des orgues saints. Car il nous est né un enfant !
Mais après la fête tout redevient morne et silencieux, et à ces vives splendeurssuccède une triste obscurité. Chaque année les fleurs fanées s’accumulent de plusen plus à nos pieds : leur germe est mort pour l’éternité, aucun soleil de printempsne viendra ranimer d’une vie nouvelle leurs tiges desséchées. — Je le sais fortbien, mais l’esprit malin trouve une joie secrète à m’en rabattre ironiquement lesoreilles chaque fois que l’année approche de son déclin. Vois, murmure-t-il toutbas, combien de jours encore ont fui loin de toi pour ne jamais revenir ; mais enrevanche aussi te voilà devenu plus raisonnable, et tu ne fais plus grand cas engénéral des vains plaisirs du monde ; chaque jour au contraire te rend plus grave,plus posé, — tout-à-fait maussade !En outre, pour la nuit de Saint-Sylvestre, le Diable me réserve toujours quelqueaubaine particulière. Il s’entend à m’enfoncer à point nommé et avec une affreuseironie sa griffe acérée dans la poitrine, pour repaître sa vue du sang qui jaillit demon cœur. Partout il trouve aide et assistance : c’est ainsi qu’hier le conseiller dejustice le seconda merveilleusement. Il y a toujours chez lui (chez le conseiller dejustice s’entend) grande réunion le soir de la Saint-Sylvestre ; et le cher hommes’applique, en l’honneur du nouvel an, à faire jouir chacun de ses hôtes d’unesatisfaction particulière ; mais il s’y prend d’une manière si gauche et si ridicule quetoujours ses pénibles préparatifs de plaisir aboutissent à un désappointementcomique.Dès que je parus dans l’antichambre, le conseiller s’élança vivement à marencontre, et me barra la porte du sanctuaire, d’où s’échappait une vapeur odorantede thé et de parfums délicats. Il avait un air affecté de maligne satisfaction, et,m’adressant un sourire tout-à-fait étrange, il me dit : « Mon cher ami ! mon cherami ! quelque chose de délicieux vous attend dans le salon, une surprise sanspareille pour cette chère soirée de la Saint-Sylvestre… Mais ne vous effrayezpas ! » — Je fus consterné ; de sombres pressentiments vinrent m’assaillir, j’avaisl’esprit inquiet et le cœur serré : la porte s’ouvrit, j’avançai à la hâte… j’entrai.Au milieu des dames assises sur le sopha, ses traits ravissants m’apparurent :c’était elle ! — elle-même, que je n’avais pas vue depuis bien des années. Lesouvenir pénétrant des plus beaux jours de ma vie rayonna au fond de mon âmed’une brillante clarté. Plus de mortel abandon ! toute idée de séparation entre nousà jamais proscrite !… Par quel merveilleux hasard elle était venue là, quelévénement avait pu l’amener dans la société du conseiller de justice, dont je ne merappelais nullement qu’elle eût jamais fait partie : c’est à quoi je ne pensai mêmepas. — Elle m’était rendue !…Il faut que je sois resté sottement immobile et comme frappé par la baguette d’unenchanteur ; car le conseiller, me poussant doucement, me dit : « Eh bien, cherami ! eh bien ? » J’avançai machinalement, mais je ne voyais qu’elle, et de mapoitrine oppressée s’échappèrent péniblement ces mots : « Mon Dieu, mon Dieu !Julie ici ? » — J’étais tout près de la table à thé, alors seulement Julie m’aperçut.Elle se leva et dit d’un ton presque indifférent : « Je suis ravie de vous voir ici. —Vous avez l’air bien portant ! » Après quoi elle se rassit ; et se penchant vers ladame assise auprès d’elle : « Pouvons-nous, demanda-t-elle, compter sur unspectacle intéressant pour la semaine prochaine ? » —Tu t’approches d’une fleur magnifique et chérie qui t’attire avec son suave parfum ;mais au moment où tu te baisses pour admirer de plus près son éclat et safraicheur, un basilic froid et luisant s’élance de son brillant calice, et te menace deses regards meurtriers ! — C’est ce qui venait de m’arriver.Je m’inclinai gauchement devant les dames ; et pour que le ridicule vint se joindre àla déception, en me reculant précipitamment, je heurtai le conseiller, qui étaitimmédiatement derrière moi, et sa tasse de thé bouillant inonda son jabotcoquettement plissé. On rit beaucoup du guignon du conseiller, et plus encore sansdoute de ma maladresse. Tout semblait donc conspirer pour ma fatalité ; mais jerepris contenance avec un désespoir résigné. Julie n’avait pas ri, mes regardségarés la frappèrent, et il me sembla voir rayonner vers moi un coup d’œil expressifplein d’un passé délicieux, respirant toute une vie d’amour et de poésie !Quelqu’un alors commença à improviser sur le piano dans le salon voisin, ce qui mittoute la société en mouvement. On disait que c’était un célébre virtuose étranger,nommé Berger, qui jouait divinement, et qu’il fallait religieusement écouter. « Nefais donc pas un bruit si abominable avec les cuillers à thé, Minette ! » Tout enparlant ainsi et en indiquant la porte d’un geste engageant, le conseiller, avec undoucereux « eh bien ! » provoquait les dames à s’approcher davantage du virtuose.Julie aussi s’était levée et se dirigeait lentement vers la pièce voisine. Je trouvaitoute sa personne transformée pour ainsi dire, elle me parut plus grande, plus
formée, oui, plus riche d’attraits et de séductions qu’autrefois. La coupe particulièrede sa robe blanche flottant autour de sa taille en plis abondants, et laissant à demi-découverts son dos, sa gorge et ses épaules, avec des manches amples etbouffantes, fendues à la hauteur du coude ; ses cheveux symétriquement séparéssur son front, et par derrière nattés en tresses nombreuses bizarremententrelacées ; tout cela lui donnait un certain caractère antique : elle me faisaitpresque l’effet d’une madone d’un des tableaux de Miéris. — Et cependant il mesemblait en outre que j’avais vu positivement quelque part de mes propres yeuxcelle dont Julie m’offrait en ce moment l’image. Elle avait ôté ses gants, et,jusqu’aux bracelets précieux qui entouraient ses poignets, tout dans l’exacteconformité de sa mise concourait à réveiller en moi de plus en plus vivante etcolorée cette illusion inexplicable.Julie, avant d’entrer dans l’autre salon, se retourna vers moi, et il me sembla que cevisage si angéliquement beau, si frais et si gracieux, était contracté par unemalicieuse ironie. J’éprouvai une commotion horrible, frénétique, semblable à unecrampe nerveuse. — « Oh ! il joue à ravir ! » murmura une petite demoiselle exaltéepar du thé bien sucré. Et je ne sais comment il se fit que son bras s’appuya sur lemien, et que je la conduisis, ou plutôt qu’elle me conduisit dans le salon demusique. En ce moment, Berger faisait mugir l’ouragan le plus furieux : sespuissants accords montaient et s’abaissaient comme les vagues retentissantes dela mer courroucée. Cela me fit du bien. Julie se trouva tout-à-coup près de moi, etelle me dit d’une voix plus douce, plus caressante que jamais : « Je voudrais que tute misses au piano pour faire entendre, sur un mode plus tendre, un chantd’espérance et de félicité passée ! » — L’ennemi avait fui loin de moi, et j’allais,par ce seul mot de : Julie ! exprimer l’enivrement céleste dont je me sentaisrempli… Mais d’autres personnes s’avançant me séparèrent d’elle de nouveau. Jevis alors qu’évidemment elle cherchait à m’éviter ; mais je réussis tantôt à frôler sarobe, tantôt, tout à côté d’elle, à respirer une partie de son haleine, et je croyais voirrenaître, parées de mille couleurs séduisantes, les heures fortunées de monprintemps.Berger avait fait succéder le caline à la tempête, le ciel était rasséréné, de douceset vagues mélodies s’élevaient comme de petits nuages dorés au lever de l’auroreet se perdaient enfin dans un pianissimo presque imperceptible. L’artiste recueillitde nombreux et justes applaudissements, les rangs des assistants se confondirent,et il arriva ainsi que je me trouvai involontairement à deux pas de Julie, en faced’elle. Je me sentis animé de plus d’énergie : je songeais, dans le douloureuxtransport de mon amour insensé, à la retenir là, à la serrer entre mes bras !…quand la figure damnée d’un valet importun se glisse entre nous deux, un vasteplateau sur les mains, en chuchotant d’une voix déplaisante : « Vous plairait-il… ? »Parmi les verres remplis de punch fumant, j’en remarquai un élégamment taillé àfacettes, et plein de la même boisson, à ce qu’il paraissait. Comment ce verreparticulier se trouvait là au milieu des autres, c’est ce que sait mieux que personnecelui que j’apprends chaque jour à connaître davantage, celui qui est fort habile,ainsi que Clément dans Octavien2, à décrire de son pied gauche d’agréablescrochets en marchant, et qui aime prodigieusement les petits manteaux et lesplumes rouges. — Ce verre, cette coupe merveilleusement taillée et touteétincelante, Julie la prit et me la présenta en disant : « Reçois-tu encore aussivolontiers qu’autrefois le verre offert de ma main ? — Julie !… Julie ! » m’écriai-jeavec un profond soupir. En saisissant la coupe, j’avais touché ses doigts délicats,mille étincelles électriques embrasèrent mes veines et mes artères ; je bus jusqu’àla dernière goutte : il me semblait que des petites flammes bleuâtres se jouaient etpétillaient autour du verre et de mes lévres. Ensuite, je ne sais moi-même commentcela se fit, je me trouvai assis sur l’ottomane d’un petit cabinet éclairé seulementpar une lampe d’albâtre, et à côté de Julie, de Julie qui me regardait commeautrefois d’un œil candide et bienveillant.Berger s’était remis au piano et il jouait l’andante de la sublime symphonie en mi-bémol de Mozart. Ravie par ses accords magiques, comme sur l’aile du cygneinspiré, mon âme vit renaître et resplendir d’un nouvel éclat tout le bonheur etl’amour des plus beaux instants de ma vie printanière. Oui, c’était Julie ! Julie elle-même dans sa beauté d’ange et son tendre épanchement.— Notre dialogue : delangoureuses expressions d’amour, moins de paroles que de regards passionnés ;sa main reposait dans la mienne. — « Désormais je ne te quitte plus, ton amour estla divine étincelle qui embrase mon cœur et illumine pour moi une sphère superbed’art et de poésie ! — Sans toi, sans ton amour, tout est mort et glacé… Mais je t’airetrouvée : n’est-ce pas pour que tu m’appartiennes à jamais ! »En ce moment une sotte figure aux jambes d’araignée, avec des yeux de crapaud àfleur de tête, passa en chancelant, et, riant bêtement, s’écria d’une voix aigre et
glapissante : « Où diantre s’est donc fourrée ma femme ? » Julie se leva et me ditd’une voix que je ne reconnus plus : « Ne voulez-vous pas que nous rentrions dansle salon, mon mari me cherche. — Vous êtes toujours fort amusant, mon cher !toujours d’humeur originale, comme autrefois ; seulement, ménagez-vous sur laboisson. » Et le faquin aux jambes d’araignée la prit par la main ; elle le suivit enriant dans le salon.« Perdue pour l’éternité ! » m’écriai-je.— « Oui certes, codille ! mon très-cher ! » brailla un animal qui jouait à l’hombre.Je m’enfuis, m’enfuis rapidement dans la nuit orageuse.II. La Société dans la caveIl peut être fort agréable, en certains moments, de se promener de long en largesous Les Tilleuls3 ; mais ce n’est pas assurément durant la nuit de Saint-Sylvestre,par une bonne gelée et quand il neige à foison. La tête nue et sans manteau,comme j’étais, je finis par m’en apercevoir au frisson glacial qui me saisit, malgré lafiévre ardente dont j’étais dévoré. Je repris ma course, je traversai le pont del’Opéra, en passant devant le Château, puis celui de l’Écluse, après avoir tourné laMonnaie, et j’arrivai dans la rue des Chasseurs, à côté de la boutique deThiermann. Là des lumières engageantes brillaient à travers les croisées, et je medisposais à entrer pour me réchauffer et boire quelque bon verre d’une liqueurréconfortante. En ce moment il sortit du cabaret une société de joyeux compagnonsqui parlaient d’huitres délicieuses et de l’excellent vin de la Comète. « Ma foi !s’écria l’un d’entre eux qu’à la lueur des lanternes je reconnus pour un superbeofficier de uhlans, il avait bien raison celui-là de pester, l’année dernière àMayence, contre ces maudits animaux qui, en 1794, s’étaient bien gardés de luidonner à boire du vin de l’an onze4. » Tous se mirent à rire à gorge déployée.J’avais avancé involontairement quelques pas plus loin, je m’arrêtai court vis-à-visd’une cave d’où s’échappait la lueur tremblante d’une lampe solitaire. — Le HenryV de Shakespeare ne se trouva-t-il pas un jour si modeste et si altéré, que lapauvre créature appelée petite bière lui vint à l’esprit ? La même chose m’arriva eneffet, ma langue était avide de plonger dans l’écume d’un flacon de bonne bièreanglaise. J’entrai immédiatement dans la salle-basse. —« Que désire monsieur ? » me dit l’hôte en venant à moi d’un air accort et portant lamain à son bonnet. Je demandai une bouteille de bonne bière anglaise avec unebonne pipe de bon tabac, et je me trouvai bientôt dans un état de béotismetellement sublime5, que le diable lui-même en conçut du respect pour moi et mequitta.Ô conseiller de justice ! si tu m’avais vu, au sortir de ton salon si resplendissant,venant m’attabler dans ce sombre caveau, et préférant cette humble bière à tonnoble thé, de quel air hautain et méprisant ne te serais-tu pas détourné de moi enmurmurant sans doute : « Il n’est pas étonnant qu’un pareil homme abîme les plusélégants jabots ! »Fait comme j’étais, sans chapeau ni manteau, je devais produire sur les assistantsun effet tant soit peu extraordinaire. Une question voltigeait déjà sur les lévres del’hôte, lorsqu’on frappa en dehors aux carreaux, et une voix s’écria d’en haut :« Ouvrez, ouvrez ! c’est moi. » L’hôte courut aussitôt, et rentra immédiatement avecdeux flambeaux allumés qu’il tenait élevés dans ses mains. Un homme fort grand etélancé le suivait, il oublia de se baisser en passant sous la porte-basse et se cognarudement à la tête ; mais une calotte noire qu’il portait en guise de toque, amortit lecoup. Il se glissa d’une manière toute particulière le long de la muraille, et vints’asseoir en face de moi, l’hôte en même temps posait les deux lumières sur latable.On pouvait presque dire de cet homme qu’il avait une physionomie aussi moroseque distinguée. Il demanda d’un air soucieux de la bière et une pipe, et en quelquesaspirations il produisit une telle fumée que nous nageâmes bientôt dans un épaisnuage. Du reste son visage avait quelque chose de si caractéristique et de siattrayant, qu’en dépit de son air sombre je me sentis tout d’abord du penchant pourlui. Ses cheveux noirs et abondants étaient séparés sur son front et retombaientdes deux côtés en nombreuses petites boucles, ce qui le faisait ressembler auxportraits de Rubens. Lorsqu’il eut déposé son grand collet, je vis qu’il était vêtud’une kurtka noire garnie de quantité de brandebourgs ; mais ce qui me surpritétrangement, ce fut de voir, ce dont je m’aperçus quand il secoua sa pipe qu’il avaitachevé de fumer en moins de cinq minutes, qu’il avait mis par-dessus ses bottes
d’élégantes pantoufles.Notre conversation était peu active ; l’étranger paraissait très-occupé de toutessortes de plantes rares qu’il avait retirées d’un étui, et qu’il considérait avecsatisfaction. Je lui exprimai mon admiration pour ces jolies plantes, et comme ellesparaissaient avoir été récemment cueillies, je lui demandai s’il avait été par hasardau jardin botanique ou bien chez Boucher. Il sourit d’une façon assez étrange etrépondit : « La botanique ne parait pas être votre fort, autrement une questionaussi… (il hésitait) — aussi sotte, murmurai-je à voix basse, — ne serait pas sortiede votre bouche, ajouta-t-il naïvement. Vous auriez, poursuivit-il, reconnu du premiercoup d’œil des plantes alpines et celles-là d’entre elles encore qui croissent sur leChimboraço6. »Ces derniers mots, l’étranger les prononça à vois basse et à part lui ; mais tu peuxt’imaginer quel singulier effet ils produisirent sur moi. Vingt questions expirèrent surmes lévres ; et il me vint à l’esprit un soupçon de plus en plus décidé que j’avaisdéjà, sinon vu cet étranger, du moins plus d’une fois rêvé à lui.On frappa de nouveau aux carreaux, l’hôte ouvrit la porte, et une voix s’écria :« Ayez la bonté de couvrir votre miroir ! — Ah, ah ! dit l’hôte, en jetant aussitôt unvoile sur la glace, le général Suwarow arrive un peu tard. » En effet, bientôt s’élançadans la salle avec une vitesse traînante, je dirais presque une agile lourdeur, unpetit homme sec, enveloppé d’un manteau d’une couleur brune toute particulière, etqui voltigeait autour de son corps, tandis que lui sautillait dans la chambre, enformant mille petits plis et replis si compliqués, qu’aux reflets des lumières oncroyait voir se mouvoir plusieurs figures superposées les unes aux autres, commecelles des scènes fantasmagoriques d’Ensler. En même temps il se frottait lesmains cachées sous de larges manches et s’écriait : « Froid ! froid ! très-froid ! —En Italie, c’est différent, bien différent ! » Enfin il prit place entre le grand étranger etmoi, en disant : « Voilà une épouvantable fumée ! — Tabac contre tabac : si j’avaisseulement une prise ! »J’avais sur moi la tabatière d’acier poli, claire comme une glace, dont tu m’as faitcadeau un jour. Je la tirai aussitôt de ma poche pour offrir du tabac à mon voisin.Mais à peine l’eut-il aperçue, qu’il la couvrit de ses deux mains, et s’écria en larepoussant : « Arriére ! arriére cet abominable miroir ! » Sa voix avait quelquechose d’effrayant, et lorsque je le regardai tout surpris, je le trouvai métamorphosé.Le petit homme avait en entrant le visage ouvert et riant d’un jeune homme ; mais àprésent c’était un vieillard aux traits flétris et ridés, pâle comme la mort, qui fixait surmoi des yeux caves et ternes.Saisi d’effroi, je me rapprochai de mon autre commensal prêt à m’écrier : « Au nomdu ciel ! regardez donc ! » Mais celui-ci était enfoncé dans l’examen de ses plantesdu Chimboraço, et au même moment le petit dit à l’hôte dans son langageprétentieux : « Vin du Nord ! » — Peu à peu le dialogue devint plus animé. Le petitm’était, à la vérité, très-suspect, mais le grand savait, à propos de choses enapparence insignifiantes, raconter des faits intéressants et curieux ; et quoiqu’ilparût lutter contre la difficulté de s’exprimer, et qu’il se servit même quelquefois demots impropres, cela donnait précisément à ses discours une originalité comique ;de sorte qu’il atténuait, en éveillant de plus en plus ma sympathie, l’impressiondésagréable que le petit faisait sur moi.Celui-ci semblait mu intérieurement par mille ressorts, car il s’agitait en tout senssur sa chaise, et ne cessait de gesticuler avec ses mains. Je remarquaidistinctement qu’il me regardait tantôt avec un visage, tantôt avec un autre, et jesentis à cette vue une sueur froide couler de mes cheveux sur mon dos. Il prenaitsurtout sa figure de vieillard pour regarder souvent l’autre, dont l’air de calme etd’aisance contrastait singulièrement avec l’excessive mobilité du petit ; maistoutefois son aspect me parut alors moins effrayant que lorsqu’il m’avait envisagémoi-même la première fois.Dans cette mascarade de la vie humaine, l’esprit pénètre souvent d’un regard subtilà travers le masque du visage, et reconnait les esprits dont la nature est conforme àla sienne. Et c’est ainsi que nous trois, êtres à part, et rapprochés par le hasarddans ce sombre caveau, nous reconnûmes sans doute notre affinité réciproque.L’entretien prit donc cette tournure humoristique à laquelle provoquent lesdéceptions et les tortures mortelles de l’âme. — « Cela porte aussi son épine, dit legrand.— Eh, grand Dieu ! m’écriai-je, épines ou crochets, combien le diable n’en a-t-il pas semés partout à notre préjudice ! sur les parois des murailles, sous lesberceaux, dans les haies de rosiers, de sorte que nous laissons toujours quelquelambeau de notre cher individu accroché au passage. On dirait, mes dignesmaîtres, que chacun de nous a déjà été dépouillé de la sorte ; pour moi, je regrette
surtout cette nuit l’absence de mon chapeau et de mon manteau. Tous deux sontrestés, comme vous le savez, pendus à un clou dans l’antichambre du conseiller dejustice. »Mes deux compagnons tressaillirent visiblement comme frappés d’une secousseimprévue. Le petit me lança un regard horrible avec sa figure décrépite, puis ilsauta brusquement sur une chaise et tira plus avant le rideau qui couvrait la glace,tandis que le grand mouchait les chandelles avec un soin tout particulier. Laconversation se renoua péniblement. On vint à parler d’un jeune peintre demérite,nommé Philipp, et de son portrait d’une certaine princesse, remarquable par unsentiment profond de l’art et de l’infini, fruit d’une ardente inspiration et d’unamoureux enthousiasme. « Ressemblance surprenante ! dit le grand ; il n’y manqueque la parole. En vérité, ce n’est pas un portrait, mais une image, un reflet. — Aupoint, dis-je, qu’on pourrait le croire dérobé au miroir même. »À ces mots, le petit bondit en l’air avec fureur, et fixant sur moi le regard enflamméde son vieux visage, il s’écria : « Ceci est stupide : quelle absurdité ! qui peutdérober une image réfléchie par une glace ? qui cela ?… Peut-être le diable,imagines-tu ? Ho, l’ami ! celui-la, il brise la glace de sa griffe brutale, et l’on verraitsaigner aussi les mains blanches et délicates de cette image de femme blessée.Allons ! cela est stupide !… Oui dà, l’habile homme ! fais-moi voir et toucher unreflet dérobé à un miroir, et je fais devant toi le saut périlleux de mille toisesd’élévation ! »Le grand se leva, s’approcha du petit, et lui dit : « Ne faites pas tant l’arrogant,camarade ! autrement l’on vous fera enjamber plaisamment l’escalier. Parbleu ! ildoit avoir un air bien pitoyable, votre reflet à vous ! — Ha, ha, ha, ha ! fit le petit englapissant avec un rire sardonique ; ha, ha, ha !… Tu crois ? tu crois ? j’ai ma belleombre au moins : entends-tu, pauvre garçon ! moi j’ai ma belle ombre ! » Et endisant cela, il s’enfuit. Nous l’entendîmes encore ricaner dehors et répéterironiquement : « J’ai du moins mon ombre ! » Le grand était retombé sur sa chaisecomme anéanti, et cachant entre ses mains sa figure pâle comme la mort, ilpoussait du fond de sa poitrine les plus douloureux soupirs.« Qu’avez-vous ? lui demandai-je avec intérêt. — Ô monsieur ! me répondit-il, ceméchant homme que vous venez de voir acharné contre moi, qui m’a poursuivijusqu’ici, jusque dans mon bouchon privilégié, où je séjournais autrefois tout seul,car c’est tout au plus si de temps en temps un petit gnome souterrain se dressaitsous la table pour faire sa récolte des miettes de pain,… ce méchant homme vientme replonger dans l’excès du désespoir ! — Hélas ! j’ai perdu… perduirrévocablement mon… Je suis votre serviteur ! » —Il s’était levé, et sortit à son tour, en traversant le milieu de la salle : tout restalumineux autour de lui, son corps ne projetait aucune ombre ! Ivre de joie, jem’élançai sur ses traces : « Pierre Schlemihl ! Pierre Schlemihl ! » m’écriai-je avectransport. Mais il avait quitté ses pantoufles. Je le vis enjamber la haute tour de lacaserne des gendarmes, et disparaître dans les ténèbres.7Lorsque je voulus rentrer dans le cabaret, l’hôte me ferma la porte au nez ens’écriant : « Que le bon Dieu me préserve de semblables pratiques ! »III. ApparitionsMonsieur Mathieu est mon bon ami, et son portier un homme vigilant. Celui-cim’ouvrit immédiatement dès que j’eus tiré la sonnette de l’Aigle d’or. Je lui expliquaicomme quoi je m’étais échappé de la maison du conseiller sans chapeau nimanteau, sans songer que dans la poche de celui-ci était la clef de mon logis, etque je n’avais pu parvenir à réveiller ma servante sourde pour me faire ouvrir.L’homme obligeant (je parle du portier) m’ouvrit une chambre, y déposa desflambeaux, et me souhaita une bonne nuit.La pièce était décorée d’une grande et belle glace, couverte d’un voile. Je ne saiscomment il me prit fantaisie de découvrir cette glace et de poser les lumières sur laconsole de marbre qui la soutenait. Je me trouvai au premier coup d’œil si pâle etsi défiguré, que j’avais peine à me reconnaître moi-même. Et puis, je crus voir dufond le plus reculé du miroir une figure vague et flottante s’avancer vers moi. En laconsidérant avec plus d’attention, je distinguai de plus en plus nettement les traitsd’une femme charmante, rayonnant de je ne sais quelle lueur magique. C’étaitl’image de Julie.Dans le transport de mes désirs brûlants, je m’écriai tout haut : « Julie !… Julie ! »
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