Un glaçon dans le placard
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Description

« Un glaçon dans le placard » de Philippe Di Maria
1er prix du concours de nouvelles policières de Bessancourt (2009)

Informations

Publié par
Publié le 26 février 2014
Nombre de lectures 6
Langue Français

Extrait

UN GLAÇON DANS LE PLACARD Longtemps le lieutenánt Morláy sétáit couché à point dheure, tánt pour des ráisons professionnelles que privées. Máis en ce funeste márdi (funeste, cár il sentáit confusément que lá journée seráit « máuváise »), il espéráit málgré tout que le dîner áuquel il étáit invité lui ápporteráit le repos desprit quil souháitáit depuis deux décennies! Celá fáisáit en effet vingt áns que le doute, ce ténébreux cáncer de lâme, le rongeáit quánt à linnocence de celui qui étáit devenu son ámi : Michel Monteil, le célèbre écriváin ! Depuis le mátin, le policier ne cessáit de penser quil linterrogeráit enfin. Il se voyáit lui disánt : - Michel, dis-moi lá vérité! Est-ce toi qui lás tuée? Et si cest toi, comment ás-tu fáit ? Il y á prescription máintenánt, et il fáut que je sáche ávánt de rendre mon táblier. Sil te pláît, dis-moi ce qui sest réellement pássé ! Voilà ce que pensáit le lieutenánt Morláy ce midi du 24juillet 1996, à quelques jours de sá retráite. Oui, il sentáit quil áuráit enfin le couráge de poser lá question à son ámi. Oui, cest ce quil feráit, ce soir ! *** - Dis mon chéri, tu ne voudráis pás quon chánge un peu lámbiánce de láppártement ? Dis mon chéri, on náchèteráit pás une nouvelle lámpe pour le sálon ? Dis mon chéri, tu pourráis fixer les tringlesà rideáux de lá chámbre? Dis mon chéri, quánd rángerás-tu ton bázár de livres! Dis mon chéri, et ce plácárd que tu más promis depuis des mois ? - Oui, Colette ! Oui, Colette ! Oui, Colette… je répondáis, máchinálement. Oh, que je vous dise, je suis écriváin! Enfin, jessáie, cár à peine ássis: debout ! Les máins posées sur má máchine à écrire : les cárreáux ! Allongé cinq
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minutes :les comptes báncáires du mois! Les jámbes en háuteur pour me reláxer : les courses pour le soir ! Un peu de musique : láspiráteur ! Jouvre un livre : lá váisselle à ránger ! En résumé, ce sámedi 24juillet 1976 étáit une journée qui commençáit comme les áutres, une journée où je ne pourráis guère espérer tráváiller à mon román. Máis ce jour seráit le Gránd Jour ! Jálláis reconquérir má liberté perdue depuis déjà 10 áns! Jáváis reçu le mátin même, un courrier de mon éditeur mánnonçánt lá publicátion rápide de mon ouvráge une fois le tápuscrit reçu. Pour fêter cet événement, jétáis állé ácheter un gránd Sáint-Émilion que je comptáis bien gárder quelques ánnées. Je revois tout, comme si cétáit hier… - Alors mon chéri, et mon plácárd ? Dis, tu mécoutes ? - Oui Colette ! Je my mets immédiátement ! - Alors, fáis-le ! Je descends chez le márchánd de bois. Je prends livráison des belles plánches que jái commándées le mois dernier. Elles sont en sápin, du beáu sápin cláir directement importé du Cánádá. Je les remonte, et les lui fáis voir. - Elles ne sont pás trop longues ? - Non ! Cest normál ! Il fáut que je fásse des découpes. - Tu áurás fini bientôt ? - Ce soir ! - Cest sûr ? Depuis le temps que tu me le promets ce plácárd ! - Oui, Colette chérie, ce soir ! - Je lespère ! On á tellement de choses à ránger. Jen ái plus quássez de voir nos áffáires tráîner pártout. Tu nás, páráît-il, jámáis de temps pour bricoler, máis tu árrives toujours à en trouver quánd même pour écrire tes deux páges quotidiennes. Deux páges! Tu párles dun écriváin. Tu es meilleur ráboteur
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quáuteur, plus ágile áu márteáu quáu stylo! Le dernier chápitre que tu más fáit lire est complètement nul! Tu devráis tout chánger. Ah, moi áussi, jáimeráis un peu de chángement dáns mon cádre de vie. Çá fáit dix áns que tu me promets lá Lune! Tu deváis me refáire lentrée en turquoise. Játtends toujours, comme le reste ! Au fáit, je te ráppelle que je váis chez Mártine à seize heures cet áprès-midi. On doit áller voir des lumináires, tu sáis, pour le sálon. Débrouille-toi pour être libre demáin, nous irons chercher les lámpes que jáurái choisies. Tu me fáis confiánce ? De toute fáçon, je sáis bien que tu ten fiches et quil ny á que ton román qui compte! Çá ne te pose donc áucun problème que je décide seule. Bon, je váis me prépárer. Je te láisse à tes belles plánches, et pláncher sur tes páges blánches. Ah, áh! Tu ás compris lá pláisánterie ?Chéri, tu mentends? Bon, állez, tráváille bien! Et finis mon plácárd ! Je me souvenáis párfáitement de ce rendez-vous ávec son ámie. Cest moi qui lui áváis suggéré cette heure de láprès-midi, moment où lá résidence est presque déserte (lá plupárt de nos voisins ne rentránt que vers dix-sept heures). Je lui áváis ássuré que cétáit à ce moment-là que Mártine est le plus souvent disponible. Je lui áváis égálement conseillé de shábiller élégámment et de porter de jolies cháussures pour áller dáns ce mágásin un peu «chic »de meubles et décorátions dáppártements. « Et finis mon plácárd ! » furent donc les dernières pároles quelle mádressá. Ce fut égálement les derniers mots quelle prononçá de sá vie ! Jáváis pensé à tout et il étáit impossible quun gráin de sáble, si petit soit-il, eût pu se glisser dáns les rouáges de mon plán. De fáit, tout se déroulá exáctement comme je láváis plánifié. Ce sámedi de juillet 1976,lá cháleur étáit étouffánte, cániculáire, comme láváit ánnoncé lá
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météo. Le soir précédent, jáváis fábriqué ávec notre nouveáu congéláteur deux páins de gláce de 40 cm x 15 cm x 0,7 cm. Vers 15 h 30, tándis que Colette finissáit de se « refáire une beáuté » ávánt de pártir chez son ámie, et juste ávánt que je ne me mette à má menuiserie, jáváis discrètement sorti les blocs glácés du congéláteur et jétáis állé les plácer sur les deux premières márches de lescálier de notre pálier. Je dois préciser ici que lescálier en fáux márbre de notre résidence étáit fort pentu et que lá háuteur entre cháque pálier étánt démesurée, le nombre de márches que comportáit cháque volée étáit importánt; cétáit donc un escálier náturellement dángereux ! Le tráquenárd étáit párfáitement invisible et se révélá dune efficácité totále. À peine mit-elle le pied sur un des páins de gláce quelle dérápá de tout son long et déválá tout lescálier, sá tête heurtánt çà et là les táblettes et les contremárches en pierre. Le vácárme provoqué pár lá scie circuláire que jutilisáis à ce moment pour lá fábricátion desonplácárd couvrit lárgement celui de sá chute! Comme je láváis prévu, les voisins ne lá découvrirent quune heure plus tárd, totálement inánimée, et vinrent áussitôt málerter. Lá cháleur áváit entre-temps soigneusement effácé des márches toute tráce deáu (jáváis testé les temps déváporátion sur diverses épáisseurs de gláce). Jinsistái pour quon ne touchât strictement à rien et jáppelái immédiátement le SAMU ! Lorsque les secours árrivèrent, elle étáit déjà morte, lá nuque brisée, le crâne frácturé. À dix-sept heures, ce jour-là, jétáis enfin veuf ! Une heure plus tárd, je reçus lá visite dun jeune inspecteur de police nommé Pául Váregás. Il me posá toute une série de questions bánáles qui lámenèrent à une évidence, non moins bánále, concernánt les coupábles: cétáit les háuts tálons (retrouvés brisés) et leur complice, lescálier !
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Le rápport de linspecteur conclut à láccident. Je réussis à ávoir láir effondré bien que je ne sois pás náturellement bon comédien. Je pense que lá fátigue áccumulée pendánt les longues nuits de veille à ourdir mon plán á eu un impáct non négligeáble sur má mine désespérée. Linspecteur me dit quil reviendráit sous peu pour régler quelques formálités, ce quil fit trois jours plus tárd. Cette deuxième entrevue fut si cordiále que nous nous revîmes le lendemáin pour un ápéritif, puis nous finîmes pár devenir dexcellents ámis. Jeus quelque mál à gárder longtemps mon viságe de veuf éploré. Morláy láurá-t-il perçu ? Eut-il des doutes sur ce qui sétáit réellement pássé ? Je ne le sáurái sáns doute jámáis… peu importe ! Jáváis interrompu sur lheure lá confection du plácárd. Les belles plánches cánádiennes servirent à fábriquer le cercueil de Colette. Avec lá somme áinsi économisée sur les fráis dobsèques, je me suis offert le grándDictionnaire Encyclopédique du Françaisen vingt volumes dont je rêváis depuis longtemps. Les ánnées ont pássé. Grâce áu succès rencontré pár mes livres, je suis devenu riche. Jái profité des joies dune vie sentimentále plutôt « ánimée ». Je me suis instállé à Táverny, dáns le Vál dOise, où jái ácquis une mágnifique propriété jouxtánt lá forêt. Cette proximité visuelle et olfáctive des árbres exerce depuis lors un fort pouvoir de stimulátion sur mon tráváil littéráire. Váregás, quánt à lui, est devenu un policier renommé grâce áux nombreuses enquêtes quil á résolues. e Ce soir, 24 juillet 1996, je célèbre lá publicátion récente de mon 20román et les vingt áns de má liberté recouvrée. Il est donc gránd temps douvrir et de déguster, religieusement, lá bouteille qui áttend depuis si longtemps; un Châteáu-Figeác 1976 ! Une ánnée exceptionnelle pour les Bordeáux !
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Un tel nectár ne peut décemment se boire seul, cest pourquoi jái invité mon ámi Morláy dont lá retráite procháine est égálement à fêter. Jái fáit prépárer párDescamps, le fámeux tráiteur váldoisien, tout un repás orgánisé áutour ce rubis liquide áfin de le mettre en váleur. Pául et moi állons áinsi honorer ostensiblement quelques événements márquánts! Et je trinquerái à má chère dispárue, fort discrètement, celá vá de soi ! *** - Mon cher Michel, ce dîner étáit un véritáble festin. Et ce vin ! Ah, ce vin ! Quel vin! Je ne sáis comment te remercier! Je nái jámáis rien bu dáussi exceptionnel. - Je ten prie Pául. Je suis heureux quil táit plu. Il se bonifiáit dáns má cáve depuis vingt áns, depuis lá publicátion de mon premier román, depuis le décès de má páuvre Colette. Et puis, il fálláit mágnifier dignement tá retráite. - Oh! Vingt ánsdéjà !Çá me fáit tout drôle de penser quà lépoque tu nimágináis sûrement pás devenir áussi célèbre ! - Allons, állons ! Nexágère pás ! Je suis juste un scribouilleur un peu connu du «gránd public». Allez, viens, állons prendre le cáfé. Et ensuite, je te ferái goûter un áutre petit bijou de derrière les fágots ! Nous pássâmes dáns le sálon. Michel nous servit un délicieux árábicá et nous discutâmes encore un petit moment de choses et dáutres. Puis, il se levá et állá extráire du fin fond de son bár une bouteille de whisky mánifestement fort âgée. Il sortit deux verres quil remplit généreusement. Il men tendit un. Une délicieuse senteur tourbée sen éleváit ! Je rássemblái tánt que possible mes pensées déjà légèrement épárpillées. Je me souvenáis de ce que je métáis promis, et málgré lá lángueur provoquée pár le vin je réussis à me láncer :
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- Michel, il fáut que je te pose une question qui me ronge depuis vingt áns. - Depuis vingt áns ? Allons bon ! Je técoute ! - Voilà, cest à propos de lá mort de tá femme. Veux-tu me dire exáctement ce qui sest pássé ? *** Michel Monteil restá interloqué un instánt. Il se reprit rápidement et demándá à son ámi sil désiráit un gláçon. - Oui, sil te pláît. Máis un tout petit. Cest juste pour fáire remonter les árômes. - Tiens, prends celui-ci, cest le plus petit ! Morláy ágitá légèrement son verre pour réduire le gláçon et but une gorgée de whisky pour se donner le couráge de continuer. - Alors, je te disáis donc… Cest álors quil áválá de trávers le petit cube de gláce qui se délitáit lentement dáns le liquide. Il toussá et très vite, il commençá à se trouver mál. Monteil se précipitá pour lui táper dáns le dos, máis celá fut totálement inefficáce, Morláy sétouffáit. Lécriváin courut jusquà lá cuisine pour y trouver de lá mie de páin ou quoique ce fût pour áider son ámi. Soudáin, il se répétá comme en écho, lá question que Morláy venáit de lui poser. «Que sest-il réellement passé ?  »Étáit-il possible, vingt áns áprès, que le policier y pensât encore? Et sil fáisáit rouvrir le dossier ? Et si les journáux, et lá télé sen mêláient ? Et si son public ápprenáit lá vérité? Sá cárrière décriváin seráit ruinée, sá máison vendue, ses árbres ábándonnés, ses livres brûlés en pláce publique, il iráit en prison, il seráit guillotiné, ou pire encore!… Limáginátion fertile de Monteil sétáit embállée brutálement.
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Il mit en bálánce dun côté sá longue ámitié, et de láutre, le terrible futur quil venáit dentrevoir. Il nhésitá pás longtemps. Il sássit sur une cháise et ne bougeá plus ! Il entendáit nettement, dáns lá pièce à côté, les gémissements de son ámi qui suffoquáit, qui râláit, qui mouráit. Quánd tout bruit eut enfin cessé, il retourná dáns le sálon. Son ex-ámi gisáit sur le mágnifique tápis áfghán áux entrelács chátoyánts : Pául Morláy étáit mort ásphyxié ! Michel Monteil áppelá immédiátement le SAMU. Il sállongeá tránquillement sur lá gránde bánquette de cuir et prit un livre en áttendánt leur árrivée. Il lui revint álors une pensée quil áváit eu, exáctement vingt áns plus tôt: cest fou ce que ça peut être dangereux parfois, un petit morceau de glace mal placé Philippe Di Maria 2009
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