La terre, le père, le ciel ou comment l autorité vient aux aristocrates - article ; n°1 ; vol.90, pg 237-265
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Description

Publications de l'École française de Rome - Année 1986 - Volume 90 - Numéro 1 - Pages 237-265
En France, à la fin du XIXe siècle, non seulement dans la noblesse mais encore pour certaines fractions bourgeoises, l'appartenance à une famille ancienne, connue et estimée, est un des signes distinctifs de l'appartenance aux classes dirigeantes. Plus précisément, la tradition familiale fonctionne comme capital, c'est-à-dire comme rapport social de pouvoir, et se combine avec le capital culturel et le capital économique. Dans cette perspective, ainsi que le révèle l'examen des rapports entre nobles et paysans, dans un département bas-normand, la Manche, de la chute de la Restauration à l'avènement de la Troisième République, il apparaît que les représentants de l'aristocratie déploient un véritable « art de faire », en gérant rationnellement ces formes souvent liées de capitai social que constituent les relations et la famille. Ce patronage aristocratique représente une pratique cohérente, structurée par un système de valeur, dont les trois termes interdépendants pourraient être la terre, le père, le ciel.
29 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 68
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Alain Guillemin
La terre, le père, le ciel ou comment l'autorité vient aux
aristocrates
In: Le modèle familial européen. Normes, déviances, contrôle du pouvoir. Actes des séminaires organisés par
l'École française de Rome et l'Università di Roma (1984). Rome : École Française de Rome, 1986. pp. 237-265.
(Publications de l'École française de Rome, 90)
Résumé
En France, à la fin du XIXe siècle, non seulement dans la noblesse mais encore pour certaines fractions bourgeoises,
l'appartenance à une famille ancienne, connue et estimée, est un des signes distinctifs de l'appartenance aux classes
dirigeantes. Plus précisément, la tradition familiale fonctionne comme capital, c'est-à-dire comme rapport social de pouvoir, et se
combine avec le capital culturel et le capital économique. Dans cette perspective, ainsi que le révèle l'examen des rapports entre
nobles et paysans, dans un département bas-normand, la Manche, de la chute de la Restauration à l'avènement de la Troisième
République, il apparaît que les représentants de l'aristocratie déploient un véritable « art de faire », en gérant rationnellement ces
formes souvent liées de capitai social que constituent les relations et la famille. Ce patronage aristocratique représente une
pratique cohérente, structurée par un système de valeur, dont les trois termes interdépendants pourraient être la terre, le père, le
ciel.
Citer ce document / Cite this document :
Guillemin Alain. La terre, le père, le ciel ou comment l'autorité vient aux aristocrates. In: Le modèle familial européen. Normes,
déviances, contrôle du pouvoir. Actes des séminaires organisés par l'École française de Rome et l'Università di Roma (1984).
Rome : École Française de Rome, 1986. pp. 237-265. (Publications de l'École de Rome, 90)
http://www.persee.fr/web/ouvrages/home/prescript/article/efr_0000-0000_1986_act_90_1_2878ALAIN GUILLEMIN
LA TERRE, LE PÈRE, LE CIEL
OU COMMENT L'AUTORITÉ VIENT AUX ARISTOCRATES
Introduction
Un beau soir de l'été 1892, trois femmes, trois aristocrates, Emilie
de Montebourg et ses deux filles, Eleonore et Marthe, quittent pour ne
plus jamais y revenir, un château de Basse Normandie : Marthe, la
cadette, est enceinte des œuvres du cocher du domaine et il ne saurait,
bien sûr, être question de mariage entre les deux coupables. Pour ne
pas faire rejaillir la honte sur toute la famille, la mère se sent même
mise en demeure d'abandonner le pays et de mettre en vente les terres
et le château. Au fil de quelques deux cent lettres authentiques, étalées
sur une période de dix ans (la première est datée du 22 août 1892, la
dernière du 3 novembre 1902), et sélectionnées par des descendants
dans la masse de la correspondance familiale, il est loisible à l'historien
de rassembler les fils du destin de Marthe jusqu'à sa mort, de la suivre
dans sa quête de l'autonomie, dans son long combat contre les intérêts
bien compris du clan familial1.
Cette source, exceptionnelle, dans la mesure où elle permet de mett
re en lumière ce qui est généralement caché, parce que non dicible,
confirmerait, s'il le fallait la place centrale du modèle familial et la pré-
gnance du réseau parental, pour les représentants de la noblesse fon
cière, au XIXe siècle. En effet, en abandonnant la terre des ancêtres,
ces trois femmes s'excluent par là même de l'espace privilégié de la
sociabilité nobiliaire et se privent des avantages qui lui sont attachés : à
la stabilité succède l'errance, à la jouissance oisive de la richesse fon-
1 Marthe, Paris, 1983. ALAIN GUILLEMIN 238
cière, les embarras d'argent, aux contacts entre pairs, la fréquentation
inévitable des classes inférieures, à l'avenir assuré, le futur incertain.
Ainsi, en France, à la fin du XIXe siècle, non seulement dans la
noblesse, mais encore pour certaines fractions bourgeoises de la société
des notables, l'appartenance à une famille anciennement connue et
estimée permet de perpétuer les cohérences anciennes et par là même
de maîtriser le futur, d'autant plus que la supériorité de la richesse fon
cière sur la richesse mobilière accentue le caractère patrimonial des
fortunes : «Ayant un passé et un avenir, le notable est l'homme qui vit
dans un temps de longue durée; plusieurs aspects de ses conditions de
vie y contribuent : d'abord, le notable est l'homme d'une famille, il est à
la fois «fils» et «père»; qu'il soit légitimiste ou conservateur, nous
pourrons dire que c'est son attitude de fils qui commande son attitude
de père; quand l'opinion commune promettait «un bel avenir» à un jeu
ne notable, c'était implicitement reconnaître cette maîtrise du temps à
venir»2.
Dans cette perspective, on peut estimer que la pertinence de l'op
position classique qui, dans la littérature ethnologique et sociologique,
oppose sociétés dites «segmentaires» et sociétés de classe est sujette à
caution. En effet, cette distinction repose sur l'hypothèse que l'apparte
nance à un groupe social est déterminée dans les sociétés segmentaires
par la naissance et l'hérédité, dans les sociétés de classe par des fac
teurs hors parenté, d'où la distinction entre «ascription» (statut hérité)
et «achievement» (statut acquis). Or, à la suite de recherches menées
depuis une dizaine d'années sur les sociétés segmentaires et plus r
écemment d'études portant sur la transmission héréditaire dans la socié
té française, le caractère tranché de cette opposition tend à être infi
rmé3. En effet, dans les deux types de société, la parenté «fonde une
hiérarchie propre, fonde l'appartenance individuelle à des groupes
hors parenté, mais dans les sociétés de classe le statut social est formel
lement justifié et officiellement régi par des critères non parentaux
2 A. J. Tudesq, Les grands notables en France (1840-1849), II, Paris, 1964, p. 1237.
3 P. Donte, Classes et parenté dans les sociétés segmentaires, dans Dialectiques, 21,
p. 103-115.
C. Delphy, Le patrimoine et la double circulation des biens dans l'espace économique
et le temps familial, dans Revue française de sociologie, vol. X, n° spécial, 1969, p. 664-
687. .
M. Salitot-Dion, Stratégie de reproduction et accumulation des patrimoines fonciers,
dans Études rurales, 65, janvier-mars 1977, p. 31-49. LA TERRE, LE PÈRE, LE CIEL 239
bien que déterminé plus ou moins largement par l'hérédité»4. Plus pré
cisément, on peut faire l'hypothèse que l'appartenance à une famille
fonctionne comme capital c'est-à-dire comme rapport social de pouvoir
et il convient de déterminer son importance relative, notamment face
aux privilèges attachés à la possession d'un capital culturel ou d'un
capital économique.
Le mode d'articulation de ce capital social5 que l'on pourrait
désigner sous le terme de «tradition familiale», avec les autres formes
de capitaux est fonction, non seulement de la structure et de l'évolution
des rapports de classe d'une société donnée, mais encore du jeu des
représentations dans cette société6.
De ce fait, si, comme l'affirme Arno Mayer, les éléments prémodern
es ne sont pas jusqu'en 1914 «les vestiges décadents et fragiles d'un
passé presque entièrement disparu, mais l'essence même des sociétés
civiles et politiques en place en Europe»7, l'aristocratie foncière ne sau
rait être assimilée à une classe anachronique, brutalement et inéluct
ablement écartée du pouvoir par la bourgeoisie capitaliste. Au contraire,
elle se constitue comme partie intégrante de la société des notables.
Encore convient-il de mettre en lumière les mécanismes sociaux qui
sont au principe de la «persistance de l'Ancien Régime»! À ce titre, ains
i que le révèle l'examen des rapports entre nobles et paysans dans un
département bas-normand, la Manche, de la chute de la Restauration à
l'instauration de la Troisième République, il apparaît que les représen
tants de l'a

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