La mort de Claudia
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Mémoires imaginaires de Claudio Monteverdi en septembre 1607, date de la mort de son épouse Claudia

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Publié le 23 mars 2011
Nombre de lectures 202
Langue Français

Extrait

Claude - Jean Nébrac
LA MORT DE CLAUDIA
Mémoires imaginaires de Claudio Monteverdi
(septembre 1607)
Crémone - septembre 1607
Aujourd'hui, 10 septembre 1607, ma vie a basculé dans la douleur. Claudia est morte.
Ma chère Claudia, la douceur de ma vie, m'a quitté pour toujours, en me laissant deux
garçons qui ne reverront plus jamais leur mère.
Claudia, notre bonheur devait-il s'arrêter si tôt ?
Rappelle-toi, c'était en 1595, cinq ans après que je sois entré au service du duc de
Gonzague. Nous nous sommes plu, nous nous sommes aimés. Il nous a fallu attendre
quatre ans pour unir nos destinées, le 20 mai 1599. Nous avons échangé nos voeux
devant le recteur don Girolamo Belledi, dans l'église SS. Simone e Giuda, de la Via
Domenico Fernelli, qui venait d'être reconstruite quelques années auparavant. Notre
seigneur-duc a bien voulu honorer notre mariage de sa présence. Notre bonheur aurait été
parfait si je n'avais pas dû, quelques jours après, l'accompagner dans son long voyage
dans les Pays-Bas espagnols.... Vincenzo de Gonzague ne conçoit pas vivre sans
musique. Plus de quatre mois d'absence ! Heureusement je te savais en sécurité à
Crémone chez mon père Baldassare.
La naissance de nos enfants nous a donné tant de joie, mais malheureusement, tu ne t'es
jamais remise de la naissance de Massimiliano, il y a trois ans. Tu es restée à Crémone,
et moi j'ai dû retourner travailler pour le duc, sans être payé, comme d'habitude !
Chère Claudia, combien de fois ai-je pensé à toi en composant l'
Orfeo
! Comme Orphée,
j'ai vécu la joie des préparatifs du mariage, comme lui, j'ai souffert de la terrible séparation,
comme lui, j'ai espéré que la musique aurait le pouvoir de te redonner la vie. Mais comme
Orphée, je t'ai perdue à jamais. Nous ne nous retrouverons qu'au royaume des Ombres, si
les Ménades - ou le duc ! - ne m'ont pas mis en pièces d'ici là.
*
*
*
Ces deux derniers mois repassent dans ma tête.
En juillet, le duc Vincenzo est parti faire une cure aux eaux de Sanpierdarena, près de
Gênes. J'ai quitté Mantoue aussitôt. La santé de Claudia me causait une inquiétude de
tous les instants. Les médecins de Mantoue, même les meilleurs, s'étaient montrés
impuissants à soigner cette maladie de langueur dont Claudia était atteinte depuis la
naissance de Massimiliano, trois ans auparavant. Dans ces conditions, je l'avais
emmenée, ainsi que les enfants, à Crémone chez Baldassare. Cher père, toujours
disponible, toujours présent ! Il ne me le disait pas, mais il savait sûrement que Claudia ne
pourrait jamais se remettre. Mais au moins nous apportait-t-il la chaleur de sa présence,
rassurante malgré tout.
*
*
*
A Crémone, je me suis jeté au chevet de Claudia. Elle m'a accueilli avec un pauvre sourire
et m'a tendu les bras.
- Claudio ! Toi, enfin !
- Claudia ! Je suis venu aussi vite que possible après le départ du duc aux eaux de
Sanpierdarena. Comment te sens-tu ?
- Mieux, Claudio, depuis que tu es là ! Rien ne peut m'arriver quand tu es auprès de
moi. Tiens-moi la main, et serre-la... mais pas trop fort !
Je ravalais les larmes qui me venaient à la vue de ma Claudia que je trouvais encore plus
amaigrie. Même le feu de ses yeux, qui m'avait toujours fasciné, avait perdu de son éclat.
- Claudio, vas-tu rester à Crémone ?
- Oui, Claudia, au moins quelques jours, mais...
- Mais ?
- Des éditeurs réclament ma présence. A Venise, à Milan, mais je n'irai pas.
- Mais si, Claudio, tu peux y aller. Baldassare s'occupe tellement bien de moi !
- Sûrement pas à Venise, c'est trop loin ! Je vais demander à Giulio Cesare d'y aller
à ma place.
- Alors, va à Milan, Claudio, je t'assure que je vais aller mieux.
- On verra. On a le temps d'y penser, c'est pour le mois prochain. En attendant, je
vais aller voir Baldassare et les enfants, je n'ai même pas eu le temps de les embrasser.
Mon père m'attendait à la sortie de la chambre. Nous nous étreignirent. Je regardais son
visage : il était grave. Je ne l'interrogeais pas sur Claudia, car je savais que même s'il la
jugeait condamnée, il ne me le dirait pas, et qu'il continuerait à la soigner jusqu'au bout
comme si elle pouvait miraculeusement guérir.
Quant aux enfants, ils jouaient sans entrain. Francesco Baldassare, l'aîné, allait sur ses
six ans. C'était un garçon plutôt sage, presque renfermé. Le cadet, Massimiliano, un peu
plus de trois ans, était plus agité, montrant un caractère déjà difficile.
*
*
*
Si je recherchais la tranquillité à Crémone, j'allais vite être déçu. Ma présence à Crémone
fut vite connue, et la municipalité décida de donner une réception en mon honneur, ou
plutôt en l'honneur du compositeur de l'
Orfeo
. L'
Accademia degli animosi
avait décidé de
m'admettre dans ses rangs, et célébrer l'occasion en jouant des extraits de l'
Orfeo
.
Ce fut une journée émouvante. Je me sentis entouré par tout ce que ma ville natale
comptait de lettrés et d'amateurs de musique. J'y allais de mon petit discours, en leur
expliquant que mon désir de mieux décrire les passions humaines m'avaient conduit à
tenter de faire la synthèse entre l'écriture mélodique du simple récitatif à la florentine, et
l'écriture harmonique du madrigal, sans m'enfermer dans un système contraignant, mais
en choisissant à chaque fois le mode d'expression le mieux adapté. Je fus très applaudi...
*
*
*
Aujourd'hui 27 juillet, cela fait une semaine que j'ai reçu une lettre du conseiller du Duc,
Annibale Iberti, qui contenait deux sonnets à mettre en musique. Je me suis attelé à la
tâche, mais j'avoue que j'avais autre chose en tête que mettre un sonnet en musique. J'ai
mis une semaine à composer la musique de l'un, et encore, je n'en suis guère satisfait. De
plus, je n'ai personne, ici, qui puisse le chanter pour que je me rende compte de ce que
donne la musique ! J'ai fini par répondre à Iberti en lui disant que j'étais un peu souffrant,
et en lui demandant de donner la musique à Bassano Cassola, mon adjoint, qui est aussi
chanteur, pour qu'il s'y essaye et qu'il s'assure de la mélodie. J'enverrai le second ensuite.
*
*
*
Giulio Cesare est rentré de Venise. Je lui avais demandé de me remplacer pour aller
surveiller l'impression des
Scherzi musicali
par l'éditeur Ricciardo Amadino.
Cher Giulio ! Il en a profité pour ajouter deux pièces de sa composition. Je ne vais pas lui
en vouloir pour ça. D'autant qu'il en a profité pour répondre à Artusi.
Giovanni Maria Artusi, chanoine de Bologne. Celui-là, il a réussi à me gâcher la vie. En
novembre 1598, Il avait eu vent de quelques madrigaux chantés chez Antonio Goretti,
mon ami de Ferrare, dans lesquels je tentais de développer ce que j'appelle
la seconda
prattica
. Artusi y est complètement imperméable. Il s'est mis en tête de défendre l'ancien
style dans une plaquette qu'il a fait éditer à Venise chez Giacomo Vincenti. Il l'a intitulée :
L'Artusi, overo delle imperfettioni della moderna musica
. Les lecteurs ont ainsi pu
apprendre que ma musique est
désagréable à l'oreille, qu'on y entend une diversité de
sons, un mélange de voix, une rumeur d'harmonies insupportables aux sens. Bref qu'elle
est contraire à tout ce qu'il y a de beau et de bon dans l'art de la musique
. Bien sûr, il ne
désignait personne nommément, mais curieusement, tous ses exemples étaient tirés de
mes madrigaux.
Pauvre Artusi ! Il en était encore encore à la sacro-sainte polyphonie de l'école flamande
dont plus personne ne voulait.
Qu'allais-je faire ? engager le fer, moi, petit musicien de Mantoue, avec le chanoine de la
congrégation du Saint-Sauveur de Bologne, qui a eu le grand Zarlino comme professeur ?
J'ai préféré ne pas répondre, et attendre mon heure.
J'ai attendu jusqu'à la publication chez Amadino, il y a deux ans, du Cinquième Livre de
Madrigaux, J'ai frappé un premier coup en évoquant, dans la dédicace au Duc,
les
méchantes langues qui tentent de mettre à mort les oeuvres d'autrui
. Et puis, dans l'
Avis
aux lecteurs
, j'évoquais la publication prochaine d'une réponse aux objections d'Artusi,
dont j'ai même annoncé le titre :
La Seconde pratique ou De la perfection de la musique
moderne
. Cela me permettait d'éveiller l'intérêt des connaisseurs, tout en laissant "mijoter"
ce cher Artusi.
Il aura "mijoté" presque deux ans, mais entre-temps, il y aura eu l'
Orfeo
. Quelle plus belle
réponse pouvais-je faire ? La
Dichiarazione
que Giulio Cesarea incluse dans la préface
des Scherzi musicali, dédiés au prince Francesco, vient la compléter par un écrit.
Nous en avions longuement parlé, Giulio Cesare et moi, et ce dernier a rédigé un long -
trop long ? - commentaire de l'Avis aux lecteurs du Cinquième livre. Giulio a tout dit
lorsqu'il explique que la musique est un moyen
de peindre l'homme dans le mouvement
des passions et la vérité de l'âme
.
*
*
*
Claudia allait un peu mieux. Ou peut-être voulais-je m'en persuader. Toujours est-il que j'ai
décidé de me rendre à Milan, pour un court voyage. Je devais voir l'éditeur d'une
compilation de madrigaux dans lesquels les textes en italiens ont été remplacés par des
textes en latin. Mes madrigaux extraits du Ve Livre se retrouvent avec des ceux d'Orazio
Vecchi, de Banchieri, de Luca Marenzio et d'Andrea Gabrieli.
J'ai appris la mort d'Orazio Vecchi il y a un peu plus de deux ans. Je l'avais rencontré à
quelques reprises, notamment à Florence en 1600, pour la représentation de l'
Euridice
.
C'était un drôle de bonhomme, débordant d'activité et même bagarreur. On raconte qu'un
jour, il vint au secours de son frère Girolamo pris dans une rixe avec un galant de sa
femme, et qu'il frappa son adversaire de deux coups de dague avant de s'enfuir.
On a aussi beaucoup jasé lorsque Vecchi fut cassé de ses fonctions de maître de chapelle
de Modène par l'évêque de Reggio. On lui reprochait de manœuvrer pour obtenir le poste
de maître de chapelle de cette dernière ville. ll y a trois ans, il fut destitué de son poste de
maître de la cathédrale, et fut remplacé par son élève Geminiano Capilupi. Il semble que
cette humiliation fit beaucoup pour hâter sa fin. Mais là n'est ppas le plus important. Orazio
Vecchi laisse le souvenir d'un grand musicien, inventeur de ce qu'il appelait la comedia
armonica, c'est-à-dire la comédie madrigalesque. Nous étions très différent, tous les deux.
D'abord, Vecchi n'a jamais été sensible au recitar cantando. Qu'avait-il retenu des
recherches des lettrés florentins de la Camerata Bardi ? Je ne sais, car la voix seule,
porteuse d'une mélodie expressive, ne l'intéressait pas. Par ailleurs, il adorait la comédie,
pour ne pas dire la bouffonnerie. Il avait certainement raison lorsqu'il soutenait qu'il faut
autant de grâce, d'art et de naturel pour bien tracer un rôle de comédie que pour
représenter un vieux sage raisonneur, mais je n'aurais aucun goût pour mettre en scène
les Pantalone, Capitan ou Francatrippa, comme il le fit dans son
Amfiparnasso
.
Je n'oublierai pas Orazio Vecchi, qui, comme il est écrit sur son épitaphe, fut peut-être le
premier qui joignit la musique au théâtre.
A Milan, j'en ai profité pour aller voir le chanoine Cherubino Ferrari, qui m'a invité chez lui.
Il est à la fois théologien et poète. J'avais emporté la partition de l'Orfeo, et il l'a regardée
avec enthousiasme. Comme il me l'avait dit, il n'a pas pu s'empêcher d'écrire au duc pour
vanter la façon dont, selon lui, le poète et le compositeur ont rendu l'expression des
passions.
Je ne me suis pas attardé à Milan, et j'ai bien fait car, de retour à Crémone, j'ai vu tout de
suite que l'état de santé de Claudia avait empiré. Elle me regardait avec des yeux d'une
tristesse telle que j'avais bien du mal à cacher à cacher mes larmes.
Début septembre, il fallut se rendre à l'évidence. Le miracle n'aurait pas lieu. Le 9, Claudia
trouva la force de demander un prêtre pour se confesser - de quoi, mon Dieu ! -,
communier, et recevoir l'extrême onction. Je restais toute la nuit auprès d'elle, lui tenant la
main, me disant que tant que je sentirais un peu de chaleur, le pire ne serait pas arrivé.
Mais au patit matin, alors que je sortais d'une torpeur dans laquelle je n'avais pas pu éviter
de tomber, je sentis que sa main n'abritait plus de vie. Ma Claudia était morte.
*
*
*
A quoi bon raconter ce par quoi tout homme qui perd un épouse aimée doit passer, de
douleur et d'obligations. Je ne peux toutefois passer sous silence que les autorités
religieuses de Crémone acceptèrent que le service funèbre eût lieu dans la cathédrale,
quoique Claudia ne fût pas de Crémone. L'inhumation eut lieu au cimetière Saint-Nazaire
et Celse, dans la paroisse où nous habitons.
Et je me retrouvais, à quarante-ans, veuf, avec deux jeunes garçons. De quoi la vie allait-
elle être faite ?
*
*
*
Cela devait arriver ! Le Duc est rentré de sa cure à Sampierdarena, et me réclame. Que je
sois sous le coup du deuil de Claudia est le cadet de ses soucis. Il n'a qu'une idée en
tête : les préparatifs du mariage du prince Francesco avec la princesse Marguerite de
Savoie, l'hiver prochain.
Connaissant son amour du faste et du paraître, on peut s'attendre à des festivités
grandioses, et à coup sûr, j'y aurai plus que ma part de labeur.
Le prince héritier a vingt-deux ans. Il partage le goût de son père pour le théâtre et la
musique, mais n'a pas son inconstance et sa prodigalité. S'il succède à son père, ce qui
est probable, je ne sais dans quel état il trouvera les finances du duché !
En attendant, le prince apprécie le charme et les raffinements des divertissements de
cour, et c'est à lui que j'ai dédicacé les
Scherzi musicali
, même si la dédicace a été
rédigée par Giulio Cesare. Mon frère a trouvé des termes quelque peu osés pour
caractériser les Scherzi, en les définissant comme
des fleurs qui furent plantées et
cueillies par mon frère Claudio dans le beau jardin des chambres princières de Votre
Altesse
.
Pour le moment, je ne bouge pas. Qu'ils aillent au diable, et respectent mon deuil !
*
*
*
Le Duc est un malin. Il m'a fait écrire par Federigo Follino, l'historiographe de la cour de
Mantoue, pour lequel j'ai de la sympathie. Sympathie réciproque. Federigo n'a pas
manqué pas de compatir pour, dit-il,
la perte d'une femme si rare et si pleine de qualités
.
Venant de lui, je sais que ces paroles ne sont pas que de circonstance.
J'ai moins aimé moins la suite, car, bien sûr, là n'était pas le véritable objet de sa lettre. Il
m'a conseillé de ne plus songer à mes peines - comment le pourrais-je ! - , et de revenir
promptement à Mantoue, pour
gagner la plus grande renommée qu''un homme puisse
espérer sur terre, et par là la gratitude de Sa Sérénissime Seigneurie
.
Pauvres arguments, Federigo ! La renommée, l'ai-je pas déjà par mes madrigaux et par
l'Orfeo ? Quant à la gratitude du Duc, bien bête qui pourrait s'y fier !
Foin de tout cela ! Je le sais bien qu'il faut que je retourne à Mantoue !
*
*
*
Début octobre, Claudio Monteverdi était de retour à la cour de Mantoue, et s'attelait à la
composition de l'
Arianna
.
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