QUELQUES ARPENTS DE VERRE
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Qui n'a pas un jour caressé l'idée d'un retour aux sources? Certains l'ont fait. Voici l'autobiographie d'une famille québécoise qui a tenté l'expérience d'un retour à la terre. Et cette famille c'est la mienne. (projet en écriture)

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Publié le 11 novembre 2013
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Licence : Tous droits réservés
Langue Français

Extrait

QUELQUES ARPENTS DE VERRE
DANIEL BONE
QUELQUES ARPENTS DE VERRE
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QUELQUES ARPENTS DE VERRE
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QUELQUES ARPENTS DE VERRE
« RÊVER D’ÉCRIRE » Depuis le balcon de ma maison de campagne, je contemple mes chevaux, au champ près de l’écurie. Grisonné comme moi par la vie, Zolo, mon grand Irish Wolfhound, bien étendu de tout son long près de ma chaise, semble partager la même vision. Une petite brise vient adoucir la pesanteur de cette chaleur de juillet 2030. Je me laisse emporter dans mes souvenirs, ceux-là mêmes qui m’ont porté jusqu’ici. Je viens de terminer l’écriture de mon septième roman. Ma jauge d’inspiration est presque à zéro. Elle remontera bien avec l’arrivée de l’automne, cette saison qui me nourrit année après année.
Toute cette grande aventure a débuté il y a 20 ans lorsque je me croyais inutile, que j’errais dans la folie d’une société insipide en quête d’une identité collective. J’eus le désir de faire plus, d’avoir moi-même une identité propre. Je n’avais comme bagage qu’une mince instruction de troisième secondaire. L’on n’allait pas bien loin du temps où l’on tentait de forcer les jeunes à demeurer sur les bancs de l’école. Les entreprises exigeaient en général au minimum un cinquième secondaire. Il y avait certes de petits emplois, mais ils n’offraient que de maigres salaires, pire encore, la mort de l’âme.
Je pris la décision de terminer mes études secondaires aux adultes et de poursuivre au niveau collégial. Ce dont je ne me doutais pas, c’est que le simple fait de former ce projet dans mon esprit avait libéré quelque chose d’enfoui profondément dans celui-ci : le goût d’écrire, de raconter. J’avais deschosesà dire. Je me préparais à mes études, j’anticipais ma réussite. Fomentant ce projet depuis des mois, il vint aux oreilles de bien des gens qui me connaissaient. Cette idée séduisit quelque un d’entre eux qui emboitèrent le pas à ma suite.
Toute cette aventure déclencha en moi une cascade d’idées qui volaient de tous bords, tous côtés. J’entrepris l’écriture d’un livre, d’une histoire qui me permettrait de direce que je pensais au monde entier. J’allais enfin exister.
À force de travail et d’acharnement, sans oublier le support considérable du corps professoral, d’enseignants ayant à cœur la réussite de leurs élèves, qui savaient donner la connaissance, la transmettre à chacun selon leurs particularités et leurs personnalités propres, j’ai terminé mes études secondaires, puis collégiales pour, finalement, m’intéresser aux études universitaires en Art et Lettres. D’une personne peu significative, à mes yeux, je devins quelqu’un de bien utile à la société, mais bien plus encore pour moi-même.
J’ai l’ai publié ce livre, puis un autre et un autre. La providence a voulu que les lecteurs me livrent leur amour, ils ont aimé. Ainsi donc, moi et bien d’autres, croyons avoir rendu le monde meilleur.
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La cloche du début des cours se fit entendre. Il était l’heure du retour en classe. Je sortis de mes rêves et alla m’assoir à mon pupitre afin de pouvoir écrire, dans 20 ans, cette histoire. »
Rêver d’écrire est sorti de mon imaginaire bien sûr, mais il y est né en puisant dans mes souvenirs et ils ne datent pas de 2030, mais bel est bien du début des années 2000. Ces souvenirs sont quelque peu romancés ici. J’étais effectivement assis sur la grande galerie de la maison ancestrale si située à la limite du feu village de New Glasgow dont la folie des fusions municipales à dévorer sur son passage. Mon chien, allongé près de moi, était un Irish Wolfhound mélanger avec du Labrador. Chien mal aimé qui avait été abandonné par ses anciens maitres. Je ne vois pas pourquoi, car selon moi lesbâtardssont les meilleurs chiens. Des chevaux, on n’en avait pas. Tout le reste oui, mais pas de chevaux. Pour quoi faire? S’il n’allait pas finir dans notre assiette, on n’en voulait pas, pas maintenant. C’est plutôt la petite survivante qui prenait la place du cheval dans la réalité. Oui, elle a survécu et elle seule à part ça. Une battante, voilà ce qu’elle est, comme tout ce qui vivait sur notre petite fermette, y compris moi, ma femme et nos trois garçons.
Une petite fermette? Oui monsieur! Nous avons vécu sur une fermette. Ce mot de nos jours fait naitre l’image d’une grande maison de pierres, des bâtiments modernes, des chevaux, des 4x4s et des quatre roues qui trainent ici et là. Oubliez cette interprétation que vous offre votre cerveau, oubliez là. Une fermette selon nous est une petite ferme, une petite coquille dans le monde. Comme la carapace du colimaçon, c’est notre maison qui traverse le temps, la réalité du monde décevant dans lequel nous vivions. C’est l’endroit où nous faisons tout nous-mêmes. On ne veut rien savoir de la société, car elle nous rebute, elle ne rejette, elle ne nous laisse aucune place. Voilà ce que nous pensions à cette époque. Toutefois, vouloir vivre près
de la terre, avoir le contrôle de nos vies et renforcer nos valeurs familiales n’est pas né d’hier. C’est le fruit de l’arbre que la génération qui nous précède ne cherche qu’à émonder et à passer dans la déchiqueteuse de la modernité qui promet la liberté de
l’individu et la fameuse société des loisirs. Nous? On n’en voulait pas de cette illusion.
Nous voulions quelque chose de bien plus simple. Vivre comme tout le monde l’avait fait avant nous. Oui, nous sommes des rejetons des baby-boomers, nous sommes des X. Vous avez un frisson? Je comprends bien. C’est l’effet de l’ignorance qui erre dans le néant sans savoir où aller, sans pouvoir ne s’attacher à rien. C’est le
noir total. Quel terme sans vie -X-,sans âme.Nés entre une génération qui à tour ébranlé, tout rejeté et une autre à qui l’on faisait toutes les promesses, nous, nous
sommes tombés dans le vide. Notre réaction? Survive et s’accrocher, car nous étions convaincus qu’il était encore possible de vivre comme avaient vécu ces vieux rebelles.
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Ce que nous avons fait. Oui nous avons vécu comme les générations précédentes, plusieurs générations d’ailleurs. Nous avons cherché comment était la vie avant, à quoi ces gens faisaient face dans leur quotidien. Ils étaient proches de la terre, en fait ils y étaient liés. Tout s’enlignait sur elle sans exception. La vie de tous les jours, la famille, le travail et même la mort obéissaient aux lois de la terre. Nous avons découvert quelques secrets menacés par l’oubli et cachés par les forces obscures de l’économie moderne. Nous avons expérimenté, nous nous sommes pliés aux exigences de la terre, nous lui avons offert notre respect. Que nous a-t-elle donné en retour? La vie,la vraie vieetla vraie viec’est la liberté.
Nous avons goûté quelque chose de merveilleux, autant dans les bons moments que dans les plus mauvais. Cette chose nous a aussi appris l’humilité et l’altruisme, des notions en voie de disparitions. Le contraire de l’altruisme, c’est l’égoïsme et il faudrait l’être pour ne pas partager cette grande épopée, ce voyage unique d’une famille modeste vers la liberté, lavraie vie.
Rêves d'enfances La découverte d'un nid Il fait noir tôt les soirs de janvier au Québec. Curieusement, c’est aussi la période du jour ou le vent semble s’éveiller de sa torpeur du jour. Pure illusion? Je ne sais pas. Tiens! Encore un coup de blizzard qui fait valser mon camion de livraison sur la petite route de campagne qui relie le village de Saint-Lin et Saint-Jérôme. Pas croyable comment le vent souffle la neige, qui couvre les champs des cultivateurs, sur la route. Elle s’amasse en monticule et sans avertissement tout explose dans un nuage de poudre blanche qui vous fait presque perdre le contrôle. Des sueurs froides, le vent est froid et la cabine du camion est froide. La seule chose qui vous protège de cette absence de chaleur est la pensée de rentrer chez soi à la noirceur et s’assoir devant un poêle à bois chauffé à bloc. Une pensée dis-je? Elle n’est hélas que ça, pour le moment. À force de circuler sur ces routes rurales, on n’a que cela en tête. Je veux dire, on a que ce vieux rêve de posséder sa petite maison de campagne et quelques animaux, autant Line que moi d’ailleurs. Line est mon épouse et la presque totalité de sa famille est établie dans la Beauce. Des gens de campagnes, si je peux le dire ainsi et je ne crois pas qu’ils m’en tiendraient rigueur. Ils seraient plutôt fiers de l’affirmer. Née à Montréal, elle a passé tous ses étés là-bas et quelques hivers aussi. La vie à la campagne avec les animaux de la ferme, les bucherons et lesouvreurs de trails de motoneiges, elle connait ça. Dans les années 1970 – 1980, il n’y avait pas meilleur endroit pour expérimenter un style de vie authentique comme le Québec en avait un depuis des siècles, car le peuple de cette province est rural et fier. Et la Beauce était la dernière gardienne de notre identité collective.
Desfous la ville, alors que nous étions tous les deux dans le début de la de vingtaine, c’était peu de mots pour décrire notre errance identitaire. Nous occupions des emplois ici et là, sautillant d’une source de revenus à une autre en tentant de nous créer des rêves sur mesures dans un monde qui n’en avait plus. Nous nous étions à
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peine connu que savions déjà que la même passion nous animait. Celle de fonder une famille, d’avoir une maison à la campagne et de vivre une vie stable, longue et prospère. Le rêve québécois pur laine. Pendant que toutes les familles s’écroulaient autour de nous depuis notre enfance, nous on en voulait une et une vraie. Nous nous étions promis que nous ne ferions pas les mêmes erreurs que ceux qui nous précédaient. Qui n’a pas ce rêve un jour ou l’autre? Peu importe, nous, c’est ce que nous voulions, point. Malheureusement, ces rêves-là coûtent cher, très cher pour de jeunes adultes issus familles monoparentales et évidement modestes, car les femmes seules qui élevaient leurs marmailles étaient vraiment laissées à elle-même comme si la société voulait leur faire payer la faute qui n’en était pas une, elle voulait être tout simplement des êtres humains. De ce fait, l’argent, il y en avait peu. En tout cas, pas assez pour le petit coup de pouce qui aide les jeunes couples à partir du bon pied. Sa
mère n’en avait pas et la mienne non plus. Ma mère, elle venait duNord, des basses Laurentides comme on les appelle aujourd’hui. Un nom bien moderne qui n’a pas la même saveur d’antan.Venir du nordce n’est pas la même chose. C’est plus rude, c’est plus fier que de venir des basses Laurentides ou plutôt aller et venir les fins de semaine au chalet. Moi, ma famille vivait là-haut, ils y avaient toujours vécu. Comme Line, j’ai fait des passages ici et là dans cette région à m’imprégner de vie, de vraie vie. Chez un de mes oncles en particulier se trouvait le terreau fertile qui allait donner vie à mes rêves d’adulte. Ils allaient empoigner mon cœur de temps à autre alors que le soir, à la ville, je regardais les étoiles briller dans le ciel en coupant de mon champ de vision le portrait froid des immeubles à douze logements qui nous encerclaient. J’avais toujours une seule idée en tête : aller vivre dansl’nord.Une obsession sauvage.
Quatre années avaient passé depuis le début de notre rencontre et nos rêves nous agressaient encore. Pire encore, vouloir une famille et ne pas être choisi par la nature pour en concevoir le premier maillon était encore plus amer. D’autant plus que tous
ceux que nous connaissions, amis, cousins et relations de travail, semblaient se multiplier comme des lapins, selon notre point de vue. Nous, nous attendions encore et ce n’est pas faute d’essayer, même qu’on se demandait parfois si on essayait peut-être un peu trop. Qui sait si nous n’étions pas assez vifs pour ce projet de vie. Alors, pourquoi ne pas aller faire un petit tour dansl’nordafin de respirer un peu d’air frais, on ne sait jamais?
Parlant dunord,toutefois du moment présent, un autre monticule d’or blanc se dresse sur la route sur toute sa largeur. D’un coup, mes sueurs se réchauffent subitement. D’un fracas étouffé, j’entre de plein fouet dans le banc de neige improvisé. Je n’y vois plus rien. Toute cette neige poudreuse emplit l’air à ne plus rien y voir. Le volant du camion s’affole d’un côté comme de l’autre. Je redresse à droite, mais rien n’y fait, il revient agressivement vers la gauche, puis vers la droite à nouveau. Mon véhicule, d’une valse désespérée, se dirige indéniablement sur bas-côté de la route. Je sais ce qui s’y trouve et ce n’est pas de bon augure. D’une dernière poussée, je m’enfonce dans l’illusoire barrière blanche qui sépare la route du champ. Ça y est! Le véhicule s’arrête et mon instinct porte mon regard dans le miroir de gauche afin de m’assurer qu’un autre véhicule ne vienne pas s’emboiter sur le mien.
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Rien, il n’y a rien. Je suis seul sur cette route et nous partageons tous les deux cette solitude morbide de l’hiver. La seule chose qui vienne la troubler est ce silence brisé par le vent qui cherche à se faufiler par les orifices perdus de cette grosse boîte d’aluminium qui git obliquement à mi-chemin entre la route et le champ. Sans remuer, agrippant le volant fermement de mes battements de cœur, je souffle mon soulagement que la situation ne soit pas au pire. La tension s’allège et je m’enfonce dans le siège, je reprends le contrôle de cette cascade insensée que nos hivers nous forcent à vivre au moins une fois par année. Bon! Allez! Je sors prendre acte de ma situation et à première vue, elle n’est pas très positive. Il est clair que je ne sortirai pas de ce pétrin tout seul, impossible. Quelques minutes ont passé après que j’aie contacté le centre de répartition pour obtenir de l’aide. Ah! Bien sûr qu’ils enverront une dépanneuse, mais dans combien de temps? Le téléphone portable vibre dans ma poche. Le gars de la dépanneuse me confirme qu’il en a pour, au minimum, une heure trente avant de pouvoir me venir en aide. Merveilleux! Je suis un peu plus aux anges. Au moins le moteur du véhicule roule toujours, je ne vais pas mourir gelé. J’en ai vu d’autres.
Le chauffage dans le tapis, je détache ma veste, enlève ma tuque de laine et mes gants. Vaut mieux me mettre confortable, une heure trente c’est long. Le vent continue de balayer la neige et je n’y vois absolument rien. Je suis encastré dans cette cabine tant que les secours n’arriveront pas. Parlant de situations délicates, il y en a une qui revient à l’esprit. Justement en reprenant la réflexion d’avant ma petite cascade hivernale, je me rappelle cette autre bizarrerie routière. Nous avions décidé, Line et moi, d’aller rendre visite à mon oncle et mes cousins dans lenord. Un ami nous avait prêté une voiture, car il en avait deux. Une superbe Wolkswagen Golf diésel. Un charmant bijou fier descendant des peace and love van selon moi, mais en version mini voiture. Fait inusité, elle semblait avoir le même âge. C’est pour cette raison qu’il a cru bon de m’informer que la petite vitre du côté passager, il ne fallait pas l’ouvrir, car elle n’était pas « fiable » avait-il mentionné. Bien sûr, dans la vie on prend souvent conscience des choses une fois qu’elles nous ont sautées à la figure. Nous voilà sur l’autoroute des Laurentides, un samedi après-midi. Line, subissant un coup de chaleur, mais pas assez intense pour descendre la grande vitre, empoignât le petit clapet qui verrouillait la petite vitre. Le genre de triangle qui pivote de gauche à droite sur un axe central. Malheureusement, c’est à ce moment que je me souvins que je n’avais pas partagé cette information avec elle au sujet de l’instabilité de la chose. Comme j’avançais ma main afin de donner plus de ton à mon cri de désespoir, elle abaissait le verrou de la vitre. Sans avertissement, elle volât dans le ciel, puis elle disparut à jamais, non elle ne reviendrait jamais. Après s’être figés dans le temps quelques secondes, nous nous sommes regardés dans les yeux. Notre réaction à ce départ précipité? Nous avons éclaté de rire à en mourir, car la situation était on ne peut plus tragique et cocasse à la fois et nous les Québécois, on aime ça le tragique.
Quelques minutes plus tard, nous apercevions les premières maisons cachées de l’autre côté de la courbe serrée qui signalait l’entrée du centre du village. Je dois dire que voir cet écriteau « St-Hippolyte » était un moment magique. Retourner après   
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plusieurs années à l’endroit où j’avais vécu mes plus belles expériences de jeunesse m’emplissait d’un mélange de joie et de sérénité. Ce sentiment d’être chez soi, d’appartenir à un coin de terre vient envahir tout votre cœur qui bat son approbation à grand coups de marteau. Il le sait lui que vous êtes chez vous. Bref! Encore cinq kilomètres et nous y sommes. Bizarrement, la maison apparait dans notre champs de vision, mais ce n’est pas d’elle que j’ai envie à l’instant, c’est le reste. De voir, ou plutôt de revoir les endroits où tous mes souvenirs d’enfances sont venus au monde. Les boisées environnants, le lac, les petits chalets qui sont tout autour, même le chemin qui mènent de la route principale à la terre de mon oncle me semblent avoir une valeur sentimental. Au bout de cette pensée, nous stationnons la voiture dans l’entrée du chemin de terre qui monte dans les bois derrières où sont situés les chantiers de bois. Toutefois, nous nous arrêtons ici, car juste là, planté dans le sol comme si elle avait toujours été là et qu’elle était la promesse de l’immortalité, la grange. Elle était vieille, bien plus vieille que moi et de mon oncle d’ailleurs. Je regarde Line et je lui dis : « Alors tu viens? »  
Elle demande en retour où je veux aller et je dois admettre que cette question me prit de court. Je lui ai répondu que cela semblait évident que nous allions visiter la grange, mais pour elle cela ne signifie rien. Normal quand on y pense, ce n’était pas ses souvenirs. Aucune émotion n’allait naitre de cette visite banale, et de plus ce bâtiment n’avait rien d’autres qu’une valeur sentimentale. Il était presqu’en ruine. Le bas des murs extérieurs était pourrit par endroit, la toiture en tôle de couleur rouge par ici et par là et les deux portes échancrées avouaient avoir été sans attention par son propriétaire depuis un long moment. Qu’à cela ne tienne, car mes souvenirs d’enfance ne sont pas dans son habillage, mais dans son cœur, son âme. Cette grange est magique à mes yeux et son odeur, j’ai hâte de retrouver son odeur. Descendons de cette voiture et allons satisfaire ma soif de nostalgie lui ai-je dit. Line acquiesça sans hésitation, car bien qu’elle ne partage pas mon sentiment à l’égard de cet endroit, elle partageait mon cœur et lui, il avait envie de ça. Au moment même où j’ouvris la portière de la voiture, mon visage se vit caresser par une petite brise d’automne. C’était comme si la nature me souhaitait la bienvenue. Ensuite, plus rien, plus rien du tout. Cette petite caresse s’était évanouie dans l’air sans bruit. Je dis sans bruit parce qu’il n’y en avait aucun. J’aurais pu entendre mon cœur battre. Je fus d’abord surpris par cet abandon au néant. Quand on vit longtemps dans une grande ville, on s’habitue à son rythme, au son de ses articulations grinçantes à force de l’entendre telle une girouette qui crie son frottement entre ses pattes, au fil du temps on ne l’entend plus, mais il est toujours là. Ici, il n’y avait rien, pas un son, pas un bruit sinon celui des branches bercées par brise intermittente. J’enlevai les bouts de planche qui entravait la porte pour la garder fermée et je l’ouvris avec quelques efforts. Line me demanda à ce moment si j’étais sur de vouloir faire cela, car selon elle, sans demander la permission ce n’était pas un geste très poli. Je lui ai donné l’assurance en affirmant de ne pas s’inquiéter, car j’étais comme chez moi ici et que personne ne m’en tiendrait rigueur au contraire. À peine à l’intérieur,
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mon sens de l’odorat fut pris d’assaut par le parfum des ballots de foin empilés sur la moitié gauche de la grange. C’est à ce moment que je réalisais que s’il y avait de la vie ici, que ce bâtiment, malgré son âge, était encore vivant à l’intérieur. Je me suis accroupi et j’ai ramassé une poignée de cette herbe haute qui s’était endormie pour l’hiver à venir. Quel parfum, quelle odeur magique. Je ne peux expliquer pourquoi, mais cette jouissance olfactive était gravée dans ma mémoire depuis ma tendre enfance. Je cherchais Line du regard, elle était là, le sourire fendu jusqu’aux oreilles à en voir mon visage qui exprimait mon contentement. C’est un de ces moments où l’affirmation qui dit que l’argent n’achète pas tout prend tout son sens. Derrière son sourire, mon attention fut captée par quelque chose d’inattendue. Je remarquai que les billes équarries qui traversaient la grange n’étaient qu’à un peu plus d’un bras plus haut que moi. Je balayais du regard toute l’intérieur de la grange. Tout était petit. Plus petit que dans mes souvenirs et c’est à ce moment-là que l’enfant en moi a réalisé qu’il avait grandi. Tout un choc pour un gamin espiègle de son temps. La porte du fond qui menait du côté de l’étable, n’était pas bien plus grande. Un coup d’œil rapide derrière moi voir si Line me suivait, elle était toujours là. Je déclenchais le loquet de la porte et je l’ouvris. Ahhhhh! Elle est là la vie! Je me suis exclamé. L’enfant en moi s’agitait et mon cœur battait la chamade. J’ai entré sans hésitation, en penchant la tête bien sûr, car le linteau menaçait de me refaire une coupe de cheveux en règle. Je reconnu tout de suite cette odeur qui vous picote le nez. Il y avait six stalles dont deux d’entre elles étaient occupées par des chevaux. Des bêtes qui ne pouvaient servir que pour l’équitation. Je pu en déduire par leur stature frêle et à la fois élégantes. Je dois avouer que j’étais un peu déçu. Je m’attendais à autres choses. Des poulets par exemple ou des vaches. Des petits chatons qui lapent du lait qui dégoûte des pies de vaches. Un coq pas trop d’accord avec ma visite. Outre ces deux bêtes équestres, il n’y avait rien et cela paraissait dans mon visage. Line tenta de me faire comprendre que les temps changent, que mes souvenirs ne sont plus d’actualité de nos jours. Évidemment, je n’étais pas d’accord avec cette affirmation. J’ai la tête dure.
Je quittais mes souvenirs quand des lumières aveuglantes projetaient leur éclat dans mon miroir du côté chauffeur. C’est surement la dépanneuse. Pourtant, mon superviseur m’a pourtant bien affirmé que cela prendrait au minimum une heure trente avant qu’elle n’arrive. Néanmoins, je ne me plaindrai pas si elle est déjà là. Je peux discerner le pourtour illuminé de sa cabine qui projette son rayonnement dans la nuit. Ce gars-là aime ça les petites lumières quiflash,mais bon, à chacun ses goûts. Il approche, mais, il y a quelque chose de bizarre. Ben voyons! Non, ce n’est pas vrai! On dirait qu’il change de direction, pourtant la route est droite. C’est drôle comment l’œil humain peut percevoir les choses parfois. En pleine nuit, aveuglé par des phares et des petites lumières de Noël, il peut distinguer une image que notre cerveau analysera pour en venir à la conclusion que le véhicule qui se dirige droit vers moi est en perte de contrôle. Son angle d’approche augmente de plus en plus, il change, mais cela est pire que je ne le pensais. Il y a autre chose. Quelque chose de bien plus gros qui apparait dans le rétroviseur. Tout mon corps se raidit d’un seul coup. Je m’éveille de la torpeur de mes pensées si douces et de toute mon énergie dont mon corps est
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capable de produire et Dieu sait qu’il peut en produire au-delà de ce que j’aurais pu imaginer. Je bondis d’un trait en agrippant le volant. Je me dégage de ma position et je saute vers la porte de droite. Je saisi la poigné et fait glisser la portière dans son socle.
Elle a presque éclatée sur le choc. D’un effort de la dernière chance, je plonge dans le dernier retranchement possible. Voilà enfoncer dans quelques pieds de neige qui empli le fossé qui sépare la route du champ et je reste là. Le vent qui souffle étouffe tous les bruits, tous les sons qui pourraient provenir de la bête. Je lève la tête. Je ne vois rien, rien du tout sinon le côté et l’arrière du camion, mais au-delà, rien. Du contre-bas où je me trouve, mon champ de vision est quasiment nul. Je ne peux voir la route et la bête. Soudainement, une lueur fait battre mon cœur de plus en plus. De ses couleurs rougeâtres et verdâtres, mélangé à une blancheur floue, elle prend en otage la nuit et elle entend bien prendre le dessus. Rien ne semble vouloir l’arrêter. Ohhhh! Non! Je distingue la bête qui apparait subitement à travers un nuage de neige poudreuse qui embrouille l’air. Elle se dirige droit sur mon camion. À la dernière seconde, alors que mon cœur est sur le bord d’exploser, je puis distinguer le bout de sa queue. Elle semble ralentir, je le sens, quand bien même tout se passe si vite et si lent à la fois. Oui! Elle ralenti, mais pourquoi donc? Curieux, je soulève encore plus la tête, trainant le haut de mon corps avec elle au bout de mes bras. Elle change de direction, elle
repart d’un autre sens pour disparaitre d’un instant. Seule la poudreuse s’éternise d’une dernière danse avant de revenir choir sur la route. Néanmoins, la bête est encore là, je l’entends. Son grondement s’est transformé en crissement comme si ces griffes frottaient sur le sol tout le long de l’autre côté du camion. Je me suis tourné énergiquement pour la suivre, même si je ne la voyais pas. Je vis apparaitre la poudreuse blanche à nouveau, mais cette fois, devant le camion. À travers elle, des lueurs rouges vives qui criaient leurs fureurs, mais elles ne couraient pas vers moi. Elles s’enfuyaient de je ne sais quoi. Je la vis s’éloigner de plus en plus lentement en
oscillant de gauche à droite et de droite à gauche. La bête est son maître disparurent dans la nuit, tout en lui rendant son silence d’avant. Elle lui redonna ses armes de solitude. Moi je restais là, encore saisit par cette attaque. Les petits flocons de poudreuses venaient mourir sur la peau de mon visage qui bouillait, qui enfumait l’air. Au moins deux minutes ont passé, puis je me suis relevé. J’ai quitté mon retranchement pour en rejoindre un autre. Je me renfonçai sur mon siège bien au chaud. Tellement chaud que j’éteignis le ventilateur qui faisait circuler la chaleur dans la cabine. De la sueur coulait sur mon front, puis sur mes joues afin de me rappeler comment j’avais pu échapper à la bête, une fois de plus. Nous avions quitté la grange et nous étions en route pour la maison de mon oncle. Bien qu’il ne faisait pas très froid, la petite vitre qui nous avait quitté plus tôt commençait à nous manquer. Pas grave, même pas un kilomètre à faire et nous allons nous réchauffer chez mon oncle ais-je lancé à Line qui semblait d’accord. De toute façon, nous étions un jeune couple et nous avions toujours la fièvre, le froid n’avait aucune emprise sur nous. À ce que je me souvienne, alors que nous passions devant la maison, une cheminée de pierres s’extirpait du toit. Il y avait un foyer dans cette maison, j’en suis sûr. La voiture descendait la côte lentement, j’y mettais les freins quitte à me faire
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surprendre de derrière par une autre voiture. Je voulais savourer chaque image de ce que mes yeux m’offraient. Sur la droite, un champ ceint par une clôture de planches fixées sur les billes rondes espacées d’environ dix pieds. Du haute de la côte jusqu’au bas, il y avait deux cents mètres et j’estimerais la largeur du champ qui ressemblait plus à une grande cour arrière, à environ soixante-quinze mètres. Adossés à des planches, des quartiers de bois bien cordés que j’estimerais à deux ou trois cordes. Est-ce que je peux me fier à des notions qui datent d’il y a longtemps? Oh si, je le peux! Après tout, il ne s’agit pas d’une différence de vision du à la grandeur ou à l’âge, quatre par huit, c’est toujours un quatre par huit, peu importe la hauteur que l’on a. Il était sec ce bois. Simple agrément de terrain ou allait-il servir de combustible de poêle? Je vote pour le poêle. L’herbe n’était pas haute et ce qui restait portait les couleurs de l’automne. Au fond de cette grande cour de campagne, une structure d’environ une douzaine de pieds de large et huit pieds de profond avec un toit en pente. Voilà j’ai compris à quoi servait ce petit champ. C’était un enclos pour les chevaux que j’avais surpris là-haut à la grange en train de mâchouiller dans le silence et la solitude. J’imagine que de temps à autres ils venaient y faire un tour comme nous allons au chalet les fins de semaines ou venait-il simplement plaire à leur propriétaire en faisant office de toile rurale. Nous tournons à droite et quelques mètre plus loin, nous entrons dans l’allée et stationnons la voiture. Sur notre droite, un jardin à même la parcelle de champs du pacage à chevaux. À côté de cette mini-terre de culture, un puits en pierre qui ne servait plus que de décorations. Sorti de la voiture, je pouvais voir l’entièreté de la maison de campagne qui datait des années cinquante ou plus vieille encore. Une maison à étage avec un toit en pignon. Sur le côté, à l’étage, deux petites fenêtres. Un balcon en pierre invitait à la porte d’entrée à l’avant, mais comme bien des maisons, on ne passait pas par-là, jamais! Un garage adjacent à la maison et à côté, la porte « officielle » du monde de la campagne. Nous faisons trois pas et un chien vient nous accueillir, un berger allemand. Inquiets, nous attendons voir. Normalement un chien libre est un chien gentil, mais bon! On ne sait jamais! Il vient mouiller ma main frénétiquement avec son museau humide. Je peux effectivement qualifier cet accueil de gentil. Nous ouvrons la première porte de métal et de verre qui donne sur le portique. Au sol, il y avait des bols de nourriture pour chat qui mélangeait son odeur à celui du bois vieilli et de l’humidité. Définitivement les animaux de compagnies vivaient en liberté ici. C’est à se demander quelles autres bêtes se cachaient tapies dans l’obscurité du fond du portique qui donnait sur l’intérieur du garage. Après avoir frappé à la porte, rien. Je frappe à nouveau. Nous nous regardons en partageant la même impression. Nous venons de la ville. Tout est rapide chez nous, nous frappons, on ouvre, on téléphone, on nous répond immédiatement. Ici, rien. Puis une voix rauque fracasse le silence et le chien s’arrête brusquement d’exprimer son excitation du moment.
« OUI! »
C’était bien mon oncle ça. J’aurais pu reconnaitre sa voix parmi des milliers d’autres. Il avait une voix portante qui vous saisissait à chaque note. Même moi, sortant tout
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