Une préférence

Marie Lou Perée

Informations

• Publié par: MarieLouP
• Publié le: 03 août 2016
• Nombre de lectures: 68
• Licence : Tous droits réservés
• Langue: Français

Extrait

 C’est lui. J’en suis sur. Impossible qu’il en soit autrement. Aucun doute ne pourra m’enlever cette certitude. La première d’une vie. Ca se fête. Il y a une bouteille de Champagne au frigo, qui attend l’événement. Des mois qu’elle traîne avec la brique de lait et la bouteille d’eau du robinet. Il est temps que je lui fasse prendre du galon. Que je redonne vie à ces bulles enfermées, contraintes, résignées. Que je les mette face à leur valeur intrinsèque. Qu’elles n’aient plus aucun autre choix que de me le rendre. Aujourd’hui je n’ai plus peur. Je peux dormir toute lumière éteinte. Le noir n’aura plus raison de moi. Car c’est aujourd’hui que ma vie commence. Une page blanche. Lumineuse. Attendait son heure. Sa naissance. Et là voilà qui se met à virevolter. Chercher l’endroit où se poser. Stable et confortable. Le bonheur. Je vais déboucher ce Grand Cru perdu au milieu de nul part. Donner un sens à sa vie. Partager la mienne avec lui. Le regarder déborder. J’ai déjà préparé les deux flûtes. Une pour moi une pour lui. Même s’il n’est pas là nous boirons tous les deux. Car il vit. Dans moi déjà. Il s’immisce. Sa chair contorsionne ma chair. Epouse ses formes. Je la laisse faire. S’éprendre d’amitié pour mes viscères. Si je parle, il boit mes mots. S’il parle, je bois les siens. Chaque mot une petite bulle échappée de son monde. Cherche à accéder au mien. Chaque regard un croisement de route. Pétillant. Cherche un contenant. Une certitude, annuler le doute. Il n’est pas là. Nos pensées s’entrechoquent. Font la fête. Vivent de concert dans ma tête. J’irai acheter les chevaux à bascule que j’ai vu hier à la vitrine du magasin de jouets. Deux chevaux de bois. Son absence et moi les enfourcherons. Boirons le Champagne. Leurs donnerons chair, animale, vie. Et quand il n’y aura plus de Champagne, les flûtes déborderont de l’ivresse qui sera la nôtre. Qui remplira la bouteille. Qui retournera au frigo. Jusqu’à la prochaine certitude. Le prochain événement. Il n’est pas là et pourtant il me parle. Oui. J’ai soif. Il me parle et je bois ses mots. Ses bulles. Ses petits mondes. Son Grand Monde. Il n’est pas là. Il est parti. Il ne sait pas encore que je bois ses mots. Son manque. Ses maux. Que je

m’en nourris. Il ne sait pas que je les bois à son absence. Que je verse dans un joli verre pour lui donner une contenance. Un verre que je choisi en toute connaissance. Avec la certitude que c’est celui là. Que c’est bien lui. Et pas un autre. Juste une préférence.