Victor Barrucand
LA VIE VÉRITABLE DU
CITOYEN JEAN ROSSIGNOL
Vainqueur de la Bastille et Général en Chef des
Armées de la République dans la guerre de Vendée
(1759-1802)
Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits »
Table des matières
PRÉFACE .................................................................................. 5
PREMIÈRE PARTIE ............................................................... 17
CHAPITRE PREMIER............................................................... 18
CHAPITRE II ............................................................................. 21
CHAPITRE III ........................................................................... 24
CHAPITRE IV ............................................................................ 30
CHAPITRE V ............................................................................. 38
CHAPITRE VI ............................................................................ 44
CHAPITRE VII .......................................................................... 51
CHAPITRE VIII ......................................................................... 57
DEUXIÈME PARTIE .............................................................. 59
CHAPITRE IX............................................................................ 60
CHAPITRE X ............................................................................. 64
CHAPITRE XI............................................................................ 70
CHAPITRE XII .......................................................................... 78
CHAPITRE XIII ......................................................................... 82
CHAPITRE XIV ......................................................................... 92
CHAPITRE XV .......................................................................... 96
TROISIÈME PARTIE ............................................................ 104
CHAPITRE XVI ....................................................................... 105
CHAPITRE XVII ....................................................................... 114
CHAPITRE XVIII .................................................................... 122
CHAPITRE XIX ........................................................................ 131
CHAPITRE XX ........................................................................ 136
– 3 – CHAPITRE XXI ....................................................................... 139
CHAPITRE XXII ..................................................................... 148
CHAPITRE XXIII .................................................................... 156
CHAPITRE XXIV .................................................................... 173
CHAPITRE XXV ...................................................................... 179
CHAPITRE XXVI .................................................................... 184
CHAPITRE XXVII ................................................................... 189
CHAPITRE XXVIII .................................................................. 203
LA DÉPORTATION ET LA MORT DE ROSSIGNOL ............ 211
À propos de cette édition électronique ................................. 234
– 4 – PRÉFACE
Encore des mémoires touchant intimement à l’histoire de
la Révolution poursuivie jusqu’à la domination consulaire,
mais des mémoires d’extrême-gauche, par conséquent, plus
rares, car les ouvriers de la Révolution maniaient mieux la
pique que la plume. Beaucoup d’entre eux quittèrent du reste la
scène au fort de l’action, sans avoir eu le temps de juger les
événements et de se convertir aux régimes successifs. Ils se fai-
saient sans doute une haute idée de leur œuvre, une idée trop
nette même et sans nuances, c’est pourquoi ils eussent été bien
empêchés d’en écrire avec esprit et de mettre en bonne place le
bloc qu’ils avaient dégrossi à coups de hache. Le peuple n’écrit
d’ordinaire ses mémoires qu’en édifiant ou en détruisant ; il
s’attelle aux rudes besognes historiques en y croyant comme
aux travaux de la terre, prend pour lui la peine, laisse à
d’autres la gloire et les profits de l’aventure, et s’en remet à
l’histoire du soin de le trahir. Mais si, pour quelque raison que
ce soit, il s’essaye à parler avec des mots, il est bien évident que
la critique voulant être compréhensive doit oublier toute infime
rigueur, s’humaniser, et, sans indulgence, s’élever à quelque
hauteur philosophique, pour apprécier la juste valeur des mo-
tifs qui ne s’expriment pas et qui font agir.
D’ailleurs, la psychologie historique encore incertaine re-
connaît dans toute contribution à un fait une valeur de touche
que les conséquences générales n’altèrent pas : les choses et les
hommes valent par eux-mêmes, en dehors de toute synthèse.
Par ces notations à vif, par ces touches individuelles que re-
cherche la méthode nouvelle et qui sont comme des plaques
sensibilisées plus immédiates que les clichés de jadis, par la
– 5 – multiplicité des apparences successives dont elle tient compte,
le sang du passé remonte sous le masque de la froide vérité
acceptée et souvent la transfigure. Mais en même temps, et
pour ces raisons, la chronique d’hier reste mystérieuse ; et,
pour ne parler que d’un relief mémorable, devant un examen
plus attentif, les aspects de la Révolution perdent leur rigueur
logique, les noms impérieux de la Montagne s’atténuent et,
comme au chaos des nuages, l’esprit inquiet demande à la foule
le secret des illuminations soudaines.
Que savons-nous des véritables auteurs de cette révolution
par laquelle on jure, et qui a ses prêtres, ses docteurs et ses
pharisiens ? Presque rien que des calomnies et des injures.
L’étude des clubs et des motionneurs, la sensibilité des foules
excitées par le sang et la famine, le hasard des stratégies popu-
laires, l’inspiration des démagogues et la folie d’une race dé-
bordée déroutent une opinion rectiligne. Il devient difficile de
prouver quelque chose, même la raison du peuple, dès qu’on
scrute ces dessous : l’instinct collectif, la contagion de
l’exemple, l’irresponsabilité, le réveil atavique des massacres
dans le sang des journées chaudes ; en vertu de telles circons-
tances à jamais inconnues, les mots et les émotions s’opposent
ou s’exaltent ; et tout est possible et tout est douteux, avec ces
facteurs d’énergie, l’hallucination du danger et la naïveté des
masses.
C’est en somme le système du mouvement impersonnel
donnant une science plus compliquée, et plus vraie sans doute,
à cause des centres et des foyers innombrables, véritable tour-
billon où la théorie des grands hommes s’efface.
L’intérêt d’une telle décentralisation historique apparaît
un peu frivolement dans le succès de certains mémoires ; mais
cette vogue à tout prendre n’est pas insignifiante si le défilé des
personnages de second plan modifie nos idées sur le passé ap-
– 6 – pris, et si la vie contemporaine s’en trouve influencée autant et
mieux peut-être que par des lectures romanesques.
Rossignol dont nous publions les Mémoires est-il donc un
de ces personnages écoutant aux portes des salons et des chan-
celleries, potinant sur les choses vues et sur les hommes ren-
contrés ?
Plus curieux son rôle est peut-être unique. Si Rossignol
avait eu le tempérament littéraire, ses mémoires compose-
raient plusieurs tomes car il fut toujours mêlé aux actions de
son temps et les suscita parfois ; mais il n’a pas le sentiment
des nuances et des proportions ; le moindre incident de sa vie
d’atelier ou de garnison a pour ce batailleur plus d’importance
que le récit d’une bataille rangée. Irrespectueux et naïf, insou-
mis et brave, non sans vantardise, ridicule souvent, entêté jus-
qu’à l’inconscience et parfois énergique jusqu’au frisson, Rossi-
gnol est une étonnante personnification de ce peuple de Paris
qui fit les grandes journées ratifiées par les constitutions. Il
semble que sa robustesse franche, où les défauts s’accusent
sans honte, explique l’âme obscure de la Révolution, non pas la
vie des assemblées, mais l’émotion d’un peuple s’essayant à la
liberté avec des gaucheries et des cataclysmes. Sans effort et
sans pose qui ne soit naturelle, ce compagnon orfèvre devient
nécessairement général quand la foule a pris la tête du mou-
vement révolutionnaire ; sans se guinder il atteste ainsi le rôle
du peuple qu’il ne peut pas trahir sans se trahir lui-même. Ses
mémoires ont à ce titre une importance autre que littéraire et
vraiment typique.
Le 12 juillet 89, Rossignol, c’est lui-même qui le dit, ne sa-
vait rien de la Révolution et ne se doutait en aucune manière
de tout ce qu’on pouvait tenter, et le 14 il était avec ceux qui
prenaient la Bastille ; dans la démonstration d’octobre, il était
à Versailles avec les femmes et les masses indisciplinées qui
réclamaient à Paris le Boulanger, la Boulangère et le petit Mi-
– 7 – tron ; délégué par la section des Quinze-Vingts à la commune
insurrectionnelle, il était à la journée du Dix-Août ; son nom
figure sur les registres de la Force parmi ceux des magistrats
du peuple envoyés pour calmer l’effervescence, qui firent acte
de présence aux exécutions de septembre et ne purent rien em-
pêcher. Le cahier de ses mémoires qui intéresse le Dix-Août et
les Journées de Septembre a disparu, à l’instigation sans doute
de Fouché.
On retrouve Rossignol, « l’enfant du Faubourg », partout
où l’exaltation populaire s’affirma sans mesure. Il était en
Vendée presque au début de la guerre opposant le fanatisme
du nouveau dogme patriotique à la superstition séculaire ;
d’accord avec les « exagérés » à moustaches de la cour de
Saumur comme avec les hébertistes et les enragés de Paris, il
poursuivait l’exécution des plus grands desseins : avec eux, la
guerre civile tendait à devenir guerre de religion ; ils avaient
eu l’intention de déchristianiser la France, et