Joseph de Maistre essayiste - article ; n°1 ; vol.52, pg 117-132
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 2000 - Volume 52 - Numéro 1 - Pages 117-132
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 27
Langue Français

Extrait

Monsieur Pierre Glaudes
Joseph de Maistre essayiste
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 2000, N°52. pp. 117-132.
Citer ce document / Cite this document :
Glaudes Pierre. Joseph de Maistre essayiste. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 2000, N°52. pp.
117-132.
doi : 10.3406/caief.2000.1379
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_2000_num_52_1_1379JOSEPH DE MAISTRE ESSAYISTE
Communication de M. Pierre GLAUDES
(Université de Toulouse-le-Mirail)
au Lle Congrès de l'Association, le 6 juillet 1999
Au début de Guerre et Paix, Anna Pavlovna, lors de la
soirée qu'elle donne, un jour de 1805, à l'aristocratie de
Pétersbourg, offre en régal à ses invités, comme un mets
aussi raffiné qu'original, la conversation d'un vicomte
français du nom de Mortemart. Ce parfait conteur est
« servi à l'honorable société », nous dit Tolstoï, « sous son
aspect [...] le plus avantageux, tel un rosbif sur un plat
bien chaud saupoudré de fines herbes » (1).
On imagine volontiers que l'ornement de ce salon
pétersbourgeois aurait pu être, non pas ce jeune vicomte,
mais l'ambassadeur sarde auprès du tsar, Joseph de
Maistre, qui fut lui-même un brillant causeur, rêvant en
outre de mettre de « l'impertinence dans [ses] ouvrages,
comme du poivre dans les ragoûts » (2)...
Cette ambition situe bien l'auteur des Soirées de Saint-
Pétersbourg. En matière politique et religieuse, il est réac
tionnaire : des lendemains de Thermidor à la Restaurat
ion, il participe à ce mouvement de retour à des idées
combattues par la Révolution, que d'aucuns croyaient
détruites. Mais cette reconquête de l'opinion s'effectue —
c'est là le point essentiel — avec une volonté d'innova-
(1) Léon Tolstoï, La Guerre et la Paix, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la
Pléiade, 1952, p. 13.
(2) Formule empruntée à une lettre de Maistre à Guy-Marie Déplace. 118 PIERRE GLAUDES
tion. Maistre rénove le langage des défenseurs de l'ordre
qui, au XVIIIe siècle, s'étaient montrés inférieurs par le
talent et le succès à leurs adversaires philosophes.
Cet écrivain catholique est en effet conscient de l'obs
tacle que représente le pesant didactisme de l'apologé
tique traditionnelle. Les arguments qu'elle développe,
fondés sur des autorités anciennes, son mode d'exposition
systématique, son dogmatisme même sont mal reçus par
le public. De surcroît, elle présente l'inconvénient d'igno
rer la réalité révolutionnaire et ne permet donc pas de
penser dans l'ordre théologique cette rupture capitale. De
là cette volonté de modernisation du discours, qui vaut à
Maistre des ennuis avec ceux-là même qu'il entend servir.
Ainsi, lors de la publication du Pape, il a maille à partir
avec le Saint-Siège. Le jeune Lamennais, qui soutient ses
efforts, lui donne raison contre la rigidité des théologiens
romains. « On dirait », lui écrit-il à propos de ces derniers,
« que rien n'a changé dans le monde depuis un demi-
siècle. Ils défendent la religion comme ils l'auraient défen
due il y a quarante ans. Ils semblent toujours parler à des
gens qui admettent [...] des principes et des faits qui, mal
heureusement, sont bien loin aujourd'hui d'être admis »
(3). Par souci d'efficacité, Lamennais propose une modern
isation du discours religieux : « Depuis que la raison
s'est déclarée souveraine, il faut », écrit-il, « aller droit à
elle, la saisir sur son trône, et la forcer, sous peine de mort,
de se prosterner devant la raison de Dieu » (4).
Maistre partage cette ambition : on trouve chez lui une
agilité extrême dans la controverse et cette ardeur pol
émique qui atteint souvent à la causticité. Pour autant,
Maistre ne se laisse pas prendre au piège d'un engage
ment partisan, qui le conduirait à sacrifier aux intérêts du
journalisme politique et à s'exposer aux palinodies de la
propagande. Rejetant la conception voltairienne de l'hom-
(3) Cité par Jacques Lovie et Joannes Chetail dans leur Introduction, Du
Pape, Genève, Droz, 1966, p. XXXIV-XXXV.
(4) Ibid. DE MAISTRE ESSAYISTE 119
me de lettres, il réprouve cette usurpation qui consiste,
pour un écrivain, à exercer une sorte de sacerdoce laïc : à
ses yeux, les excès de la Révolution sont imputables à ces
écrivains qui, à la suite de Voltaire et de Rousseau, se sont
pris pour des législateurs et ont prétendu gouverner l'opi
nion.
Cette dérive de la littérature vers le journalisme, qui a
été favorisée sous la Révolution par « la multiplication
des journaux » et « la disparition du carcan corporatif qui
enserrait la librairie » (5), lui paraît funeste. En toute
logique, il s'y refuse lui-même (6). S'il consent à intervenir
dans les débats qui agitent son époque, il ne le fait jamais
que de manière indirecte : non pas en plongeant dans la
mêlée mais en s'efforçant de répondre aux préoccupations
morales et politiques de ses contemporains troublés par
les transformations sociales de la Révolution.
Sa situation d'exilé, qui le contraint à un certain déta
chement, lui facilite la tâche : c'est elle qui lui permet de
restituer un sens à la césure révolutionnaire et d'opérer,
en réponse aux déchirements de l'histoire, un travail de
resymbolisation. Or ce travail, Maistre tente de l'effectuer
en rupture avec l'épistémologie des Lumières. Au modèle
mécaniste, fondé sur la causalité rationnelle, qui a prévalu
au XVIIIe siècle, il oppose une sorte d'organicisme mys-
(5) Christophe Charle, Naissance des « intellectuels », Paris, Éd. de Minuit,
1990, p. 22-23.
(6) D'une part, Maistre juge dangereux d'utiliser le medium de l'écriture
pour communiquer au peuple des vérités politiques ou religieuses ; d'autre
part, il préfère un autre type d'intervention, plus efficace et plus discret.
Cette mise à distance est perceptible dans les restrictions qu'il opère à
l'égard de son public : à la manière maçonnique (mais aussi conformément à
la culture jésuite, dont il vante l'excellence), il s'adresse à une élite intellec
tuelle, il vise un public d'initiés. Il cherche à agir sur les corps interméd
iaires, car « il appartient aux prélats, aux nobles, aux grands officiers de
l'État d'être les dépositaires des vérités conservatrices, d'apprendre aux
nations ce qui est mal et ce qui est bien, ce qui est vrai et ce qui est faux dans
l'ordre moral ou spirituel : les autres [les hommes de lettres] n'ont pas le
droit de raisonner sur ces sortes de matières » (Les Soirées de Saint-Péters
bourg, VIIIe Entretien, éd. Jean-Louis Darcel, Genève, Slatkine, 1993, p. 453). 120 PIERRE GLAUDES
tique, qui s'appuie sur l'expérience et exploite les res
sources de l'analogie.
Maistre récuse en effet cette raison moderne qui bâtit
des systèmes, de sa seule autorité. Il lui reproche d'avoir
fait le lit du matérialisme et de l'incroyance, et donc
d'avoir sapé les fondements de « toutes les sciences
morales », au nom d'une vérité illusoire. À cette raison
prétentieuse et grossière, il oppose une autre raison, plus
modeste, qui tire sa force de la connaissance de ses fai
blesses. Cette conscience d'être faillible la rend capable de
s'effacer devant deux autorités supérieures : le sens com
mun et l'intuition.
Le sens commun, dans la perspective empirique adoptée
par Maistre, c'est la somme des connaissances accumulées
par les traditions, au gré du temps et des circonstances ; et
c'est le trésor d'expériences, cette sagesse des nations qui
en est le complément — toutes choses qui doivent tou
jours l'emporter sur les systèmes rationalistes : « Je n'en
tends point insulter la raison », déclare le Sénateur dans
Les Soirées, « mais ce qu'il y a de bien sûr, c'est que toutes
les fois qu'elle se trouve opposée au sens commun, nous
devons la repousser comme une empoisonneuse » (

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