Le renforcement de la chaîne création-diffusion à l ère du numérique
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Le renforcement de la chaîne création-diffusion à l'ère du numérique

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Description

Un article très intéressant de Luc Pire, éditeur Belge établi à Liège, qui a fondé les éditions Luc Pire, qui proposent, entre autres, des livres numériques (ou eBooks). L'éditeur y retrace sa propre expérience de l'édition, en s'attardant sur la chaine création-diffusion. Il évoque ses relations de travail proches avec les libraires, mais aussi avec les lecteurs, et explique comment le numérique a pu influencer la diffusion, et sera amené à l'influencer par le futur.
Un article vraiment intéressant, qui apporte un point de vue professionnel et complet sur l'édition, et plus largement encore l'édition numérique.

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Publié le 19 juillet 2011
Nombre de lectures 505
Langue Français

Extrait

Le renforcement de la chaîne créationdiffusion à l’ère du numérique Luc Pire Le fait d’organiser ce colloque sur les industries culturelles dénote une évolution des mentalités et je m’en réjouis. Les deux termes, «industries »et «culturelles »,paraissent antinomiques :un éditeur africain avait dit à un colloque à Dakar que l’éditeur est un commercial chez les culturels et un culturel chez les commerciaux. Ce colloque est une reconnaissance que nous sommes une industrie culturelle, un enjeu industriel, et que la culture aussi va jouer un rôle décisif pour notre développement économique. Je suis heureux qu’il y ait ici des représentants de la Région wallonne, parce qu’une de mes recommandations c’est que ce type de rencontre ne se fasse plus sans les différents niveaux de pouvoir. Arrêtons de ne discuter qu’entre représentants de la Communauté française de l’avenir des industries culturelles, puisque les compétences économiques appartiennent à la Région wallonne et à la Région bruxelloise. Faisons des choses ensemble : c’est la volonté de chacun, mais on pourrait coorganiser plus fréquemment de telles rencontres. Comme l’a dit Georges Hoyos lors des débats, l’édition est un secteur où l’investissement public est symbolique: les subsides que je reçois doivent représenter moins de 1% de mon chiffre d’affaires. Je ne m’en plains pas, c’est un constat, mais nous ne sommes pas dans le même rôle qu’un directeur de théâtre qui dépend beaucoup plus que nous des subsides. Il reste que les pouvoirs publics peuvent faire mieux en termes de dynamisme quand on voit le nombre de recommandations du Conseil du livre qui sont peu lues ou pas suivies d’effet… Dans ce contexte, le petit gâteau des subsides ne sert à rien et a même un effet négatif en favorisant Untel plutôt qu’un autre, en saupoudrant à gauche et à droite, en ralentissant certaines initiatives parce qu’il y a un petit subside attaché à tel projet et que les gens seraient peutêtre plus dynamiques s’il n’y en avait pas : il y a tout un débat làdessus. Gallimard vient de sortir un livre dont je vous recommande la lecture en toute urgence :De la culture en Amérique, de Frédéric Martel, qui développe, contrairement aux idées reçues, la thèse selon laquelle il y a aux EtatsUnis un débat permanent entre la culture du «big business » et la culture associative, alors qu’il n’existe pas de ministère de la Culture et que la vie culturelle s’en passe parfaitement : il faut se poser cette questionlà. 1. L’intégration de la diffusion dans le processus de création Pour rentrer dans le cœur du thème: «comment j’ai renforcé dans mon métier la chaîne créationdiffusion », cela fait deux ou trois ans que la diffusion, c’estàdire l’acte commercial de présenter un produit culturel au public, en l’occurrence un livre, est totalement intégrée dans mon processus de décision éditoriale. Je fais des livres après avoir vérifié, interrogé le marché. En l’occurrence, essentiellementvia leslibraires. Mais aussi, grâce à Internet, en tenant compte des lecteurs : nous recevons en permanence des réactions de lecteurs qui nous aident à prendre des décisions éditoriales. Mais le diffuseur en particulier est en permanence interrogé, parfois de manière très pragmatique. Par exemple, j’ai reçu un très bon manuscrit autour du 15 novembre [2006] sur les affaires à Charleroi intituléCharleroi, le séisme, je me suis demandé s’il n’allait pas arriver trop tard pour les fêtes, si on ne parlait pas déjà trop des « affaires », si cela avait du sens de publier ce texte. J’ai interrogé dix libraires qui m’ont dit que cela avait du sens : je l’ai fait et le livre marche bien.
De manière plus professionnelle, plus en amont, il y a déjà un an que nous avons rencontré un directeur de collection parisien pour préparer une nouvelle collection qui commencera dans un an. Il y a donc deux ans de travail, de rencontres avec des libraires et de réflexion pour décider du type de livres que nous allons préparer avec ce directeur de collection. La proximité au niveau belge est facile : on est sur un marché qui est un mouchoir de poche, mais je la renforce : depuis le 15 novembre j’ai repris ma propre diffusion, j’ai engagé moimême mes propres commerciaux pour ne plus déléguer ce travail que je trouve décisif dans notre choix éditorial. C’est notamment pour vendre mieux – parce que je sais qu’on vend mieux quand on vend soimême –, mais c’est surtout pour avoir une rencontre quotidienne entre mes diffuseurs, mes commerciaux et mes équipes éditoriales pour qu’en permanence nous sentions les choses et que nous prenions les bonnes décisions. Les bonnes décisions, cela ne veut pas dire qu’on ne sortira que des livres qui vont marcher en librairie ou qui vont marcher de manière suffisante pour être rentables. Prenons un exemple : il y a longtemps déjà, nous avions tâté le terrain pour savoir si un livre sur l’histoire des femmes en Belgique avait sa place sur le marché. Il était clairement dit que non : il s’agissait d’un livre qui coûterait cher, un ouvrage de référence dont il faudrait vendre au moins 5.000 exemplaires pour qu’il soit rentable. Il n’y avait pas de marché pour cela en Belgique francophone. Nous l’avons publié quand même, mais en sachant qu’il fallait trouver d’autres sources de financement que la vente en librairie. Nous avons créé une dynamique associative, organisé des conférences en sachant qu’on y vendrait le livre, lancé des souscriptions, et obtenu une queue de budget auprès d’une institution publique : tout cela a rendu la publication possible, en sachant que le marché n’était pas prêt à digérer les 5.000 ventes qui constituaient le point d’équilibre, mais qu’il y avait un intérêt suffisant au niveau des libraires pour que l’édition de cet ouvrage ait un sens, y compris pour la vente en librairie. Je ne fais pas, ou quasiment jamais, de livres qui ne sont pas présents en librairie ; le fait d’avoir reçu un avis plutôt négatif au sens strictement économique ne m’a pas empêché de faire le livre, mais je l’ai édité après avoir décidé de le vendre différemment en amont, en aval et surInternet – nous en reparlerons. 2. Diffusion internationale et Internet Au niveau belge, c’est facile ; au niveau international, c’est un peu plus compliqué, quoique même les grandes sociétés soient faites d’hommes et de femmes. J’ai maintenant une diffusion internationalevia le; on se téléphone pratiquementCDE, c’estàdire Gallimard trois fois par semaine, on se voit au moins une fois par mois, c’est simplement plus long, cela nous oblige aussi à être plus professionnels, à donner des documents beaucoup plus tôt pour tester le marché de la même façon. Ce que je vous dis à court terme à propos du livre sur les scandales à Charleroi, je suis en train de le tester pour une collection que de jeunes éditeurs flamands ont créée, qu’ils ont déjà vendue dans pratiquement toutes les langues du monde, et dont j’ai racheté les droits de l’édition francophone: je ne l’ai fait qu’après que Gallimard m’ait dit qu’il y avait une très belle place à prendre pour cette collection. Dans cette stratégie, Internet – qui est le fil rouge de pratiquement tout ce colloque – joue un rôle très important. D’abord en termes d’information vers le lecteur. Vous connaissez les sites Internet et leurs aléas. Nous avons fait le choix très tôt d’avoir un webmaster plein temps – je ne comprends pas comment il existe encore des sites Internet qui ne sont pas mis à jour : c’est le premier choix à faire –, et c’est payant. Depuis plusieurs années, notre site sert à lancer de l’information vers le public, mais depuis quelques mois nous recevons beaucoup d’informations du public. Nous recevons énormément de réactions sur les livres, sur ce que
nous avons fait, et nous sommes en train de tester des questions à lancer vers le public, donc vers un certain nombre demailing listspersonnes qui peuvent s’inscrire en signalant de qu’elles souhaitent donner leur avis sur notre politique éditoriale: nous les interrogeons et cela fonctionne très bien. Il y a aussi la promotion, qui n’est pas la même chose que l’information. Nous utilisons évidemment le marketing par mail. Nous créons aussi parfois des sites dédiés. Je reviens à l’opérationLes femmes dans l’histoire de Belgique: nous aurions pu créer un site sur ce thème, lancer un débat, y mettre du son, de l’image, comme nous l’avons fait pour un certain nombre d’autres titres. Reste l’étape de la vente proprement dite, et notamment des ventesviaInternet. La première chose que nous proposons aux personnes qui viennent sur notre site et qui sont intéressées par un livre, c’est de cliquer sur: «Où est le libraire le plus proche de chez moi». Nous avons aussi créé des liens vers des librairies virtuelles, qui sont aussi les libraires réels et qui conseillent les lecteurs internautes. 3. Le livre numérique Enfin, nous éditons aussi des livres numériques, qui sont téléchargeables. Jusqu’à présent le modèle économique est très simple: cela marche très bien si le produit est gratuit pour le lecteur ! En 2006, au 15 novembre, nous en étions à 850.000 téléchargements, sur notre site, d’un de nos 300 livres téléchargeables. C’est phénoménal, c’est un vrai nouveau média. Le problème économique réside dans le fait que les internautes ne sont pas prêts à payer pour cela, sauf peutêtre pour des articles scientifiques (c’est un autre schéma). Mais pour des livres, ils ne sont pas prêts à payer. Or il faut bien que quelqu’un paye. C’est soit moi, qui paye le temps consacré par mon webmaster à faire de la promotion, à mettre en ligne des livres épuisés, ou des parties de livres qui renvoient vers des livres papier. Ou bien les financiers sont des institutions, des pouvoirs publics qui payent pour faire passer de l’information. Mais c’est un vrai nouveau média, qui est totalement complémentaire du livre papier et qui n’a pas pour vocation de le tuer. Car contrairement à la musique qui n’a pas besoin de support pour être entendue – le numérique a achevé de tuer le vinyle et tue le CD –, pour la lecture il faudra toujours un support, et de fait le support sera peutêtre électronique. Le papier électronique arrive. Ce sera un livre papier de pages blanches et, une fois téléchargées, les pages blanches se transformeront en pages imprimées. Cela arrive et tout va aller très vite dans ce domaine. Donc la chaîne du livre est bouleversée. Je crois que, comme l’a dit Georges Hoyos, du point de vue de l’éditeur le bouleversement est porteur d’avenir: il rend l’éditeur encore plus indispensable puisqu’il est au cœur du contenu. Je ne sais pas si à l’avenir les gens vont lire sur leur GSM, ou à partir d’un fichier téléchargeable, ou encore continueront à lire des livres papier traditionnels, mais de toute façon la plusvalue du contenu, c’est l’éditeur qui l’apporte et qui en est le garant. Nous recevons un manuscrit, il faut qu’il soit meilleur et notre travail est de le rendre meilleur. Pour l’auteur aussi, la tentation de l’autoédition va être renforcée. Rappelons que l’auto édition existe déjà. Simplement Internet favorise l’autoédition, et il faut s’en réjouir. Nous recevons dix propositions de livre par jour, nous ne pouvons pas les éditer tous. Ce qui ne changera pas le fait que l’éditeur, que ce soit en numérique ou en papier, garde son rôle qui est d’apporter de la plusvalue au niveau du contenu et de la plusvalue au niveau commercial. Que je vende mon livre papiervia unlibraire ou qu’on le lise en bibliothèque ou qu’on le vole, c’est parce que je fais un travail d’éditeur que je vais le vendre ou qu’il sera lu, et ce sera la même chose avec l’édition numérique. Si un auteur pourra, avec ses propres moyens, offrir
son livre ou le vendre sur son site, il aura mille fois moins de visites sur son site parce que sur notre site nous avons mille fois plus de visites pour un grand nombre de raisons que je ne peux pas développer ici. 4. Le nouveau rôle des bibliothèques et des libraires Il en va de même pour les bibliothèques : c’est une des institutions qui vont le plus devoir se remettre en question. J’ai rencontré à Lyon Patrick Bazin, le directeur de la bibliothèque municipale de Lyon. Ils ont créé un guichet du savoir, car ils se sont rendu compte qu’il y avait de moins en moins de personnes qui venaient faire des recherches en bibliothèque même s’il y a toujours des gens qui viennent chercher un roman pour le lire. Ils ont donc créé un guichet du savoir géré par les bibliothécaires, qui permet aux internautes de poser des questions. En 2006, ils ont reçu 12.500 questions qui ont généré 1,5 millions de pages lues. Ils sont en train d’utiliser leurs connaissances de bibliothécaires, c’estàdire leurs capacités de trouver les réponses aux questions posées (ce qui est le vrai problème posé par Internet, en raison de la masse d’informations qu’il charrie), et ils sont en train de changer de métier en utilisant le savoirfaire acquis dans leur métier précédent sans tuer leur nouveau métier. C’est l’enjeu auquel nous allons tous être confrontés, à tous les échelons : tous nos métiers culturels vont être bouleversés par l’Internet et seront obligés d’évoluer. Les bibliothécaires de Lyon apportent une des réponses possibles à cette question, personne ne connaît l’avenir, mais il faut y être attentif. Il en va de même pour la librairie. Certains libraires ont commencé à innover :Livres Hebdocitait le librairie Mollat à Bordeaux qui fait 150 conférences d’auteur par an et les « podcaste »(les médias se croisent évidemment) sur son site: on peut télécharger ces conférences. Les librairies continueront à être des lieux d’échanges ou des organisateurs d’échanges. Les bibliothèques vont devenir des lieux organisateurs de savoirs. Les éditeurs doivent continuer à apporter une plusvalue qualitative. Les auteurs vont peutêtre plus s’auto éditer, et ainsi être repérés par un éditeur classique qui va prendre le jeune auteur qui a osé s’autoéditer. Tout est en passe ou en train d’être bouleversé, ce qui est très positif et très stimulant. Pour conclure, je crois que le plus stimulant est le fait qu’à l’avenir, non seulement tous nos métiers vont être bouleversés, mais vont surtout se rapprocher. Où est la différence entre un bestseller, le livreCongo River, et le film éponyme? Nous avions décidé, la productrice Christine Pireaux et moimême, que nous allions récupérer tous nos invendus et les remettre ensemble pour que les gens puissent avoir un nouveau produit dans un an. Mais aussi, pourquoi ne mettraiton pas des extraits du film sur mon site et des extraits du livre sur son site ? Les métiers vont ainsi s’interpénétrer. 5. Propositions 1.Une demande urgente, et qui répondrait à un manque criant, c’est une étude scientifique sérieuse du marché dans mon métier qui est le livre, mais aussi dans les autres métiers des industries culturelles. Et pas une étude menée sur la base d’enquêtes volontaristes, mais faite par des réviseurs d’entreprises avec les libraires sur les sorties de caisse, pour qu’on ait les vrais chiffres sur l’état du livre en Belgique. On n’en sait rien, on a des indications intéressantes parce que les enquêtes menées tous les ans permettent de voir des tendances, mais ce ne sont que des tendances. Les chiffres sérieux, ce sont les vraies ventes.
2.Deuxième demande : il y a eu un colloque au Grand Hornu il y a quelques mois, au cours duquel on a passé la journée à se présenter. Il y a une richesse, en Communauté française, de gens qui se sont investis dans les nouvelles technologies et qui se posent les questions que nous nous posons ici. Je regrette qu’il n’y ait pas de lien entre cette journée et le colloque d’aujourd’hui, et je propose qu’à l’avenir on capitalise les expériences, les noms et les échanges pour approfondir toujours davantage la réflexion plutôt que de la reprendre chaque fois à nouveaux frais. 3.Mais quant à la manière de procéder, soyons sans état d’âme : ne faisons plus ce genre de colloques, mais utilisons cet argent pour que les fonctionnaires de la Communauté française soient proactifs et repèrent les professionnels qui font le même type de métier, les réunissent et les fassent se connaître, et qu’on sorte de ces rencontres avec des projets concrets. En tant qu’éditeurs en Communauté française, nous avons été plusieurs à travailler en parallèle sur des projets identiques sans le savoir. Le rôle des pouvoirs publics est de fédérer les acteurs : audelà des colloques grandmesse où l’on parle les uns après les autres, et qui ont bien sûr leur utilité, visons l’efficacité pragmatique. 4.: nous allons tousEnfin, ne publions pas sous forme papier les actes de ce colloque recevoir une bible. Utilisez la même somme que celle qui serait réservée à un imprimeur pour envoyer 500.000 dépliants dans toute la Belgique francophone, qui renvoient vers un site où l’on pourra télécharger les interventions du colloque.
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