Un roman épistolaire vécu par l auteur des « Lettres portugaises » - article ; n°1 ; vol.29, pg 159-172
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1977 - Volume 29 - Numéro 1 - Pages 159-172
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1977
Nombre de lectures 78
Langue Français

Extrait

Monsieur Jacques ROUGEOT
Un roman épistolaire vécu par l'auteur des « Lettres portugaises
»
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1977, N°29. pp. 159-172.
Citer ce document / Cite this document :
ROUGEOT Jacques. Un roman épistolaire vécu par l'auteur des « Lettres portugaises ». In: Cahiers de l'Association
internationale des études francaises, 1977, N°29. pp. 159-172.
doi : 10.3406/caief.1977.1142
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1977_num_29_1_1142UN ROMAN ÉPISTOLAIRE
VÉCU PAR L'AUTEUR
DES « LETTRES PORTUGAISES »
Communication de M. Jacques ROUGEOT
{Limoges)
au XXVIIIe Congrès de l'Association, le 27 juillet 1976.
Dans le domaine du roman par lettres, Guilleragues
occupe une place très particulière. Cette place tient d'abord
à la destinée singulière des Lettres portugaises, œuvre en
quête d'auteur pendant trois siècles et souvent rejetée
hors de la littérature. Elle tient aussi à la destinée non
moins singulière de l'auteur : celui-ci a vécu, dans des ci
rconstances inattendues, une aventure sentimentale qui,
sous des formes totalement différentes, présente en pro
fondeur des analogies frappantes avec celle du personnage
qu'il avait créé plus de dix ans auparavant.
En effet, lorsque pendant plus de cinq ans, de 1679 à
1685, Guilleragues remplit les fonctions d'ambassadeur à
Constantinople, il est éloigné de « tout ce qui lui est le plus
cher », pour reprendre une expression qui revient souvent
sous sa plume. Avec le temps, cette sensation d'éloigne-
ment se transforme en sentiment d'abandon. Pour maint
enir le seul lien possible avec ce qu'il a quitté, il écrit des
lettres. Des lettres officielles, au Roi et aux deux ministres
dont il dépend, Colbert de Croissy pour les affaires étran
gères, Seignelay pour la marine, mais aussi des lettres
privées. Et parmi celles qui nous sont parvenues, les plus
nombreuses et les plus intimes s'adressent à ce même
Seignelay, qui reçoit donc généralement par le
courrier deux lettres de Guilleragues, une en tant que IDO JACQUES ROUGEOT
ministre, une autre en tant qu'ami et protecteur. C'est dans
ces lettres privées que, dans un premier temps, nous allons
retrouver les traits de la sensibilité et de ce qu'on pourrait
appeler la personnalité littéraire de Guilleragues qui étaient
déjà présents dans les Lettres portugaises.
Mais ces Pontiques du siècle de Louis XIV ne sont pas la
simple répétition des Portugaises. Sur plusieurs points, les
lettres de Constantinople permettent de compléter la figure
de Guilleragues, homme et écrivain, non pas en révélant des
traits radicalement nouveaux, mais en accusant certains
de ceux qui n'étaient jusqu'alors qu'esquissés. C'est ce que
nous verrons dans une deuxième partie.
# * #
Ce qui retient l'attention dès la première lecture des
Lettres portugaises, c'est la forme de sensibilité très par
ticulière qui s'y manifeste. On Га qualifiée de typiquement
lusitanienne, on a affirmé qu'elle ne pouvait émaner que
d'une femme, religieuse de surcroît. Pourtant, elle se
retrouve, et avec de remarquables similitudes d'express
ion, dans certaines lettres que Guilleragues adresse à
Seignelay et à Louis XIV lui-même. Cette analogie pro
fonde, inattendue en raison des différences dans les condi
tions extérieures, est d'autant plus significative.
La caractéristique essentielle de cette sensibilité, celle
dont procèdent toutes les différentes manifestations, est
l'état de dépendance affective, on oserait même dire onto
logique, consciemment ressenti et hautement affirmé par
la religieuse aussi bien que par l'ambassadeur. « Tout ce
qui vous est quelque chose m'est fort cher, et je suis enti
èrement dévouée à ce qui vous touche : je ne me laissé
aucune disposition de moi-même », déclare Marianě (IV,
p. 166) (i). Guilleragues, lui aussi, a fait le don total de sa
personne. Il écrit à Seignelay (20 mai 1681) : « Je suis à un
éd. (1) F. Guilleragues, Deloffre et J. Chansons Rougeot, et Droz, bons 1972. mots, Valentins, Lettres portugaises, UN ROMAN ÉPISTOLAIRE VÉCU PAR GUILLERAGUES l6l
puissant maître, je ne souhaite rien au monde que sa gloire
et son service, je voudrais n'être pas indigne de lui en
rendre [. . . ] et n'être compté pour rien » (2).
Cette aspiration à s'abolir dans la volonté de l'être dont
on dépend va jusqu'à l'acceptation enthousiaste des plus
grands sacrifices. Marianě sent « quelque plaisir en [ . . . ]
sacrifiant » sa vie (I, p. 147) et réaffirme (III, p. 157) :
« j'ai un plaisir funeste d'avoir hasardé ma vie et mon
honneur : tout ce que j'ai de plus précieux ne devait-il pas
être en votre disposition ? ». Quant à Guilleragues (à
Seignelay, 17 mai 1683) : «... Lorsque je ne pense qu'à
vous seul, ce qui arrive beaucoup plus souvent, je me consol
erais de toutes les extrémités où me pourraient réduire
mes affaires, si vous aviez des enfants et si vous étiez
ministre d'État ». Il atteint même à un véritable lyrisme
lorsqu'il s'adresse au Roi (30 juin 1682) : « Enfin, Sire, je
suis entièrement dévoué à tout ce que Votre Majesté
commandera, et même à ce qu'elle ne commandera pas si
Elle ne me juge pas digne de ses ordres. Elle peut me
désavouer, je me désavouerai moi-même. Tous ses sujets
sont plus capables de La servir que je ne le suis, mais aucun
de ses sujets ne lui obéira jamais avec plus de résignation
contre ses propres lumières, contre ses propres intérêts et
dans toutes sortes d'extrémités, de quelque manière qu'elles
puissent être imaginées ». Le contexte montre bien que ces
« extrémités » qu'il envisage vont jusqu'à la mort, et l'on
pourrait multiplier les exemples de telles protestations de
dévouement, au sens quasi religieux du terme.
Pour Guilleragues comme pour Marianě, le désir de vivre
près de l'objet de leur affection est un véritable besoin.
Une phrase comme celle-ci : j'aimeiais « avoir le plaisir
d'être près de vous à toutes les heures du jour. Il n'y a
rien au monde que je désire si ardemment... », est de
toute évidence l'expression spontanée du sentiment de
la religieuse abandonnée. Pourtant, elle est extraite d'une
(2) Guilleragues, Correspondance, éd. F. Deloffre et J. Rougeot,
Droz, 1976 (t. I, p. 361). 1б2 JACQUES ROUGEOT
lettre à Seignelay (17 mai 1683). Marianě, elle, avait écrit :
« Pourquoi ne suis-je pas incessamment avec vous [ . . . ] ?
[ . . . ] je ne souhaite rien en ce monde, que voir. »
Mais puisque la présence est impossible par la faute d'un
destin rigoureux, c'est la lettre qui est appelée à lui servir
de substitut. Il serait fastidieux d'énumérer toutes les
prières égrenées au fil des Lettres portugaises ou des lettres
de Constantinople, les « écrivez-moi souvent » de Marianě
(I, p. 150) ou les « je n'ai point de besoin plus sensible que
celui de vos lettres » de Guilleragues (à Seignelay, 3 novemb
re 1682). Et comme les lettres reçues sont trop rares, les
plaintes se multiplient, souvent formulées sur le ton de
l'humilité : « Je ne reçois point de vos nouvelles, Monsieur ;
je ne saurais m'empêcher de me plaindre souvent de ce
retardement malheureux » (à Seignelay, 8 février 1680) ;
« Vous ne m'écrivez point ; je n'ai pu m'empêcher de vous
dire encore cela » (L. P., IV, p. 168).
Il faudrait, pour qu'une telle étude fût un peu moins
incomplète, examiner bien d'autres aspects : crainte d'im
portuner, inquiétude perpétuelle, hantise de l'oubli, convic
tion d'être le seul (ou la seule) à éprouver de tels sentiments,
etc. Dans chaque cas, on s'apercevrait que c'est la même
sensibilité qui s'exprime, et souvent en des termes ana
logues, par la plume de l'auteur ou par celle de son per
sonnage. Qu'il suffise, faute d'espace, de lire presque dans
son intégralité une lettre adressée à Seignelay (14 juin
1683), qui pourrait, presque sans changements, passer

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